CHAPITRE V.
Du développement des fonctions lorsqu’on donne à la variable une valeur déterminée. Cas dans lesquels la règle générale est en défaut. Des valeurs des fractions dont le numérateur et le dénominateur s’évanouissent en même temps. Des cas singuliers où le développement de la fonction ne procède pas suivant les puissances positives et entières de l’accroissement de la variable.
24. Les méthodes que nous venons de donner pour le développement de la fonction supposent que ce développement est de la forme
il est donc nécessaire, avant d’aller plus loin, d’examiner quand et comment cette forme pourrait être en défaut.
Nous avons déjà démontré plus haut (no 2) que cela ne peut arriver que lorsqu’on donnera à une valeur déterminée telle qu’elle fasse disparaître dans la fonction et dans toutes ses dérivées quelques radicaux. Or un radical ne peut disparaître dans une fonction que de deux manières, ou parce que la quantité qui multiplie le radical devient nulle, ou parce que le radical lui-même devient nul.
Dans le premier cas, il est clair que, le radical disparaissant dans il pourra ne pas disparaître dans ou bien que, disparaissant à la fois dans il ne disparaîtra pas dans et ainsi du reste, parce que, le radical acquérant des coefficients différents dans les fonctions dérivées, ces coefficients ne peuvent pas devenir tous nuls par la même valeur supposée de la variable.
Dans le second cas, au contraire, il est évident que le radical disparaîtra nécessairement dans toutes les fonctions à l’infini, puisque c’est la quantité radicale elle-même qui est supposée s’évanouir pour une valeur donnée de la variable Mais, l’évanouissement du radical ne pouvant plus avoir lieu dans la fonction où est une quantité indéterminée et indépendante de il s’ensuit que la série
qui représente le développement de cette fonction, deviendra fautive par l’absence du radical qu’elle doit contenir.
Donc cette série sera légitime dans le premier cas et ne le sera pas dans le second.
25. Soient et par conséquent, en prenant les fonctions prime, seconde, etc., Supposons que, pour une valeur donnée de il disparaisse dans un radical, lequel ne disparaisse pas dans il est clair que, pour cette valeur de la fonction devra avoir un plus grand nombre de valeurs différentes que la fonction à raison du radical, qui se trouve dans et qui a disparu dans d’où il s’ensuit que la valeur de ne pourra pas être donnée par une fonction de et qui ne contiendrait pas ce radical. Cependant, si dans l’équation on détruit ce même radical par l’élévation aux puissances, et que l’équation résultante soit représentée par son équation prime donnera généralement, comme nous l’avons vu au no 17,
Donc cette expression sera en défaut dans le cas où l’on donnerait à la valeur en question, ce qui ne peut avoir lieu qu’autant que les quantités et seront l’une et l’autre nulles à la fois. Ainsi, dans le cas dont il s’agit, l’expression de deviendra égale à zéro divisé par
zéro, et réciproquement, lorsque cela arrivera, ce sera une marque que la valeur correspondante de
aura détruit dans
un radical sans le détruire dans
Pour avoir dans ce cas la valeur de il ne suffira donc pas de s’\pirêter à l’équation prime de laquelle, étant
aura lieu d’elle-même, indépendamment de la valeur de mais il faudra passer à l’équation seconde, qu’on trouvera par les mêmes règles de cette forme
en désignant par et les fonctions primes de et prises la première relativement à seul et la seconde relativement à seul, c’est-à-dire les fonctions secondes de prises relativement aux mêmes variables isolées, et par la fonction prime de prise relativement à ou la fonction prime de prise relativement à (ces deux fonctions étant la même chose, comme il est facile de s’en convaincre et comme nous le démontrerons plus bas, lorsque nous traiterons des fonctions de plusieurs variables), c’est-à dire la fonction seconde de prise relativement à et à .
Cette équation donne généralement la valeur de ; mais, dans le cas proposé, la quantité devenant nulle, le terme qui contient disparaîtra et l’équation restante sera une équation du second degré en par laquelle on déterminera la valeur de qui sera par conséquent double.
26. Soit, par exemple,
en sorte qu’on ait l’équation
on aura
faisant on a
où l’on voit que le radical disparaît dans la valeur de mais non pas dans celle de en sorte que la valeur de est simple et celle de double.
Maintenant, si l’on réduit l’équation proposée à cette forme rationnelle
et qu’on en prenne l’équation prime, on aura
d’où l’on tire
Faisant on a passant donc à l’équation seconde, on aura
Ici donne, à cause de dans ce cas,
comme plus haut.
Il serait possible, au reste, que la même valeur de qui détruit les termes de l’équation prime détruisît aussi ceux de l’équation seconde ; alors il faudrait passer à l’équation tierce, laquelle, par la destruction des termes qui contiendraient et deviendrait une simple équation en mais du troisième degré, et ainsi de suite. Cela dépend de la nature du radical qui aura été détruit dans et qui doit être remplacé par le degré de l’équation d’où dépend la valeur de mais nous n’entrerons dans aucun détail sur ce point pour ne pas trop nous écarter de notre sujet.
27. Supposons en second lieu que la même valeur de qui fait disparaître un radical dans le fasse disparaître aussi dans sans le faire disparaître néanmoins dans alors les valeurs correspondantes de et de seront en même nombre, mais celles de seront en nombre plus grand. Si donc on détruit ce radical dans l’équation la valeur de qu’on en déduira se trouvera égale à et il faudra passer aux équations dérivées d’un ordre supérieur pour avoir la valeur de
Soit
on aura
faisant on a
Mais, si l’on réduit l’équation proposée à cette forme rationnelle
on en tirera l’équation prime
laquelle donne, lorsque
à cause de à moins qu’en substituant la valeur de on ne divise le tout par et qu’ensuite on ne fasse ce qui donnera
Passant à l’équation seconde, on aura
Faisant on aura comme ci-dessus. Mais, pour avoir la valeur de il faudra avoir recours à l’équation tierce et même à l’équation quarte. Celle-là sera
où tous les termes disparaissent lorsque La suivante sera
Faisant et par conséquent et on aura
comme plus haut.
Nous ne pousserons pas plus loin cette analyse, qui d’ailleurs n’a plus de difficulté d’après les principes établis. Nous nous contenterons de remarquer que, si l’on construit la courbe dont serait l’abscisse et l’ordonnée, cette courbe aura ce qu’on appelle un point multiple dans l’endroit correspondant à la valeur donnée de qui fera disparaître un radical dans sans le faire disparaître en même temps daiis qu’elle aura un point d’attouchement si la même valeur de fait disparaître à la fois le radical dans et dans que ce sera un point d’oscùlation si le radical disparaît en même temps dans et ainsi de suite. On en verra la raison lorsque nous appliquerons la théorie des fonctions à celle des courbes.
28. À l’occasion de la difficulté que nous venons de résoudre, nous allons donner la théorie de la méthode pour trouver la valeur d’une fraction dans le cas où le numérateur et le dénominateur deviennent zéro à la fois.
Soit une pareille fraction, et étant des fonctions de telle que la supposition de les rende toutes les deux nulles à la fois, et qu’on demande la valeur de cette fraction lorsque
On fera et par conséquent En supposant cette équation se vérifie d’elle-même, indépendamment de la valeur de qui demeure par conséquent indéterminée ; ainsi elle ne peut servir dans cet état à la détermination de lorsque Mais, en prenant l’équation prime, on aura
la supposition de fait disparaître le terme et le reste de l’équation donne S’il arrivait que les fonctions primes devinssent aussi nulles par la même supposition, alors on trouverait par le même principe, en substituant dans l’équation ci-dessus pour cette nouvelle expression de et ainsi de suite. On pourrait aussi la déduire directement de la même équation prime, en considérant que, comme elle se vérifie de nouveau d’elle-même, elle ne peut pas servir non plus à la détermination de que par conséquent il sera nécessaire de passer à l’équation seconde, laquelle sera
Comme la supposition de rend nulles les fonctions et les termes qui contiennent et s’en iront d’eux-mêmes, et les termes restants donneront comme plus haut.
Il n’est pas à craindre que les fonctions à l’infini puissent devenir nulles en même temps par la supposition de comme quelques géomètres paraissent le supposer, car, puisque
en faisant on aurait quel que soit ce qui est
impossible il en serait de même de
Mais il peut arriver que ces fonctions deviennent infinies par la même supposition de
ce qui rendra également les fractions
indéterminées : la solution de cette difficulté dépend de l’examen du second cas du
no 24, dont nous allons nous occuper.
29. Ce cas a lieu lorsque la supposition de fait disparaître dans un radical en le rendant nul, auquel cas elle le fera disparaître de même dans les fonctions dérivées ; mais, ce radical restant dans la fonction il doit rester aussi dans le développement de cette fonction ; par conséquent, ne pouvant affecter la valeur de il faudra qu’il affecte l’ d’où il suit que ce développement doit contenir nécessairement des puissances irrationnelles de Il est clair, en effet, que, si contient la quantité étant une fonction de qui devient nulle lorsque en mettant à la place de deviendra
et, faisant on aura simplement pour la valeur de de sorte que deviendra
donc la fonction contiendra, dans le cas de le radical qui devra par conséquent se trouver dans son développement suivant les puissances de Voyons donc ce que donnera alors le développement fautif
Pour cela, j’observe que les fonctions sont également les fonctions primes, secondes, etc., de la fonction soit qu’on les prenne relativement à soit qu’on les prenne relativement à ce qui est évident, puisque, en augmentant soit soit d’une même quantité quelconque, on a le même accroissement de la quantité D’où il suit que l’on aura également les valeurs de quel que soit en prenant les fonctions primes, secondes, etc., de relativement à et faisant ensuite
Or, si l’on suppose que le développement de doive contenir, lorsque un terme affecté de tel que étant une fonction de et n’étant pas un nombre entier positif, en prenant les fonctions primes, secondes, etc., relativement à il faudra que les développements de contiennent les termes (no 10). Donc, faisant on en conclura que les fonctions lorsque contiendront respectivement les termes
Si est un nombre quelconque négatif, il est clair que tous ses termes seront infinis.
Si est un nombre positif non entier, soit le nombre entier immédiatement plus grand que il est visible que le terme
sera infini, ainsi que tous les termes suivants, et que tous les précédents seront nuls.
Donc, en général, la fonction et toutes les suivantes à l’infini ( étant des indices) seront infinies, étant le nombre entier positif immédiatement plus grand que l’exposant
30. On conclura de là que le développement
ne peut devenir fautif pour une valeur donnée de qu’autant qu’une des fonctions deviendra infinie, ainsi que toutes les suivantes, pour cette valeur de Alors, si est l’indice de la pre-
mière fonction qui devient infinie, le développement dont il s’agit devra contenir un terme de la forme
étant un nombre compris entre
et
Et, si toutes les fonctions devenaient infinies pour la même valeur de le développement de contiendrait dans ce cas des puissances négatives de
Pour trouver alors la vraie forme du développement suivant les puissances ascendantes de il faudra faire d’abord, dans la fonction égal à la valeur donnée, et développer ensuite suivant les puissances croissantes de par les règles connues, en ayant égard aux puissances fractionnaires ou négatives de qui se trouveraient dans la fonction même.
Au reste, nous remarquerons que, en faisant et prenant et pour les coordonnées d’une courbe, cette courbe aura dans le point où l’une des fonctions devient infinie, ainsi que toutes les suivantes, un rebroussement dont l’espèce dépendra de l’indice pourvu que l’exposant fractionnaire ait pour dénominateur un nombre pair, et l’on déterminera la nature du rebroussement par la forme du développement de dans ce cas.
31. Dans l’exemple du no 27, où
on voit que la supposition de détruit le radical dans et doit, par conséquent, le détruire aussi dans les fonctions dérivées Donc le développement
de en supposant
sera fautif dans le cas de En effet, on aura, dans ce cas,
étant égal à
et l’on trouvera de même
Donc le développement dont il s’agit devra contenir alors un terme de la forme étant entre et
Soit, en effet, deviendra de sorte que le vrai développement de cette fonction sera
32. C’est aussi de la même manière qu’on résoudra la difficulté proposée à la fin du no 28 sur les fractions qui demeureraient toujours indéterminées, en prenant à l’infini les fonctions dérivées du numérateur et du dénominateur. Nous y avons vu que cela ne saurait arriver que dans le cas où la même valeur de rendrait ces fonctions successives infinies. Il faudra donc alors supposer ( étant la valeur de qui rend ces fonctions infinies) dans l’expression générale de la fraction, réduire ensuite cette expression en série suivant les puissances ascendantes de et le premier terme de la série, en faisant donnera la valeur cherchée de la fraction pour le cas de
Ainsi, si l’on avait la fraction
qui devient lorsque et dont les fonctions primes, secondes, etc., du numérateur et du dénominateur deviennent toutes infinies par la même valeur de en y mettant au lieu de et réduisant le numérateur et le dénominateur en série, elle deviendra
de sorte qu’en faisant
on aura
pour la valeur cherchée de la fraction lorsque
En effet, si, suivant la méthode du no 28, on prend les fonctions primes du numérateur et du dénominateur, on aura
quantités qui deviennent infinies lorsque mais, en les multipliant l’une et l’autre par la nouvelle fraction sera
laquelle, en faisant devient comme plus haut.
Nous avons donc résolu les difficultés qui peuvent se rencontrer dans le développement de et, quoique nous n’ayons considéré que des fonctions algébriques, il n’est pas difficile d’étendre nos solutions aux fonctions transcendantes. Comme ces difficultés n’ont lieu que pour des valeurs particulières de il est clair qu’elles n’influent en rien sur la théorie des fonctions dérivées mais il était nécessaire de les examiner et de donner les moyens de les lever, pour ne laisser aucun nuage sur cette théorie. [Voir aussi la Leçon VIII du Calcul des fonctions[1].]