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Théorie des fonctions analytiques/Partie I/Chapitre 06

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Première partie


CHAPITRE VI.

Résolution générale des fonctions en séries. Développement des fonctions en séries terminées et composées d’autant de termes qu’on voudra. Moyen d’exprimer les restes depuis un terme quelconque proposé. Théorème nouveau sur ces séries

33. Nous avons vu jusqu’ici comment on peut trouver directement tous les termes du développement de la fonction suivant les puissances de on peut, de la même manière, développer une fonction quelconque suivant les puissances ascendantes d’une des variables contenues dans la fonction.

En effet, si l’on reprend la formule

puisque et sont deux quantités indéterminées, on y peut substituer à la place de ce qui donnera

De plus, on pourra mettre à la place de et l’on aura

est une quantité arbitraire quelconque.

Ici représente, comme l’on voit, une fonction quelconque de et représentent les fonctions primes, secondes, etc., de en y substituant à la place de Mais, quoique ne représente qu’une fonction de relativement à ses fonctions dérivées, il est clair qu’elle peut représenter en général une fonction quelconque de et d’autres quantités quelconques, pourvu que ces quantités soient regardées comme constantes dans la formation des fonctions dérivées

Si dans la formule précédente on fait l’équation devient identique à et, si l’on fait la quantité s’évanouit, de sorte que, si l’on dénote simplement par les valeurs des fonctions lorsque on aura

Ainsi, lorsque sera une fonction donnée de plusieurs variables il n’y aura qu’à chercher par les règles générales les fonctions dérivées par rapport à seul et y faire ensuite on aura tous les termes du développementde la fonction suivant les puissances ascendantes de et il est clair que les valeurs des quantités seront des fonctions de sans toutes dérivées de la fonction primitive suivant une loi dépendante de la manière dont la quantité entrera dans cette fonction.

34. On pourrait trouver ce développement d’une manière plus simple en supposant tout de suite

étant des quantités indépendantes de Pour les déterminer, on considérera que cette équation, devant être identique, doit avoir lieu pour toutes les valeurs de Donc : 1o en faisant on aura 2o en prenant les fonctions primes de tous ses termes (nos 10, 17), on aura encore l’équation identique

où, faisant de nouveau on aura 3o en prenant de nou-

veau les fonctions primes, on aura

où, faisant derechef on aura Continuant de la même manière, on trouvera

d’où l’on tire

ce qui donnera, par la substitution, la même série pour que ci-dessus. Mais cette méthode est moins directe que la précédente, et elle suppose déjà la théorie des fonctions dérivées ; elle est d’ailleurs moins rigoureuse, en ce qu’elle suppose de plus que la somme de tous les termes affectés de devient nulle lorsque quoique les coefficients de ces termes augmentent à l’infini dans les équations dérivées ; mais le grand avantage de la méthode précédente consiste en ce qu’elle donne le moyen d’arrêter le développement de la série à tel terme que l’on voudra et de juger de la valeur du reste de la série.

Ce problème, l’un des plus importants de la théorie des séries, n’a pas encore été résolu d’une manière générale. On pourrait, à la vérité, le résoudre pour chaque fonction en particulier par les méthodes exposées dans le Chapitre premier ; mais il serait impossible de parvenir par cette voie à une solution générale pour une fonction quelconque.

35. Reprenons donc la formule générale trouvée ci-dessus (no 33),

et supposons qu’on veuille s’arrêter au premier terme Comme tous les termes suivants sont multipliés par nous supposerons

étant regardé comme une fonction de qui devra être nulle lorsque puisqu’alors devient

Comme cette équation doit avoir lieu quelle que soit la valeur de qui est arbitraire, son équation prime relativement à aura donc lieu aussi (no 17). On prendra donc les fonctions primes relativement a cette variable, et il est facile de voir que la fonction prime du terme sera car on a démontré (no 16) que, si étant une fonction de on a

ainsi, en rapportant les fonctions dérivées à la variable et faisant on aura

Donc, à cause que ne renferme point l’équation prime relative à de l’équation ci-dessus sera

étant la fonction prime de relativement à d’où l’on tire

On aura donc la valeur de en cherchant une fonction de dont la fonction prime soit égale à et qui, de plus, soit telle qu’elle devienne nulle lorsque Cette valeur de ainsi trouvée, si l’on y fait on aura

Supposons, en second lieu,

étant une fonction de qui devra être nulle, comme l’on voit, lorsque

En prenant, comme ci-dessus, les fonctions primes relativement à on aura cette équation prime

où les fonctions désignées par sont les fonctions primes et secondes de relativement à et dans lesquelles on a mis ensuite pour On tire de là, en effaçant ce qui se détruit,

de sorte qu’on aura la valeur de en cherchant une fonction de dont la fonction prime ait la valeur qu’on vient de trouver pour et qui ait la condition de devenir nulle lorsque Si ensuite on fait on aura

Soit, en troisième lieu,

étant une fonction de qui s’évanouisse lorsque On trouvera, en prenant les fonctions primes relativement à et effaçant les termes qui se détruisent mutuellement,

la fonction représentée par étant la fonction tierce de relativement à transformée par la substitution de à la place de

Il faudra donc, pour avoir la valeur de trouver une fonction primitive de dont la fonction prime soit la valeur précédente de et qui soit telle qu’elle s’évanouisse lorsque Cette fonction étant trouvée, on aura, en faisant

et ainsi de suite.

En continuant ainsi, on aura la formule du no 33

Mais l’analyse précédente a l’avantage de donner la manière d’avoir les restes de la série lorsqu’on veut l’interrompre à son premier, deuxième, troisième, etc., terme.

36. Voilà le problème résolu analytiquement ; mais, comme les quantités ne sont connues que par leurs fonctions primes, il reste encore à remonter de ces fonctions aux fonctions primitives, ce qui peut être souvent fort difficile et même impossible.

Cependant, si l’on connaissait la quantité on en pourrait déduire toutes les autres par les simples fonctions dérivées, car la comparaison des valeurs de donne

et l’on a trouvé donc, substituant, on aura

d’où l’on tire

On a ensuite

et l’on a trouvé

donc

d’où l’on tire

On trouvera de même

et ainsi de suite.

Si l’on fait on aura

et la fonction deviendra, en remettant à la place de

Ainsi, connaissant le premier reste on pourra connaître tous les autres restes par les simples fonctions dérivées relatives à et, si l’on prend simplement les fonctions dérivées relativement à on aura

Par exemple, en faisant comme dans le no 4, on aura

et, prenant les fonctions dérivées par rapport à on aura

or on trouve

de là, en prenant les fonctions dérivées par rapport à on tirera tout de suite

Donc, si l’on fait ces substitutions dans les expressions de et qu’on y mette ensuite à la place de on aura

comme dans le numéro cité.

Soit encore on aura

et, prenant les fonctions dérivées par rapport à

Ici on aura

et de là, en prenant les fonctions dérivées relatives à

Par ces substitutions dans les expressions de on aura, en mettant à la place de

comme dans le même numéro cité.

37. On peut aussi tirer directement de la formule du no 3

la loi de la série et l’expression des restes, en prenant alternativement

les fonctions dérivées par rapport à et à nous marquerons ces dernières par un trait placé au bas.

On a d’abord, par les fonctions dérivées relatives à

ensuite, par les fonctions dérivées relatives à

car il est visible que, relativement à la dérivée de est la même que relativement à On aura donc

d’où l’on tire

Faisons on aura, en substituant la valeur de

Prenons de nouveau les fonctions dérivées par rapport à et par rapport à on aura

donc

d’où


Donc, si l’on fait on aura, en substituant,

On trouvera de même, en faisant et ainsi de suite.

et ainsi de suite.

Si l’on fait, par exemple, ce qui donne

on aura

donc

ensuite

et de là

on trouvera de même

et ainsi de suite, ce qui redonnera la série déjà trouvée.

Mais, pour notre objet, il importe moins de connaître les restes exacts de la série développée jusqu’à un terme quelconque que d’avoir des limites de ces restes pour pouvoir apprécier l’erreur qu’on peut commettre en ne tenant compte que de quelques-uns des premiers termes.

38. Pour cela, nous allons établir ce lemme général :

Si une fonction prime de telle que est toujours positive pour toutes les valeurs de depuis jusqu’à étant la différence des fonctions primitives qui répondent à ces deux valeurs de savoir sera nécessairement une quantité positive.

Reprenons la formule

dans laquelle est une fonction de et qui, en faisant devient

(nos 3, 8) ; il est évident que, si est une quantité positive, la valeur de sera nécessairement positive depuis jusqu’à une certaine valeur de qu’on pourra prendre aussi petite qu’on voudra. Donc, lorsque la valeur de la fonction prime est positive, on pourra toujours prendre pour une quantité positive et assez petite pour que la quantité soit nécessairement positive.

Mettons successivement à la place de les quantités

il en résultera que l’on peut prendre positif et assez petit pour que toutes les quantités

soient nécessairement positives si les quantités

le sont. Donc aussi, dans ce cas, la somme des premières quantités, c’est-à-dire la quantité sera positive.

Faisons maintenant on aura

et l’on en conclura que la quantité sera nécessairement positive si toutes les quantités

sont positives, en prenant aussi grand qu’on voudra.

Donc, à plus forte raison, la quantité sera positive, si est toujours une quantité positive, en donnant à toutes les valeurs possibles, depuis jusqu’à puisque parmi ces valeurs se trouveront nécessairement les valeurs

en prenant aussi grand qu’on voudra.

39. À l’aide de ce lemme, on peut trouver des limites en plus et en moins de toute fonction primitive dont on connaît la fonction prime.

Soit la fonction primitive dont la fonction prime soit exprimée par étant une fonction donnée de Soient la plus grande et la plus petite valeur de pour toutes les valeurs de comprises entre les quantités et en regardant comme plus grandes les négatives moindres et comme moindres les négatives plus grandes, ce qui est conforme à la marche du calcul, puisque, par exemple, et de même et ainsi des autres. Donc les quantités et seront toujours positives depuis jusqu’à et il en sera de même des quantités et

Donc : 1o si l’on fait on aura, par le lemme précédent,

or, étant sa fonction primitive sera et, comme est une quantité constante, la fonction primitive de est donc on aura

et, faisant successivement et l’équation

donnera

d’où l’on tire

2o Si l’on fait on aura aussi

et l’on trouvera, comme ci-dessus,

donc, faisant successivement et l’équation

donnera

id’où l’on tire

Appliquons ces résultats aux quantités du no 35.

Comme ces quantités sont regardées comme des fonctions de nous supposerons d’abord et par conséquent.

donc, puisqu’on a supposé prenant on aura

Faisons maintenant et la condition de la fonction qui doit être nulle lorsque donnera et alors sera la valeur de répondant à

Donc, si et sont la plus grande et la plus petite valeur de relativement à toutes les valeurs de depuis jusqu’à on aura

Par conséquent, et seront les deux limites de la quantité en y faisant

Supposons, en second lieu, on aura

donc, faisant on aura

Soient pareillement et on aura aussi, par la condition de la fonction qui doit être nulle lorsque est nul,

et alors sera égale à la valeur de répondant à

Donc, si et sont la plus grande et la plus petite valeur de pour toutes les valeurs de depuis jusqu’à on aura

de sorte que et seront les limites de la valeur lorsque y est égal à

Supposons, en troisième lieu, on aura

donc, faisant on trouvera de la même manière que, si et sont la plus grande et la plus petite valeur de en donnant à toutes les valeurs depuis zéro jusqu’à l’unité, on aura et pour les limites de la valeur de la quantité lorsqu’on y fait Et ainsi de suite.

Maintenant il est clair que, en donnant à dans une fonction de toutes les valeurs depuis jusqu’à les valeurs que recevra cette fonction seront les mêmes que celles que recevrait une pareille fonction de en donnant successivement à toutes les valeurs depuis jusqu’à car, faisant donne donne et les valeurs intermédiaires de donneront des valeurs de intermédiaires entre celles-ci. D’où il est aisé de conclure que les quantités et seront la plus grande et la plus petite valeur de relativement à toutes les valeurs de depuis jusqu’à et que, par conséquent, toute valeur intermédiaire entre et pourra être exprimée par en donnant à une valeur intermédiaire entre et Donc la valeur de la quantité relative à pourra être exprimée par étant une quantité entre et On en conclura de même que la valeur de répondant à pourra être exprimée par en donnant à une valeur intermédiaire entre et et l’on en conclura pareillement que la valeur de relative à pourra être exprimée par en prenant pour une quantité entre et Et ainsi de suite.

40. D’où résulte enfin ce théorème nouveau et remarquable par sa simplicité et sa généralité, qu’en désignant par une quantité inconnue, mais renfermée entre les limites et on peut développer successivement toute fonction de et d’autres quantités quelconques suivant, les puissances de de cette manière,

les quantités étant les valeurs de la fonction et de ses dérivées lorsqu’on y fait

Ainsi, pour le développement de suivant les puissances de on aura

où l’on remarquera que les quantités sont également les fonctions primes, secondes, etc. de ce qui est évident ; car il est visible que sont également les fonctions primes, secondes, etc. de soit qu’on les prenne relativement

à ou relativement à puisque l’augmentation de est la même enchangeant en ou en

Prenant donc pour les fonctions dérivées de on aura

désigne une quantité inconnue, mais renfermée entre les limites et

En changeant en et en on aura le développement de suivant les puissances de et l’on voit que dans ce développement la série infinie, à commencer d’un terme quelconque, est toujours égale à la valeur de ce premier terme en y mettant à la place de étant une quantité entre et que par conséquent la plus grande et la plus petite valeur de ce terme relativement à toutes les valeurs de depuis jusqu’à seront les limites de la valeur du reste de la série continuée à l’infini.

Si l’on fait on aura le développement du binôme et l’on en conclura que la somme de tous les termes, à commencer d’un terme quelconque

sera renfermée entre ces limites

et

car il est évident que la plus grande et la plus petite valeur de seront et

La perfection des méthodes d’approximation dans lesquelles on emploie les séries dépend non-seulement de la convergence des séries, mais encore de ce qu’on puisse estimer l’erreur qui résulte des termes qu’on néglige, et à cet égard on peut dire que presque toutes les méthodes d’approximation dont on fait usage dans la solution des problèmes géométriques et mécaniques sont encore très-imparfaites. Le théorème précédent pourra servir, dans beaucoup d’occasions, à donner à ces méthodes la perfection qui leur manque et sans laquelle il est souvent dangereux de les employer.

On trouve dans la Leçon IX du Calcul des fonctions[1] une méthode plus simple d’avoir les limites du développement d’une fonction, avec de nouvelles remarques sur ce sujet. (Voir aussi un Mémoire de M. Ampère dans le Tome VI du Journal de l’École Polytechnique.)


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  1. Œuvres de Lagrange, t. X