Théorie des fonctions analytiques/Partie I/Chapitre 07
CHAPITRE VII.
41. Jusqu’à présent, nous n’avons considéré les fonctions dérivées que comme pouvant servir à la formation des séries ; mais ces fonctions, considérées en elles-mêmes, offrent un nouveau système d’opérations algébriques et fournissent des transformations qui sont d’un usage immense dans toute l’Analyse.
Nous avons déjà vu (no 17) que, si l’on a une équation quelconque en et ou simplement en laquelle doive avoir lieu quelle que soit la valeur de les équations dérivées qu’on obtiendra en prenant les fonctions dérivées de chaque terme de la proposée auront lieu aussi. Chacune de ces équations, et même une combinaison quelconque de ces équations, pourra donc tenir lieu de l’équation primitive, et l’on obtiendra souvent par ce moyen des équations subsidiaires plus simples ou plus faciles à résoudre que les équations principales.
Nous avons nommé équations primes, secondes, etc. les équations dérivées qu’on obtient en prenant les fonctions primes, secondes, etc. de tous les termes de l’équation primitive donnée ; mais nous nommerons en général équations dérivées du premier ordre, du second ordre, etc. les équations qu’on pourra former par une combinaison quelconque de l’équation primitive et de son équation prime, ou de celles-ci et de l’équation seconde, et ainsi de suite.
Ainsi, l’équation primitive contenant et l’équation dérivée du premier ordre contiendra et l’équation dérivée du second contiendra et et ainsi du reste.
42. Nous allons montrer, par quelques exemples, l’usage des équations dérivées pour la transformation des fonctions, et d’abord nous remarquerons que, par la combinaison d’une fonction avec sa fonction prime, on peut faire disparaître un exposant quelconque.
Soit l’équation
étant une fonction quelconque de en prenant les fonctions primes, on aura (no 16)
donc, divisant cette équation par la précédente, on aura
équation dérivée du premier ordre où la puissance ne se trouve plus, et qui, dans cet état, est bien plus commode pour développer la valeur de en série par la méthode usitée des coefficients indéterminés.
En effet, si l’on a, par exemple,
et qu’on suppose
on aura, en prenant les fonctions primes,
donc, substituant et réunissant les termes affectés de la même puissance de on aura
On aura ainsi successivement tous les coefficients par des formules dont la loi est visible, et qu’on pourra, par conséquent, continuer aussi loin qu’on voudra.
Mais le premier coefficient demeure indéterminé ; il faut, pour le déterminer, recourir à l’équation primitive faisant on a d’un côté et de l’autre donc
43. On peut de même, par les fonctions dérivées, faire disparaître les logarithmes, les exponentielles et les sinus et cosinus.
En effet, si on aura l’équation du premier ordre
si on aura celle-ci
mais, pour faire disparaître les sinus ou cosinus, il faudra aller à une équation du second ordre.
Soit donc étant toujours une fonction quelconque de en prenant les fonctions primes, on aura (no 14)
et, prenant de nouveau les fonctions primes,
où il n’y a plus de transcendantes ; on trouvera la même équation en faisant
Si l’on fait ici pour et les mêmes substitutions que ci-dessus (no 42), et qu’après avoir ordonné les termes suivant les puissances de on égale à zéro la somme de tous ceux qui se trouveront multipliés par la même puissance de on aura autant d’équations particulières qui serviront à déterminer les coefficients indéterminés de l’expression supposée de par les deux qui précèdent. À l’égard des deux premiers, ils demeureront indéterminés ; mais il faudra les déterminer de manière que l’équation primitive et l’équation prime aient lieu en faisant Or l’équation devient alors et l’équation devient
44. Non-seulement l’équation dérivée du second ordre que nous venons de trouver peut servir à développer en série la valeur de ou elle peut servir aussi à trouver une autre transformation de cette valeur au moyen des exponentielles.
Supposons, en effet, étant le nombre dont le logarithme hyperbolique est l’unité (no 12) et une fonction indéterminée de En prenant les fonctions primes et secondes, on aura
et, ces valeurs étant substituées dans l’équation dont il s’agit, on aura, après la division par la quantité qui en multiplie tous les termes,
J’observe qu’on peut satisfaire à cette équation en faisant
donc
Ainsi l’on aura
et de là, en remontant à l’équation primitive,
étant une constante arbitraire ; donc
en faisant pour plus de simplicité.
On aura donc
et, comme le radical peut être pris également en plus et en moins, on aura également
étant une autre constante arbitraire ; en effet, il est aisé de voir que chacune de ces deux valeurs satisfait à l’équation
et l’on voit aussi facilement que leur somme y satisfait encore, parce que les quantités n’y sont que sous la forme linéaire, de sorte qu’on aura, en général,
et étant de nouveau deux coefficients indéterminés comme ci-dessus.
Cette expression de convient également à et à la différence consiste dans les constantes et qui doivent se déterminer par la comparaison des valeurs de et de pour une valeur quelconque de Ainsi, puisque doit devenir nul lorsque par la nature des sinus, il faudra que l’on ait
de plus, étant égal à et l’expression précédente de donnant
on aura
Faisant on sait que donc
Ces deux équations donnent
donc enfin
on trouvera de la même manière
expressions connues et que nous avions déjà trouvées par une autre voie (no 22).
45. Dans les exemples précédents, nous avons cherché l’équation dérivée et nous avons ensuite déterminé par cette équation la valeur de la fonction primitive Cette dernière opération est, comme l’on voit, l’inverse de celle par laquelle on descend de la fonction primitive aux fonctions dérivées ; elle peut toujours s’exécuter par le moyen des séries, en employant, comme nous l’avons fait, une série avec des coefficient indéterminés, et faisant des équations séparées des termes affectés de chaque puissance de De cette manière, on détermine les coefficients les uns par les autres, et l’on a souvent l’avantage d’apercevoir la loi générale qui règne entre ces coefficients.
Mais on peut aussi trouver immédiatement chaque coefficient par la méthode des nos 33 et suivants, car il n’y a qu’à chercher successivement les valeurs des fonctions dérivées, et, si l’on désigne par les valeurs de lorsque on a, en général,
Cette formule, a l’avantage de faire voir pourquoi il reste des coefficients indéterminés, comme nous l’avons trouvé ci-dessus. En effet, si l’on veut déterminer la valeur de par une équation dérivée du premier ordre, cette équation donnèra la valeur de en et et de là on trouvera une équation du second ordre en une équation du troisième en et ainsi de suite, de sorte que, en substituant successivement dans ces équations les valeurs de données par les équations précédentes, on aura en dernière analyse exprimés en et Donc, faisant on aura exprimés en qui demeurera indéterminé.
De même, si l’on ne fait dépendre la détermination de que d’une équation dérivée du second ordre en et on en tirera successivement une équation tierce entre et ainsi de suite, et, par des substitutions successives, on aura en dernière analyse donnés en de sorte que, en faisant on aura les valeurs de exprimées en et ces deux quantités demeurant indéterminées, et ainsi de suite.
Ainsi, lorsqu’on part d’une équation dérivée du premier ordre il reste une indéterminée lorsqu’on part d’une équation du second ordre il reste deux indéterminées et et ainsi de suite, et l’on voit que ces indéterminées sont constantes, puisque ce sont les valeurs de lorsque
46. Quoique la conclusion précédente soit fondée sur la-théorie des séries, il n’est pas difficile de se convaincre qu’elle doit avoir lieu généralement quelle que soit l’expression de puisqu’on peut toujours regarder une expression en série comme le développement d’une expression finie. Mais, comme c’est là une propriété caractéristique des équations dérivées entre deux variables, il est important de l’établir sur la nature même de ces équations.
Considérons donc, en général, l’équation à deux variables et désignons simplement par son équation prime, par l’équation seconde, et ainsi de suite, en regardant et comme variables à la fois. Soient des constantes quelconques contenues dans la fonction ces constantes seront les mêmes dans les fonctions dérivées. Ainsi, puisque les équations et ont lieu en même temps, on pourra en éliminer une constante et l’équation résultante sera une équations du premier ordre entre et qui renfermera une constante de moins que l’équation primitive et qui aura par conséquent lieu en même temps que celle-ci. De même, les trois équations ayant lieu à la fois, on pourra en éliminer deux constantes et l’équation résultante sera une équation du second ordre entre et qui renfermera deux constantes de moins que l’équation primitive et qui aura lieu en même temps qu’elle ; et ainsi de suite.
Donc, puisque dans les équations à deux variables une équation du premier ordre peut renfermer une constante de moins que l’équation primitive, une équation du second ordre peut renfermer deux constantes de moins que l’équation primitive, et ainsi de suite, il s’ensuit réciproquement que l’équation primitive doit contenir une constante de plus que l’équation dérivée du premier ordre, deux constantes de plus que l’équation dérivée du second ordre, et ainsi de suite, constantes qui seront par conséquent arbitraires, et il est visible en même temps qu’elles ne sauraient en contenir davantage, puisqu’on ne pourrait pas les faire disparaître toutes par le moyen des équations dérivées.
Donc, si l’on n’a pour la détermination d’une fonction qu’une équation du premier ordre, ou du second, ou etc., l’équation primitive, prise dans toute sa généralité, devra contenir une constante arbitraire, ou deux, etc., suivant l’ordre de l’équation donnée, et l’on déterminera ces constantes par des valeurs particulières données de la fonction ou de ses dérivées.
Si donc on trouve d’une manière quelconque une équation en et qui satisfasse à une équation donnée d’un ordre quelconque et qui renferme autant de constantes arbitraires qu’il y a d’unités dans l’indice de cet ordre, on en conclura que cette équation sera l’équation primitive de l’équation donnée et pourra, dans tous les cas, être employée à la place de celle-ci.
47. Au lieu d’éliminer à la fois les deux constantes et des trois équations on peut n’éliminer d’abord que la constante ou des deux premières ; on aura ainsi deux équations du premier ordre, dont l’une ne renfermera que la constante et l’autre la constante Si maintenant on élimine de chacune de ces équations la constante ou par le moyen de son équation prime, on aura deux équations du second ordre sans ni qui devront coïncider avec l’équation résultante de l’élimination simultanée de ces constantes par le moyen des trois équations parce que la valeur de que ces équations du second ordre donneront, et qui sera exprimée en et sans ni ne peut qu’être la même, de quelque manière qu’elle soit déduite de l’équation primitive.
D’où l’on peut conclure qu’une équation du second ordre peut être dérivée de deux équations différentes du premier ordre renfermant chacune une constante arbitraire de plus.
Et l’on prouvera de la même manière qu’une équation du troisième ordre pourra être dérivée de trois équations différentes du second ordre renfermant chacune une constante arbitraire, et ainsi de suite.
En même temps on voit que, si pour une équation donnée du second ordre on en trouve deux du premier ordre qui satisfassent, chacune à cette équation et qui renferment chacune une constante arbitraire ou on en pourra déduire immédiatement l’équation primitive, car il sutlira de chasser de ces équations la quantité et l’on aura une équation en et avec deux constantes arbitraires et
Il en sera de même pour les équations du troisième ordre, car, si l’on trouve trois équations du second ordre qui satisfassent chacune à une équation du troisième ordre et qui aient en même temps les constantes arbitraires on aura, en éliminant et une équation en et qui sera par conséquent l’équation primitive de l’équation donnée, et ainsi de suite.
48. Mais, si pour une équation du second ordre on en trouve deux du premier ordre qui y satisfassent et dont une seule renferme une constante arbitraire, alors, en éliminant on aura une équation en et qui ne renfermera qu’une constante arbitraire et qui ne sera pas l’équation primitive complète de la proposée du second ordre : Mais cette équation satisfera également aux deux du premier ordre, puisqu’elle satisfait à celle du second ordre, qui est également dérivée de ces deux-ci ; donc elle pourra être regardée comme l’équation primitive complète de l’équation du premier ordre qui ne renferme point de constante arbitraire. D’où je conclus qu’étant proposée une équation du premier ordre en et si l’on en déduit d’une manière quelconque une équation du second, soit en éliminant une constante ou non et qu’ensuite on trouve une autre équation primitive du premier ordre, avec une constante arbitraire on aura, par l’élimination de entre celle-ci et la proposée, une équation en et qui contiendra la constante arbitraire et qui sera par conséquent l’équation primitive complète de la proposée.
On prouvera de la même manière que, si de la proposée du premier ordre on déduit une équation du troisième ordre, et qu’ensuite on trouve pour celle-ci une équation primitive du second avec une constante arbitraire dans laquelle la proposée ne soit pas renfermée, il n’y aura qu’à éliminer les et au moyen de la proposée, et l’on aura une équation en et qui renfermera une constante arbitraire et qui sera par conséquent l’équation primitive complète de la proposée et ainsi de suite.
On peut appliquer le même raisonnement aux équations des ordres supérieurs au premier et en tirer des conclusions semblables.
Le sujet de ce Chapitre est traité avec plus de détail dans les Leçons X, XI et XII du Calcul des fonctions[1], où le lecteur trouvera une analyse complète des sections angulaires.
- ↑ Œuvres de Lagrange, t. X.