CHAPITRE II.
Des lignes droites tangentes, des cercles tangents et du lieu de leurs centres. Des cercles osculateurs et du lieu de leurs centres. Analyse générale du contact des courbes planes. Du contact dans des cas singuliers et des lignes asymptotes.
6. Soit proposée une courbe quelconque représentée par l’équation
comptons-la d’abord avec une ligne droite quelconque. Puisque nous avons représenté en général par l’équation de la courbe à laquelle on veut comparer la proposée (no 2), on aura, pour la ligne droite,
et étant deux constantes qui déterminent la position de cette droite.
La condition d’un point commun donne d’abord
et l’on pourra y satisfaire au moyen d’une des indéterminées ou
Supposons ensuite il est clair qu’en changeant, dans en et prenant la fonction prime, on aura
donc
Ainsi les valeurs de
et
seront déterminées par ces deux conditions, car on aura
Donc l’équation de la ligne droite deviendra
et étant les deux coordonnées et l’abscisse étant regardée comme constante.
Je dis maintenant que cette droite a la propriété qu’aucune autre droite ne pourra être menée entre elle et la courbe.
Car, soit
l’équation d’une autre droite quelconque ; pour qu’elle passe par le même point commun, il faudra que l’on ait aussi et, pour qu’elle puisse passer entre la courbe et la droite que nous venons de déterminer, il faudra de plus que l’on ait (no 3) ; ces deux conditions donnent
d’où l’on tire, pour et les mêmes valeurs que nous venons de trouver pour et de sorte que cette dernière droite coïncidera avec la première.
Donc la droite déterminée par l’équation
où et sera tangente de la courbe représentée par l’équation au point qui répond à l’abscisse
Puisque on aura, suivant la notation employée dans la première Partie,
donc les expressions de et seront plus simplement
Dans l’équation de la ligne droite
il est aisé de voir que exprime la tangente de l’angle que cette droite fait avec l’axe et que est l’abscisse qui répond au point où la même droite coupe l’axe. Donc, cette droite étant tangente à la courbe au point où sera la tangente de l’angle qu’elle fait avec l’axe, et sera ce qu’on appelle la sous-tangente.
7. Représentons par
une autre droite qui passe par le même point de la courbe, et étant les deux coordonnées de cette droite ; on aura pour ce point
donc
Pour que cette droite coupe la première sous un angle dont la tangente soit comme et sont les tangentes des angles que ces deux droites font avec le même axe, on aura, par les formules connues de la Trigonométrie,
donc
où il n’y aura qu’à substituer les valeurs de et
Si l’on veut que cette seconde droite soit perpendiculaire à la tangente, on fera c’est-à-dire et l’on aura simplement
et
Ainsi sera la tangente de l’angle que cette perpendiculaire qu’on appelle communément normale fera avec l’axe, et sera la partie de l’axe comprise entre le point où elle coupe l’axe et l’ordonnée, c’est-à-dire la sous-normale.
Si les deux coordonnées de la courbe étaient exprimées en fonction d’une troisième variable quelconque, alors, prenant et pour les fonctions primes de et relativement à cette autre variable, il n’y aurait qu’à mettre partout, dans les formules précédentes, à la place de (no 50, Ire Partie).
Il serait superflu d’appliquer ces formules à des exemples ; car, pour peu qu’on sache les premiers éléments du Calcul différentiel, on ne peut manquer d’apercevoir l’identité des formules précédentes avec les formules différentielles connues. Il suffit de mettre à la place de la fonction dérivée
8. Prenons maintenant le cercle pour le comparer avec la courbe proposée. L’équation générale du cercle rapportée aux coordonnées rectangles et est
où et sont les coordonnées qui répondent au centre et est le rayon du cercle. De là on tire
donc
Faisons donc
et tirons de ces équations les valeurs de et la seconde donne
d’où l’on tire
ensuite la première donne
donc
Si l’on regarde le rayon comme donné, il ne reste plus d’arbitraires dans l’équation et l’on en conclura que le cercle donné, dont le centre est déterminé par les coordonnées et est tel, qu’on ne pourrait mener entre lui et la courbe aucun autre arc de même rayon, mais placé différemment.
Car, pour un autre cercle du même rayon rapporté aux coordonnées et et dont les coordonnées du centre seraient et on aurait l’équation
et, pour que ce cerclé eût le même point commun avec la courbe proposée et pût passer entre cette courbe et le cercle déjà déterminé, il faudrait que l’on eût aussi
équations qui serviraient à déterminer les deux quantités et or il est visible que ces équations sont de la même forme que les précédentes, les quantités et étant à la place de et donc elles donneront pour et les mêmes valeurs que l’on a trouvées pour et par conséquent, le nouveau cercle se confondra avec le cercle déterminé par ces valeurs.
Donc, suivant la même notion des tangentes, le cercle de rayon dont le centre sera déterminé par les coordonnées et sera tangent à la courbe proposée, dont et sont les coordonnées.
Comme cette conclusion a lieu quelle que soit la valeur du rayon on peut regarder comme indéterminé dans les expressions de et alors ces coordonnées et appartiendront à une ligne droite dont l’équation résultera de l’élimination de et qui sera, par conséquent,
Cette droite sera donc le lieu des centres de tous les cercles qui peuvent être tangents à la courbe ; elle sera donc normale à la courbe en effet, on voit que l’équation de cette droite, où et sont les coordonnées, coïncide avec celle de la normale trouvée plus haut (no 7), en y changeant et en et
9. Maintenant, parmi ces différents cercles qui satisfont aux conditions on peut en trouver un qui satisfasse de plus à la condition
En effet, ayant trouvé ci-dessus
on en déduira
Ainsi, on aura l’équation
or on a déjà trouvé dans le même endroit
donc on aura
et de là
Substituant cette valeur dans les expressions de
et
on aura
Les trois constantes qui entrent dans l’équation générale du cercle étant ainsi déterminées, on en peut conclure qu’aucun autre cercle ne pourra passer entre la courbe proposée et celui qui est déterminé par ces valeurs de En effet, pour qu’une autre courbe quelconque rapportée aux coordonnées et représentée par l’équation pût passer entre la courbe et le cercle dont il s’agit, il faudrait que l’on eût (no 4)
or, si cette courbe est un cercle, prenant les quantités à la place de on aura pour les mêmes expressions que pour en substituant seulement dans celles-ci au lieu de donc les trois équations que l’on aura pour la détermination de seront les mêmes que celles par lesquelles on a déterminé donc les valeurs de seront nécessairement les mêmes que celles de par conséquent, le nouveau cercle, qui devrait passer entre la courbe et le cercle déjà déterminé, coïncidera avec celui-ci et n’en-formera qu’un avec lui.
Donc ce cercle aura, relativement aux cercles, la même propriété que la tangente à l’égard des lignes droites ; ce sera ce que les géomètres appellent cercle osculateur ou cercle de courbure, parce qu’il sert à mesurer la courbure de la courbe.
La quantité sera le rayon de ce cercle, qu’on nomme simplement rayon de courbure, et les quantités seront les coordonnées de la courbe qui sera le lieu de tous les centres de ces cercles.
Si l’on veut transporter ces formules au Calcul différentiel, il n’y aura qu’à substituer à la place de et à la place de
10. On peut maintenant présenter cette théorie d’une manière plus générale.
Soient les coordonnées de la courbe proposée, qui peut être quelconque, et les coordonnées de la courbe qu’on veut lui comparer, et qui est supposée donnée.
Supposons que l’équation de cette courbe renferme, avec les variables et des constantes indéterminées et représentons-la par
Si dans cette équation on change en en on a
équation qui donne la condition nécessaire pour que la courbe donnée ait un point commun avec la courbe proposée.
Dénotons par la fonction prime, par la fonction seconde, etc. de la fonction en regardant comme fonction de et comme des constantes.
Cela posé, s’il n’y a que deux constantes indéterminées et et qu’on les détermine par les deux équations
alors la courbe donnée, dont l’équation est
sera tangente de la courbe proposée au point où
S’il y a trois constantes indéterminées et qu’on les détermine par les trois équations
la courbe donnée, dont l’équation est
sera osculatoire de la courbe proposée, c’est-à-dire aura même courbure, au point qui répond à l’abscisse et ainsi de suite.
Cela suit immédiatement des principes établis ci-dessus, car l’équation prime
donne la valeur de en l’équation seconde
donne celle de en et et ainsi de suite.
On peut en général appeler contact du premier ordre le rapprochement de deux courbes qui se touchent dans un point, contact du second ordre lorsqu’elles ont de plus la même courbure, et ainsi de suite.
On peut appeler aussi les constantes qui déterminent le contact, éléments du contact.
Ainsi, le contact d’un ordre quelconque dépendra de éléments et la détermination de ces éléments se tirera de l’équation
de la courbe donnée qui forme le contact et des équations dérivées de celle-ci jusqu’à celle de l’ordre ième.
La propriété analytique de ces contacts est donc que, lorsque deux courbes ont entre elles un contact d’un ordre donné, leurs ordonnées et les fonctions primes, secondes, etc. de ces ordonnées jusqu’à l’ordre du contact sont les mêmes, et leur propriété géométrique consiste en ce qu’une autre courbe qui n’aura pas avec elle un contact du même ordre ne pourra être menée entre l’une et l’autre (no 5).
11. La courbe donnée qui forme le contact, étant, par exemple, une ligne droite dont l’équation la plus générale est
ne sera susceptible que d’un contact du premier ordre, puisqu’il n’y a que deux éléments et et l’on aura pour la détermination de ces
éléments les deux équations
d’où l’on tire
comme ci-dessus (no 6).
Prenons pour la courbe du contact un cercle dont l’équation la plus générale est
elle ne sera susceptible que d’un contact du second ordre, puisqu’il n’y a que trois éléments On déterminera donc ces éléments par les trois équations
dont la seconde et la troisième sont les équations prime et seconde de la première. De ces équations on tire tout de suite
comme plus haut (no 9).
Si l’on prenait l’équation à la parabole
qui n’a aussi que trois constantes arbitraires, on aurait de même, pour la détermination de ces constantes, regardées comme éléments d’un contact du second ordre, les équations
lesquelles donnent
Mais, si l’on prenait l’équation à la parabole cubique
elle pourrait avoir un contact du troisième ordre, dont les éléments seraient
et se détermineraient par les équations
on aurait ainsi
et ainsi de suite.
12. Enfin, si l’on demande la courbe la plus simple qui aura avec une courbe proposée un contact d’un ordre quelconque prenant et pour l’abscisse et l’ordonnée de la proposée, et pour celles de la courbe cherchée, et regardant comme fonction de comme fonction de on fera
en prenant dans le second membre autant de termes qu’il y a d’unités dans
Car, en prenant les fonctions dérivées relativement à et faisant on aura jusqu’à donc ces deux courbes auront, dans le point commun qui répond à les conditions nécessaires pour un contact de l’ordre ième (no 10).
La courbe représentée par l’équation précédente, et qui est, comme l’on voit, du genre parabolique, aura ainsi, dans le point commun à la courbe proposée, le cours le plus approchant de celui de cette courbe, de manière qu’aucune autre courbe du même genre ne pourra passer entre ces deux si elle n’est pas d’un degré plus haut.
13. La théorie que nous venons de donner sur le contact des courbes n’est qu’une suite de la théorie générale du développement des fonctions, exposée dans la première Partie. Mais nous avons vu (nos 29 et suiv., Ire Partie) qu’il y a des cas particuliers où ce développement échappe à la forme générale, et que ces cas sont ceux où une valeur donnée de rend infinies les fonctions dérivées Alors le développement de contiendra nécessairement, pour cette valeur de d’autres puissances de que les simples puissances et l’analyse des nos 3 et 4 se trouvera en défaut. Quoique ces exceptions ne portent aucune atteinte à la théorie générale, il est nécessaire, pour ne rien laisser à désirer, de voir comment elle doit être modifiée dans les cas particuliers dont il s’agit.
Supposons donc qu’en faisant la fonction développée en une série ascendante de soit de la forme
étant toujours des nombres positifs.
Je remarque d’abord qu’on peut trouver les coefficients ainsi que les exposants par une méthode semblable à celle du no 3 de la première Partie. On fera d’abord
et l’on prendra pour la plus haute puissance de qui divisera après les réductions convenables, de manière que le quotient ne devienne ni nul ni infini en faisant Lorsque l’exposant pourra être négatif ; dans tout autre cas, il sera évidemment toujours positif[1]. On fera ensuite
étant la valeur de lorsque et l’on prendra pour la plus haute puissance positive de qui divisera de manière que le quotient ne devienne ni nul ni infini lorsque On continuera en supposant
étant la valeur de lorsque et la plus haute puissance positive de qui divisera en sorte que le quotient ne soit ni nul ni infini lorsque et ainsi de suite. On aura, de cette manière,
On a, pour trouver les termes successifs d’une série, des méthodes plus courtes ou d’un calcul plus facile, mais la précédente a l’avantage de ne développer la série qu’autant que l’on veut et de donner la valeur du reste. Nous n’aurons pas besoin, pour notre objet, de connaître ces restes ; il nous suffira de savoir qu’ils peuvent toujours s’exprimer par des quantités de la forme que nous venons de trouver.
Cela posé, considérons la courbe représentée par l’équation
étant l’abscisse et l’ordonnée ; supposons qu’elle ait un point commun avec une autre courbe, dont l’ordonnée soit et que ce point réponde à l’abscisse en sorte que l’on ait Au delà de ce point, les ordonnées des deux courbes seront pour une abscisse quelconque et leur différence, que je désignerai par sera
Développons la fonction comme la fonction et soient
étant des nombres positifs, et étant les valeurs de lorsque on aura d’abord, à cause de
Les deux premiers termes du développement de
étant
et ceux du développement de
étant
supposons qu’ils deviennent égaux, en sorte qu’on ait aussi
et
la première de ces deux conditions dépendra de la nature des fonctions désignées par
et
mais la seconde pourra toujours être remplie comme la condition de
par le moyen des constantes arbitraires
qui entreront dans la fonction
On aura donc, dans ce cas,
et il sera impossible qu’aucune autre courbe passe entre les deux courbes dont il s’agit, dans le même point qui répond à l’abscisse à moins que les deux premiers termes du développement de étant l’ordonnée de cette autre courbe, ne soient aussi les mêmes que ceux du développement de
Car, s’ils sont différents, ils ne pourront pas se détruire dans l’expression de la différence des deux ordonnées et et l’on aura en général
à cause de par la condition supposée de la coïncidence des courbes dans le point qui répond à Cette expression de étant comparée à celle il est facile de voir que, à cause que les exposants sont nécessairement positifs par la nature du développement, il sera toujours possible de prendre assez petit pour que la valeur de surpasse celle de abstraction faite des signes, tant qu’on n’aura pas et comme dans les deux premières courbes. Donc, dans tout autre cas, la troisième courbe passera nécessairement en dehors des deux autres.
En poussant plus loin le développement des fonctions et on prouvera de la même manière que, si les trois premiers termes du développement de ces fonctions sont les mêmes, aucune autre courbe ne pourra passer entre elles, à moins qu’elle n’ait aussi les mêmes termes communs avec celles-là ; et ainsi de suite.
On pourra donc appeler aussi, comme dans le no 10, contact du premier ordre, du second, etc. le rapprochement de deux courbes pour lesquelles les deux premiers termes, ou les trois premiers, ou etc. seront les mêmes dans les développements des fonctions qui représentent les ordonnées.
Ainsi, la courbe dont l’équation est
étant donnée, la courbe la plus simple qui aura avec elle un contact du premier ordre au point où sera représentée par l’équation
et celle qui aura un contact du second ordre le sera par
et ainsi de suite. Car, en substituant pour on aura simplement les deux premiers termes ou les trois premiers ou etc. du développement de Ces courbes auront donc aussi dans le même point le cours le plus approchant de celui de la courbe proposée et pourront, par conséquent, servir à en faire connaître les propriétés comme les points singuliers, les points de rebroussement, etc., sur quoi voir l’Analyse des lignes courbes de Cramer.
14. Supposons maintenant que, dans l’équation
de la courbe proposée, on substitue à la place de et qu’on développe la fonction en une série ascendante de la forme
Si l’on fait la même chose pour l’équation
d’une autre courbe, et que les premiers termes du développement de soient les mêmes que ceux du développement de on pourra prouver, par un raisonnement semblable à celui qui a été fait ci-dessus, qu’on pourra toujours prendre assez-petit pour qu’aucune autre courbe, représentée par l’équation et dont la fonction développée de même en série ascendante n’aurait pas autant de termes identiques avec ceux de ces courbes, ne puisse passer entre ces mêmes courbes dans les points qui répondront à l’abscisse et à toutes les abscisses plus grandes à l’infini, puisque, dès que la condition qui peut empêcher que cette courbe ne passe entre les deux autres aura lieu pour une certaine valeur de elle aura lieu, à plus forte raison, pour toutes les valeurs de plus petites.
D’où l’on peut conclure que la courbe dont l’équation sera simplement
ou
etc.
ira en s’approchant continuellement de la courbe proposée à mesure que les abscisses deviendront plus grandes, mais sans pouvoir jamais l’atteindre, de manière qu’elle parviendra à un terme passé lequel aucune autre courbe du même genre parabolique ou hyperbolique, qui ne sera pas d’un degré plus haut, ne pourra passer entre les deux courbes. Cette seconde courbe sera donc une asymptote de la première, et cette idée de l’asymptote me paraît la plus simple et la plus générale qu’on en puisse donner, en même temps qu’elle est aussi la plus propre à caractériser la nature du rapprochement qui constitue le vrai asymptotisme.