The Raven — Le Corbeau/1

La bibliothèque libre.
Texte établi par Sampson Low, Marston, Searle & Rivington,  (p. 7-14).



COMMENT ON THE POEM.


COMMENTAIRES SUR LE POÈME.
Traduction Wikisource, 2020



COMMENT ON THE POEM.
COMMENTAIRES SUR LE POÈME.


The secret of a poem, no less than a jest’s prosperity, lies in the ear of him that hears it. Yield to its spell, accept the poet’s mood : this, after all, is what the sages answer when you ask them of its value. Even though the poet himself, in his other mood, tell you that his art is but sleight of hand, his food enchanter’s food, and offer to show you the trick of it, –believe him not. Wait for his prophetic hour ; then give yourself to his passion, his joy or pain. “We are in Love’s hand to-day !” sings Gautier, in Swinburne’s buoyant paraphrase, – and from morn to sunset we are wafted on the violet sea : there is but one love, one May, one flowery strand. Love is eternal, all else unreal and put aside. The vision has an end, the scene changes ; but we have gained something, the memory of a charm. As many poets, so many charms. There is the charm of Evanescence, that which lends to supreme beauty and grace an aureole of Pathos. Share with Landor his one “night of memories and of sighs” for Rose Aylmer, and you have this to the full.


Le secret d’un poème, tout comme la prospérité de l’humour, se cache dans l’oreille de celui qui l’écoute. Abandonnez-vous à son charme, laissez-vous imprégner de l’état d’âme du poète : voilà ce que les sages répondent quand vous leur demandez d’en apprécier la grandeur. Même si le poète lui-même, en d’autre temps, vous dira que son art n’est qu’un tour de passe-passe, une nourriture qu’il puise de son inspiration d’enchanteur, même s’il vous propose de vous en dévoiler tous les secrets, — ne le croyez pas. Attendez que vienne l’heure prophétique ; puis partagez sa passion, sa joie ou sa douleur. « Nous sommes aujourd’hui entre les mains de l’Amour ! » chante Gautier dans une paraphrase limpide de l’œuvre de Swinburne, — et du matin au coucher du soleil nous sommes ballotés sur une mer violette : il n’y a qu’un seul Amour, un seul Mai, une seule tige fleurie. L’Amour est éternel, tout le reste irréel est à mettre de côté. La vision prend fin, la scène s’estompe ; mais nous avons conservé quelque chose, le souvenir d’un instant charmant. Autant de poètes, autant de charmes. Il y a le charme d’Évanescence, celui qui tend à la beauté suprême et à la grâce, une auréole de Pathos. Partagez avec Landor sa seule « nuit de souvenirs et de soupirs » pour Rose Aylmer, et vous en serez comblé.

And now take the hand of a new-world minstrel, strayed from some proper habitat to that rude and dissonant America which, as Baudelaire saw, “was for Poe only a vast prison through which he ran, hither and thither, with the feverish agitation of a being created to breathe in a purer world,” and wher “his interior life, spiritual as a poet, spiritual even as a drunkard, was but one perpetual effort to escape the influence of this antipathetical atmosphere.” Clasp the sensitive hand of a troubled singer dreeing thus his weird, and share with him the clime in which he found, – never throughout the day, always in the night, – if not the Atlantis whence he had wandered, at least a place of refuge from the bounds in which by day he was immured.

Et maintenant tenez la main de ce ménestrel du nouveau monde, extirpé de son milieu naturel et plongé dans une Amérique rude et dissonante qui, comme Baudelaire l’a constaté, « n’était pour Poe qu’une vaste prison à travers laquelle il courut çà et là, empreint à une agitation fiévreuse d’un être façonné pour habiter dans un monde plus pur », et où « sa vie intérieure, spirituelle en tant que poète, spirituelle même en tant qu’ivrogne, ne fut qu’un effort perpétuel pour échapper à l’influence d’un milieu antipathique. » Prenez la main fébrile d’un chanteur troublé qui manifeste ainsi son égarement, et ressentez avec lui l’atmosphère dans lequel il s’est retrouvé, jamais le jour, toujours la nuit, — errant à la recherche de l’Atlantide, s’il ne l’a pas découvert, au moins a-t-il trouvé un lieu de refuge qui lui a permis d’échapper aux murailles qui l’enfermaient pendant le jour.

To one land only he has power to lead you, and for one night only can you share his dream. A tract of neither Earth nor Heaven : “No-man’sland, ” out of Space, out of Time. Here are the perturbed ones, through whose eyes, like those of the Cenci, the soul finds windows though the mind is dazed ; here spirits, groping for the path which leads to Eternity, are halted and delayed. It is the limbo of “planetary souls,” wherein are all moonlight uncertainties, all lost loves and illusions. Here some are fixed in trance, the only respite attainable ; other

Il n’y a qu’un monde où il a le pouvoir de vous conduire, et pendant une nuit seulement, vous pouvez partager son rêve : un endroit situé ni sur Terre ni au Ciel, un « No man’s land », qui n’appartient ni à l’Espace, ni au Temps. Voici le monde des âmes perturbées, dont les yeux, comme ceux de Les Cenci, ouvrent des fenêtres au moment où la pensée s’est engourdie ; ici les esprits, cherchant le chemin qui conduit à l’Éternité, se sont arrêtés et attendent. Nous atteignons les limbes des « âmes planétaires », où se logent toutes les incertitudes du clair de lune, tous les amours et illusions perdus. Ici certaines se sont fixées en transe, le seul répit à leur portée ; d’autres

“move fantastically
To a discordant melody :”

Formes enveloppées qui commencent et soupirent

while everywhere are

“Sheeted Memories of the Past –
Shrouded forms that start and sigh
As they pass the wanderer by.”

Formes enveloppées qui commencent et soupirent

« Bouge de façon fantastique
Sur une mélodie discordante : »
Formes enveloppées qui commencent et soupirent

alors que partout se retrouve

« Souvenirs Effeuillés du passé —
Formes enveloppées qui commencent et soupirent
En passant devant le vagabond.

Such is the land, and for one night we enter it, – a night of astral phases and recurrent chimes. Its monodies are twelve poems, whose music strives to change yet ever is the same. One by one they sound, like the chiming of the brazen and ebony clock, in “The Masque of the Red Death,” which made the waltzers pause with “disconcert and tremulousness and meditation,” as often as the hour came round.

Voici quel en est le domaine, et pour une nuit nous le pénétrons, – une nuit de phases astrales et de carillons récurrents. Ses monodies sont comme douze poèmes, dont la musique s’efforce de changer mais reste toujours la même. Un par un, ils tintent comme le carillon de l’horloge d’airain et d’ébène, dans « The Masque of the Red Death », où les valses s’arrêtent sous « la consternation et les tremblements et la méditation », à chaque fois que l’heure complète son cycle circulaire.

Of all these mystical cadences, the plaint of The Raven, vibrating through the portal, chiefly has impressed the outer world. What things go to the making of a poem, — and how true in this, as in most else, that race which named its bards “the makers” ! A work is called out of the void. Where there was nothing, it remains, — a new creation, part of the treasure of mankind. And a few exceptional lyrics, more than others that are equally creative, compel us to think anew how bravely the poet’s pen turns things unknown

“to shapes, and gives to airy nothing
A local habitation, and a name.”

De toutes ces cadences mystiques, c’est la plainte formulée par Le corbeau, vibrant à travers le portail, qui a surtout impressionné le monde extérieur. Comment les circonstances amènent-elles la création d’un poème, — et quelle est la part de vérité en ceci, dans la plupart des autres cas où la race a nommé ses bardes « les créateurs »! Une œuvre est tirée du néant. Où il n’y avait rien, prend place une nouvelle création qui fait partie des trésors de l’humanité. Et quelques textes exceptionnels, plus que d’autres tout aussi créatifs, nous oblige à observer à nouveau avec quelle bravoure la plume du poète transforme l’inconnu.

« aux formes, et donne rien à la volatilité
Une habitation locale, et un nom. »

Each seems without a prototype, yet all fascinate us with elements wrested from the shadow of the Supernatural. Now the highest imagination is concerned about the soul of things ; it may or may not inspire the Fantasy that peoples with images the interlunar vague. Still, one of these lyrics, in its smaller way, affects us with a sense of uniqueness, as surely as the sublimer works of a supernatural cast, — Marlowe’s “Faustus,” the “Faust” of Goethe, “Manfred,” or even those ethereal masterpieces, “The Tempes” and “A Midsummer Night’s Dream.” More than one, while otherwise unique, has some burden or refrain which haunts the memory, — once heard, never forgotten, like the tone of a rarely used but distinctive organ-stop. Notable among them is Burger’s “Lenore,” that ghostly and resonant ballad, the lure and foil of the translators. Few will deny that Coleridge’s wondrous “Rime of the Ancient Mariner” stands at their very head. “Le Juif-Errant” would have claims, had Beranger been a greater poet ; and, but for their remoteness from popular sympathy, “The Lady of Shalott” and “The Blessed Damozel” might be added to the list. It was given to Edgar Allan Poe to produce two lyrics, “The Bells” and The Raven, each of which, although perhaps of less beauty than those of Tennyson and Rossetti, is a unique. “Ulalume,” while equally strange and imaginative, has not the universal quality that is a portion of our test.

Chacun semble sans précédent, jusqu’ici tout nous fascine parmi ces éléments arrachés à l’ombre du Surnaturel. Maintenant l’imagination la plus fertile s’intéresse à l’âme de tout objet  ; cela peut ou non inspirer la Fantaisie qui peuple d’images le vague inter-lunaire. Pourtant, une seule petite parole, dans toute sa simplicité, pourra affecter nos sens de façon unique, et déterminante tout autant que les œuvres sublimes d’inspiration surnaturelle — « Faustus » de Marlo, le « Faust » de Goethe, « Manfred », ou même ces chefs-d’œuvre éthérés, « The Tempest » et « A Midsummer Night’s Dream. » Plus d’un, bien qu’unique par ailleurs, contient une certaine charge émotive ou un refrain qui hante la mémoire, — une fois entendu, jamais oublié, comme le son d’un arrêt d’orgue rarement utilisé mais distinctif. Parmi eux, on peut citer « Lenore » de Burger, cette ballade fantomatique et résonnante, qui attire et déjoue les traducteurs. Le Juif-Errant aurait pu y aspirer, si Beranger avait été un plus grand poète ; et, n’eut été de leur éloignement de la sympathie populaire, « The Lady of Shalott » et « The Blessed Damozel » auraient pu être ajoutés à la liste. Il a été donné à Edgar Allan Poe de produire deux textes, « The Bells » et « The Raven », dont chacun, bien que peut-être moins étincelant que ceux de Tennyson et Rossetti, comporte ce caractère d’unicité. « Ulalume », bien qu’il soit tout aussi étrange et imaginatif, n’a pas cette portée universelle que nous recherchons dans notre analyse.

The Raven in sheer poetical constituents falls below such pieces as “The Haunted Palace,” “The City in the Sea,” “The Sleeper,” and “Israfel.” The whole of it would be exchanged, I suspect, by readers of a fastidious cast, for such passages as these:

“Around, by lifting winds forgot,
Resignedly beneath the sky
The melancholy waters lie.

No rays from the holy heaven come down.
On the long night-time of that town
But light from out the lurid sea
Streams up the turrets silently–
​*******
Up many and many a marvellous shrine
Whose wreathed friezes intertwine
The viol, the violet, and the vine.
​*******
No swellings tell that winds may be
Upon some far-off happier sea –
No heavings hint that winds have been
On seas less hideously serene.”

Le corbeau dans ses pures composantes poétiques tombe en-dessous des pièces telles que « Le palais hanté », « La Ville dans la mer », « The Sleeper » et « Israfel ». Le tout serait inversé, je suppose, avec lecteurs d’une distribution plus imposante, dans des passages tels que celles-ci :

« À l’entour, par le soulèvement du vent,
Oubliées, avec résignation gisent
Sous les cieux les mélancoliques eaux.

Nul rayon, du ciel sacré ne provient,
Sur les longues heures de nuit de cette ville ;
Mais une clarté sortie de la mer livide
Inonde les tours en silence —
​*******
Sur mainte et mainte merveilleuse chapelle
Dont les frises contournées enlacent
Avec des violes la violette et la vigne.
​*******
Aucun gonflement ne raconte qu’il peut être
Des vents sur quelque mer plus heureuse du loin —
Aucune houle ne suggère que des vents ont été
Sur des mers d’une moins hideuse sérénité. »
La Cité en la Mer, Edgar A. Poe
(trad. Stéphane Mallarmé)

It lacks the aerial melody of the poet whose heartstrings are a lute :

“And they say (the starry choir
And the other listening things)
That Israfeli’s fire
Is owing to that lyre
By which he sits and sings –
The trembling living wire
Of those unusual strings.”

But The Raven, like “The Bells” and “Annabel Lee”, commends itself to the many and the few. I have said elsewhere that Poe’s rarer productions seemed to me “those in which there is the appearance, at least, of spontaneity, –in which he yields to his feelings, while dying falls and cadences most musical, most melancholy, come from him unawares.” This is still my belief ; and yet, upon a fresh study of this poem, it impresses me more than at any time since my boyhood. Close acquaintance tells in favor of every true work of art. Induce the man, who neither knows art nor cares for it, to examine some poem or painting, and how soon its force takes hold of him ! In fact, he will overrate the relative value of the first good work by which his attention has been fairly caught. The Raven, also, has consistent qualities which even an expert must admire. In no other of its author’s poems is the, motive more palpably defined. “The Haunted Palace” is just as definite to the select reader, but Poe scarcely would have taken that subtle allegory for bald analysis. The Raven is wholly occupied with the author’s typical theme – the irretrievable loss of an idolized and beautiful woman ; but on other grounds, also, the public instinct is correct in thinking it his representative poem.

Il lui manque la mélodie éthérée du poète où les cordes du cœur sont le luth :

« Ils disent (le cœur étoilé
Et tout ce qui écoute là)
Que la flamme d’israfeli
Doit à cette lyre,
Avec quoi il siège et chante,
Le frémissement de vie qui se prolonge
Sur ces cordes extraordinaires. »
Israfel, Edgar A. Poe
(trad. Stéphane Mallarmé)

Mais Le Corbeau, tout comme « The Bells » et « Annabel Lee », se recommandent tant à la multitude qu’au petit nombre. J’ai déjà mentionné que les productions les moins connues de Poe me semblaient « celles où il y a, au moins, l’apparence de spontanéité, — dans laquelle il se livre à ses sentiments, tandis que les chutes de mort et les cadences les plus musicales, les plus mélancoliques, lui viennent à l’improviste ». C’est toujours ce que je crois ; et de fait, à l’étude de ce poème, il m’impressionne plus qu’à aucun autre moment depuis mon enfance. Une conviction intime plaide en faveur de toute véritable œuvre d’art. Incitez l’homme, qui ne connaît pas l’art et ne s’en soucie pas, à examiner un poème ou une peinture, et combien vite sa force s’empare de lui ! En fait, il surestimera la valeur relative de la première belle œuvre qui aura suffisamment attiré son attention. Le Corbeau, lui aussi, a des qualités consistantes que même un expert doit admirer. Dans aucun autre poème de son auteur, le motif n’est défini de façon plus palpable. « Le palais hanté » est tout aussi bien construit pour un lecteur averti, mais Poe n’aurait guère utilisé cette allégorie subtile pour une analyse simpliste. Le Corbeau est entièrement consacré au thème typique de l’auteur — la perte irrémédiable d’une femme belle et idolâtrée — mais pour d’autres raisons, l’opinion publique a raison de penser qu’il s’agit de son poème le plus représentatif.

A man of genius usually gains a footing with the success of some one effort, and this not always his greatest. Recognition is the more instant for having been postponed. He does not acquire it, like a miser’s fortune, coin after coin, but “not at all or all in all.” And thus with other ambitions : the courtier, soldier, actor, — whatever their parts, — each counts his triumph from some lucky stroke. Poe’s Raven, despite augury, was for him “the bird that made the breeze to blow.” The poet settled in New-York, in the winter of 1844-’45, finding work upon Willis’s paper, “The Evening Mirror,” and eking out his income by contributions elsewhere. For six years he had been an active writer, and enjoyed a professional reputation ; was held in both respect and misdoubt, and was at no loss for his share of the ill-paid journalism of that day. He also had done much of his very best work, – such tales as “Ligeia” and “The Fall of the House of Usher,” (the latter containing that mystical counterpart, in verse, of Elihu Vedder’s “A Lost Mind,”) such analytic feats as “The Gold Bug” and “The Mystery of Marie Roget.” He had made proselytes abroad, and gained a lasting hold upon the French mind. He had learned his own power and weakness, and was at his prime, and not without a certain reputation. But he had written nothing that was on the tongue of everybody. To rare and delicate work some popular touch must be added to capture the general audience of one’s own time.

Un homme de génie prend pied généralement grâce au succès d’un seul ouvrage, et ce n’est pas toujours son plus grand. La reconnaissance est d’autant plus instantanée qu’elle a été retardée. Il ne l’acquiert pas, comme la fortune d’un avare, pièce par pièce, mais « pas du tout ou tout d’un coup ». Ainsi, en est-il avec d’autres ambitions : le courtisan, le soldat, l’acteur, — quels que soient leurs rôles, — chacun doit son triomphe à un coup de chance. Le Corbeau de Poe, malgré l’augure, fut pour lui « l’oiseau qui a fait lever la brise ». Le poète s’installa à New-York, durant l’hiver 1844-45, trouvant du travail au journal de Willis, « The Evening Mirror », tout en tirant ses revenus de contributions ailleurs. Pendant six ans, il a été un écrivain actif, et a joui d’une réputation professionnelle ; il a récolté à la fois le respect et la méfiance, et a su tirer sa juste part du journalisme mal payé de l’époque. Il a également réalisé une grande partie de ses meilleurs travaux, des contes comme « Ligeia » et « La chute de la maison Usher » (ce dernier contenant l’équivalent mystique, en vers, de « The Lost Mind » d’Elihu Vedder), des prouesses analytiques comme « Le Scarabée d’or » et « Le mystère de Marie Roget ». Il a fait des prosélytes à l’étranger, et s’est solidement ancré dans l’esprit français. Il avait dès lors acquis sa propre puissance et sa propre faiblesse, atteint son apogée, non sans jouir d’une certaine réputation. Mais il n’a rien écrit qui soit sur la langue de tout le monde. À des œuvres rares et délicates, il faut ajouter une certaine saveur populaire pour rejoindre le grand public de son temps.

Through the industry of Poe’s successive biographers, the hit made by The Raven has become an oft-told tale. The poet’s young wife, Virginia, was fading before his eyes, but lingered for another year within death’s shadow. The long, low chamber in the house near the Bloomingdale Road is as famous as the room where Rouget de l’Isle composed the Marseillaise. All have heard that the poem, signed “Quarles, ” appeared in the “American Review”, with a pseudo-editorial comment on its form ; that Poe received ten dollars for it ; that Willis, the kindest and least envious of fashionable arbiters, reprinted it with a eulogy that instantly made it the town-talk. All doubt of its authorship was dispelled when Poe recited it himself at a literary gathering, and for a time he was the most marked of American authors. The hit stimulated and encouraged him. Like another and prouder satirist, he too found “something of summer” even “in the hum of insects.” Sorrowfully enough, but three years elapsed, – a period of influence, pride, anguish, yet always of imaginative or critical labor, — before the final defeat, before the curtain dropped on a life that for him was in truth a tragedy, and he yielded to “the Conqueror Worm.”

Par les travaux des biographes successifs de Poe, le succès obtenu par Le Corbeau a été largement diffusé. La jeune femme du poète, Virginia, s’éteignait devant ses yeux, mais elle résista une autre année dans l’ombre de la mort. La longue chambre basse de la maison située près de la route de Bloomingdale est devenue toute aussi célèbre que la pièce où Rouget de l’Isle a composé la Marseillaise. Tous ont entendu parler du poème, signé « Quarles », qui est paru dans l’« American Review », avec un commentaire pseudo-éditorial sur sa forme ; que Poe en a reçu dix dollars ; que Willis, le plus aimable et le moins envieux des arbitres à la mode, l’a réimprimé avec un éloge qui en a fait instantanément le sujet de discussion en ville. Tous les doutes sur sa paternité furent dissipés lorsque Poe le récita lui-même lors d’une réunion littéraire, et pendant un certain temps, il fut le plus marqué des auteurs américains. Le succès l’a stimulé et encouragé. Comme un autre satiriste plus fier, il a lui aussi trouvé « quelque chose sur l’été », même « dans le bourdonnement des insectes ». Assez tristement, trois années se sont écoulées, — une période d’influence, de fierté, d’angoisse, mais toujours de travail imaginatif ou critique, — avant la défaite finale, avant que le rideau ne tombe sur une vie qui pour lui était en vérité une tragédie, et qu’il s’incline devant « Le Ver Conquérant ».

“The American Review : A Whig Journal” was a creditable magazine for the time, double-columned, printed on good paper with clear type, and illustrated by mezzotint portraits. Amid much matter below the present standard, it contained some that any editor would be glad to receive. The initial volume, for 1845, has articles by Horace Greeley, Donald Mitchell, Walter Whitman, Marsh, Tuckerman, and Whipple. Ralph Hoyt’s quaint poem “Old,” appeared in this volume. And here are three lyrics by Poe : “The City in the Sea,” “The Valley of Unrest,” and The Raven. Two of these were built up, — such was his way, — from earlier studies, but the last-named came out as if freshly composed, and almost as we have it now. The statement that it was not afterward revised is erroneous. Eleven trifling changes from the magazine-text appear in The Raven and Other Poems, 1845, a hook which the poet shortly felt encouraged to offer the public. These are mostly changes of punctuation, or of single words, the latter kind made to heighten the effect of alliteration. In Mr. Lang’s pretty edition of Poe’s verse, brought out in the “Parchment Library,” he has shown the instinct of a scholar, and has done wisely, in going back to the text of the volume just mentioned, as given in the London issue of 1846. The “standard” Griswold collection of the poet’s works abounds with errors. These have been repeated by later editors, who also have made new errors of their own. But the text of The Raven, owing to the requests made to the author for manuscript copies, was still farther revised by him; in fact, he printed it in Richmond, just before his death, with the poetic substitution of “seraphim whose foot-falls” for “angels whose faint foot-falls,” in the fourteenth stanza. Our present text, therefore, while substantially that of 1845, is somewhat modified by the poet’s later reading, and is, I think, the most correct and effective version of this single poem. The most radical change from the earliest version appeared, however, in the volume of 1845; the eleventh stanza originally having contained these lines, faulty in rhyme and otherwise a blemish on the poem:

Caught from some unhappy master, whom unmerciful Disaster
Followed fast and followed faster — so, when Hope he would adjure,
Stern Despair returned, instead of the sweet Hope he dared adjure —
That sad answer, 'Nevermore !’”

« The American Review : A Whig Journal » était un magazine honorable pour l’époque, à double coloration, imprimé sur du bon papier avec des caractères clairs, et illustré par des portraits en mezzotinte. Avec beaucoup de contenu en dessous de la norme actuelle, il contenait tout ce qu’un rédacteur en chef était heureux de recevoir. Le volume initial, de 1845, contient des articles de Horace Greeley, Donald Mitchell, Walter Whitman, Marsh, Tuckerman et Whipple. Le poème pittoresque de Ralph Hoyt, « Old », a été publié dans ce volume. Et voici trois textes de Poe : « La Cité en la Mer », « La Vallée de l’Inquiétude » et Le Corbeau. Deux d’entre eux sont issus d’études antérieures — c’était sa façon de faire — mais le dernier est paru fraîchement composé, et presque tel que nous le connaissons maintenant. L’affirmation selon laquelle il n’a pas été révisé par la suite est erronée. Onze changements mineurs par rapport au texte du magazine apparaissent dans Le Corbeau et autres poèmes, 1845, un crochet que le poète se trouva bientôt encouragé à offrir au public. Il s’agit principalement de changements de ponctuation ou de mots isolés, ce dernier type de changement ayant pour but de renforcer l’effet de l’allitération. Dans la jolie édition en vers de Poe par M. Lang, publiée à la « Bibliothèque des parchemins », il a montré l’instinct d’un érudit, et a fait preuve de sagesse en reprenant le texte du volume que nous venons de mentionner, tel qu’il figure dans le numéro de Londres de 1846. La collection « standard » Griswold des œuvres du poète regorge d’erreurs. Celles-ci ont été répétées par des éditeurs ultérieurs, qui ont également commis de nouvelles erreurs de leur propre chef. Mais le texte du "Corbeau", en raison des demandes de copies manuscrites adressées à l’auteur, a été révisé plus avant par celui-ci ; en effet, il l’a imprimé à Richmond, juste avant sa mort, avec la substitution poétique de « seraphim whose foot-falls » — « séraphins dont les pieds tombent » par « angels whose faint foot-falls, » — « anges dont les pieds tombent faiblement », dans la quatorzième strophe. Notre texte actuel, bien qu’il soit en substance celui de 1845, est donc quelque peu modifié par la lecture ultérieure du poète et constitue, je pense, la version la plus correcte et la plus efficace de ce poème unique. Le changement le plus significatif par rapport à la première version est cependant apparu dans le volume de 1845 ; la onzième strophe ayant à l’origine contenu ces vers, la rime était défectueuse et portait ombrage au poème :

Pris à quelque malheureux maître
que l’impitoyable Désastre
Suivit de près et de très-près suivit
jusqu’à ce que ses chants comportassent
Un unique refrain ; jusqu’à ce que
les chansons funèbres de son Espérance
Comportassent le mélancolique refrain
de « Jamais — jamais plus. »
Le Corbeau, Edgar A. Poe
(trad. Stéphane Mallarmé)

It would be well if other, and famous, poets could be as sure of making their changes always improvements. Poe constantly rehandled his scanty show of verse, and usually bettered it. The Raven was the first of the few poems which he nearly brought to completion before printing. It may be that those who care for poetry lost little by his death. Fluent in prose, he never wrote verse for the sake of making a poem. When a refrain or image haunted him, the lyric that resulted was the inspiration, as he himself said, of a passion, not of a purpose. This was at intervals so rare as almost to justify the Fairfield theory that each was the product of a nervous crisis.

Ce serait bien que d’autres poètes célèbres soient aussi sûrs de toujours apporter des améliorations lors de leurs changements. Poe a constamment remanié son petit programme en vers, et l’a en général amélioré. Le Corbeau est le premier des quelques poèmes qu’il a presque achevé avant de les imprimer. Il se peut que ceux qui s’intéressent à la poésie aient peu perdu à sa mort. Maîtrisant la prose, il n’a jamais écrit de vers dans le seul but d’en faire un poème. Lorsqu’un refrain ou une image le hantait, le texte qui en résultait découlait de l’inspiration du moment, comme il le disait lui-même, d’une passion et non d’un but. Cela se produisait à des intervalles si grands qu’ils justifiaient presque la théorie de Fairfield selon laquelle chacun était le produit d’une crise nerveuse.

What, then, gave the poet his clue to The Raven ? From what misty foundation did it rise slowly to a music slowly breathed ? As usual, more than one thing went to the building of so notable a poem. Considering the longer sermons often preached on brief and less suggestive texts, I hope not to be blamed for this discussion of a single lyric, — especially one which an artist like Doré has made the subject of prodigal illustration. Until recently I had supposed that this piece, and a few which its author composed after its appearance, were exceptional in not having grown from germs in his boyish verse. But Mr. Fearing Gill has shown me some unpublished stanzas by Poe, written in his eighteenth year, and entited “The Demon of the Fire.” The manuscript appears to be in the poet’s early handwriting, and its genuineness is vouched for by the family in whose possession it has remained for half a century. Besides the plainest germs of “The Bells” and “The Haunted Palace” it contains a few lines somewhat suggestive of the opening and close of The Raven. As to the rhythm of our poem, a comparison of dates indicates that this was influenced by the rhythm of “Lady Geraldine's Courtship.” Poe was one of the first to honor Miss Barrett’s genius; he inscribed his collected poems to her as “the noblest of her sex,” and was in sympathy with her lyrical method. The lines from her love-poem,

Qu’est-ce qui a donc donné au poète l’idée de l’œuvre « Le Corbeau » ? De quelle fondation brumeuse en est-il lentement arrivé à une musique doucement respirée ? Comme d’habitude, plus d’une chose a contribué à la construction d’un poème aussi remarquable. Compte tenu des longs sermons souvent prêchés sur des textes brefs et moins suggestifs, j’espère ne pas être blâmé pour cette discussion sur un seul texte, — surtout celui dont un artiste comme Doré a fait le sujet d’une illustration prodigieuse. Jusqu’à tout récemment, je pensais que cette pièce, et quelques-unes que son auteur a composées après son apparition, étaient exceptionnelles en ce qu’elles n’étaient pas inspirées des germes de ses poésies de jeunesse. Mais M. Fearing Gill m’a montré quelques strophes inédites de Poe, écrites dans sa dix-huitième année, et intitulées « Le démon du feu ». Le manuscrit semble avoir été écrit de la main du poète, et son authenticité est attestée par la famille en possession de laquelle il est resté pendant un demi-siècle. Outre les fondements les plus simples de « Les Cloches » et « Le Palais Hanté », il contient quelques lignes qui suggèrent quelque peu l’ouverture et la conclusion du poème Le Corbeau. Quant au rythme de notre poème, une comparaison des dates indique qu’il a été influencé par celui de « La cour de Lady Geraldine ». Poe a été l’un des premiers à honorer le génie de Miss Barrett ; il lui a dédié sa collection de poèmes en tant que « la plus noble de son sexe », et était en harmonie avec sa trame lyrique. Les vers tirés de son poème d’amour,

“With a murmurous stir uncertain, in the air, the purple curtain
Swelleth in and swelleth out around her motionless pale
brows,”


found an echo in these:

“And the silken sad uncertain rustling of each purple curtain
Thrilled me — filled me with fantastic terrors never felt before.”

Here Poe assumed a privilege for which he roughly censured Longfellow, and which no one ever sought on his own premises without swift detection and chastisement. In melody and stanzaic form, we shall see that the two poems are not unlike, but in motive they are totally distinct. The generous poetess felt nothing but the true originality of the poet. “This vivid writing” ! she exclaimed — “this power which is felt !… Our great poet, Mr. Browning, author of `Paracelsus’, &c., is enthusiastic in his admiration of the rhythm.” Mr. Ingram, after referring to “Lady Geraldine”, cleverly points out another source from which Poe may have caught an impulse. In 1843, Albert Pike, the half-Greek, half-frontiersman, poet of Arkansas, had printed in “The New Mirror,” for which Poe then was writing, some verses entitled “Isadore”, but since revised by the author and called “The Widowed Heart.” I select from Mr. Pike’s revision the following stanza, of which the main features correspond with the original version:

“Restless I pace our lonely rooms, I play our songs no more,
The garish sun shines flauntingly upon the unswept floor ;
The mocking-bird still sits and sings, O melancholy strain !
For my heart is like an autumn-cloud that overflows with rain ;
Thou art lost to me forever, Isadore”!

« Avec un murmure incertain dans l’air, le rideau violet
Elle se gonfle et se dégonfle autour
de ses sourcils pâles et immobiles ».


a trouvé un écho dans ceux-ci :

« Et le triste bruissement incertain
de chaque rideau de soie violette
J’ai été ravi — rempli de terreurs fantastiques
jamais ressenties auparavant ».

Ici, Poe s’est permis de grossièrement censurer Longfellow, ce que personne n’avait jamais osé entreprendre sans être rapidement détecté et châtié. Dans la mélodie et la strophe, nous verrons que les deux poèmes ne sont pas différents, mais dans le motif, ils sont totalement distincts. La généreuse poétesse n’a rien d’autre à offrir que la véritable originalité du poète. « Cette écriture vivante », s’exclame-t-elle, « cette puissance qui se ressent… Notre grand poète. M. Browning, auteur de « Paracelsus », &c., est passionné par le rythme. » M. Ingram, après avoir fait référence à « Lady Geraldine », indique habilement une autre source dont Poe a pu tirer une inspiration. En 1843, Albert Pike, le poète de l’Arkansas, mi-grec, mi-frontalier, avait fait imprimer dans « The New Mirror », pour lequel Poe écrivait alors, quelques vers intitulés « Isadore ». Ces vers furent depuis lors révisés par l’auteur et intitulés « The Widowed Heart ». Je retiens de la révision de M. Pike la strophe suivante, dont les principales caractéristiques correspondent à la version originale :

« Agité, j’arpente nos chambres solitaires.
Je ne joue plus nos chansons.
Le soleil tape fort sur le sol poussiéreux,
L’oiseau moqueur est toujours assis et chante.
Ô souche mélancolique !
Car mon cœur est comme un nuage
d’automne qui déborde de pluie
Tu es perdu pour moi à jamais. Isadore ! »

Here we have a prolonged measure, a similarity of refrain, and the introduction of a bird whose song enhances sorrow. There are other trails which may be followed by the curious ; notably, a passage which Mr. Ingram selects from Poe’s final review of “Barnaby Rudge”:


“The raven, too, * * * might have been made, more than we now see it, a portion of the conception of the fantastic Barnaby. * * * Its character might have performed, in regard to that of the idiot, much the same part as does, in music, the accompaniment in respect to the air.”

Nevertheless, after pointing out these germs and resemblances, the value of this poem still is found in its originality. The progressive music, the scenic detail and contrasted light and shade, — above all, the spiritual passion of the nocturn, make it the work of an informing genius. As for the gruesome bird, he is unlike all other ravens of his clan, from the “twa corbies” and “three ravens” of the balladists to Barnaby’s rumpled “Grip.” Here is no semblance of the cawing rook that haunts ancestral turrets and treads the field of heraldry; no boding phantom of which Tickell sang that, when,

“shrieking at her window thrice,
The raven flap’d his wing,
Too well the love-lorn maiden knew
The solemn boding sound.”

Nous avons ici une mesure prolongée, une similitude de refrain, et l’introduction d’un oiseau dont le chant accentue la tristesse. Il y a d’autres pistes qui peuvent être suivies par les curieux ; notamment, un passage que M. Ingram sélectionne dans la dernière critique de Poe de « Barnaby Rudge » :


« Le corbeau, lui aussi, * * * pourrait aller plus loin, plus que monsieur ne le perçoit aujourd’hui, dans la conception du fantastique Barnaby * * * Son caractère pourrait avoir occupé, par rapport à celui de l’idiot, le même rôle que l’accompagnement musical en regard de la mélodie. »

Néanmoins, après avoir mis en évidence ces sources et ces ressemblances, la valeur de ce poème tient encore dans son originalité. La musique progressive, le détail scénique et le contraste entre la lumière et l’ombre, et surtout la passion spirituelle de la nuit, en font l’œuvre d’un génie de l’information. Quant à l’horrible oiseau, il est différent de tous les autres corbeaux de son clan, des « twa corbies » et « trois corbeaux » des baladistes au « Grip » froissé de Barnaby. Ici, il n’y a aucune allusion à la tour de garde qui hante les tourelles ancestrales et foule le champ de l’héraldique ; aucun fantôme imaginaire dont a chanté Tickell, quand,

« criant à sa fenêtre trois fois.
Le corbeau lui a retourné l’aile.
Trop bien, la jeune fille amoureuse connaissait
Le son solennel de l’âme. »

Poe’s raven is a distinct conception; the incarnation of a mourner’s agony and hopelessness; a sable embodied Memory, the abiding chronicler of doom, a type of the Irreparable. Escaped across the Styx, from “the Night’s Plutonian shore”, he seems the imaged soul of the questioner himself, — of him who can not,will not, quaff the kind nepenthe, because the memory of Lenore is all that is left him, and with the surcease of his sorrow even that would be put aside.

The Raven also may be taken as a representative poem of its author, for its exemplification of all his notions of what a poem should be. These are found in his essays on “The Poetic Principle”, “The Rationale of Vers”, and “The Philosophy of Composition”. Poe declared that “in Music, perhaps, the soul most nearly attains the great end for which, when inspired by the Poetic Sentiment, it struggles — the creation of supernal Beauty… Verse cannot be better designated than as an inferior or less capable music” ; but again, verse which is really the “Poetry of Words” is “The Rhythmical Creation of Beauty”, — this and nothing more. The tone of the highest Beauty is one of Sadness. The most melancholy of topics is Death. This must be allied to Beauty. “The death, then, of a beautiful woman is, unquestionably, the most poetical topic in the world, — and equally is it beyond doubt that the lips best suited for such a topic are those of a bereaved lover”. These last expressions are quoted from Poe’s whimsical analysis of this very poem, but they indicate precisely the general range of his verse. The climax of “The Bells” is the muffled monotone of ghouls, who glory in weighing down the human heart. “Lenore”, The Raven, “The Sleeper”, “To One in Paradise” and “Ulalume” form a tenebrose symphony, — and “Annabel Lee”, written last of all, shows that one theme possessed him to the end. Again, these are all nothing if not musical, and some are touched with that quality of the Fantastic which awakes the sense of awe, and adds a new fear to agony itself. Through all is dimly outlined, beneath a shadowy pall, the poet’s ideal love, — so often half-portrayed elsewhere, — the entombed wife of Usher, the Lady Ligeia, in truth the counterpart of his own nature. I suppose that an artist’s love for one “in the form” never can wholly rival his devotion to some ideal. The woman near him must exercise her spells, be all by turns and nothing long, charm him with infinite variety, or be content to forego a share of his allegiance. He must be lured by the Unattainable, and this is ever just beyond him in his passion for creative art.

Le corbeau de Poe est d’une conception distincte ; l’incarnation de l’agonie et du désespoir d’un endeuillé ; du sable incarnant la Mémoire, le chroniqueur permanent du malheur, une sorte d’Irréparable. Échappé au travers du Styx, de la « rive plutonienne de la nuit », il semble être l’âme imaginaire du questionneur lui-même — de celui qui ne peut pas, ne veut pas, étouffer le gentil népenthès, car le souvenir de Lenore est tout ce qui lui reste, et avec le surcroît de douleur, même cela ne saurait être mis de côté.

Le Corbeau peut également être considéré comme un poème représentatif de son auteur, car il illustre sa conception de ce que doit être un poème. On la trouve dans ses essais sur « Du Principe Poétique », « Le Fondement de la Métrique » et « La Philosophie de la Composition ». Poe a déclaré que « dans la musique, l’âme se rapproche peut-être le plus de la grande fin pour laquelle, elle lutte lorsqu’elle est inspirée par le Sentiment poétique, — la création de la Beauté céleste  Le vers ne peut être mieux comparé qu’à une musique inférieure ou moins capable" ; mais là encore, le vers qui est vraiment la "Poésie des mots" est "La création rythmique de la Beauté", " — ceci et rien de plus. Le "ton" de la plus haute Beauté est celui de la Tristesse. Le plus mélancolique des sujets est la Mort. Celle-ci doit être alliée à la Beauté. "La mort d’une belle femme est donc, sans aucun doute, le sujet le plus poétique du monde, et il ne fait aucun doute non plus que les lèvres les mieux adaptées à un tel sujet sont celles d’un amant en deuil. Ces dernières expressions sont tirées de l’analyse fantaisiste de Poe sur ces mêmes vers, mais elles indiquent précisément la portée générale de sa poésie. Le point culminant de « Les Cloches » est le monotone feutré des goules, qui se glorifient d’alourdir le cœur humain. « Lenore », « Le Corbeau », « La Dormeuse », « À quelqu’un du Paradis » et « Ulalume » forment une symphonie de dix roses, et « Annabel Lee », écrit en dernier, montre qu’un thème l’a possédée jusqu’à la fin. Encore une fois, tout cela n’est rien d’autre que de la musique, et certains sont touchés par cette qualité du Fantastique qui réveille le sentiment d’émerveillement et ajoute une nouvelle peur à l’agonie elle-même. Dans tout cela, sous un voile d’ombre, l’amour idéal du poète — souvent à moitié dépeint ailleurs, — l’épouse enterrée de Usher, la Dame Ligelia, en vérité la contrepartie de sa propre nature. Je suppose que l’amour d’un artiste pour quelqu’un "dans la forme" ne peut jamais rivaliser totalement avec son dévouement à un idéal quelconque. La femme qui l’approche doit exercer ses charmes, être tout tour à tour et rien de long, le charmer avec une infinie variété, ou se résoudre à renoncer à une part de son allégeance. Il doit être attiré par l’Inatteignable, et cela le dépasse toujours dans sa passion pour l’art créatif.

Poe, like Hawthorne, came in with the decline of the Romantic school, and none delighted more than he to laugh at its calamity. Yet his heart was with the romancers and their Oriental or Gothic effects. His invention, so rich in the prose tales, seemed to desert him when he wrote verse; and his judgment told him that long romantic poems depend more upon incident than inspiration, — and that, to utter the poetry of romance, lyrics would suffice. Hence his theory, clearly fitted to his own limitations, that “a `long poem’ is a flat contradiction in terms.” The components of The Raven are few and simple : a man, a bird, and the phantasmal memory of a woman. But the piece affords a fine display of romantic material. What have we ? The midnight; the shadowy chamber with its tomes of forgotten lore; the student, — a modern Hieronymus; the raven’s tap on the casement ; the wintry night and dying fire; the silken wind-swept hangings ; the dreams and vague mistrust of the echoing darkness; the black, uncanny bird upon the pallid bust; the accessories of violet velvet and the gloating lamp. All this stage effect of situation, light, color, sound, is purely romantic, and even melodramatic, but of a poetic quality that melodrama rarely exhibits, and thoroughly reflective of the poet’s “eternal passion, eternal pain.”


Poe, comme Hawthorne, est arrivé sur le déclin de l’école romantique, et personne ne se réjouit plus que lui de pouvoir rire de sa déchéance. Pourtant, son cœur penchait vers les romanciers et leurs effets orientaux ou gothiques. Son imagination, si riche en récits écrits en prose, semblait l’abandonner lorsqu’il écrivait des vers ; et son jugement lui disait que les longs poèmes romantiques dépendent plus de la conjoncture que de l’inspiration, — et que, pour produire la poésie romanesque, l’aspect lyrique suffirait. D’où sa théorie, clairement adaptée à ses propres limites, selon laquelle « un long poème est en contradiction flagrante dans les termes ». Les composants du Corbeau sont peu nombreux et simples : un homme, un oiseau, et la mémoire fantasmée d’une femme. Mais la pièce offre un bel étalage de matériel romantique. Qu’avons-nous ? Le crépuscule, la chambre obscure avec ses tomes de traditions oubliées, l’étudiant, — un Hieronymus moderne, le clapet du corbeau sur le battant, la nuit hivernale et le feu mourant, les tentures de soie balayées par le vent, les rêves et la vague méfiance de l’obscurité qui résonne, l’oiseau noir et mystérieux sur le buste pâle, les accessoires de velours violet et la lampe jaillissante. Tout cet effet de mise en scène de la situation, de la lumière, de la couleur, du son, est purement romantique, voire mélodramatique, mais d’une qualité poétique que le mélodrame manifeste rarement, et qui reflète parfaitement la « passion éternelle, la douleur éternelle » du poète.

The rhythmical structure of The Raven was sure to make an impression. Rhyme, alliteration, the burden, the stanzaic form, were devised with singular adroitness. Doubtless the poet was struck with the aptness of Miss Barrett’s musical trochaics, in “eights”, and especially by the arrangement adopted near the close of “Lady Geraldine”:

“`Eyes,’he said,’now throbbing through me ! Are ye eyes that did undo me ?
Shining eyes, like antique jewels set in Parian statue-stone !
Underneath that calm white forehead, are ye ever burning
torrid
O’er the desolate sand-desertof my heart and life undone ?

His artistic introduction of a third rhyme in both the second and fourth lines, and the addition of a fifth line and a final refrain, made the stanza of The Raven. The persistent alliteration seems to come without effort, and often the rhymes within lines are seductive; while the refrain or burden dominates the whole work. Here also he had profited by Miss Barrett’s study of ballads and romaunts in her own and other tongues. A “refrain” is the lure wherewith a poet or a musician holds the wandering ear, — the recurrent longing of Nature for the initial strain. I have always admired the beautiful refrains of the English songstress, — “The Nightingales, the Nightingales”, “Margret, Margret”, “My Heart and I, “Toll slowly”, “The River floweth on”, “Pan, Pan is dead”, etc. She also employed what I term the Repetend, in the use of which Poe has excelled all poets since Coleridge thus revived it :

“O happy living things ! no tongue
Their beauty might declare :
A spring of love gushed from my heart,
And I blessed them unaware :
Sure my kind saint took pity on me,
And I blessed them unaware.”

La structure rythmique du Corbeau ne manquera pas de faire impression. La rime, l’allitération, le fardeau, la forme strophique, ont été conçus avec une habileté singulière. Le poète a sans doute été frappé par la justesse des trochaïques musicaux de Miss Barrett, en « huit », et surtout par l’arrangement adopté vers la fin de « Lady Geraldine » :

"Yeux, dit-il, qui me transpercent maintenant !
Est-ce que ce sont vos yeux qui m’ont défait ?
Des yeux brillants, comme des bijoux antiques
sertis dans la pierre de la statue de Parian !
Sous ce front blanc et calme,
vous brûlez, toujours torride
Le désert de sable désolant de mon cœur
et de ma vie est détruit ?

Son introduction artistique d’une troisième rime dans les deuxième et quatrième lignes, et l’ajout d’une cinquième ligne et d’un refrain final, ont composé la strophe du Corbeau. L’allitération persistante semble venir sans effort, et souvent les rimes à l’intérieur des lignes sont séduisantes ; tandis que le refrain ou le motif dominent toute l’œuvre. Là aussi, il a profité de l’étude de Miss Barrett sur les ballades et les romans dans sa propre langue et dans d’autres langues. Un « refrain » est l’attrait par lequel un poète ou un musicien tient l’oreille attentive, — le désir récurrent de la nature pour la souche initiale. J’ai toujours admiré les beaux refrains de la chanteuse anglaise, — « The Nightingales, the Nightingales », « Margret, Margret », « My Heart and I », « Toll slowly », « The River floweth on », « Pan, Pan is dead », etc. Elle a également employé ce que j’appelle le « Repetend », dans l’usage duquel Poe a excellé tous les poètes depuis que Coleridge l’a ainsi fait revivre :

« Ô êtres vivants heureux ! sans langue
Leur beauté pourrait déclarer :
Une source d’amour jaillit de mon cœur,
Et je les ai bénis à leur insu :
Bien sûr, mon gentil saint a eu pitié de moi,
Et je les ai bénis à leur insu ».

Poe created the fifth line of his stanza for the magic of the repetend. He relied upon it to the uttermost in a few later poems, — “Lenor”, “Annabel Lee”, “Ulalume”, and “For Annie”. It gained a wild and melancholy music. I have thought, from the “sweet influences”, of the Afric burdens and repetends that were sung to him in childhood, attuning with their native melody the voice of our Southern poet.

“The Philosophy of Composition”, his analysis of The Raven, is a technical dissection of its method and structure. Neither his avowal of cold-blooded artifice, nor his subsequent avowal to friends that an exposure of this artifice was only another of his intellectual hoaxes, need be wholly credited. If he had designed the complete work in advance, he scarcely would have made so harsh a prelude of rattle-pan rhymes to the delicious melody of the second stanza, — not even upon his theory of the fantastic. Of course an artist, having perfected a work, sees, like the first Artist, that it is good, and sees why it is good. A subsequent analysis, coupled with a disavowal of any sacred fire, readily enough may be made. My belief is that the first conception and rough draft of this poem came as inspiration always comes; that its author then saw how it might be perfected, giving it the final touches described in his chapter on Composition, and that the latter, therefore, is neither wholly false nor wholly true. The harm of such analysis is that it tempts a novice to fancy that artificial processes can supersede imagination. The impulse of genius is to guard the secrets of its creative hour. Glimpses obtained of the toil, the baffled experiments, which precede a triumph, as in the sketch-work of Hawthorne recently brought to light, afford priceless instruction and encouragement to the sincere artist. But one who voluntarily exposes his Muse to the gaze of all comers should recall the fate of King Candaules.

Poe a créé la cinquième ligne de sa strophe pour la magie du repentir. Il s’en est inspiré jusqu’au bout dans quelques poèmes ultérieurs, — « Lenor », « Annabel Lee », "Ulalume", et « Pour Annie ». Il en a tiré une musique sauvage et mélancolique. J’ai pensé, à partir des « douces influences », aux fardeaux et aux repentis africains qui lui ont été chantés dans l’enfance, en accordant avec leur mélodie natale la voix de notre poète du Sud.

« La philosophie de la composition », son analyse de The Raven, est une dissection technique de sa méthode et de sa structure. Ni son aveu d’un artifice de sang-froid, ni son aveu ultérieur à des amis que l’exposition de cet artifice n’était qu’un autre de ses canulars intellectuels, n’ont besoin d’être entièrement crédités. S’il avait conçu l’œuvre complète à l’avance, il n’aurait guère fait un prélude aussi dur de rimes de claquettes à la délicieuse mélodie de la deuxième strophe, — pas même sur sa théorie du fantastique. Bien sûr, un artiste, ayant perfectionné une œuvre, voit, comme le premier artiste, qu’elle est bonne, et voit pourquoi elle est bonne. Une analyse ultérieure, couplée à un désaveu de tout feu sacré, peut être faite assez facilement. Ma conviction est que la première conception et ébauche de ce poème est venue comme l’inspiration vient toujours ; que son auteur a ensuite vu comment il pourrait être perfectionné, lui donnant les touches finales décrites dans son chapitre sur la Composition, et que cette dernière, par conséquent, n’est ni totalement fausse ni totalement vraie. Le mal d’une telle analyse est qu’elle incite un novice à s’imaginer que des procédés artificiels peuvent supplanter l’imagination. L’impulsion du génie est de garder les secrets de son heure de création. Les aperçus obtenus du labeur, les expériences déconcertantes qui précèdent un triomphe, comme dans l’esquisse de Hawthorne récemment mise en lumière, offrent une instruction et un encouragement inestimables à l’artiste sincère. Mais celui qui expose volontairement sa muse au regard de tous les visiteurs devrait se rappeler le sort du Roi Candaules.

The world still thinks of Poe as a “luckless man of genius.” I recently heard him mentioned as “one whom everybody seems chartered to misrepresent, decry or slander.” But it seems to me that his ill-luck ended with his pitiable death, and that since then his defence has been persistent, and his fame of as steadfast growth as a suffering and gifted author could pray for in his hopeful hour. Griswold’s decrial and slander turned the current in his favor. Critics and biographers have come forward with successive refutations, with tributes to his character, with new editions of his works. His own letters and the minute incidents of his career are before us; the record, good and bad, is widely known. No appellor has received more tender and forgiving judgment. His mishaps in life belonged to his region and period, perchance still more to his own infirmity of will. Doubtless his environment was not one to guard a fine-grained, ill-balanced nature from perils without and within. His strongest will, to be lord of himself, gained for him “that heritage of woe.” He confessed himself the bird’s unhappy master, the stricken sufferer of this poem. But his was a full share of that dramatic temper which exults in the presage of its own doom. There is a delight in playing one’s high part : we are all gladiators, crying Ave Impercitor ! To quote Burke’s matter of fact : “In grief the pleasure is still uppermost, and the affliction we suffer has no resemblance to absolute pain, which is always odious, and which we endeavor to shake off as soon as possible.” Poe went farther, and was an artist even in the tragedy of his career. If, according to his own belief, sadness and the vanishing of beauty are the highest poetic themes, and poetic feeling the keenest earthly pleasure, then the sorrow and darkness of his brokenlife were not without their frequent compensation.

Le monde considère toujours Poe comme un « homme de génie malchanceux ». J’ai récemment entendu dire qu’il était « un homme que tout le monde a pour mission de déformer, de décrier ou de calomnier ». Mais il me semble que sa malchance s’est terminée avec sa mort pitoyable, et que depuis lors, sa défense a été assidue, et sa renommée en croissance constante tel que souhaité par un auteur souffrant et doué pour son heure d’espoir. Le jugement et la calomnie de Griswold ont fait tourner le courant en sa faveur. Les critiques et les biographes ont présenté des réfutations successives, des hommages à son personnage, de nouvelles éditions de ses œuvres. Ses propres lettres et les moindres incidents de sa carrière sont devant nous ; le bilan, bon et mauvais, est largement connu. Aucun requérant n’a reçu un jugement plus tendre et plus indulgent. Ses mésaventures dans la vie appartenaient à sa région et à son époque, peut-être encore plus à sa propre infirmité de volonté. Sans doute son environnement n’était-il pas de nature à protéger une nature fine et mal équilibrée des périls extérieurs et intérieurs. Sa volonté la plus forte, celle d’être seigneur de lui-même, lui a valu « cet héritage de malheur ». Il s’est confessé le malheureux maître de l’oiseau, le souffre-douleur de ce poème. Mais il a eu sa part de ce tourment dramatique qui exulte dans le présage de sa propre perte. Il y a un plaisir à jouer son haut rôle : nous sommes tous des gladiateurs, criant Ave Impercitor ! Pour citer Burke : « Dans le deuil, le plaisir est toujours le plus grand, et l’affliction que nous subissons n’a rien à voir avec la douleur absolue, qui est toujours odieuse, et dont nous nous efforçons de nous débarrasser le plus vite possible. » Poe est allé plus loin, et a été un artiste même dans la tragédie de sa carrière. Si, selon sa propre croyance, la tristesse et la disparition de la beauté sont les thèmes poétiques les plus élevés, et le sentiment poétique le plus vif du plaisir terrestre, alors la tristesse et l’obscurité de sa vie brisée n’étaient pas sans leur fréquente compensation.

In the following pages, we have a fresh example of an artists genius characterizing his interpretation of a famous poem. Gustave Doré, the Last work of whose pencil is before us, was not the painter, or even the draughtsman, for realists demanding truth of tone, figure, and perfection. Such matters concerned him less than to make shape and distance, light and shade, assist his purpose,—which was to excite the soul, the imagination, of the looker on. This he did by arousing our sense of awe, through marvellous and often sublime conceptions of things unutterable and full of gloom or glory. It is well said that if his works were not great paintings, as pictures they are great indeed. As a "literary artist," and such he was, his force was in direct ratio with the dramatic invention of his author, with the brave audacities of the spirit that kindled his own. Hence his success with Rabelais, with "Le Juif-Errant," "Les Contes Drolatiques," and "Don Quixote," and hence. conversely, his failure to express the beauty of Tennyson’s Idyls, of "Il Paradiso," of the Hebrew pastorals, and other texts requiring exaltation, or sweetness and repose. He was a born master of the grotesque, and by a special insight could portray the spectres of a haunted brain. We see objects as his personages saw them, and with the very eyes of the Wandering Jew, the bewildered Don, or the goldsmith’s daughter whose fancy so magnifies the King in the shop on the Pont-au-Change. It was in the nature of things that he should be attracted to each masterpiece of verse or prose that I have termed unique. The lower kingdoms were called into his service; his rocks, trees and mountains, the sky itself, are animate with motive and diablerie. Had he lived to illustrate Shakespeare, we should have seen a remarkable treatment of Caliban, the Witches, the storm in "Lear"; but doubtless should have questioned his ideals of Imagen or Miranda. Beauty pure and simple, and the perfect excellence thereof, he rarely seemed to comprehend.

Dans les pages suivantes, nous avons un nouvel exemple de génie artistique caractérisant son interprétation d’un célèbre poème. Gustave Doré, dont la dernière œuvre au crayon est devant nous, n’était pas le peintre, ni même le dessinateur, pour les réalistes qui exigent la vérité du ton, de la figure et de la perfection. Ces questions le concernaient moins que de faire de la forme et de la distance, de la lumière et de l’ombre, une aide à son dessein, — qui était d’exciter l’âme, l’imagination, du spectateur. Il le faisait en éveillant notre sens de l’émerveillement, par des conceptions magnifiques et souvent sublimes de choses indicibles et pleines de tristesse ou de gloire. Il est bien dit que si ses œuvres ne sont pas de grands tableaux, en tant qu’images, elles sont vraiment grandes. En tant qu’« artiste littéraire », et il l’était, sa force était en rapport direct avec l’invention dramatique de son auteur, avec les audaces courageuses de l’esprit qui enflammait les siennes. D’où son succès avec Rabelais, avec « Le Juif-Errant », « Les Contes Drolatiques », « Don Quichotte », et inversement, son incapacité à exprimer la beauté des Idylles de Tennyson, de « Il Paradiso », des pastorales hébraïques, et d’autres textes nécessitant exaltation, ou douceur et repos. Il était un maître né du grotesque, et par une perspicacité particulière pouvait dépeindre les spectres d’un cerveau hanté. Nous voyons les objets comme ses personnages les voient, et avec les yeux mêmes du Juif errant, du Don désorienté, ou de la fille de l’orfèvre dont la fantaisie magnifie tant le Roi dans la boutique du Pont-au-Change. Il était dans la nature des choses qu’il soit attiré par chaque chef-d’œuvre de vers ou de prose que j’ai qualifié d’unique. Les royaumes inférieurs ont été appelés à son service ; ses rochers, ses arbres et ses montagnes, le ciel lui-même, sont animés de motifs et de diablerie. S’il avait vécu pour illustrer Shakespeare, nous aurions vu un traitement remarquable de Caliban, des sorcières, de la tempête dans « Lear » ; mais il aurait sans doute dû remettre en question ses idéaux d’Imagen ou Miranda. La beauté pure et simple, et la parfaite excellence, il semblait rarement la comprendre.

Yet there is beauty in his designs for the "Ancient Mariner," unreal as they are, and a consecutiveness rare in a series by Doré. The Rime afforded him a prolonged story. with many shiftings of the scene. In The Raven sound and color preserve their monotone and we have no change of place or occasion. What is the result? Doré proffers a series of variations upon the theme as he conceived it, "the enigma of death and the hallucination of an inconsolable soul." In some of these drawings his faults are evident; others reveal his powerful originality. and the best qualities in which, as a draughtsman, he stood alone. Plainly there was something in common between the working moods of Poe and Doré. This would appear more dearly had the latter tried his hand upon the "Tales of the Grotesque and Arabesque." Both resorted often to the elf-land of fantasy and romance. In melodramatic feats they both, through their command of the supernatural, avoided the danger-line between the ideal and the absurd. Poe was the truer worshipper of the Beautiful; his love for it was a consecrating passion, and herein he parts company with his illustrator. Poet or artist, Death at last transfigures all: within the shadow of his sable harbinger, Vedder’s symbolic crayon aptly sets them face to face, but enfolds them with the mantle of immortal wisdom and power. An American woman has wrought the image of a star-eyed Genius with the final torch, the exquisite semblance of one whose vision beholds, but whose lips may not utter, the mysteries of a land beyond "the door of a legended tomb."

Pourtant, il y a de la beauté dans ses dessins qui accompagnent « La Chanson du Vieux Marin », aussi irréels soient-ils, et une cohérence rare dans une série de Doré. La Chanson (The Rime) lui a offert une histoire prolongée, avec de nombreux changements de décors. Dans Le Corbeau, le son et la couleur conservent leur monotonie et nous n’avons pas de changement de lieu ou d’occasion. Quel est le résultat ? Doré propose une série de variations sur le thème tel qu’il l’a conçu, « l’énigme de la mort et l’hallucination d’une âme inconsolable ». Dans certains de ces dessins, ses défauts sont évidents ; d’autres révèlent sa puissante originalité et les meilleures qualités dans lesquelles, en tant que dessinateur, il se trouvait seul. Il y avait manifestement un point commun entre les états d’âme de Poe et de Doré. Cela apparaîtrait plus clairement si ce dernier s’était essayé aux « Contes du Grotesque et de l’Arabesque ». Les deux hommes ont souvent eu recours à la terre des elfes, à la fantaisie et au romantisme. Dans leurs exploits mélodramatiques, tous deux, par leur maîtrise du surnaturel, ont évité la ligne de fracture entre l’idéal et l’absurde. Poe était le véritable adorateur de la Beauté, son amour pour elle était une passion consacrée, et c’est là qu’il se sépare de son illustrateur. Poète ou artiste, la Mort transfigure enfin tout : dans l’ombre des présages du sablier, le crayon symbolique de Vedder les place judicieusement face à face, mais les enveloppe du manteau de la sagesse et du pouvoir immortels. Une femme américaine a forgé l’image d’un génie aux yeux d’étoiles avec le flambeau final, le semblant exquis de celui dont la vision contemple, mais dont les lèvres ne peuvent pas exprimer, les mystères d’une terre au-delà de « la porte d’un tombeau légendaire ».

edmund c. stedman