Traité de droit romain (Savigny)/Livre I/Chapitre 1

La bibliothèque libre.
Traité de droit romain
Traduction par Charles Guénoux.
Firmin-Didot Frères (1p. 1-6).

CHAPITRE Ier.

objet de cet ouvrage.


§ I. Droit romain actuel.

La partie de la science dont je traite dans cet ouvrage est le droit romain actuel. Il s’agit maintenant de déterminer ce que titre renferme.

Io Cet ouvrage a le droit romain pour objet ; il devra donc se borner aux matières du droit qui ont une origine romaine, et les suivre dans leurs développements successifs, quelles que soient d’ailleurs la nature et la source de ces développements ; mais les matières dont l’origine est germanique s’en trouvent naturellement exclues.

2o Le droit romain actuel. Ainsi donc, on ne verra dans cet ouvrage ni l’histoire du droit proprement dite, ni les parties de l’ancien droit étrangères à la législation Justinienne, puisque c’est sous cette dernière forme que nous avons reçu le droit romain, ni les parties de la législation Justinienne étrangères au droit moderne.

3o Le droit privé, et non le droit public ; ce droit que les Romains appellent quelquefois jus civile, et qui, au temps de la république, faisait l’étude exclusive du jurisconsulte, jurisprudentia[1]. Cette limitation rentre en partie dans les deux qui précèdent, car le droit privé des Romains forme seul partie intégrante du droit moderne. Sans doute leur droit criminel ne nous est pas tout à fait étranger, mais nous ne lui avons emprunté qu’un petit nombre de principes et d’une importance secondaire. 4o Enfin l’exposition systématique du droit lui-même, à l’exclusion de la procédure ou des formes assignées à la poursuite du droit. C’est ce que quelques-uns appellent le droit privé matériel. En effet, notre procédure, formée d’un mélange de sources historiquement diverses, s’est développée d’une manière tellement spéciale, qu’elle veut être traitée séparément, tandis que les jurisconsultes romains regardaient la réunion de la procédure et du droit non-seulement comme possible, mais même comme nécessaire. Leur division, dont le principe est incontestable, offre souvent des incertitudes dans l’application, et, en effet, la même matière peut quelquefois appartenir à l’un et à l’autre domaine. Ainsi, les jugements, par leurs formes et leurs conditions, rentrent dans la procédure, mais une fois prononcés ils entraînent : Io l’actio et l’exceptio dérivant de la res judicata ; 2o l’exécution. Or, l’une fait partie du droit lui-même, l’autre de la procédure. En résumant tout ce que je viens de dire, on voit que le droit romain ainsi entendu est ce qui forme le droit commun d’une grande partie de l’Europe.

II Droit commun de l’Allemagne.

Le droit romain actuel défini (§ I) a une grande analogie avec le droit commun allemand. Ce droit tient à la constitution politique de l’Allemagne, dont les diverses parties étaient réunies sous la domination impériale. Ainsi, chaque État obéissait à un double pouvoir, sous l’influence duquel se développa un double droit positif, le droit territorial et le droit commun. Plusieurs auteurs ont prétendu qu’après la dissolution de l’Empire, le droit commun avait disparu avec l’autorité qui lui servait de base. Mais cette opinion, qui tient à des idées erronées sur la nature du droit positif, n’a pas eu la moindre influence pratique[2]. Or, ce droit commun n’est autre que le droit romain actuel, considéré dans son application particulière à l’Allemagne, c’est-à-dire avec les modifications qu’il y a subies. Mais ces modifications, presque toutes contenues dans les lois de l’Empire, sont de peu d’importance, car les grandes déviations faites à l’ancien droit romain, par exemple, l’autorité reconnue à tous les contrats indépendamment de la stipulatio, les effets attribués à la bona fides, etc., n’ont rien de particulier à l’empire d’Allemagne ; elles ont été généralement adoptées à mesure que le droit romain s’est propagé en Europe. Ainsi donc, cet ouvrage, qui traite du droit romain actuel, pourrait, au moyen de quelques additions, présenter le droit commun de l’Allemagne.

§ III. Limites de mon sujet.

En posant les limites de mon sujet, je m’interdis de traiter tout ce qui lui est étranger. Ici je marche entre deux écueils qui m’offrent un double danger ; l’un, de dépasser mes limites par prédilection pour une matière qui s’en rapproche, ou pour certaines parties de la science ; l’autre, de m’y renfermer trop étroitement, lorsqu’une digression serait indispensable à l’étude approfondie du sujet, ou à la clarté de l’exposition[3]. Mais, de son côté, le lecteur m’accordera sans doute quelque tolérance, car sur ce point il n’y a guère de règle fixe, c’est au tact à décider, et l’on doit faire une part aux idées subjectives de l’auteur.

D’après l’usage adopté jusqu’ici, surtout dans les cours de Pandectes des universités allemandes, j’exposerai les principes fondamentaux communs à tout droit positif, et qui n’ont rien de spécial au droit romain ; mais, indépendamment de la forme originale qu’ils y revêtent et de leur influence sur les autres législations, le droit romain, par son caractère de généralité, se prête mieux que tout autre droit positif à l’étude approfondie de ces principes fondamentaux.

  1. Ainsi Cicéron dit bien qu’il n’est pas jurisconsulte ; mais il était loin de penser que lui ou tout autre homme d’État connut moins bien qu’un jurisconsulte la constitution politique, le jus sacrum, etc. Ulpien donne, il est vrai, beaucoup plus d’extension à la jurisprudentia (L. 10, §.2, D. de J. et J.), et l’on ne doit pas blâmer sa définition, ou l’accuser d’avoir exagéré l’importance de sa science, car il n’a fait qu’exprimer le changement apporté par le temps à la position des jurisconsultes et des hommes d’État.
  2. Ils partent de ce principe erroné, que quand une puissance politique succombe, toutes les institutions qui s’étaient développées sous son influence périssent nécessairement. Ainsi on a dit qu’après la chute de l’empire d’Occident, la conquête des barbares dut anéantir le droit romain, et l’anéantit en effet. Mais cette opinion du moins trouverait aujourd’hui difficilement des partisans.
  3. Ainsi je parlerai de certaines parties du droit tombés en désuétude, à cause de la place qu’elles occupent dans les sources, et pour ne pas en détruire l’ensemble.