Traité de droit romain (Savigny)/Livre I

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Traité de droit romain
Traduction par Charles Guénoux.
Firmin-Didot Frères (1p. 1-319).

LIVRE PREMIER.

SOURCES DU DROIT ROMAIN ACTUEL.


CHAPITRE Ier.

objet de cet ouvrage.


§ I. Droit romain actuel.

La partie de la science dont je traite dans cet ouvrage est le droit romain actuel. Il s’agit maintenant de déterminer ce que titre renferme.

Io Cet ouvrage a le droit romain pour objet ; il devra donc se borner aux matières du droit qui ont une origine romaine, et les suivre dans leurs développements successifs, quelles que soient d’ailleurs la nature et la source de ces développements ; mais les matières dont l’origine est germanique s’en trouvent naturellement exclues.

2o Le droit romain actuel. Ainsi donc, on ne verra dans cet ouvrage ni l’histoire du droit proprement dite, ni les parties de l’ancien droit étrangères à la législation Justinienne, puisque c’est sous cette dernière forme que nous avons reçu le droit romain, ni les parties de la législation Justinienne étrangères au droit moderne.

3o Le droit privé, et non le droit public ; ce droit que les Romains appellent quelquefois jus civile, et qui, au temps de la république, faisait l’étude exclusive du jurisconsulte, jurisprudentia[1]. Cette limitation rentre en partie dans les deux qui précèdent, car le droit privé des Romains forme seul partie intégrante du droit moderne. Sans doute leur droit criminel ne nous est pas tout à fait étranger, mais nous ne lui avons emprunté qu’un petit nombre de principes et d’une importance secondaire. 4o Enfin l’exposition systématique du droit lui-même, à l’exclusion de la procédure ou des formes assignées à la poursuite du droit. C’est ce que quelques-uns appellent le droit privé matériel. En effet, notre procédure, formée d’un mélange de sources historiquement diverses, s’est développée d’une manière tellement spéciale, qu’elle veut être traitée séparément, tandis que les jurisconsultes romains regardaient la réunion de la procédure et du droit non-seulement comme possible, mais même comme nécessaire. Leur division, dont le principe est incontestable, offre souvent des incertitudes dans l’application, et, en effet, la même matière peut quelquefois appartenir à l’un et à l’autre domaine. Ainsi, les jugements, par leurs formes et leurs conditions, rentrent dans la procédure, mais une fois prononcés ils entraînent : Io l’actio et l’exceptio dérivant de la res judicata ; 2o l’exécution. Or, l’une fait partie du droit lui-même, l’autre de la procédure. En résumant tout ce que je viens de dire, on voit que le droit romain ainsi entendu est ce qui forme le droit commun d’une grande partie de l’Europe.

II Droit commun de l’Allemagne.

Le droit romain actuel défini (§ I) a une grande analogie avec le droit commun allemand. Ce droit tient à la constitution politique de l’Allemagne, dont les diverses parties étaient réunies sous la domination impériale. Ainsi, chaque État obéissait à un double pouvoir, sous l’influence duquel se développa un double droit positif, le droit territorial et le droit commun. Plusieurs auteurs ont prétendu qu’après la dissolution de l’Empire, le droit commun avait disparu avec l’autorité qui lui servait de base. Mais cette opinion, qui tient à des idées erronées sur la nature du droit positif, n’a pas eu la moindre influence pratique[2]. Or, ce droit commun n’est autre que le droit romain actuel, considéré dans son application particulière à l’Allemagne, c’est-à-dire avec les modifications qu’il y a subies. Mais ces modifications, presque toutes contenues dans les lois de l’Empire, sont de peu d’importance, car les grandes déviations faites à l’ancien droit romain, par exemple, l’autorité reconnue à tous les contrats indépendamment de la stipulatio, les effets attribués à la bona fides, etc., n’ont rien de particulier à l’empire d’Allemagne ; elles ont été généralement adoptées à mesure que le droit romain s’est propagé en Europe. Ainsi donc, cet ouvrage, qui traite du droit romain actuel, pourrait, au moyen de quelques additions, présenter le droit commun de l’Allemagne.

§ III. Limites de mon sujet.

En posant les limites de mon sujet, je m’interdis de traiter tout ce qui lui est étranger. Ici je marche entre deux écueils qui m’offrent un double danger ; l’un, de dépasser mes limites par prédilection pour une matière qui s’en rapproche, ou pour certaines parties de la science ; l’autre, de m’y renfermer trop étroitement, lorsqu’une digression serait indispensable à l’étude approfondie du sujet, ou à la clarté de l’exposition[3]. Mais, de son côté, le lecteur m’accordera sans doute quelque tolérance, car sur ce point il n’y a guère de règle fixe, c’est au tact à décider, et l’on doit faire une part aux idées subjectives de l’auteur.

D’après l’usage adopté jusqu’ici, surtout dans

les cours de Pandectes des universités allemandes, j’exposerai les principes fondamentaux communs à tout droit positif, et qui n’ont rien de spécial au droit romain ; mais, indépendamment de la forme originale qu’ils y revêtent et de leur influence sur les autres législations, le droit romain, par son caractère de généralité, se prête mieux que tout autre droit positif à l’étude approfondie de ces principes fondamentaux.

CHAPITRE II.

de la nature des sources du droit en général.


§ IV. Rapport de droit.

Pour déterminer les bases du droit romain actuel, il s’agit d’en reconnaître les sources ; mais cette étude appelle nécessairement une recherche préliminaire sur la nature des sources du droit en général. Le droit, si nous le considérons tel que dans la vie réelle il nous entoure et nous pénètre de tous côtés, nous apparaît comme un pouvoir de l’individu. Dans les limites de ce pouvoir, la volonté de l’individu règne, et règne du consentement de tous. Ce pouvoir ou faculté, nous l’appelons droit, et quelques-uns l’appellent droit dans le sens subjectif. Le droit ne se manifeste jamais plus clairement que si, dénié ou attaqué, l’autorité judiciaire vient à en reconnaître l’existence et l’étendue. Mais un examen plus attentif nous montre que la forme logique d’un jugement tient à un besoin accidentel ; que, loin d’épuiser l’essence de la chose, cette forme suppose une réalité plus profonde, c’est le rapport de droit dont chaque droit n’est qu’une face diverse considérée abstractivement ; ainsi, un jugement sur un droit spécial n’est vrai et raisonnable que s’il dérive d’une vue complète du rapport de droit. Ce rapport a une nature organique qui se manifeste, soit par l’ensemble de ses parties constitutives qui se balancent et se limitent mutuellement, soit par ses développements successifs, son origine et ses décroissements. Cette reconstruction vivante de l’ensemble, un cas particulier donné, forme l’élément intellectuel de la pratique, et distingue sa noble vocation du simple mécanisme que l’ignorance lui attribue. Mais, afin de ne pas laisser ce point important à l’état d’abstraction, je crois bon de montrer, par un exemple, l’étendue des conséquences qu’il renferme. Voici l’espèce d’une loi célèbre, la loi frater a fratre (L. 38, xii, 6) : Deux frères étant sous la puissance paternelle, l’un emprunte à l’autre une somme d’argent, et la rend après la mort du père. Maintenant on demande s’il a droit de répéter cette somme comme indument payée. Y a-t-il ou non condictio indebiti ? Telle est la seule question soumise à l’appréciation du juge ; mais, pour la résoudre, il doit embrasser l’ensemble du rapport de droit, qui se décompose de la manière suivante : puissance paternelle sur les deux frères, prêt de l’un à l’autre, pécule reçu du père par le débiteur. Le rapport de droit s’est développé par la mort du père, l’ouverture de sa succession, le payement de la dette. Tels sont les divers éléments dont la combinaison doit entrer dans la décision du juge.

§ V. Institutions de droit.

Le jugement d’une espèce n’est possible qu’en la rapportant à une règle générale qui domine les cas particuliers. Cette règle s’appelle droit, ou droit général, ou quelquefois encore, droit dans le sens objectif. Elle se manifeste surtout dans la loi, c’est-à-dire la règle promulguée par l’autorité suprême d’un État.

Mais si le jugement d’une espèce particulière n’a qu’une nature restreinte et subordonnée, s’il trouve sa racine vivante et sa puissance de conviction dans l’appréciation du rapport de droit ; la règle de droit et la loi qui en est l’expression ont pour base plus profonde les institutions dont la nature organique se montre dans l’ensemble vivant de leurs parties constitutives, et dans leurs développements successifs. Ainsi donc, quand on ne veut pas s’en tenir aux manifestations extérieures, mais pénétrer l’essence des choses, on reconnaît que chaque élément du rapport de droit a une institution qui le domine et lui sert de type, de même que chaque jugement est dominé par une règle[4] ; et ce second enchaînement, en se rattachant au premier, y trouve la réalité et la vie. La loi citée dans le paragraphe précédent peut encore servir à éclaircir ce dernier point. Les institutions de droit qui se rapportent à cette espèce sont : la succession des enfants au père, l’ancien pécule, et surtout la deductio qui s’y rattache, la transmission des créances aux héritiers, la confusion en leurs personnes des créances et des dettes, la condictio indebiti. Quant à la manière dont l’intelligence saisit ces idées, il y a cette différence toute naturelle que les institutions du droit, étant perçues d’abord isolées, peuvent être combinées arbitrairement, tandis que le rapport de droit, se révélant à nous par les événements de la vie réelle, nous apparaît directement et sous sa forme concrète. Mais un examen plus attentif nous montre que toutes les institutions de droit forment un vaste système, et que l’harmonie de ce système, où se reproduit leur nature organique, nous en donne seule l’intelligence complète. Malgré l’immense distance qui existe entre un rapport individuel de droit et l’ensemble du droit positif d’une nation, il n’y a d’autre différence que celle de proportion, et le procédé par lequel l’esprit parvient à les connaître est absolument le même.

Par là on voit combien fausse est l’opinion qui considère la théorie et la pratique du droit comme choses diverses et même opposées. Sans doute le théoricien et le praticien ont chacun leurs fonctions : l’application qu’ils font de leurs connaissances est différente, mais ils suivent un même ordre d’idées, leurs études doivent être les mêmes ; et nul n’exerce dignement la théorie ou la pratique s’il n’a conscience de leur identité[5].

§ VI Ce qu’il faut entendre par sources du droit.

On appelle sources du droit les bases du droit général, par conséquent les institutions elles-mêmes, et les règles particulières que l’on en tire par abstraction. Cette définition présente une double analogie qui peut donner lieu à une double méprise

1o Chaque rapport individuel de droit a sa base dans un fait[6], et le lien existant entre ces rapports de droit et les institutions qui les dominent peut mener à confondre l’origine de ces rapports individuels avec celle des règles du droit. Si donc on veut examiner tous les éléments qui entrent dans un rapport de droit, on y trouve infailliblement une règle de droit et un fait répondant à cette règle, une loi, par exemple, qui reconnaît le contrat, et enfin le contrat lui-même. Mais ces éléments ont une nature essentiellement différente ; et placer sur la même ligne les lois et les contrats, regarder les contrats comme sources du droit, c’est confondre toutes les idées[7].

2o Une autre méprise, occasionnée par la ressemblance des noms, est de confondre les sources du droit avec les sources historiques de la science du droit. Ces dernières comprennent tous les monuments qui nous fournissent des faits relatifs à la science ; mais ce sont deux choses indépendantes, qui ne se trouvent qu’accidentellement réunies, quoique cette réunion puisse se présenter fréquemment et avoir une grande importance. Ainsi, par exemple, le Digeste Justinien est à la fois source du droit et source historique de la science ; la loi Voconia, une des sources de l’ancien droit, n’est pas source historique, puisqu’elle n’existe plus ; enfin, les passages des historiens et des poëtes de l’antiquité renfermant des notions de droit appartiennent exclusivement aux sources historiques de la science. — J’ajouterai que les sources du droit, dans la plupart des cas où nous avons à nous en occuper, réunissent ces deux caractères ; et ainsi cette double acception du même mot offre peu d’inconvénients. Les diverses parties du corps de droit,

par exemple, sources du droit pour l’ancien empire romain comme lois de Justinien, et sources du droit moderne en vertu de leur adoption, font, comme textes, partie des sources de la science. De même encore, les recueils de droit allemand du treizième et du quatorzième siècle, sources de droit comme monuments du droit coutumier, sont, comme textes, sources de la science. On ne saurait donc blâmer la plupart des auteurs qui parlent des sources du droit sans distinguer ces deux significations.
§ VII. De l’origine du droit.

Quelle est maintenant la base du droit général, ou en quoi consistent les sources du droit ?

Ici on pourrait croire que le hasard, les circonstances ou la sagesse pourraient créer le droit d’une manière différente, selon l’influence qui présiderait à sa création. Mais cette supposition tombe devant ce fait incontestable, que partout où l’existence d’un droit se révèle à l’intelligence humaine, il apparaît aussitôt comme soumis à une règle préexistante, et l’invention de cette règle est dès lors inutile et même impossible. C’est parce que l’on considère le droit général comme antérieur à tous les cas donnés qu’on l’appelle droit positif.

Si maintenant on cherche quel est le sujet au sein duquel le droit positif a sa réalité, on trouve que ce sujet est le peuple. C’est dans la commune conscience du peuple que vit le droit positif ; aussi peut-on l’appeler le droit du peuple. Néanmoins, il ne faudrait pas s’imaginer que les divers individus dont se compose le peuple aient créé le droit arbitrairement ; car ces volontés individuelles auraient pu sans doute enfanter le même droit, mais il est beaucoup plus vraisemblable qu’elles eussent produit une foule de droits différents. Le droit positif sort de cet esprit général qui anime tous les membres d’une nation ; aussi, l’unité du droit se révèle nécessairement à leurs consciences, et n’est plus l’effet du hasard. Assigner au droit positif une origine invisible, c’est donc renoncer au témoignage des documents. Mais cette difficulté n’a rien de particulier à mon opinion : elle se représente infailliblement dans toutes les explications de l’origine du droit. En effet, là où commence l’histoire fondée sur les documents, on trouve chez tous les peuples un droit positif déjà existant, et dont l’origine remonte au delà des temps historiques. Mais je puis invoquer des pensées d’un autre ordre, et telles que les comporte la nature du sujet. Je citerai d’abord la reconnaissance unanime du droit positif, le sentiment de nécessité qui accompagne ses manifestations, sentiment si clairement exprimé par l’antique croyance qui attribue au droit une origine divine. On ne pouvait nier d’une manière plus formelle l’intervention du hasard ou de la volonté humaine, Je citerai ensuite l’analogie que présentent plusieurs éléments caractéristiques de chaque peuple, les usages de la vie commune, et surtout la langue, dont l’origine se cache au delà des temps historiques. Ce n’est ni le hasard ni la volonté des individus, c’est l’esprit national qui enfante les langues ; mais leur nature sensible rend cette origine plus évidente et plus saisissable que pour le droit. Ces diverses manifestations de l’esprit général d’un peuple sont autant de traits caractéristiques de son individualité, parmi lesquels la langue tient la première place comme le plus apparent.

Mais le droit qui vit dans la conscience du peuple n’est pas un composé de règles abstraites. Il est perçu dans la réalité de son ensemble, et la règle apparaît sous sa forme logique dès que le besoin s’en fait sentir ; elle se détache de cet ensemble et se traduit par un mode artificiel. Telles sont les actions symboliques qui donnent au droit une apparence sensible, et où son origine populaire se révèle avec plus de profondeur et de clarté que dans les lois.

En exposant cette origine du droit positif, je n’ai pas tenu compte du temps au sein duquel la vie des peuples se développe. Or, on voit, au premier coup d’œil, que le temps, par son action, ajoute à la force du droit. Une idée de droit reçue chez un peuple s’enracine chaque jour davantage ; elle se développe par l’application ; et la conscience du droit, qui d’abord n’existait qu’en germe, prend une forme déterminée. Mais le temps modifie aussi le droit. En effet, on peut comparer la vie des peuples et chacun de ses éléments constitutifs à la vie humaine, qui jamais n’est stationnaire, et offre une succession continuelle de développements organiques. De même les langues et le droit n’existent que par une suite de transformations non interrompues., et ces transformations procèdent du même principe que son origine, soumises à la même nécessité, également indépendantes du hasard et des volontés individuelles. Mais ces développements continuels suivent une marche régulière et obéissent à un enchaînement de circonstances invariables, dont chacune tient par un lien spécial aux diverses manifestations de l’esprit du peuple au sein duquel le droit prend naissance. C’est surtout pendant l’enfance des peuples que cet élément agit avec le plus de force et de liberté ; car alors le lien qui unit la nation est plus étroit, plus généralement senti, et la diversité des développements individuels n’obscurcit pas la conscience de ce sentiment. Mais plus ces développements deviennent inégaux et croissent en importance, plus des connaissances et des occupations spéciales isolent les individus et les différentes conditions ; plus le droit, qui a sa source dans l’esprit général de la nation, se développe difficilement, et ce mode de développement disparaîtrait tout à fait, si les nouvelles circonstances ne lui créaient de nouveaux organes, la législation et la science du droit, dont je vais bientôt examiner la nature et le caractère.

Ces nouveaux organes exercent sur le droit primitif plus d’un genre d’action. Ils peuvent créer de nouvelles institutions, modifier les anciennes, ou même les anéantir, si elles sont devenues étrangères à l’esprit et aux besoins du temps.

§ VIII. Le peuple.

Jusqu’ici j’ai considéré le peuple comme le sujet actif et personnel du droit. C’est ce sujet dont je vais examiner la nature et le caractère.

Quand on envisage le droit d’une manière abstraite et indépendamment de son contenu, on y voit une règle d’après laquelle un certain nombre d’hommes vivent en société. Si on se borne à l’idée d’une agrégation d’individus quelconques, on est conduit à regarder le droit comme son invention, invention sans laquelle la liberté extérieure des individus ne saurait subsister. Mais cette réunion accidentelle d’un certain nombre d’hommes est une hypothèse arbitraire, sans l’ombre de vérité ; et si jamais une société pareille existait, elle serait impuissante à créer le droit ; car il ne suffit pas qu’un besoin s’éveille pour que nous ayons les moyens de le satisfaire. Partout, au contraire, où nous voyons des hommes rassemblés, et d’après les témoignages de l’histoire la plus reculée, partout nous trouvons une communauté de rapports intellectuels attestée par l’usage d’une langue commune, qui sert à fixer et à développer ces rapports. C’est de cet ensemble réel que sort la création du droit, c’est l’esprit national circulant dans tous les membres de la nation, qui a la force de satisfaire ce besoin dont nous avons reconnu l’existence.

Mais entre les différents peuples il n’y a pas de limites rigoureusement déterminées, et cette indétermination se retrouve dans le droit qu’ils se créent : Ainsi, la parenté existant entre certains peuples nous laisse quelquefois dans l’incertitude de savoir si nous devons les réunir ou les distinguer, et leurs droits, sans être entièrement semblables, reproduisent ce caractère de parenté.

Au sein même des nations dont l’unité est la moins douteuse, on rencontre quelquefois de certaines subdivisions, des associations de villes et de villages, des corporations de tous genres, qui, sans se détacher de la nation, ont cependant une existence individuelle et distincte. Dans le cercle de ces subdivisions peuvent se former des droits particuliers, qui se placent à côté du droit commun de la nation, et servent ainsi à le modifier et à le compléter[8].

Mais si on regarde le peuple comme un être individuel, sujet naturel et persistant du droit positif, on ne doit pas restreindre cette idée à la réunion des individus existant à une même époque ; on doit, au contraire, considérer le peuple comme une unité au sein de laquelle se succèdent les générations, unité qui rattache le présent au passé et à l’avenir. C’est la tradition qui veille à la conservation du droit, et la tradition est un héritage qui se transmet par la succession continuelle et insensible des générations. C’est parce que le droit ne dépend pas de l’existence des individus, que les règles se maintiennent et que s’opèrent les transformations insensibles signalées plus haut (§ 7). Sous ce point de vue, la tradition forme un élément très-important du droit.

J’ai dit que chaque peuple était le créateur et le sujet du droit positif. Peut-être cette définition paraîtra-t-elle trop restreinte, et regardera-t-on le droit positif comme une œuvre de l’esprit humain en général, et non des peuples pris individuellement. Ces deux opinions, examinées de plus près, ne se contredisent nullement. L’esprit qui agit chez les différents peuples et revêt des traits individuels n’est autre que l’esprit humain lui-même. Mais la création du droit est un fait, et un fait accompli en commun. Or, une coopération n’est possible que là où il existe réellement une communauté de pensées et d’action ; et comme une semblable communauté se trouve seulement au sein des différents peuples, c’est de là seulement que peut sortir le droit positif, bien que l’esprit général de l’humanité s’y révèle constamment. Aussi n’y voit-on point de ces créations arbitraires dont le droit des autres peuples n’offrirait aucune trace. Seulement, le droit de chaque nation a certains traits particuliers à la nation, et d’autres communs à tous les peuples. Je montrerai plus bas (§ 22) comment les Romains comprenaient, sous le nom de jus gentium, ces éléments généraux du droit.

§ IX. L’État. Droit politique. Droit privé. Droit public.

Jusqu’ici j’ai dû considérer le peuple comme un être invisible et sans limites déterminées ; mais jamais on ne le trouve à cet état d’abstraction. Le besoin de traduire en caractères visibles et organiques leur unité invisible existe constamment chez tous les peuples. L’État donne un corps à l’unité nationale, dont les bornes sont dès lors rigoureusement posées. Si maintenant on cherche ce qui donne naissance à l’État, on trouve, comme pour le droit en général, une nécessité supérieure, une force interne qui veut s’épancher au dehors, et imprime à l’État un caractère individuel. Cette force enfante l’État comme elle enfante le droit, et l’on peut même regarder la réalisation de l’Etat comme l’acte le plus haut de sa puissance.

Arrivés à ce point de vue, si nous reportons nos regards sur l’ensemble du droit, nous voyons qu’il se divise en deux branches, le droit politique et le droit privé. L’un a pour objet l’État, c’est-à-dire la manifestation organique du peuple ; l’autre embrasse tous les rapports de droit existant entre les particuliers, et est la règle ou l’expression de ces rapports[9]. Mais ces deux genres de droit ont plusieurs traits de ressemblance et de points de contact. Ainsi, la constitution de la famille, l’autorité du père et l’obéissance des enfants, offrent une analogie frappante avec la constitution de l’État, et les communes, quoique parties constitutives de l’État (§ 86), sont à peu près dans les mêmes conditions que les individus. Mais ce qui distingue profondément le droit politique du droit privé, c’est que l’un ne s’occupe que de l’ensemble et considère les individus comme un objet secondaire ; l’autre a pour but exclusif l’individu lui-même, et ne s’occupe que de son existence et de ses différents états.

Cependant, l’État exerce sur le droit privé de nombreuses influences, et d’abord quant à sa réalité même. En effet, c’est l’État qui personnifie le peuple et lui donne la capacité d’agir. Si, hors de l’État, on peut concevoir comme abstraction un droit privé, fondé sur une communauté d’idées et de mœurs, dans l’État, l’établissement du pouvoir judiciaire donne seul au droit privé la réalité et la vie. Mais il ne faut pas croire qu’il y ait effectivement dans l’histoire une époque antérieure à la fondation de l’État, et où le droit privé ait-eu cette existence incomplète (état de nature). Chaque peuple, dès qu’il fait acte de vie, est déjà constitué comme État, quelle qu’en soit d’ailleurs la forme. Cet état de nature est donc une hypothèse que crée notre esprit, lorsqu’il considère le peuple, abstraction faite de l’État.

Les rapports des individus avec le droit général reçoivent de l’État leur réalité et leur complément. Le droit est l’expression de l’esprit commun de la nation (§ 7, 8), et par conséquent de sa volonté, qui est aussi la volonté de tous les individus. Mais chaque individu peut, en vertu de sa liberté, agir contre l’idée et la volonté manifestées par lui comme membre de la nation. Cette contradiction est l’injustice ou la violation du droit, qui doit être réprimée si l’on veut conserver au droit son empire et son existence. Pour que cette répression ne soit pas l’effet du hasard, pour qu’elle s’exécute d’une manière régulière et certaine, il faut l’intervention de l’État. C’est dans l’État seulement que les règles du droit peuvent être opposées aux individus, comme quelque chose d’extérieur et d’objectif, et, sous ce nouveau rapport, la violation du droit, toujours possible à la liberté individuelle, se trouve enchaînée et absorbée par la volonté générale.

L’État a encore une influence décisive sur la formation du droit privé, non-seulement sur son contenu, j’en parlerai plus bas, mais sur les limites dans lesquelles cette formation s’opère. En effet, la communauté nationale, concentrée dans un seul État, a bien plus d’action et de puissance qu’elle n’en pourrait avoir si elle s’étendait à plusieurs États, même d’une origine commune ; car mille obstacles en relâcheraient les liens. L’unité de l’État n’exclut même pas l’établissement de certains droits particuliers (§ 8), dès qu’ils ne portent pas atteinte aux caractères essentiels de son unité. Mais ici il ne faut pas attribuer à l’État une influence exagérée et exclusive de tous autres rapports. Au moyen âge, par exemple, après la chute de l’empire d’Occident, on trouve divers Etats germaniques composés à la fois de Germains et de Romains. Dans ces divers États, les sujets romains suivaient tous le même droit romain, les sujets germains des droits germaniques à peu près semblables ; et cette communauté de droits, plus ou moins parfaite, subsistait toujours, malgré la division des États.

Pour ne pas laisser incomplète la classification des droits qui existent concurremment dans les limites de l’État, j’ai quelque chose à ajouter ici. Sans mettre des bornes à la création du droit, sans prétendre que l’État n’ait d’autre fonction que de protéger le droit, on peut dire que sa première mission, et la plus indispensable, est de traduire le droit en caractères visibles et d’en assurer l’autorité, ce qui comprend deux ordres d’action : Io L’État doit protection à l’individu attaqué dans son droit, et l’on appelle procédure civile les règles qu’enfante cet ordre d’action ; 2o indépendamment de tout intérêt privé, l’État doit maintenir le droit lui-même et en réprimer la violation. Il y parvient au moyen des peines, et ici, dans le domaine plus restreint du droit, la volonté humaine imite la loi d’expiation morale, qui plane dans une sphère plus élevée[10].

Les règles qui dominent cette action sont comprises sous le nom de droit criminel, dont la procédure criminelle ne forme qu’une partie[11]. Ainsi, la procédure civile, le droit criminel et la procédure criminelle, rentrent dans le droit politique. Ce point de vue était celui des Romains, et si l’on s’en est écarté dans les temps modernes, cela tient à cette circonstance, que souvent la pratique du droit criminel a été confiée aux magistrats chargés de soutenir le droit privé, et la réunion de ces deux fonctions dans les mêmes mains leur a donné un certain caractère de ressemblance. Quant à la procédure civile, l’action de l’État se trouve tellement liée aux droits des particuliers, que dans la réalité il est impossible de les séparer complétement ; mais cela ne change rien à la nature essentielle de ces différentes parties du droit. Aussi, pour embrasser à la fois ce double point de vue, a-t-on coutume, et non sans raison, de substituer à l’expression de droit politique l’expression plus générale de droit public, qui se trouve comprendre la procédure civile et le droit criminel, et c’est celle dont je me servirai désormais.

Le droit public est encore en contact avec le droit ecclésiastique. Humainement parlant, l’Église, considérée comme communauté, comme corporation, pourrait appartenir à la fois au droit public et au droit privé, et être comprise dans leur domaine. Mais son empire sur l’homme intérieur repousse une pareille assimilation. L’histoire nous montre que l’Église et son droit ont, suivant les époques, occupé dans l’État une place bien différente. Chez les Romains, le jus sacrum faisait partie du droit public et était réglé par l’État[12]. Le christianisme, à cause de son universalité, ne saurait être soumis à une direction purement nationale : l’Église, au moyen âge, voulut s’élever au-dessus des États et les dominer pour nous, nous devons considérer les diverses Eglises chrétiennes comme existant à côté de l’État, mais ayant avec lui une foule de points de contact et de rapports intimes. Dès lors, le droit ecclésiastique nous apparaît comme un droit spécial à la fois indépendant du droit public et du droit privé.

§ X. Divergence des opinions sur la formation de l’État.

La théorie qui précède, sur la nature et l’origine de l’État, est loin d’être généralement admise. D’abord, on a souvent supposé des réunions d’hommes, indéterminées et indépendantes de l’unité nationale. Mais cette opinion tombe devant ce seul fait, qu’à toutes les époques ce sont les peuples qui constituent les États, et que partout nous trouvons un peuple qui en forme la base. On a essayé quelquefois dans les États à esclaves de l’Amérique, par exemple, de réunir de grandes masses d’hommes, sans égard à leur origine. Mais ces essais ont eu des conséquences funestes, et l’organisation de l’État a rencontré des obstacles insurmontables. J’opposerai donc aux partisans de cette opinion que, dans l’origine et d’après la nature même des choses, tous les États ont été formés au sein du peuple, par le peuple et pour le peuple.

D’autres nous représentent la création de l’État comme un acte des volontés individuelles, comme l’effet d’un contrat, système dont les conséquences sont aussi pernicieuses que fausses. Ainsi, on suppose que, si les individus ont trouvé bon de former un État, ils auraient pu aussi bien n’en pas former du tout ou s’incorporer à un autre État, ou bien enfin adopter une autre constitution. Sans rappeler ici ce que j’ai dit de l’unité naturelle des peuples et de ses conséquences nécessaires, je remarquerai seulement que là où une pareille convention est possible, l’État existe infailliblement et de fait et de droit ; dès lors, il ne s’agit plus de sa composition première, mais de sa décomposition. Ce système erroné repose sur une double méprise. Les nombreuses variétés que présente l’organisation des États, c’est-à-dire l’élément historique et individuel, ont été regardées comme autant d’actes arbitraires de la volonté humaine. Ensuite, on a confondu constamment, et souvent sans s’en apercevoir, les diverses significations du mot générique peuple. Ainsi, on entend par peuple : Io cette unité naturelle au sein de laquelle l’État prend naissance et se perpétue de générations en générations là il ne peut être question de volonté ni de choix ; 2o la réunion des contemporains que l’État renferme à une époque déterminée ; 3o la réunion des individus étrangers au pouvoir, c’est-à-dire les gouvernés sans les gouvernants ; 4o dans les républiques, l’ancienne Rome par exemple, l’assemblée des citoyens, organisée par la constitution et où résidait la souveraineté. La confusion de toutes ces idées a conduit à attribuer à l’ensemble des gouvernés, tant le droit idéal du peuple considéré comme unité naturelle [1] que les privilèges du populus romain [4], et à placer ainsi la souveraineté entre les mains des sujets. Si même, sans faire ce dernier pas, on attribue la souveraineté à la réunion de tous les individus contemporains gouvernants et gouvernés [2], on n’arrive pas à un résultat plus vrai. D’abord l’État ne se compose pas de tous les individus pris par tête, mais de certaines catégories que crée la constitution. En effet, ce n’est jamais la totalité des individus qui veut et qui agit, et si l’on en retranche nécessairement le plus grand nombre, les femmes et les mineurs, on est réduit à la vaine fiction de la représentation. Enfin, la réunion de tous les individus contemporains ne formerait pas encore le peuple ; car le peuple, considéré sous ce point de vue, se continue dans l’avenir et a une existence impérissable (§ 8).

Il y a pourtant dans l’opinion que je combats un élément de vérité. Le hasard et la volonté arbitraire de l’homme exercent leur influence sur la formation des États : souvent la conquête a déplacé les frontières naturelles, démembré les peuples et rompu leur unité. Souvent aussi l’État s’assimile un élément étranger ; mais cette assimilation ne s’opère que par degrés et d’après certaines lois naturelles, une unité fortement constituée, avec laquelle le nouvel élément ait une relation intime. De semblables événements, quoique fréquents dans l’histoire, n’en sont pas moins des anomalies. Le peuple et son développement organique demeurent toujours comme la base et l’origine naturelle et régulière de l’État. Si, au milieu de ce travail, les événements extérieurs lui apportent un élément étranger, un peuple sain et vigoureux peut l’absorber par son énergie morale, sinon un état maladif est le résultat de cette lutte. Ainsi s’explique comment ce qui fut dans l’origine injustice et violence, soumis à cette puissance d’assimilation, peut, en se transformant, devenir un élément légitime de l’État. Mais présenter ces anomalies, ces épreuves que doit subir la force morale, comme l’origine véritable des États, recourir à cette opinion aventureuse comme unique refuge contre la doctrine dangereuse d’un contrat social[13], voilà ce qu’il faut absolument rejeter ; car on ne sait en vérité si le remède ne serait pas pire que le mal.

§ XI. Droit international.

Si l’on cherche le rapport des peuples et des Etats entre eux, on trouve précisément celui qui existerait entre un certain nombre d’individus de différentes nations, que le hasard aurait réunis. Si tous étaient des hommes civilisés et animés de bonnes intentions, ils appliqueraient dans cette société accidentelle les idées de droit qu’ils avaient antérieurement, et se créeraient ainsi un droit nouveau plus ou moins imité, plus ou moins emprunté. Des États indépendants peuvent aussi, dans leurs relations mutuelles, appliquer leurs droits particuliers dans la mesure des convenances et de leur intérêt, sans que cela constitue un droit. Mais il peut exister entre plusieurs nations une communauté d’idées semblable à celle qui crée le droit positif de chaque peuple. Cette communauté d’idées, fondée sur des rapports d’origine ou de croyances religieuses, constitue le droit international, tel que nous le voyons chez les peuples chrétiens de l’Europe, droit qui n’était pas inconnu aux peuples de l’antiquité et que nous retrouvons chez les Romains sous le nom de jus feciale. On peut donc considérer le droit international comme un droit positif, mais comme un droit positif imparfait, d’abord à cause de l’indétermination de son contenu, et parce qu’ensuite il lui manque cette base réelle sur laquelle repose le droit positif de chaque peuple, la puissance de l’État et surtout l’autorité judiciaire (§ 9).

Les progrès de la civilisation fondée par le christianisme nous ont conduit à observer un droit analogue dans nos relations avec tous les peuples du monde, quelle que soit leur croyance et sans réciprocité de leur part. Mais l’application de ces principes a un caractère purement moral et rien qui ressemble à un droit positif.

§ XII. Droit coutumier.
G. F. Puchta, das Gewohnheitsrecht, B. 1, 2. Erlangen, 1828, 1837. 8.

Le droit du peuple qui se développe d’une manière invisible, et dont on ne peut rapporter l’origine à un fait extérieur, ou à une époque déterminée, a été reconnu de tout temps. Mais la reconnaissance de ce droit est en quelque sorte demeurée stérile, parce qu’on lui assignait un objet trop restreint, et qu’on s’était fait une idée fausse de sa nature. Le premier point ne peut être éclairci que quand j’aurai parlé de la législation ; et l’erreur sur la nature du droit du peuple tient à la dénomination de droit coutumier qu’on lui donne quelquefois.

L’expression de droit coutumier peut donner lieu à une suite de fausses inductions. Ainsi, on peut s’imaginer que, dans l’origine, la solution d’une question de droit fut abandonnée, comme chose indifférente, à l’arbitraire et au hasard ; que le même cas se représentant, au lieu de chercher une solution nouvelle, on trouva plus facile d’adopter la première, et que cette méthode, une fois introduite, parut de jour en jour plus naturelle. Telle solution qui d’abord n’avait pas plus de chance d’être adoptée que la solution contraire devint règle de droit au bout d’un certain temps, et c’est ainsi que la coutume seule a engendré le droit.

Si l’on examine la véritable base de tout droit positif, on trouve un ordre de principes et de conséquences bien différent. La base du droit positif a son existence et sa réalité dans la conscience générale du peuple. Mais cette conscience, invisible de sa nature, à quoi la reconnaîtrons-nous ? Nous la reconnaîtrons aux actes extérieurs qui la manifestent, aux usages, aux mœurs, aux coutumes. Une suite d’actes uniformes trahit une source commune, la croyance du peuple ; et rien ne ressemble moins au hasard et à l’arbitraire. Ainsi donc, la coutume n’engendre pas le droit positif, elle est le signe auquel on le reconnaît.

Il y a néanmoins dans l’opinion que je réfute un côté de vérité qu’il s’agit seulement de réduire à sa juste valeur. En effet, si les principes fondamentaux du droit positif qui vivent dans la croyance du peuple ne peuvent jamais être méconnus, la réalité des principes secondaires est moins évidente ; pour en avoir une conscience nette et distincte, le peuple lui-même a besoin de les voir souvent appliqués[14], et ce besoin se fait d’autant plus sentir chez un peuple, que la force créatrice du droit s’y développe avec moins d’énergie. J’ajouterai que certaines parties du droit positif offrent un caractère d’indétermination qui demande à être fixé par une règle quelconque. Telles sont les dispositions exprimant un nombre dont les limites extrêmes laissent toujours un champ assez large à l’arbitraire, les règles sur les prescriptions, par exemple, ou celles relatives à la forme extérieure des actes. Dans de semblables cas, nos jugements et nos déterminations antérieures deviennent pour nous des autorités, et, en ce sens, la coutume est un des éléments du droit : ici agit la loi de continuité des opinions, des actes, des circonstances, loi qui exerce encore une grande influence sur diverses matières du droit[15].

Cette réaction de la coutume sur le droit n’a un caractère d’infériorité que parce qu’on se représente l’adoption d’une coutume comme un acte irréfléchi et déterminé par des circonstances purement accidentelles. Mais si cette adoption est le résultat d’une délibération de l’intelligence, il n’y a là rien qui porte atteinte à la dignité du droit. Quoique l’expression de droit coutumier, considérée sous cette double face, ait aussi sa légitimité, cependant on doit souhaiter de voir restreindre son domaine, à cause des nombreuses erreurs mêlées à son origine et qu’il nous a transmises. La coutume une fois reconnue comme signe du droit positif, et comme un des éléments qui concourent à la formation du droit, deux classes de faits se placent en première ligne, à cause de leur importance et de leur fécondité : ce sont les formes symboliques rapportées par l’histoire du droit, et les jugements des tribunaux populaires[16]. Les unes traduisent en caractères visibles le sens des institutions ; les autres, appelés à régler un conflit entre des prétentions rivales, déterminent nécessairement le droit avec une précision rigoureuse.

Quand je dis que l’application du droit est un signe de son existence, cela doit s’entendre d’un signé médiat, seulement nécessaire à ceux qui le considèrent d’une manière extérieure, et sans appartenir à la communauté au sein de laquelle le droit trouve son origine et son développement (§ 7, 8). Pour les membres de cette communauté, le droit existe indépendamment de son application : c’est une réalité dont ils ont directement conscience (§ 30).

§ XIII. Législation.

Quand le droit positif aurait atteint le plus haut degré d’évidence et de certitude, on pourrait encore chercher à s’y soustraire par ignorance ou par mauvais vouloir. Il peut donc être nécessaire de lui donner un signe extérieur qui le mette au-dessus de toutes les opinions individuelles, et facilite la répression de l’injustice. Le droit positif, traduit par la langue en caractères sensibles, revêtu d’une autorité absolue s’appelle loi, et la confection de la loi est un des plus nobles attributs du pouvoir suprême de l’État. La législation peut avoir pour objet le droit public aussi bien que le droit privé, mais c’est surtout dans ses rapports avec le droit privé que je la considère.

Si l’on se demande quel est le sujet de la loi, on trouve ce sujet déterminé par la nature même du pouvoir législatif, c’est le droit populaire déjà existant : en d’autres termes, la loi est l’expression du droit populaire. Pour en douter, il faudrait se figurer le législateur comme en dehors de la nation ; mais, au contraire, placé au centre de la nation, il en réfléchit l’esprit, les opinions, les besoins, et doit être regardé comme le véritable représentant de l’esprit national. Et qu’on ne croie pas que cette position dépende de la forme donnée au pouvoir législatif par la constitution politique de l’État. Que la loi soit faite par le prince, par un sénat, par une assemblée élective, ou par le concours de ces divers pouvoirs, il n’y a rien là qui change essentiellement les rapports du législateur et du peuple ; et c’est une erreur, déjà signalée plus haut, de croire que, pour représenter l’esprit de la nation, la loi doive nécessairement émaner d’une assemblée élective.

La doctrine que je viens d’exposer sur la nature et le sujet de la loi a été souvent mal comprise. On a cru qu’elle assignait au législateur un rôle secondaire au-dessous de sa dignité, et qu’elle condamnait tacitement la législation entière comme inutile et même comme dangereuse. Je réfuterai cette erreur en montrant l’influence réelle exercée par la législation sur la formation du droit, et toute l’étendue de cette influence légitime, influence qui se manifeste sous un double point de vue, car la législation complète le droit positif, et l’aide dans son développement progressif. Je rappellerai ici ce que j’ai dit plus haut (§ 12), au sujet du droit coutumier. Quelle que soit la certitude des principes fondamentaux du droit positif, une foule de détails peuvent rester indéterminés, surtout chez un peuple dont l’activité ne s’est pas tournée de préférence vers la formation du droit. Ainsi, pour toutes les règles qui laissent une place assez large à l’arbitraire, celles par exemple qui fixent des délais, le droit populaire a besoin d’un complément ; et quoique ce complément puisse venir de la coutume, la législation l’offre d’une manière plus prompte et plus sûre.

La législation a une action plus grande encore sur le développement progressif du droit. Lorsque le changement des meurs, des opinions, des besoins, exige le changement du droit, ou que la marche du temps appelle des institutions nouvelles, ces nouveaux éléments peuvent être fournis par la force invisible qui a créé le droit positif. Mais ici surtout l’intervention du législateur se montre bienfaisante et même indispensable. Comme les diverses causes dont j’ai parlé n’agissent que lentement et par degrés, il y a nécessairement une époque de transition, où le droit est incertain, et c’est cette incertitude que la loi est appelée à faire cesser. D’un autre côté, les diverses institutions du droit s’enchaînent et réagissent les unes sur les autres ; chaque principe nouveau peut donc, sans qu’on s’en aperçoive, contredire d’autres principes d’ailleurs non contestés. Pour aplanir ces difficultés, il faut des réflexions, des combinaisons, qui ne peuvent guère venir que d’une action personnelle[17]

Ces principes acquièrent un nouveau degré d’évidence, quand le droit qu’il s’agit de modifier est fixé par une loi. La force cachée, qui travaille sans relâche à la formation du droit, se trouve alors enchaînée par l’autorité inhérente aux textes, ou gênée d’une manière fâcheuse[18] ; enfin, nous voyons dans l’histoire de tous les peuples des époques où les circonstances s’opposent à ce que le droit sorte, comme dans les temps primitifs, de la conscience commune de la nation (§ 7) ; alors le législateur s’empare de ce travail qui ne peut demeurer interrompu. Jamais ce changement ne s’est opéré d’une manière plus visible et plus soudaine que sous Constantin, et, à partir de son règne, le droit ne fut plus continué que par les lois nombreuses des empereurs.

D’après les explications qui précèdent, on voit que la législation n’est nullement inférieure au droit populaire pur, c’est-à-dire non formulé par une loi. Mais ce serait une erreur non moins grande de croire que le droit populaire soit uniquement destiné à combler les lacunes accidentelles de la législation, et qu’il doive disparaître du moment que l’on écrit les lois, car il s’ensuivrait nécessairement qu’une loi ne pourrait être abrogée par un usage contraire. Si donc l’on place ces deux formes du droit sur la même ligne, on ne voit pas pourquoi une circonstance accidentelle, l’adoption d’un principe par la législation, viendrait enchaîner le droit populaire et arrêter son action. Jusqu’ici je ne me suis occupé que du contenu de la loi, il me reste à parler de sa forme. La forme de la loi est déterminée par la nature même du pouvoir dont elle émane, et par l’autorité absolue dont elle est revêtue. Rien ne répond mieux à son origine et à son objet que la forme abstraite de la règle et du commandement. Tout ce que l’on pourrait y joindre, expositions, développements propres à opérer la conviction, est étranger à la loi et rentre dans une autre sphère d’idées. Il y a ici défaut de proportion entre la loi et l’institution de droit, dont la nature organique ne peut être épuisée par une règle abstraite. Néanmoins, pour faire une bonne loi, le législateur doit saisir dans son ensemble la nature organique de l’institution, et, par un procédé artificiel, en tirer la prescription abstraite de la loi. De même le juge, par une opération inverse, doit recomposer l’ensemble organique dont la loi ne montre qu’une seule face. Mais quand la loi se borne à aider le développement du droit et à en combler les lacunes, ce défaut de proportion et la nécessité d’y suppléer par un procédé artificiel deviennent moindres, car ces lacunes ont un caractère de particularité et d’abstraction qui se prête à la forme abstraite de la loi.

§ XIV. Droit scientifique.

La marché naturelle de la civilisation amenant la division du travail et des connaissances, la société se partage en différentes classes où chacune tourne son activité vers un but spécial. Ainsi le droit, qui d’abord vivait dans la conscience du peuple, par suite des nouveaux rapports que crée la vie réelle, prend un tel développement, que sa connaissance cesse d’être accessible à tous les membres de la nation. Alors se forme une classe spéciale, celle des jurisconsultes, qui, dans le domaine du droit, représentent le peuple dont ils font partie. Ce n’est là qu’une forme nouvelle sous laquelle le droit populaire poursuit son développement, et dès lors il a une double vie. Ses principes fondamentaux subsistent toujours dans la conscience de la nation, mais leur détermination rigoureuse et les applications de détail appartiennent aux jurisconsultes.

Les formes extérieures que revêt l’activité des jurisconsultes sont l’image de l’établissement progressif de cette classe. D’abord on les voit donner des conseils dans certains cas spéciaux, concourir à la décision d’un procès[19], indiquer les formes nécessaires à la solennité d’un acte, et leurs premiers essais littéraires sont ordinairement des recueils de formules, et des instructions toutes pratiques sur les formalités requises pour la confection des actes solennels. Peu à peu leurs travaux prennent un caractère plus noble. La science commence à naître, à avoir sa théorie et sa pratique : sa théorie, dans les doctrines exposées par les livres et les communications orales ; sa pratique, dans les décisions des tribunaux qui diffèrent des anciens jugements populaires par l’instruction scientifique des magistrats et les traditions qui s’établissent au sein de collèges permanents. Ainsi donc, les jurisconsultes exercent sur le droit une double action : l’une créatrice et directe, car, réunissant en eux presque toute l’activité intellectuelle de la nation, ils continuent le droit comme ses représentants ; l’autre purement scientifique, car ils s’emparent du droit, quelle que soit son origine, pour le recomposer et le traduire sous une forme logique. Cette dernière fonction des jurisconsultes nous les montre comme dans une position de dépendance, et agissant sur une matière donnée. Mais la forme scientifique qu’ils lui impriment, tendant sans cesse à développer et à compléter son unité, réagit sur le droit lui-même, lui donne une nouvelle vie organique, et la science devient un nouvel élément constitutif du droit. On voit au premier coup d’œil l’utilité et l’importance de cette réaction de la science sur le droit, mais elle a aussi ses dangers. Très-anciennement, les jurisconsultes romains composèrent, pour l’accomplissement de certains actes juridiques, des axiomes de droit (on en trouve plusieurs dans Gaius), qui, transmis par la tradition, conservèrent longtemps leur autorité. Mais ces jurisconsultes et Justinien, qui emprunte leurs expressions[20], nous avertissent de ne pas nous attacher trop servilement à ces axiomes, de ne pas les regarder comme le fondement du droit[21], mais comme de simples tentatives de résumer le droit, d’en concentrer les résultats. Dans les temps modernes, cette réaction de la forme est bien plus étendue, bien plus variée, bien plus puissante ; et tel est le danger des codes complets. Ils fixent le droit à l’état où il se trouve, ils l’immobilisent, et le privent des améliorations successives qu’amènent naturellement les progrès de la science.

Si l’on examine les rapports de la classe des jurisconsultes avec la législation, on en trouve de plus d’un genre. D’abord le droit, élaboré par eux, est, comme le droit populaire primitif, la matière de la législation ; ensuite leurs connaissances spéciales ont sur la législation plusieurs degrés d’influence. Ce sont eux encore qui remanient les lois, et les font passer dans la vie réelle. La liberté et la variété des formes qu’ils emploient leur permettent de montrer l’identité existant entre la règle abstraite et l’institution vivante du droit ; identité qui donne naissance à la loi, mais qui n’y est pas immédiatement visible (§ 13). Ainsi les travaux de la science facilitent l’application de la loi et en assurent l’empire.

On voit donc que les jurisconsultes ont sur le droit positif une influence très-étendue. Ceux qui repoussent cette influence comme une injuste prétention seraient fondés dans leur critique si les jurisconsultes formaient une caste inaccessible à tous. Mais comme chacun peut devenir jurisconsulte, en faisant les études nécessaires, leur prétention se réduit à dire que celui qui consacre au droit le travail de sa vie entière pourra, par ses connaissances, avoir sur le droit plus d’influence qu’un autre.

Le droit qui dérive de cette source, je l’appelle droit scientifique ; d’autres l’appellent droit des jurisconsultes.

Quand j’indique le développement intellectuel comme condition du droit scientifique, il ne faut pas entendre par là un haut degré de culture souvent un simple commencement suffit, et l’on ne doit pas s’attendre à trouver là-dessus des délimitations bien rigoureuses. Une observation plus importante, c’est que, dans un état de civilisation peu avancé, le droit scientifique peut naître quand la constitution politique attribue la connaissance presque exclusive du droit à une certaine classe de citoyens. Ainsi nous voyons, à Rome, une auctoritas prudentium dans un temps où il n’y avait pas encore la moindre trace de besoins scientifiques. Cette autorité se rattache à la fois aux connaissances spéciales des pontifes et aux privilèges des patriciens[22].

§ XV. Des sources du droit dans leur ensemble ; nature et origine de leur contenu.

De l’exposition qui précède, il résulte que, dans l’origine, tout droit positif est droit populaire, qu’à côté de ce droit populaire, et souvent de très-bonne heure, la législation vient se placer comme complément et garantie. Si les progrès de la civilisation font naître le droit scientifique, alors le droit populaire a deux organes, qui tous deux vivent de leur propre vie. Si, par la suite des temps, la force créatrice du droit vient à se retirer du peuple, c’est dans ces organes qu’elle continue de subsister. Alors le droit populaire primitif disparaît, pour ainsi dire, car ses parties les plus importantes ayant passé dans la législation ou dans la science ne sont plus visibles que sous ces formes. Comme le droit populaire peut se trouver ainsi caché par la loi et la science, au sein desquelles il poursuit sa durée, sa véritable origine peut être aisément oubliée et méconnue[23]. La législation surtout, par son autorité extérieure, a une telle prépondérance, qu’on est facilement conduit à la regarder comme la seule source proprement dite du droit, et à ne voir dans tout le reste que des compléments secondaires. Mais le droit n’est dans son état normal que là où règne un concours harmonieux entre ces diverses forces créatrices du droit, là où aucune ne s’isole des autres, et pour que la science et la législation, dont l’origine est essentiellement individuelle, ne marchent pas au hasard, il importe que le législateur et les jurisconsultes aient des idées saines sur l’origine du droit positif et sur le rapport des diverses forces qui le constituent.

Cette relation intime de la législation et de la science avec le droit populaire qui leur sert de base nous conduit à examiner plus attentivement la nature et le contenu de ce droit. Nous y trouvons deux éléments, l’un individuel et particulier à chaque peuple, l’autre général et fondé sur la nature commune de l’humanité. Ces deux éléments sont reconnus scientifiquement par l’histoire et la philosophie du droit. Parmi les auteurs qui se sont occupés d’approfondir la nature du droit, plusieurs le considèrent comme une idée absolue, sans s’embarrasser des formes qu’il revêt dans son application réelle, et de l’influence de ces formes. Ceux même qui ont pris la réalité du droit pour objet de leurs travaux, en ne reconnaissant qu’un seul de ces deux éléments, ont été conduits à des vues exclusives et incomplètes. Ainsi les uns, regardant le contenu du droit comme chose indifférente et accidentelle, se contentent de constater les faits, et les autres font planer au-dessus du droit positif un droit absolu et normal, que tous les peuples pourraient adopter et substituer à leur droit. Ceux-ci réduisent le droit à une abstraction sans vie, ceux-là méconnaissent la dignité de sa vocation. On évite ce double écueil en assignant au droit un but général, que chaque peuple est appelé à réaliser historiquement. Si les débats animés auxquels cette discussion a donné lieu ont mis la vérité dans tout son jour, souvent aussi un des deux éléments a été sacrifié dans la chaleur de la discussion ; car on ne saurait nier qu’au milieu d’une recherche consacrée en apparence aux détails on ne puisse montrer l’intelligence de l’ensemble et le sens plus élevé des institutions du droit, de même qu’une recherche générale peut être animée par la compréhension de la vie historique des peuples. Si, mettant de côté tout ce qui tient à l’esprit de parti, chose vaine et périssable, on examine la marche scientifique de notre temps, on reconnaîtra avec satisfaction que les opinions contraires tendent à se rapprocher, et que nous sommes en voie de progrès.

Le but général du droit sort de la loi morale de l’homme sous le point de vue chrétien. Car le christianisme ne se pose pas seulement comme règle de nos actions ; en fait il a modifié l’humanité, et il se retrouve au fond de toutes nos idées, de celles même qui semblent lui être le plus étrangères et le plus hostiles. Reconnaître ce but général au droit n’est pas le transporter dans une sphère plus vaste et le dépouiller de son indépendance : le droit est un élément spécial qui concourt à la fin commune, et règne sans partage dans l’étendue de son domaine ; le rattacher ainsi à l’universalité des choses, c’est seulement lui donner une vérité plus haute. Ce but suffit au droit, et il est inutile de lui en ajouter un second tout différent sous le nom de bien public, et de placer à côté d’un principe de morale un principe d’économie politique. En effet, l’économie politique, cherchant à étendre notre empire sur la nature extérieure, ne peut que vouloir multiplier et ennoblir les moyens qui conduisent à l’accomplissement de la destinée morale de l’homme ; mais cela ne constitue pas un but nouveau.

Si l’on considère sous ce point de vue la création du droit chez les différents peuples, on voit que le plus souvent ces deux éléments n’ont rien qui diffère, et qu’ils agissent comme deux forces identiques. Quelquefois aussi ils se trouvent opposés l’un à l’autre, se combattent et se limitent mutuellement, pour se réunir plus tard dans une unité supérieure. Au milieu de cette opposition se montre l’élément spécial ou national ; et toutes les conséquences logiques qui en dérivent nous apparaissent comme la lettre du droit (jus strictum, ratio juris)[24]. En cela, le droit est borné et restreint, mais il a la faculté de s’agrandir en adoptant les principes généraux conformes à sa nature.

D’un autre côté, l’élément général nous apparaît sous divers aspects, et là surtout où agit la nature morale du droit. Ainsi, la dignité morale et la liberté, communes à tous les hommes, le développement de cette liberté par les institutions du droit, toutes les conséquences pratiques dérivant de ces institutions, ce que les auteurs modernes appellent la nature des choses (æquitas ou naturalis ratio), sont autant de manifestations immédiates et directes de l’élément général. L’élément général nous apparaît encore, indirectement et mélangé : Io dans ce qui tient à la morale en dehors du domaine du droit (boni mores), et, depuis Constantin, dans ce qui tient aux principes de l’Église ; 2o dans ce qui touche à l’intérêt de l’État (publica utilitas, quod reipublicæ interest) ; 3o dans les précautions naturelles prises en faveur des particuliers (ratio utilitatis), par exemple, les garanties données au commerce, la protection contre certains dangers accordée à certaines classes, les femmes et les mineurs. D’après cet examen, on peut établir les classifications suivantes. Le droit est pur et sans mélange (strictum jus, æquitas), ou bien il se combine avec d’autres principes étrangers à son domaine, mais qui concourent à la même fin (boni mores et tous les genres d’utilitas).

L’existence des deux éléments du droit positif une fois reconnue, l’élément général et l’élément individuel, une nouvelle carrière s’ouvre pour la législation. En effet, comme les progrès du droit tiennent à l’action réciproque de ces deux éléments, le législateur doit avoir devant les yeux le but général et s’en rapprocher constamment, sans néanmoins porter atteinte à l’énergie de la vie individuelle, Dans cette voie se présentent bien des lacunes à combler, bien des obstacles à aplanir, et l’autorité législative peut prêter la plus heureuse assistance à l’action insensible de l’esprit populaire. Mais on ne saurait trop se mettre en garde contre l’arbitraire et les vues exclusives, de peur d’étouffer la vie et les progrès du droit. Là surtout il faut que le législateur ait l’intelligence de la liberté véritable, et voilà souvent ce qui manque le plus à ceux qui ont toujours à la bouche le nom de la liberté.

§ XVI. Droit absolu. Droit supplétif. Droit normal. Droit anomal.

Les parties constitutives du droit objectif nous présentent un contraste qui doit être étudié ici, à cause des influences nombreuses qu’il exerce sur les matières dont je vais traiter.

Si l’on considère la relation existant entre les règles de droit et les rapports de droit qu’elles dominent (§ 5), on trouve à ces règles un double caractère. Les unes commandent d’une manière nécessaire et invariable sans laisser de place aux volontés individuelles : ces règles, je les appelle absolues ou impératives. Leur caractère de nécessité peut tenir à l’organisme du droit lui-même, ou à des intérêts politiques, ou enfin à la morale (§ 15). D’autres, au contraire, laissent un champ libre aux volontés individuelles, et quand elles ont négligé de s’expliquer, alors seulement se présente la règle pour déterminer le rapport de droit. Ces règles destinées à suppléer l’expression incomplète des volontés individuelles, je les appelle droit supplétif. Cette distinction a été formellement reconnue par les jurisconsultes romains, Pour désigner les règles de la première espèce, ils emploient ordinairement les expressions suivantes : jus publicum[25], jus[26], jus commune[27], juris forma[28]. Souvent aussi ils indiquent le motif de ces règles absolues, l’intérêt de l’État[29] ou les bonnes mœurs[30].

Quant aux règles de la seconde espèce, dont la nature est surtout déterminée par leur opposition à celles de la première espèce, ils ne les désignent. pas avec des termes aussi précis[31]. Les auteurs modernes reproduisent la même idée, quand ils disent que la loi commande, défend ou permet[32] ; mais ils ont tort de n’employer ces classifications que pour les lois, car elles existent également pour le droit coutumier. Ensuite la distinction entre les lois impératives et les lois prohibitives n’est établie que sur la forme affirmative ou négative employée par le législateur, circonstance en elle-même indifférente, et qui ne peut fonder une classification ; enfin, il n’est pas exact de dire que la loi permet : elle supplée une volonté incomplète ; cette permission ne pourrait se rapporter qu’à une défense antérieure que la loi lèverait ou restreindrait en partie. On range ordinairement dans cette troisième classe de lois celles qui permettent quelque chose à une certaine classe de personnes, et qui, par conséquent, nient une incapacité.

Parmi les expressions techniques ci-dessus mentionnées, il en est une qui mérite un examen particulier à cause des nombreuses méprises auxquelles ses différentes significations ont donné lieu, c’est celle de jus publicum. Publicum est en général synonyme de populicum, ce qui se rapporte au peuple. D’abord, populus peut désigner le populus romanus, comme on le trouve fréquemment, ou le populus d’une ville déterminée[33]. Ensuite, publicum peut concerner le populus pris dans son ensemble : ex., ager publicus, bonorum publicatio, etc., ou tous les membres du peuple pris isolément, par exemple, les res publicæ dont tous les particuliers ont l’usage[34]. Quant à l’expression jus publicum, elle peut désigner des rapports très-différents du jus au populus. Ainsi, publicum jus peut désigner le droit public, c’est-à-dire les règles de droit qui ont le peuple pour objet (§ 9, a), les règles du droit en général (le droit objectif) qui tirent leur origine du consentement du peuple (§ 7, 8)[35] ; enfin, les règles du droit privé auxquelles le peuple à un intérêt (publice interest, publica utilitas) ; et qui ne sauraient être changées par les volontés individuelles ; en d’autres termes, les règles absolues(note a). Non-seulement jus publicum s’applique aux règles du droit (au droit objectif), mais encore aux droits des particuliers (au droit subjectif.) Ainsi, on appelle jus publicum le droit de tous à la jouissance des fleuves et des routes[36], et publica jura, les droits particuliers aux sénateurs comme membres du sénat, aux citoyens comme membres de l’assemblée du peuple, etc.[37]. L’analogie que présentent les diverses acceptions de ce mot les a souvent fait confondre et a donné lieu à de graves méprises[38].

Les règles du droit diffèrent encore par la nature de leur origine ; car elles peuvent sortir du domaine du droit proprement dit (jus ou æquitas) ou d’un domaine étranger (§ 15). Or, ces éléments étrangers qui s’introduisent dans le droit altèrent la pureté de ses principes et vont par là même contra rationem juris[39]. Voilà ce que j’appelle droit anomal. Les Romains l’appelaient jus singulare et lui donnaient pour base une utilitas ou une necessitas différente du droit[40]. Le droit qui sort du domaine propre du droit, je l’appelle droit normal. Les Romains ne lui donnent ordinairement aucune désignation particulière, cependant ils l’appellent quelquefois jus commune[41]. L’expression qu’ils emploient le plus souvent à l’occasion du jus singulare est celle de privilegium. Ainsi, il y a des privilèges pour les testaments militaires[42], pour certaines classes de personnes exemptes de la tutelle[43], pour divers créanciers favorisés en cas de faillite[44], par exemple, le fisc, les mineurs, les femmes mariées qui réclament leur dot, etc., c’est-à-dire les créanciers dont la plupart obtinrent dans la suite la faveur encore plus grande d’un gage tacite[45]. Dans tous ces cas, privilegium a précisément le sens de jus singulare.

Si l’on cherche à approfondir le caractère de ce jus singulare, on voit que c’est un droit purement positif qui, le plus souvent, a été créé par la volonté du législateur[46] ; quelquefois aussi il tient à d’anciennes coutumes nationales, et alors son origine est indéterminée. Je citerai, comme exemple, la défense des donations entre époux, qui tient à des considérations morales, et non à un principe de droit[47]. — Ensuite, le droit anormal est au droit normal comme l’exception est à la règle ; mais ce rapport purement logique ne touche pas à l’essence des choses. — Enfin, le droit anomal, et c’est une conséquence de son caractère exceptionnel, nous apparaît comme restreint à certaines classes de personnes, de choses ou d’affaires. Mais ce rapport est indéterminé, car ces classes ne présentent aucune idée fixe ; ainsi, le droit sur la vente ne s’applique qu’aux vendeurs et aux acheteurs. En outre, ce rapport, comme son caractère exceptionnel, est un rapport secondaire, et ce serait se tromper que d’y voir le signe distinctif du jus singulare. En effet, si cette proposition était vraie, on pourrait la renverser et dire que tout droit qui concerne une certaine classe de personnes ou de choses est un jus singulare, ce que l’on ne saurait admettre. Ainsi, l’usucapion de trois ans, restreinte par Justinien aux choses mobiliaires, n’est nullement un jus singulare ; le privilège accordé au pupille pour l’actio tutelæ est un jus singulare, son incapacité n’en est pas un ; le sénatus-consulte Velléien est un jus singulare de la femme, son habilité exclusive à contracter mariage avec l’homme n’en est pas un. La limitation d’un droit à une certaine classe de personnes n’est donc pas ce qui constitue un jus singulare. — Lorsque l’on établit un jus singulare pour une certaine classe de personnes, il ne s’agit pas, comme dans le droit normal (æquitas), d’établir une règle commune à tous les intéressés, mais, en vertu d’un principe d’utilité étranger au droit, de constituer pour cette classe un avantage ou un préjudice. Dans le premier cas, le plus ordinaire, le jus singulare s’appelle aussi beneficium[48]. Comme exemples du second cas, on peut citer les prescriptions du nouveau droit romain relatives aux hérétiques et aux juifs. — D’après ce qui précède, on voit que le jus singulare a un caractère général, et non historique. Cependant il peut revêtir ce dernier caractère, si le principe étranger au droit finit par y être assimilé, et si ce qui d’abord était utilitas devient ratio juris par la suite des temps. C’est ce qui arriva, sans doute, pour le moyen d’acquérir par l’intermédiaire des personnes libres, et c’est ainsi qu’il faut entendre les singularia du prêt[49].

Ce qui a jeté beaucoup de confusion sur cette matière, c’est que l’on a confondu le jus singulare avec ce que l’on appelle aujourd’hui privilèges, c’est-à-dire l’exemption des règles du droit accordée à certaines personnes par le pouvoir suprême de l’État. Pour éclaircir ce sujet, il faut examiner les choses elles-mêmes indépendamment de la phraséologie[50]. Ces exemptions individuelles ne font pas, en général, partie du droit commun, et, dès lors, diffèrent entièrement du jus singulare, sinon que, comme lui, ce sont des exceptions à la règle et qu’elles sont établies par l’autorité législative. Mais cette dernière ressemblance est purement accidentelle ; car les privilèges résultent quelquefois des contrats. — Je passe à l’examen de la phraséologie. Dans les premiers temps de l’antiquité, les exceptions individuelles s’appelaient effectivement privilegia[51]. Dans les sources du droit que nous possédons, privilegium désigne ordinairement le jus singulare, et se trouve, comme je l’ai déjà dit, dans une foule de textes. Quant aux exceptions individuelles, les sources du droit en font rarement mention, et alors, au lieu d’employer une expression technique, elles les désignent par une circonlocution[52], ou bien par ces mots :

personales constitutiones, privata privilegia[53].

CHAPITRE III.

sources du droit romain actuel.


§ XVII. A. Lois.

En appliquant au droit romain actuel, qui est l’objet direct de cet ouvrage (§ 1-3), ce que j’ai dit (§ 4-16) sur les sources du droit en général, j’ai à déterminer quelle place occupent parmi les sources du droit romain actuel la législation, le droit coutumier et le droit scientifique.

Comme législation, se présentent d’abord les quatre parties composant le droit Justinien, et connues sous le nom de corpus juris, c’est-à-dire les Institutes, le Digeste, le Code et les diverses Novelles postérieures aux trois premiers recueils[54], mais toujours dans les limites et sous la forme que leur a données l’école de Bologne. En effet, c’est sous cette forme que le droit romain est devenu droit commun de l’Europe ; et lorsque, quatre siècles plus tard, d’autres sources vinrent successivement s’y ajouter, le corpus juris de l’école de Bologne était reçu si universellement et depuis si longtemps ; son autorité, comme base de la pratique, était si bien établie que les nouvelles découvertes restèrent dans le domaine de la science, et ne servirent qu’à la théorie du droit. C’est par le même motif que le droit Anté-Justinien est exclu de la pratique, et cette exclusion n’a jamais été contestée. Il serait déraisonnable de ne pas appliquer aux sources mêmes du droit Justinien les conséquences de ce principe. Ainsi, l’on doit exclure de la pratique les textes grecs du Digeste, auxquels l’école de Bologne a substitué une traduction latine, les restitutions peu nombreuses du Digeste et les restitutions beaucoup plus importantes du Code. Ainsi, encore parmi les trois recueils de Novelles que nous possédons actuellement[55], on ne doit reconnaître que l’Authenticum, d’après lequel a été fait l’extrait de l’école de Bologne, connu sous le nom de Vulgate[56]. Comme conséquence. inverse du même principe, il faut admettre les additions faites au Code par l’école de Bologne, c’est-à-dire les Authentiques des empereurs Frédéric Ier et Frédéric II, et les Authentiques beaucoup plus nombreuses d’Irnerius[57].

Mais c’est au choix des sources que se borne l’influence directe de l’école de Bologne. Ainsi, il ne faut pas y chercher un corps de doctrines. exclusives, travail qui n’a jamais été réalisé, et qui même n’entrait pas dans son esprit[58]. Quant à la critique des textes, quoique les glossateurs aient réuni leurs efforts sur cet objet, jamais ils n’ont donné un texte incontesté, auquel on ait pu être tenté d’attribuer une autorité exclusive[59].

Mais il importe bien davantage de déterminer dans les sources mêmes généralement reconnues quelles matières sont encore en vigueur. Ainsi, sans parler du droit public, qui de nos jours n’a plus d’application (§ 1), plusieurs matières du droit privé sont entièrement rejetées dans la pratique moderne, par exemple, tout ce qui se rapporte à l’esclavage, au colonat, à la stipulation. Cette exclusion ne doit pas être attribuée à l’école de Bologne, elle tient à l’influence que le droit coutumier et la science exercent sur la législation. Au reste, cette exclusion n’a pas été prononcée tout d’abord et d’un consentement unanime : c’est à la critique de la science qu’il a été donné, dans les temps modernes, de repousser les fausses applications du droit romain, souvent tentées autrefois. Ainsi, les glossateurs étaient très-portés à méconnaître ses limites naturelles, comme on le voit aux efforts qu’ils firent du temps de Frédéric Ier, pour donner à l’autorité impériale une base plus solide en l’appuyant sur le droit romain.

Ce que je viens de dire sur l’autorité législative du droit romain a trouvé des contradicteurs ; ainsi, on a soutenu que les parties du corpus juris non glosées, c’est-à-dire les textes restitués, devaient être également reçues dans la pratique. Quoique rejetée comme une erreur évidente par la plupart des auteurs qui ont écrit sur la théorie et sur la pratique du droit[60], cette opinion a néanmoins ses partisans. Quelques-uns même sont allés jusqu’à donner force de loi aux Novelles de l’empereur Léon VI[61], sans considérer qu’au commencement du dixième siècle la domination des empereurs grecs en Italie avait cessé depuis longtemps, et que dès lors manque toute voie de communication, semblable à celle qui a fait parvenir jusqu’à nous la législation Justinienne. D’autres admettent les textes restitués du droit Justinien, ou du moins quelques-uns de ces textes, ou regardent leur autorité comme un sujet de controverse[62]. Cette opinion a plus d’apparence de vérité. En effet, on pourrait prétendre que si l’on reconnaissait force de loi aux éditions glosées, depuis que ces éditions ont été abandonnées et remplacées par d’autres, celle de Godefroy, par exemple, on doit accorder au texte de ces dernières une semblable autorité. Mais la question n’a jamais tenu à ces circonstances extérieures et accidentelles, car le choix des textes avait été fait et leur autorité exclusive reconnue bien avant la découverte de l’imprimerie, et bien avant qu’il y ait eu à choisir entre les éditions. Néanmoins on peut toujours soutenir que le seizième siècle, époque de la plupart des restitutions, était aussi apte que les siècles précédents à recevoir de nouveaux textes et également habile à leur donner force législative. Mais la reconnaissance d’un texte comme loi est un fait qui s’accomplit au grand jour et repose sur de puissants motifs, comme on le reconnaît aisément. Si, par exemple, le Digeste était demeuré incomplet, et que l’Infortiatum n’eût été découvert qu’au seizième siècle, on n’aurait sans doute pas manqué de lui donner force de loi. Mais il n’y avait pas de motif pour sanctionner les textes isolés restitués au seizième siècle, et dont les dispositions étaient équivoques ou tout à fait à rejeter ; aussi n’a-t-on jamais proposé de les reconnaître tous. Il reste donc seulement à savoir si quelques-uns de ces textes ne mériteraient pas, par leur sagesse, d’obtenir force de loi ; question qui s’est élevée pour la L. 4 au Code, de in jus vocando. Cette loi, restituée par Cujas, frappe de déchéance toute demande qui, pendante à un tribunal, est portée devant d’autres juges. Cette loi a été citée dans un jugement d’un tribunal de l’Empire comme servant de base à une peine comminatoire[63]. Si cette application n’est pas une erreur d’un tribunal, qui n’avait pas le privilège de l’infaillibilité[64], il faudra en conclure que les juges impériaux accueillaient volontiers une loi tendant à augmenter l’éclat de leur juridiction suprême, mais non que ce principe ait passé dans le droit commun de l’Allemagne. On a dit, et cela est complétement erroné, que le tribunal suprême palatin avait appliqué la L. 12 (restituée), C. de œdificiis privatis (VIII, 10), tandis que les motifs de son jugement nient formellement l’autorité de cette loi[65].

Si, par les motifs que je viens d’exposer, les textes restitués n’ont pas d’autorité législative, on n’en doit pas moins reconnaître leur autorité scientifique, et la science a aussi son influence. sur la pratique du droit ; de même que les textes sur les matières tombées en désuétude, l’esclavage, par exemple, et les sources du droit anté-justinien rentrent dans le domaine de la science. Mais les textes restitués, par la nature même de leur objet, n’y occupent qu’une place secondaire. Gaius et Ulpien éclairent certaines parties du Digeste, qui sans eux seraient demeurées obscures ; les textes restitués, au contraire, renferment quelques changements législatifs, sans jeter aucune lumière sur le reste du droit, et il s’agit uniquement de savoir si l’on doit ou non adopter, dans la pratique, les innovations particulières qu’ils contiennent ; par exemple, au sujet de la 229 C. de fide instrumentorum, si celui qui est partie dans un procès peut ou non demander qu’un tiers lui communique ses titres ; au sujet des Novelles 121 et 138, de quelle manière les intérêts excédant le double du capital doivent être calculés. Le droit antérieur est indépendant de ces nouvelles règles, et n’en devient pas plus clair. Souvent aussi il arrive qu’une question de droit sur laquelle le Digeste renferme des textes contradictoires est tranchée par une Novelle non glosée de Justinien. Si cette Novelle n’a pas force de loi, elle a du moins une grande autorité, et les auteurs qui ont écrit sur la pratique du droit attachent avec raison beaucoup d’importance aux Novelles non glosées[66].

Si donc il existe quelques décisions judiciaires où des textes restitués du droit Justinien aient été appliqués comme loi, ces décisions isolées sont en trop petit nombre pour renverser ou même affaiblir le principe que j’ai posé plus haut, principe reconnu de tout temps en théorie et en pratique.

Indépendamment du droit romain, nous avons encore à nous occuper du droit canon, en tant qu’il a modifié ou complété des institutions du droit romain. Le droit canon, aussi bien que le droit romain, a été reconnu comme droit commun de l’Europe. Mais les seuls recueils dont l’autorité législative soit incontestable sont le décret de Gratien, les décrétales de Grégoire IX, le Sextus et les Clémentines[67]

Si enfin on considère spécialement le droit romain actuel comme le droit commun de l’Allemagne, il ne faut pas oublier les lois de l’Empire qui ont modifié certaines parties du droit privé romain. Mais ces modifications sont beaucoup moins importantes que celles introduites par le droit canon.

§ XVIII. B. Droit coutumier.

J’ai traité (§ 7, 12) de la nature du droit du peuple, ou droit coutumier, je vais montrer quelle place ce droit occupe parmi les sources du droit romain actuel.

Quand Justinien parvint à l’empire, le droit populaire n’existait plus depuis longtemps sous sa forme primitive. Ses parties les plus importantes avaient, du temps de la république, passé dans les décrets du peuple ou dans les édits. La littérature du droit s’était emparée du reste, qui dès lors figure comme droit scientifique. À l’époque de la décadence de la littérature, la nation n’avait plus cette énergie morale que demande la création du droit ; ou, si par hasard les circonstances extérieures appelaient une institution nouvelle, la législation impériale suffisait pour lui donner une forme déterminée[68]. On ne saurait donc s’imaginer l’ancien droit coutumier subsistant comme droit commun à côté des recueils de Justinien ; car toutes ses créations importantes avaient nécessairement trouvé place dans le Digeste ou dans le Code ; mais la législation générale n’empêchait sans doute pas le droit coutumier local de régler certains détails ; et il ne nous est pas permis de hasarder même une conjecture sur la valeur et l’étendue de ce droit. — Sous les successeurs de Justinien, les mêmes circonstances durent entretenir le même état de choses, d’autant plus que sa législation était la dernière grande tentative de ce genre, et que la force créatrice du droit allait toujours s’affaiblissant.

L’Europe se trouvait dans une position bien différente quand au moyen âge le droit romain s’introduisit chez des nations au sein desquelles. il n’était pas né. Ces nations étaient organisées de manière à rendre difficile l’existence d’un droit coutumier général, capable de modifier et de compléter un droit d’origine étrangère. Cependant plusieurs circonstances favorisaient le droit coutumier. L’adoption d’une législation étrangère créait une foule de rapports artificiels qu’il fallait régler par de nouvelles institutions subsidiaires. Une législation intelligente et active pouvait sans doute satisfaire ces besoins ; mais étant incompatible avec le caractère des gouvernements. d’alors, il fallut bien recourir au droit coutumier, dont la jeunesse et l’énergie du peuple secondaient le développement. La manière spéciale dont ce besoin s’était fait sentir donnait à ce droit un caractère particulier. Au lieu de sortir de la conscience commune de la nation, il revêtit tout d’abord le caractère d’un droit scientifique, comme je le montrerai bientôt (§ 19).

La manifestation la plus remarquable d’un droit coutumier général, dans les temps modernes, est l’adoption même du droit romain dans les limites déterminées plus haut (§ 17). Mais cette adoption eut une signification différente chez les différents peuples de l’Europe, et les changements qu’elle apporta dans le domaine du droit devaient se faire sentir d’une manière très-diverse. En Italie, où le droit Justinien n’avait jamais cessé d’exister, il prit seulement une vie nouvelle, et les limites de son application furent plus rigoureusement posées. En France, le droit romain n’avait jamais disparu complétement ; mais la forme particulière du droit Justinien y était toute nouvelle. En Allemagne, l’adoption du droit Justinien dut être beaucoup plus sensible ; car le droit romain était là un élément entièrement neuf, jusqu’alors inconnu, mais approprié aux nouveaux besoins de la civilisation naissante, ce qui nous donne la raison suffisante de son introduction. L’Allemagne ne reçut le droit romain qu’après une lutte longue et animée, qui fit ressortir encore mieux l’influence du droit coutumier. — La manière dont le droit romain fut reçu et circonscrit dans de certaines limites (§ 17) mérite surtout notre attention ; car on y voit l’œuvre d’une volonté réfléchie et intelligente, et non le produit d’un simple hasard. Ce ne fut pas d’ailleurs un fait instantané et subit, mais un travail lent et progressif, notamment pour ce qui touche l’exclusion d’une partie importante du droit romain. Ce grand spectacle d’un droit coutumier général, s’établissant chez plusieurs nations, quoiqu’à des époques différentes, nous révèle l’esprit de la civilisation moderne. En voyant ces nations adopter dans son ensemble un droit né chez un peuple étranger avec lequel plusieurs n’avaient pas même de communauté d’origine, on reconnaît que les peuples modernes ne sont pas appelés comme ceux de l’antiquité à une nationalité profondément distincte, mais que la religion chrétienne les unit par un lien invisible, sans néanmoins effacer les traits essentiels du caractère national[69]. Telle est la loi du développement des temps modernes, dont le dernier but est encore caché à nos yeux.

À côté du droit coutumier général, se place toujours, dans les temps modernes, un droit coutumier local, dont les limites sont plus étroites et dont la formation, comme autrefois chez les Romains, rencontre moins d’obstacles. Ainsi restreint, ce droit pouvait être un véritable droit populaire engendré par les croyances communes du peuple, sans le secours de la science. Dans ce droit, les anciennes idées germaniques sur la propriété territoriale (fiefs, biens héréditaires, biens roturiers) se sont combinées de mille manières avec l’ensemble du droit de succession. Ces rapports, qui s’étendent au delà de la vie humaine, sont intimement liés à la manière de vivre, aux diverses conditions et aux mœurs de chaque peuple.

De même on voit dans les villes la communauté d’intérêts créer pour les corporations de commerçants et d’artisans un droit coutumier spécial qui, par suite de la communauté de biens, sous mille formes diverses, modifie le droit de succession. Néanmoins, il reste encore ici une place assez large à l’application du droit romain. Les coutumes locales exercent moins d’action sur les institutions d’origine romaine, dont elles ont seulement modifié quelques-unes par suite de besoins renouvelés tous les jours ; par exemple, ce qui touche le droit de bâtir entre voisins, la location des immeubles et les serviteurs à gages.

Ainsi donc les coutumes locales ont toujours eu beaucoup d’influence sur les institutions d’origine germanique, et moins sur la transformation du droit romain[70].

Ce double droit coutumier, l’un général, l’autre local, qui modifie la législation, n’est pas seulement une source du droit pour le passé, il embrasse aussi l’avenir.

Le droit coutumier, envisagé dans cette application particulière, a précisément les mêmes caractères que nous avons reconnus au droit coutumier en général. Il est produit par la communauté des convictions, non par la volonté des individus, dont les actes ne font que manifester cette communauté d’idées. Les mœurs, les usages que nous appelons proprement coutumes ne sont donc pas le fondement du droit, mais des signes auxquels on le reconnaît. Si maintenant on considère la coutume et la loi quant à leur puissance, il faut mettre ces deux sources du droit sur la même ligne. Le droit coutumier peut compléter, modifier ou abolir la loi (§ 13) ; il peut également créer une règle nouvelle, et la substituer à la loi qu’il abroge[71].

§ XIX. C. Droit scientifique.

Dans l’ancienne Rome, le droit populaire, conjointement avec la législation, avait eu d’importantes manifestations longtemps avant qu’il fût question d’un droit scientifique ; mais après que l’esprit scientifique se fut éveillé dans la nation, il dut se tourner aussi vers le droit, qui lui offrait un sujet à la fois noble et national. La classe des jurisconsultes devint presque l’unique représentant du droit populaire, dont la force créatrice apparaissait rarement sous sa forme primitive. Quoique la science du droit fut un des organes de la vie scientifique répandue dans toute la nation, elle eut néanmoins un mode de développement à part. Elle parvint plus tard que les autres sciences à cette maturité qui l’attendait chez les Romains ; et quand elle atteignit son plus haut point de perfection, la décadence avait déjà commencé pour les sciences et pour les arts. Cette circonstance fut d’un grand avantage pour la science du droit. Grâce à la lenteur de son développement, elle atteignit cette profondeur et cette originalité qui devaient fonder son influence sur les peuples étrangers et les siècles à venir ; influence refusée aux Romains dans toutes les autres parties du domaine de la science.

Si la science du droit dut son origine à l’activité de l’esprit scientifique de la nation, la marche naturelle de son développement ne fut jamais troublée par aucune cause étrangère ou accidentelle, et voilà ce qui distingue l’histoire du droit chez les Romains de celle de tous les autres peuples. La manière dont les jurisconsultes romains agissaient sur la formation du droit est difficile à déterminer avec exactitude, à cause de la propension que nous avons à appliquer nos idées modernes à une époque si différente de la nôtre. Chez les Romains, les jurisconsultes avaient une position très-élevée, à cause de l’exercice entièrement libre et bienveillant de leurs fonctions, à cause de leur petit nombre, et aussi de leur naissance. Réunis dans la capitale du monde, ils vivaient avec les préteurs, plus tard avec l’empereur, exerçant sur eux une action continuelle et irrésistible. Les opinions qu’ils adoptaient devaient influer sur les progrès du droit, et chacun d’eux, celui surtout que distinguait la supériorité de son esprit, devait avoir une large part de cette autorité invisible. De nos jours, on appelle jurisconsulte quiconque a étudié le droit pour devenir magistrat, avocat, auteur ou professeur, c’est-à-dire presque toujours en vue d’une fonction salariée. Ces jurisconsultes sont très-nombreux, et répandus dans toute l’Allemagne ; ils forment une société fort mêlée, où le mérite est très-inégalement réparti. Leur influence sur le droit doit donc être moins directe et moins personnelle. Il faut un long temps pour qu’une opinion prenne un caractère de généralité ; et si parfois un principe ou une doctrine vient à passer dans la législation, et à agir ainsi sur le droit, le hasard doit y être pour beaucoup.

L’état des choses était bien différent de celui de l’ancienne Rome quand, au moyen âge, le droit romain fut adopté par la plupart des peuples de l’Europe. Cette adoption donna au droit un caractère scientifique (§ 18) ; et les connaissances nécessaires pour résoudre les difficultés qu’offrait son application ne pouvaient être communes à tous. De ce besoin naquirent pour le droit une école et une littérature, qui n’étaient pas appelées par l’état général de la culture intellectuelle[72]. Au moyen âge, comme dans l’ancienne Rome, la science du droit eut donc un développement différent de celui des autres sciences, mais différent en sens inverse. Dans l’ancienne Rome, la science du droit fut la dernière à atteindre sa perfection ; au moyen âge, elle se développa bien avant que l’esprit scientifique se fût éveillé dans la nation. L’isolement où elle se trouva pendant de longues années rendit son existence très-difficile, et condamna plusieurs de ses parties à une imperfection inévitable. Mais l’énergie des efforts que durent soutenir les glossateurs donne à leurs travaux une dignité noble et sérieuse, et les résultats qu’ils obtinrent, malgré une position si difficile, ont encore aujourd’hui droit à notre admiration[73].

Ainsi donc le droit populaire, à moins qu’il ne fût renfermé dans un cercle très-étroit, se trouva dès l’origine identifié au droit scientifique, et les besoins pratiques, pour avoir satisfaction, durent être traduits par la science (§ 18). Ainsi la science du droit prit un caractère original, et chez les jurisconsultes la théorie se trouva intimement liée à la pratique, de même que souvent l’influence de la pratique a sauvé la théorie d’une décadence complète[74]. Pendant les siècles suivants, la science a été cultivée d’une manière bien inégale, a subi bien des vicissitudes ; mais l’influence exercée par la science sur la formation du droit est toujours restée dans les mêmes conditions qu’au moyen âge. Les travaux dont le droit romain a été l’objet depuis son adoption sont d’une étendue si immense et d’une nature si variée qu’il convient de les soumettre à un examen spécial pour savoir en quel sens nous devons les considérer comme source du droit, et quel usage nous en devons faire. On peut les diviser en deux grandes classes, selon qu’ils traitent de la théorie ou de la pratique. Mais comme ces expressions sont souvent opposées l’une à l’autre dans un sens très-différent, il importe d’en déterminer les sens avec plus d’exactitude.

Sous le nom de théorie, je comprends tous les travaux qui ont trait à l’établissement des textes, ou à leur interprétation, ou à leur mise en œuvre comme système de droit. Tout cela ne crée pas un droit nouveau, et ne sert qu’à éclairer le droit déjà existant : aussi ces travaux ne sont pas au nombre des sources du droit proprement dites, mais l’autorité dont ils jouissent leur donne un caractère à peu près semblable. En effet, quoique chacun soit libre de critiquer ces travaux, quoique l’unanimité des auteurs n’ôte à personne l’indépendance de son jugement, il y a néanmoins, parmi les fonctionnaires chargés d’appliquer le droit, une classe nombreuse et respectable qui, sans être au-dessous de leur office, sont incapables de juger une doctrine nouvelle, et de se former une opinion par eux-mêmes. Rien donc de plus naturel et même de plus désirable que de voir ces fonctionnaires suivre exclusivement l’opinion des auteurs, non dans l’intérêt de leur commodité, mais dans l’intérêt même de la sûreté du droit. Elle serait fort compromise si le juge qui n’a pu faire des études approfondies voulait avoir une opinion personnelle sur chaque question de droit, et il est très-probable que sa décision se ressentirait de l’insuffisance de ses éléments. Le juge court néanmoins un danger, celui de se laisser entraîner trop facilement par l’apparence d’une doctrine nouvelle, au détriment de la justice[75]. Mais si parmi les magistrats se trouve un véritable jurisconsulte, sans doute il a bien le droit d’appliquer à l’administration de la justice la sagesse et la maturité de ses convictions.

Mais à quel signe reconnaître la présence de cette bienfaisante autorité ? Là-dessus il est impossible de formuler une règle précise. Le nombre des auteurs d’accord sur un principe ne saurait entrer en considération, et il s’agit bien moins encore de compter les voix pour ou contre une opinion controversée. Il faut que tous les jurisconsultes ayant une réputation de sagesse et de science soient unanimes sur une opinion, et que nul d’entre eux n’ait à élever contre elle une objection grave et fondée. La nouvelle opinion doit donc avoir été pendant un certain temps l’objet de l’attention publique, sans qu’ici l’on pense à fixer un nombre déterminé d’années. En ce sens, on peut ranger un ouvrage théorique parmi les sources du droit ; car on lui reconnaît une origine certaine et légitime. Je citerai comme exemple la doctrine sur les deux degrés de fautes, qui, de nos jours, a obtenu l’assentiment universel dont avait joui si longtemps la doctrine des trois degrés. D’après ce qui précède, on voit que cette autorité ne fonde jamais rien d’une manière invariable et définitive ; car des recherches plus profondes peuvent toujours modifier la science, et les nouvelles doctrines sont tout aussi légitimes que les anciennes.
§ XX. C. Droit scientifique. Suite.

Sous le nom de pratique je comprends les recherches qui n’ont pas seulement pour objet le contenu des sources, mais leurs rapports avec la réalité du droit, c’est-à-dire tout ce qui touche son application immédiate et les besoins du temps. La forme sous laquelle se produit cette recherche, l’enseignement oral, un livre ou une décision judiciaire, est une chose indifférente ou du moins secondaire. Dans tous les cas, cette recherche est organe du droit coutumier et partie du droit scientifique ; car les décisions rendues par des juges instruits, et surtout par des collèges permanents, ont toujours un caractère scientifique (§ 14). Là se reproduit l’identité du droit coutumier et du droit scientifique ; identité que j’ai donnée comme signe caractéristique des temps modernes. Je range dans la même classe les ouvrages dogmatiques qui traitent spécialement de la pratique, et les recueils de consultations et de jugements, soit qu’ils émanent d’un jurisconsulte, ou d’un collège de juges, ou de magistrats supérieurs. Quand je distingue deux genres d’ouvrages dogmatiques, les uns théoriques et les autres pratiques, je ne prétends pas dire que ces deux genres soient nécessairement distincts on peut les retrouver dans le même ouvrage, également ou inégalement répartis.

La question que j’ai posée pour la théorie se représente ici pour la pratique. — À quel signe peut-on reconnaître sa bonté, sa légitimité ? Cette question est d’une plus haute importance encore, et mérite un examen particulier.

Si l’on soumet un procès à un homme qui n’ait pas étudié le droit, il prononcera d’après une vue confuse de l’affaire dans son ensemble ; et peut-être, s’il joint à du bon sens un caractère décidé, se croira-t-il très-sûr de son fait.

Ce serait un grand hasard si une autre personne, placée dans les mêmes conditions, rendait un jugement semblable ou diamétralement opposé. C’est à la science à particulariser le rapport de droit, à discerner les règles qui le dominent, et à lever ainsi toutes les incertitudes qui obscurcissent les éléments de décision. En cela surtout se montre la supériorité des jurisconsultes romains. Sans doute ils étaient aidés par une terminologie rigoureuse et par les distinctions précises établies entre les diverses actions. Mais il ne faut pas attribuer au hasard ces circonstances favorables ; elles tenaient à l’heureuse aptitude du peuple romain pour la formation du droit. Cet avantage nous manque, et celui plus grand encore de posséder un droit original né avec la nation, et se développant avec elle ; mais nous avons le même problème à résoudre, et les moyens de solution ne nous manquent pas.

Si l’on examine sans prévention les modifications apportées par la pratique de nos devanciers aux institutions d’origine romaine, on y reconnaît deux caractères très-différents. Les unes sont rationnelles, c’est-à-dire qu’elles tiennent aux nouveaux besoins de la civilisation moderne, aux changements apportés dans l’administration de la justice, et surtout aux idées morales créées par le christianisme. D’après les principes que j’ai posés plus haut, on doit reconnaître à ces modifications la force et l’autorité d’un droit coutumier scientifiquement établi. Si quelques jurisconsultes ont voulu, à tort, faire sortir ces principes du droit romain, leur erreur ne porte aucune atteinte à la vérité de ces principes ; seulement, nous ne devons pas croire que ces fausses déductions n’aient été qu’un prétexte pour colorer leurs doctrines. Ces jurisconsultes se trompaient de bonne foi, et, dans de semblables cas, nous devons approfondir le véritable sens du droit romain, non pour nous en tenir à ses principes, mais pour mieux apprécier la nature et l’étendue du changement. D’autres modifications, au contraire, sont le résultat d’une simple méprise, le produit d’une science incomplète. Ce sont là des erreurs que nous devons démasquer et poursuivre, sans qu’elles puissent se retrancher derrière une longue et paisible possession. Le plus souvent, d’ailleurs, elles reposent sur une contradiction, sur un raisonnement vicieux, dont la fausseté se prouve logiquement. Tout ce qui porte ce caractère n’a que l’apparence de la pratique ; c’est une mauvaise théorie, qui toujours doit céder à une théorie meilleure[76].

La distinction critique de ces modifications apportées au droit romain n’a jamais été tentée ; car, ordinairement, on se contente d’invoquer l’autorité de tels ou tels praticiens, pour ou contre l’application actuelle d’un principe, et, en cette matière, il est tout à fait impossible de poser une règle générale. C’est un travail et une critique de détails entrepris sans que nous sachions si, plus tard, nous pourrons en tirer des principes généraux. La réfutation des erreurs de la pratique forme un des principaux objets de cet ouvrage ; et si la solution du problème reste incomplète, son immense difficulté me servira d’excuse. Considérée sous un autre point de vue, la question peut se poser de la manière suivante : Distinguer dans le droit romain les parties d’où la vie s’est retirée de celles qui subsistent encore et doivent toujours subsister. — La condition essentielle pour réussir dans cette entreprise est un sens droit, libre de toute prévention. Celui qui, par prédilection pour le droit romain, ne songe qu’à le rétablir dans sa pureté primitive et celui qui, prêtant ses idées à la pratique moderne, lui attribue une autorité bien éloignée de l’esprit de ses fondateurs sont l’un et l’autre également impropres à ce travail ; tous deux ont leurs superstitions : l’un considère comme encore existant un fait historiquement accompli, l’autre prend ses imaginations pour des réalités.

La partie de la pratique que je regarde comme un élément sain du droit a une importance bien plus haute que les travaux scientifiques. Non-seulement elle forme une autorité respectable, mais elle est partie essentielle et constitutive du nouveau droit. Cependant il ne faut pas lui reconnaître une existence absolue et immuable ; non que la théorie puisse la condamner comme s’éloignant des sources ; car elle subsiste à titre de véritable droit coutumier, mais elle peut être abolie par les mêmes voies qu’elle a été fondée.

L’influence de la pratique a été souvent comprise d’une manière différente. Ainsi on a dit qu’un tribunal, après avoir rendu plusieurs décisions uniformes, était enchaîné par ces décisions, et tenu de suivre la même règle à l’avenir[77]. Cette assertion a son côté de vérité ; car les jugements antérieurs d’un tribunal sont pour lui-même une autorité, et il est plus digne et plus utile de les suivre que de les changer légèrement. Ici, comme pour toutes les coutumes, agit la loi de continuité, dont j’ai déjà signalé les effets (§ 12. a). Mais, si un examen sérieux et approfondi vient à faire découvrir des arguments jusque-là inconnus, l’abandon de la règle ne saurait être blâmé, et l’on ne doit pas opposer à ce changement, comme barrière insurmontable, une règle dont l’origine est tout à fait semblable à celle de la nouvelle. — L’influence exercée par les décisions des magistrats supérieurs sur les tribunaux de leur ressort, n’a pas absolument le même caractère ; car, indépendamment de leur autorité morale, ces magistrats ont le pouvoir de faire triompher leurs doctrines en réformant les sentences des juges subalternes. Lors donc que ceux-ci se conforment à la jurisprudence d’une magistrature plus élevée, ils ne cèdent pas à l’autorité ; mais ils entrent dans l’esprit du législateur, dont la sagesse a établi les divers degrés de juridiction.

Dans toute cette recherche, j’ai évité à dessein plusieurs expressions techniques, dont le sens vague et incertain a jeté beaucoup de confusion sur la matière dont je m’occupe. Je vais examiner rapidement les diverses significations que les auteurs modernes donnent à ces expressions, et montrer comment elles se rattachent aux doctrines que j’ai exposées.

Je commence par le mot jurisprudence (Gerichtsgebrauch). On appelle jurisprudence tantôt le véritable droit coutumier fondé sur une longue suite de monuments judiciaires, tantôt les décisions uniformes d’un tribunal, auxquelles on attribue force obligatoire pour l’avenir. Il serait plus convenable de n’employer jamais les mots jurisprudence et pratique que dans le premier sens, c’est-à-dire pour désigner le véritable droit coutumier consigné dans les décisions judiciaires. — Je crois devoir signaler l’abus dangereux que souvent l’en fait de ces expressions. Plusieurs, pour établir un principe sur la pratique, se contentent de quelques décisions isolées. Mais, comme les tribunaux ne sont pas plus infaillibles que les auteurs, ces décisions peuvent fort bien reposer sur une erreur de droit. Ici, comme pour les opinions des auteurs, il faut un accord de décisions plus général, et là où les jugements se contredisent il n’y a pas de jurisprudence à invoquer[78]. Je passe aux expressions observance ou usage[Trad 1], dont le sens est encore plus vague.

Souvent on réserve ces expressions pour le droit public, et alors elles ont le même sens que coutume pour le droit privé[79]. Quelquefois aussi on les applique au droit privé dans le sens de droit coutumier ; ce sont alors des mots inutiles et qu’il est mieux d’éviter[80]. Le sens le plus précis qu’on leur donne est celui de droit coutumier, mais de droit coutumier particulier, restreint à une certaine classe de personnes, par exemple aux membres d’une corporation[81]. C’est une simple modification du même sens que de désigner par là un statut tacite que cette corporation s’impose en vertu de son autonomie[82].

Mais c’est donner au mot observance une signification toute différente que de l’appliquer aux contrats tacites des membres de cette corporation[83]. Alors il faudrait mieux rejeter cette expression équivoque, pour s’en tenir au mot contrat. Si l’on examine attentivement la chose, on voit que la plupart de ceux qui emploient le mot observance y attachent l’idée de droit coutumier, et non celle de contrat : comment donc a-t-on été amené à y joindre cette dernière idée ? Cette question demande à être approfondie. Certains rapports de droit nous laissent dans l’incertitude de savoir s’ils résultent des prescriptions du droit coutumier ou d’un contrat tacite entre les parties intéressées. Ce doute, ou plutôt la perception confuse de ce sujet, a conduit naturellement à l’emploi du mot vague observance. Mais, loin de remédier au mal, l’adoption de ce mot l’a rendu irrémédiable ; car, en dissimulant le doute, on a renoncé à l’éclaircir. Je finis par l’examen de l’expression communis opinio, à laquelle on attachait autrefois une importance extraordinaire. On entendait par là une opinion des jurisconsultes tellement unanime, que nul ne pouvait se soustraire à son autorité. La gravité de ce résultat faisait chercher des règles sûres pour constater cette unanimité, comme Valentinien III en a établi par une loi[84]. C’était se jeter dans le domaine de l’arbitraire, et souvent on le reconnaît à la bizarrerie des règles. J’ai dit (§ 19) ce que signifie opinion commune, et quelle valeur on doit y attacher. Au reste, les auteurs modernes n’emploient presque plus l’expression technique de communis opinio.

§ XXI. Sources accessoires du droit.

Jusqu’ici j’ai considéré les sources du droit romain actuel comme si elles existaient seules et indépendamment de toutes autres. J’ai dû me placer à ce point de vue pour les étudier d’une manière complète et dans toute leur pureté. Mais dans aucun des pays où le droit romain a été adopté, les sources du droit n’ont eu cette existence isolée. Je dois donc examiner les autres sources avec lesquelles elles ont été en contact, et dont l’ensemble forme la réalité vivante du droit.

Dans chaque pays elles se trouvèrent tout d’abord placées en présence d’un droit national ; en Allemagne, par exemple, en présence du droit germanique ; et de même dans les autres pays, particulièrement en France. La combinaison de ces deux espèces de droits dans leur application fut toujours une matière difficile et compliquée, un problème dont la solution faisait un des objets les plus importants de la science, surtout dans sa partie pratique (§ 20).

À côté du droit étranger se plaça ensuite la législation nationale, qui, dans son cours, tantôt conciliait les deux droits, tantôt, indépendamment de ce conflit, organisait et fixait les nouveaux éléments fournis par la pratique (§ 20). Ainsi, en Allemagne, nous trouvons un droit territorial, qui tantôt embrasse tout un pays, tantôt une seule province, droit dont l’importance et l’étendue varient selon les différents. États. Parallèlement à ce droit territorial, se montre le droit commun défini (§ 2), qui partout a le caractère d’un droit supplétif, et ne s’applique que quand le droit territorial n’a pas de disposition contraire. Cela tient au besoin qu’a le droit de se développer par la législation, et la législation a précisément pour objet le développement du droit. Mais ce serait méconnaître la relation qui existe entre le droit territorial et le droit commun que de se représenter le droit territorial comme applicable à la plupart des difficultés, et le droit commun réduit dans son application à certains cas rares et exceptionnels. Le droit commun, au contraire, a la prééminence partout où son empire est reconnu, et où il n’a pas été remplacé par de nouveaux codes.

En effet, des codes nationaux ont de nos jours complétement transformé les sources du droit dans une grande partie de l’Europe. En Prusse et en Autriche, cette transformation a été amenée. par le développement interne du droit ; en France, la raison politique y a été pour beaucoup. D’abord, la révolution avait détruit bien des institutions ; ensuite, on voulait, par l’uniformité du droit, effacer le souvenir de l’ancienne division des provinces. Ces nouveaux codes étaient appelés par le besoin interne qui avait fait naître un grand nombre de lois particulières dans divers pays. On voulait terminer le conflit des institutions romaines et des institutions germaniques, et lever les difficultés engendrées par les théories confuses et la pratique souvent incertaine des siècles antérieurs (§ 1920). Ce but ne pouvait être atteint que quand la critique, par des recherches profondes, aurait débarrassé la science de ses imperfections. Mais le législateur étant placé lui-même sous l’influence du mal auquel il voulait remédier, les améliorations ne pouvaient être qu’extérieures, accidentelles et bornées, tandis que, les erreurs fondamentales ainsi fixées par un texte, l’action continuelle et bienfaisante de la science se trouvait suspendue, ou du moins entravée.

Ces nouveaux codes se distinguent des lois particulières rendues antérieurement, par l’étendue de ce qu’ils embrassent, et par leur caractère d’exclusion. Ce sont en effet autant de systèmes complets sur l’universalité du droit. Ainsi, par exemple, quoique les rédacteurs du code prussien ne voulussent pas changer les matériaux du droit, mais les présenter sous une forme meilleure, la force organique qui est au fond de toute théorie les entraîna bientôt malgré eux au delà du but qu’ils s’étaient posé ; et si les conséquences auxquelles ils furent amenés eussent été prévues d’avance, peut-être auraient-elles inspiré de sérieuses réflexions sur la nature même de l’entreprise. — Le caractère exclusif de ces codes donna, quant à la forme, une nouvelle base au droit positif, car, les textes une fois promulgués, l’application directe du droit romain devient nécessairement impossible ; mais, quant au fond, les règles et les principes qui découlent des anciennes sources du droit continuent de subsister dans les lois nouvelles. Pour en avoir l’intelligence complète, il faut les ramener à leur origine. L’étude approfondie des anciennes sources du droit n’est donc pas devenue inutile, comme plusieurs s’en étaient vainement flattés.

Tel est le motif qui m’a fait prendre le droit romain actuel pour sujet de cet ouvrage. S’il trouve son application directe dans les pays où les anciennes sources du droit sont encore en vigueur, il sert à approfondir les codes modernes, et son étude demeure toujours la source la plus féconde pour vivifier la science et la pratique qui s’y rattache.

§ XXII. Principes des Romains sur les sources du droit en général[85]

À l’exposition qui précède de la nature des sources du droit, je vais maintenant rattacher les principes adoptés par les Romains sur cette matière. Mais, avant d’en déterminer l’autorité et la valeur, je dois les énumérer tous. Le droit canon et les lois de l’Empire ont aussi quelques rapports avec ce sujet ; mais cela se réduit à très-peu de chose, et sera convenablement placé comme appendice.

L’énumération des sources du droit, telle qu’on la trouve dans plusieurs passages des jurisconsultes romains, ne repose sur aucune idée systématique. C’est plutôt une exposition des formes extérieures du droit, sans égard à leur essence, à leur origine, ou à leur classification qui ne peut être fondée que sur les rapports et les différences de leur contenu. Cette énumération, qui d’ailleurs répond parfaitement à l’esprit pratique des Romains, servait au juge comme d’indication pour savoir où il devait chercher les moyens de résoudre une question de droit. À cette manière extérieure d’envisager la question, à ce but, était très-bien appropriée la division souvent reproduite du jus scriptum[86] et non scriptum ; expressions qu’il faut entendre littéralement, et auxquelles les Romains eux-mêmes n’attachaient pas grande importance. Ainsi, ils appelaient jus scriptum le droit dont l’origine se rattache à un texte écrit[87]. Plusieurs jurisconsultes modernes, ne se contentant pas d’une explication aussi simple, appellent jus non scriptum. le droit non promulgué, c’est-à-dire le droit coutumier, sans tenir aucun compte de l’emploi ou de l’absence de l’écriture[88]. D’autres concilient les deux opinions en donnant à ces expressions deux sens, l’un scientifique, l’autre grammatical, que chacun peut adopter suivant son gré[89].

Gaius énumère ainsi les sources du droit : lois, plébiscites, sénatus-consultes, constitutions impériales, édits, réponses des prudents[90]. Les Institutes de Justinien reproduisent la même énumération, en y ajoutant le droit non écrit[91]. Pomponius commence par faire une exposition chronologique des sources du droit, dont il résume ensuite les différentes classes : lex, prudentium interpretatio, legis actiones, plébiscites, édits, sénatus-consultes, constitutions impériales[92]. Enfin, Papinien s’accorde avec Gaius, sauf qu’il substitue, comme Pomponius, aux réponses des prudents, l’expression plus générale d’auctoritas prudentium[93]. — Les différences de ces textes tiennent à l’ordre suivi dans l’énumération des sources, à l’admission ou au rejet du droit non écrit, à la manière d’envisager le droit des jurisconsultes, et enfin à l’addition des legis actiones faite par Pomponius. Cette dernière différence s’explique aisément. Dans un résumé de l’histoire du droit, Pomponius pouvait très-bien parler d’une matière dont la mention eût été déplacée dans un ouvrage sur la pratique.

L’énumération des sources du droit se trouve encore dans plusieurs ouvrages de rhétorique. Un passage des Topiques de Cicéron se rapproche beaucoup des textes des jurisconsultes cités plus haut ; ce qui s’explique par la nature de cet ouvrage[94]. Ailleurs, on ne trouve que des spéculations systématiques sur l’origine du droit, spéculations vagues et confuses, et qui, néanmoins, s’arrêtent aux manifestations extérieures du droit[95]. La confusion est même poussée si loin, que l’on voit rangés parmi les sources les faits individuels de l’homme qui servent de base aux rapports de droit, confusion dans laquelle les jurisconsultes ne sont jamais tombés[96].

Les anciens jurisconsultes ont défini avec plus d’exactitude certaines, divisions du droit qui avaient un grand intérêt pratique. Je veux parler de ces deux divisions : jus civile et jus gentium, jus civile et jus honorarium[97]. — Voici le sens de la première. Dès que Rome eut établi des relations avec les peuples voisins, les tribunaux romains se virent obligés, indépendamment du droit national, d’appliquer et par conséquent de connaître le droit de ces peuples ; non-seulement le droit particulier à chacun d’eux, mais celui commun à plusieurs. Plus Rome étendit sa domination, plus ces relations se multiplièrent, plus leur cercle grandit, et l’on se vit ainsi naturellement amené à l’idée abstraite d’un droit commun aux Romains et à tous les peuples[98]. Cette idée, empiriquement acquise, n’était pas rigoureusement vraie, et les Romains eux-mêmes ne se trompaient pas sur la valeur de leur induction ; d’abord ils ne connaissaient pas tous les peuples, ensuite ils ne s’étaient pas curieusement enquis de savoir si chacun des principes du jus gentium était réellement admis chez tous les peuples qu’ils connaissaient. Ce caractère de généralité relative une fois admis, on dut remonter à son origine, et on la trouva dans la naturalis ratio, c’est-à-dire dans les idées de droit naturellement communes à tous les hommes[99] ; d’où sortait comme conséquence nécessaire l’immuabilité de ce droit[100]. Mais on se contentait de poser cette origine comme principe, sans en poursuivre les conséquences et soumettre chacune des règles du jus gentium à un examen rigoureux.

Si maintenant on compare le droit national des Romains au droit général, on obtient les résultats suivants. Quelques institutions et les règles qui s’y rattachent sont communes au jus gentium et au jus civile ; tels sont les contrats les plus usuels, la vente, le louage, la société, etc., la plupart des délits en tant qu’ils entraînent une réparation de dommages, la tradition comme moyen d’acquérir la propriété, et qui, d’après le droit civil, s’appliquait aux res nec mancipi, enfin l’esclavage héréditaire. — Un bien plus grand nombre d’institutions appartenaient exclusivement au droit civil : d’abord, le mariage qui, même sous sa forme la plus libre, n’était possible qu’entre citoyens romains, et soumis à des conditions rigoureusement déterminées ; puis, l’autorité paternelle qui servait de base à l’agnation ; la plupart des moyens d’acquérir la propriété, et les plus importants, la mancipation, l’usucapion, etc. ; pour les obligations, la verborum et literarum obligatio; les délits comme soumis à des peines positives ; enfin, le droit de succession. Néanmoins, le plus grand nombre de ces institutions du droit positif sont fondées sur la nature même de l’homme, et existent aussi dans le droit étranger, mais sous une autre forme. Aussi, quand Rome eut étendu ses relations avec les autres peuples, les tribunaux romains reconnurent dans la pratique les institutions du droit général correspondant aux institutions du droit civil. Ainsi, ils admirent un mariage selon le jus gentium, aussi valide que le mariage civil, quoique privé de quelques-uns de ses effets. À côté de l’agnation ils admirent une naturalis cognatio ; à côté de la propriété ex jure Quiritium, la propriété in bonis ; à côté des formes rigoureuses de la stipulation (spondes spondeo), des formes plus libres, accessibles aux étrangers. Le droit de succession, dont la nature est toute positive, résista davantage à l’influence du droit général ; c’est néanmoins à cette influence qu’il faut rapporter les extensions progressives de la succession ab intestat des cognats. — D’après ce qui précède, on voit qu’il n’y a pas d’opposition complète entre le droit national et le droit général (jus civile et jus gentium), car une grande partie du premier se retrouve dans le second[101]. D’ailleurs, cette opposition partielle devait encore diminuer par la suite des temps ; car deux systèmes de droit, incessamment en contact, appliqués par les mêmes juges, tendent naturellement à s’assimiler.

Ainsi encore s’explique d’une manière plus simple l’identité de deux expressions que j’em ploie comme synonymes : jus gentium, droit qui se retrouve chez tous les peuples connus ; jus naturale, droit fondé sur la nature générale de l’esprit humain[102]. — Cependant, de ces deux formes de la même idée, la première doit être regardée comme prédominante, car, sous le point de vue des Romains, le jus gentium, aussi bien que le jus civile, était un droit positif ayant dans l’histoire son origine et ses développements. À mesure que le peuple romain, s’assimilant les peuples conquis, perdait de son individualité, le jus gentium, mieux approprié à l’immense étendue de l’empire et au nouvel état de choses, devait croître en importance, comme nous le montre la législation Justinienne. Cette grande révolution était l’œuvre de la nécessité, et il n’y a dans son accomplissement ni arbitraire ni sagesse, rien à blâmer ou à louer, sinon que l’action lente et silencieuse de cette nécessité fut appréciée avec une justesse jusqu’alors sans exemple, et la lettre du droit mise en harmonie avec son nouvel esprit plus habilement qu’on ne devait l’attendre du sixième siècle.

Le plus grand intérêt pratique alors attaché à l’opposition des deux systèmes de droit, c’est que leur application tenait à l’état personnel des individus. Le droit civil, proprement dit, n’était fait que pour les citoyens romains ; dans la suite, on rendit communes aux Latins quelques-unes de ses institutions, mais la jouissance en fut toujours interdite aux étrangers, tandis que le jus gentium. s’étendait à tous les hommes ayant la capacité du droit. La même distinction se reproduit pour les immeubles ; ainsi, certaines parties du droit des choses s’appliquaient exclusivement, en Italie ou dans les provinces, selon qu’elles appartenaient au droit civil (ex : la mancipation, l’usucapion), ou au jus gentium ; la tradition, par exemple. Ici on peut demander comment ces distinctions se rattachent à la division du droit en droit écrit et droit non écrit. Ordinairement on ne parle du droit non écrit qu’à propos du jus civile dont il serait une subdivision. Mais cette restriction n’est pas fondée sur la réalité des choses ; et comme le jus gentium résulte de la comparaison du droit de plusieurs peuples, et qu’ainsi il ne peut être question de textes, quand même quelques-uns de ces peuples auraient des lois écrites, le jus gentium primitif, à moins que par hasard il n’eût été inséré dans l’édit, faisait, pour les Romains, partie du droit. non écrit, et nous apparaît comme une subdivision existant à côté du droit coutumier national (mores majorum). Au reste, cette idée ne se trouve exprimée dans aucun jurisconsulte, mais seulement dans Cicéron[103].

Il me reste à signaler un nouveau rapport entre les deux espèces de droits que je viens de caractériser. Comme le jus gentium, à Rome, formait un système de droit positif d’une application pratique, il dut nécessairement subir l’influence des prescriptions du jus civile. Si, par exemple, le jus civile défendait le mariage à un certain degré de parenté, le jus gentium ne l’aurait pas permis à Rome, quand bien même le droit des peuples étrangers en eût reconnu la validité[104]. De même encore, les contrats interdits par le jus civile, tels que les dettes de jeu ou les intérêts usuraires, ne donnaient pas lieu à une naturalis obligatio. Voici comment Cicéron (de part. orat., ch. 37) exprime cette action du jus civile sur le jus gentium : « atque etiam hoc imprimis, ut nostros mores legesque tueamur, quodammodo naturali jure præscriptum est. » Au reste, je n’ai pas besoin de dire que cette action du droit civil est restreinte aux règles qui ont le caractère d’un droit absolu (§ 16). Une seconde division du droit est celle du jus civile et jus honorarium [105]. Quant à ses résultats pratiques, on ne doit pas croire que le jus civile eût une autorité supérieure à celle du jus honorarium et dût lui être préféré en cas de collision ; seulement, le jus honorarium, émané d’un magistrat, se bornait à l’étendue de sa juridiction et à la durée de son exercice, tandis que le jus civile était susceptible d’embrasser tous les temps et toutes les parties de l’empire [106]. Voilà l’idée qu’expriment les mots de lex ou quod legis vicem obtinet[107] appliqués au jus civile, et ce qu’entendent les anciens jurisconsultes quand ils ont soin d’assigner ce caractère à une des sources du droit[108]. Mais cette distinction toute pratique avait une base plus profonde. Les décrets du peuple, les sénatus-consultes, les constitutions impériales créaient réellement un droit nouveau, tandis que le préteur, dans son édit, ne constituait pas le droit, il était pour cela sans qualité, seulement il déclarait comment il entendait le droit, et les principes qu’il suivrait dans l’exercice de ses fonctions. Ainsi, il y avait des règles établies ipso jure, d’autres jurisdictione, tuitione prætoris.

Cette distinction deviendra encore plus claire si on la rapproche de ce que j’ai dit précédemment. — D’abord, on voit que le jus honorarium appartient exclusivement au droit écrit, et que le jus civile rentre seul dans le droit non écrit. Le rapport du jus honorarium au jus gentium paraît moins évident. D’abord, ce serait tout à fait se tromper que de les regarder comme identiques ; l’édit du prætor urbanus contenait beaucoup de règles particulières au droit romain ensuite il admettait, en vue de l’utilitas[109], plus d’un principe contraire à la naturalis ratio (§ 15). On ne doit pas non plus considérer le jus civile et le jus honorarium comme des subdivisions du jus civile par opposition au jus gentium, car les édits provinciaux, à côté du droit local, renfermaient beaucoup de règles du jus gentium, et ce droit devait occuper en occuper encore plus de place dans l’édit du prætor peregrinus. Seulement, on peut dire que plus d’un élément général du jus gentium ayant passé dans le jus civile des Romains, cette transition s’était souvent opérée au moyen du jus honorarium. Enfin, on peut demander si le droit prétorien, en tant qu’il constitue un nouveau droit, et surtout en tant qu’il modifie le jus civile, est une loi ou une coutume. Il est maintenant reconnu que ces modifications s’accomplissaient en vertu du droit coutumier, et non de l’autorité législative du préteur (§ 25, t) ; ce serait néanmoins se tromper que de regarder le préteur comme simple rédacteur du droit coutumier. Sans doute, ses matériaux lui étaient fournis par la coutume ; mais, quant à leur mise en œuvre, aux développements et aux modifications de détail, quant aux lacunes à combler (corrigendi, supplendi juris civilis), il jouissait d’une complète indépendance[110]. Ainsi, en fait, les préteurs avaient une très-grande part à la formation du droit, mais leur renouvellement annuel replaçait cette fonction entre les mains du peuple. C’était un pouvoir populaire empreint d’un caractère d’aristocratie.

Ce que je viens de dire sur la manière dont les Romains envisageaient les sources du droit est vrai pour tout le temps où la science du droit conserva encore quelque vie. Postérieurement à cette époque, c’est-à-dire depuis les empereurs chrétiens, les idées changèrent complétement. Il n’y eut plus que deux sources du droit, les leges et le jus, c’est-à-dire les édits des empereurs et les écrits des jurisconsultes ; car ces deux formes avaient absorbé tous les anciens éléments du droit (§ 15 a). Valentinien III soumit à des règles l’autorité des auteurs devant les tribunaux (§ 26) ; mais les sources furent encore simplifiées par la législation de Justinien. Il donna force de loi à une partie de la littérature scientifique, enleva toute autorité à la partie beaucoup plus considérable qu’il rejetait, et défendit de composer à l’avenir aucun ouvrage nouveau (§ 26). Le Digeste ainsi posé, comme jus, mais comme lex, on peut dire que les sources du droit se réduisaient aux constitutions impériales, sauf une espèce de droit coutumier renfermé dans des bornes très-étroites, et dont je parlerai bientôt. — Les divisions générales du droit en jus civile et jus gentium, civile et honorarium, ne devaient plus figurer dans la législation Justinienne que comme des faits historiques ; car elles avaient perdu toute importance pratique, sinon toute application. Ainsi, en principe, il était toujours vrai que les citoyens romains pouvaient seuls contracter un mariage revêtu de tous les effets civils, exercer la puissance paternelle, faire un testament, être institués héritiers ; mais ceux auxquels on refusait ces capacités, les peregrini, n’étant plus que des étrangers, le principe avait perdu de son importance, à cause de la rareté de son application. Pour les étrangers eux-mêmes ces incapacités n’eurent plus, en réalité, le même intérêt ; car, depuis la novelle 118, les successions ab intestat furent déférées sans égard à l’agnation. — Depuis longtemps le jus honorarium n’existait plus, on n’avait donc pas à fixer géographiquement les limites de son application.

§ XXIII. Principes des Romains sur les lois. — Sources.

Ce que les sources du droit renferment sur les anciennes formes de la législation se réduit à fort peu de chose. Ce sont des lieux communs et des conseils pour le législateur assez insignifiants[111]. Sans doute les anciens jurisconsultes donnaient d’importantes notions sur la place qu’occupaient, dans le droit public, les diverses espèces de décrets du peuple, et sur l’autorité législative du sénat. Mais ces matières étaient trop étrangères au temps où vivait Justinien pour qu’il les admît dans ses recueils[112].

Les renseignements et les règles touchant la législation impériale sont plus importants et plus complets. Ce sujet trouvait encore son application sous le règne de Justinien, et de nos jours il a conservé une partie de son intérêt. Gaius et Ulpien s’accordent à dire que les constitutions ont legis vicem, parce que chaque empereur reçoit son imperium en vertu d’une lex[113], et ils distinguent trois espèces de constitutions, les édits, les décrets et les rescrits, auxquels il convient d’ajouter les mandats.

I. Édits. — Le nom de cette espèce de constitution et le droit d’en faire usage se rattachent directement aux institutions de la république. Les édits étaient des ordonnances rendues par les empereurs en vertu d’une magistrature dont ils étaient investis, ordonnances semblables aux édits que les préteurs, les proconsuls, etc., rendaient avant l’établissement de l’empire, et que longtemps encore ils continuèrent à rendre depuis son établissement. Si les empereurs différèrent d’employer les édits comme instrument pour les actes les plus importants de leur autorité suprême, cela tient à deux circonstances. D’abord ils s’efforcèrent longtemps de gouverner en conservant les anciennes formes ; puis les édits, si l’on s’en tenait rigoureusement à leurs limites, ne s’adaptaient pas bien à une législation générale. En effet, si l’empereur rendait un édit en vertu de sa tribunitia potestas, cet édit, comme l’autorité même des tribuns, ne s’appliquait pas au delà de Rome ; si l’empereur usait de sa proconsularis potestas, son édit n’avait d’autorité que dans les provinces qui lui étaient tombées en partage. Quand on se fut habitué à considérer l’empereur comme magistrat souverain de tout l’empire, alors seulement ses édits purent être reçus comme lois de l’empire ; aussi est-il digne de remarque que déjà Gaius leur attribue la legis vicem, c’est-à-dire une autorité générale ; car la circonscription dans de certaines limites était précisément ce qui distinguait les édits des leges et de ce qui legis vicem obtinet (§ 22) ; néanmoins, on trouve dès les premiers siècles un assez grand nombre d’édits impériaux d’une authenticité certaine ; mais je n’admets comme tels que ceux mentionnés dans les sources du droit ; car, lorsqu’il s’agit de l’acception précise d’un mot technique, on ne peut s’en rapporter aux historiens[114].

Les édits ayant seuls le caractère et l’autorité générale de loi, il devait y avoir des signes certains auxquels on pût les reconnaître et les distinguer des autres constitutions. Ces signes sont énumérés de la manière suivante dans une constitution de Théodose II et de Valentinien III : le nom d’edictum ou generalis lex, la communication au sénat par une oratio, la publication par les lieutenants des provinces, enfin la mention expresse que la constitution a force obligatoire pour tous. Un seul de ces signes suffit, indépendamment des autres[115] ; ainsi, un édit n’en est pas moins valide pour être rendu à l’occasion d’un procès, la constitution citée le dit expressément ; de même encore l’édit devait être connu et respecté de tous, quoiqu’il ne concernât pas tous les Romains, mais seulement une certaine classe de personnes[116] ; enfin l’édit ne perdait rien de son caractère de généralité pour être adressé spécialement au magistrat qui l’avait sollicité[117]. — Les empereurs ajoutent qu’à l’avenir ils auront recours, pour la rédaction de leurs édits, à la coopération du sénat[118], sans néanmoins faire dépendre de cette formalité l’autorité législative des édits. — Enfin, on reconnaît la nécessité de la publication, mais on n’en fixe pas le mode, seule chose qui ait de l’intérêt pour la pratique[119].

II. Décrets. C’est ainsi que l’on appelle les jugements interlocutoires et définitifs rendus par l’empereur dans l’exercice de son autorité judiciaire[120]. Attribuer aux décrets, comme aux autres constitutions, force de loi pour le cas particulier où ils sont rendus, paraît une inconséquence ; car les décrets étaient des décisions judiciaires toujours obligatoires, comme émanant du tribunal suprême de l’empire. Mais la juridiction impériale était une institution en dehors de toutes les règles, institution à laquelle les anciennes idées de judicium et res judicata ne s’appliquaient pas directement ; peut-être voulait-on exprimer que les jugements de l’empereur réglaient le point litigieux d’une manière encore plus définitive que les jugements d’un tribunal ordinaire. D’ailleurs, il n’y avait pas entre eux de différence essentielle. Ainsi les décrets, comme les jugements, ne s’appliquaient qu’à une espèce particulière, et même, les règles de droit contenues dans leur dispositif n’avaient pas force de loi pour l’avenir. Néanmoins, les règles appliquées par les décrets jouissaient d’une grande autorité, aussi les jurisconsultes en faisaient-ils des recueils[121], et souvent un seul décret servait de base à l’établissement d’un principe nouveau[122].

Justinien laissa les choses dans cet état, quant aux jugements interlocutoires ; une constitution insérée au Code le dit expressément[123] ; mais il accrut l’autorité des jugements impériaux définitifs, et il ordonna que les règles de droit, sanctionnées par eux, deviendraient lois pour tous les cas semblables[124]. La forme seule de cette ordonnance prouve qu’elle modifie le droit existant, et en établit un nouveau. Ainsi donc, quand Justinien invoque, à ce sujet, l’autorité des anciens jurisconsultes, il donne à leurs paroles un sens arbitraire ; car certainement ces jurisconsultes ne reconnaissaient force de loi aux décrets que pour l’espèce où ils étaient rendus[125]. Au reste, cette innovation pouvait se justifier, et ne prêtait pas au même abus que les rescrits. En effet, l’empereur ne pouvait être trompé par un exposé infidèle, puisque les deux parties étaient en présence, et la publicité attachée aux formes solennelles de la juridiction impériale tenait, jusqu’à un certain point, lieu de promulgation[126]. Ainsi, avant Justinien, les décrets n’avaient force de loi que pour un cas particulier, et Justinien mit au rang des lois générales les règles contenues dans les jugements définitifs.

Cette distinction que Justinien établit a été souvent mal, comprise par les jurisconsultes modernes. Quelquefois on la confond avec le principe général qu’un jugement n’a d’effet qu’entre les parties. Mais cela n’atteint que le rapport de droit particulier, et ce rapport ne reçoit ici aucune extension. Si donc l’empereur jugeait, entre deux parties, une question d’hérédité, sa décision suprême ne pouvait profiter ni préjudicier à un tiers. Quelquefois on la confond avec le système d’interprétation large ou étroite ; mais ce n’est nullement de cela qu’il s’agit ici. Les règles sanctionnées par un jugement définitif doivent être appliquées aux cas absolument semblables, et non par voie d’analogie.

§ XXIV. Principes des Romains sur les lois. Suite.

III. Rescrits[127]. Le sens littéral du mot rescriptum est : réponse par écrit. Cette réponse pouvait, quant à sa forme extérieure, se faire de différentes manières : en marge de la demande (adnotatio, subscriptio) ; par une lettre séparée (epistola) ; par un acte solennel (pragmatica sanctio), dont le protocole ne nous est pas bien connu[128]. Tous ces rescrits ont l’autorité de lex, toutefois renfermée dans des bornes plus étroites que celle des édits, dont ils diffèrent essentiellement. Mais que faut-il entendre par là ? Pour attribuer aux rescrits une autorité moindre qu’aux édits, il faut nécessairement ajouter quelque chose qui n’est pas impliqué dans l’idée de leur forme ou de leur origine. Il y a des lettres impériales d’une autorité fort restreinte, et qui ne sauraient être assimilées à une lex ; il en est d’autres, au contraire, dont l’autorité est illimitée. Nous devons faire abstraction des unes et des autres, pour nous occuper d’une classe intermédiaire de lettres, auxquelles s’applique exclusivement l’expression technique de rescrits.

D’abord, ont moins d’autorité que les rescrits proprement dits toutes les lettres de l’empereur étrangères aux affaires, lettres dont il n’est évidemment pas question ici, quoique ayant le nom et la forme des rescrits. Même parmi les lettres d’affaires, il faut distinguer celles qui n’appliquent aucune règle et expriment une décision arbitraire de l’empereur : celles, par exemple, ayant trait à une exemption individuelle des effets d’une loi (§ 16), à une subvention, à une réprimande[129]. Ces lettres ont, pour la personne et le cas auxquels elles s’appliquent, l’autorité d’une lex, et chaque juge doit les respecter comme telles. Mais on ne saurait y chercher de règle pour un cas semblable, puisque, ordinairement, ces lettres ne s’appuient sur aucune règle.

Ont plus d’autorité que les rescrits proprement dits les publications spécialement destinées à établir une règle nouvelle et à la faire connaître de tous. Ce sont là des lois véritables, malgré la forme de lettre sous laquelle elles se présentent, et l’occasion accidentelle qui les a provoquées n’a rien qui restreigne leur application ou les distingue des autres lois. Dans les premiers temps de l’empire on appelait ces publications, à cause de leur forme exceptionnelle, lettres générales ou rescrits généraux[130], sans y attacher aucune idée d’infériorité. Lorsque, plus tard, cette forme de législation fut devenue la plus ordinaire, on abandonna ces dénominations pour s’en tenir aux termes généraux de leges, edicta, edictales constitutiones[131]. Les textes de ces lois que nous avons aujourd’hui ne parlent nullement de leur publication ; mais cela s’entendait de soi-même, et les magistrats auxquels on les adressait y veillaient sans qu’il fût besoin d’une mention spéciale pour les en avertir ; mention ajoutée néanmoins à quelques-unes de ces lois[132]. Les pragmaticæ sanctiones pouvaient aussi être des lois générales[133], de même que les epistolæ d’une forme moins solennelle ; et il fallait une disposition expresse pour les faire rentrer dans le domaine plus étroit des rescrits. Quel est donc le signe caractéristique qui sépare profondément les rescrits des édits ? C’est leur destination restreinte à la décision d’un rapport individuel de droit, et exclusive de la publicité. Les rescrits ont cela de commun avec les constitutions en général, qu’ils s’appuient sur une règle, l’expriment, mais uniquement dans son application concrète. Au reste, les rescrits nous offrent plusieurs distinctions importantes.

1o Les rescrits sont rendus, tantôt à la demande d’une des parties (libellus), tantôt à la demande du juge[134]. Cela se rencontre surtout dans une forme de procédure très-importante, lorsque, pour un cas difficile, le juge supplie l’empereur de lui dicter son jugement (relatio, consultatio). Ici l’empereur ne figure pas comme juge, mais comme rédacteur du jugement, et dans la même qualité que les universités allemandes, saisies d’une affaire par l’envoi de la procédure. Aussi voilà pourquoi les décisions de cette espèce sont rangées parmi les rescrits et non parmi les décrets. Justinien défendit les consultations ; mais la défense n’était pas aussi absolue que ses termes le feraient croire[135].

2o La règle appliquée dans le rescrit est tantôt fondue avec la décision même, tantôt posée d’une manière abstraite et donnée comme motif de la décision. Ces derniers rescrits, qui ne sont pas des lois, bien qu’ils en aient la forme, s’appellent generalia rescripta, mais dans un sens différent de celui indiqué plus haut[136].

3o Quelquefois la règle appliquée dans le rescrit était déjà formulée, et alors l’empereur agit en jurisconsulte. Quelquefois aussi cette règle modifie le droit par voie d’interprétation libre. Ces derniers rescrits sont ordinairement dictés par des raisons d’ordre public ou d’économie politique, et ne touchent pas aux droits des tiers[137].

Les effets attachés aux rescrits peuvent se résumer de la manière suivante : 1o ils ont force de loi dans le cas particulier pour lequel ils sont rendus ; 2o ils n’ont force de loi dans aucun autre cas ; 3o mais pour les cas semblables ce sont de graves autorités.

Les rescrits ont force de loi dans le cas particulier pour lequel ils sont rendus : c’est ce que disent en termes généraux le Digeste et les Institutes (§ 23), et le Code, d’une manière implicite, en leur refusant l’autorité de lois générales. Il résulte de là que le juge auquel on présente un rescrit est tenu de s’y conformer strictement, sans pouvoir écouter sa propre conviction. Cet effet attaché au rescrit est surtout d’une grande importance quand il a été sollicité, non par le juge, mais par une des parties. Alors ce rescrit est un droit personnel acquis à cette partie, droit transmissible à ses coïntéressés et à ses héritiers, et qui peut s’exercer après un long espace de temps[138]. Mais, dans l’espèce même où il était rendu, le rescrit offrait de grands dangers ; il pouvait toujours être supposé ou falsifié, et surtout avoir été obtenu d’après une exposition des faits incomplète ou mensongère. On avait paré à ce double abus en soumettant les rescrits à des formes extérieures rigoureusement déterminées[139], et en autorisant la partie adverse à faire une enquête sur la manière dont le rescrit avait été obtenu[140]. Tout rescrit contraire à l’intérêt public, ou en opposition avec les règles du droit (contra jus), était en outre frappé de nullité[141]. Au reste, les empereurs ne s’interdisaient nullement la faculté de modifier le droit par leurs rescrits, mais ils prévoyaient le cas où, trompés sur les faits, ils auraient, contre leur propre volonté, violé les règles du droit. — En présence des dangers qu’entraînait l’autorité, législative des rescrits, peut-être eût-il été plus sage de n’en jamais accorder, du moins sur la demande des parties, ce que Trajan semble avoir fait. Justinien finit également par interdire aux juges l’application des rescrits privés, qui, dès lors, n’eurent plus force de loi[142]. D’un autre côté, la défense d’étendre les rescrits au delà du cas particulier pour lequel ils avaient été rendus fut renouvelée dans les termes les plus formels. Cela s’appliquait particulièrement aux rescrits provoqués par une consultation du juge[143], c’est-à-dire au genre de rescrits dont l’extension offrait le moins de dangers ; aussi crut-on superflu d’exprimer la même défense pour les rescrits privés, tant la chose était évidente. En effet, un rescrit rendu dans une espèce particulière, et souvent sur un exposé très-infidèle d’une des parties, pouvait se ressentir de ce caractère de particularité et se prêter difficilement à une application générale ; d’ailleurs, et c’est là le point important, la publicité manquait aux rescrits. Ces motifs subsistent pour les rescrits interprétatifs comme pour tous les autres, et les auteurs qui leur attribuent force de loi générale se trompent évidemment. Je me réserve de le prouver plus bas (§ 47).

Le véritable caractère des rescrits, comme celui des décrets (§ 23), a été souvent méconnu par les auteurs modernes. Ici encore, on a reproduit la défense de l’interprétation large ; mais il ne s’agit nullement d’extension ; la règle même, posée dans un rescrit, ne devait pas être appliquée aux cas absolument semblables. Ici encore, on a cru retrouver le principe général que les jugements n’ont d’effet qu’entre les parties ; mais ce principe est encore plus étranger aux rescrits. qu’aux décrets ; il ne pouvait même en être question. Si, par exemple, un héritier testamentaire soumettait à l’empereur un testament dont la validité fût douteuse, et que l’empereur reconnût, par un rescrit, la validité du testament, l’héritier testamentaire pouvait opposer ce rescrit à tous les héritiers du sang ; car il n’avait pas eu besoin de nommer dans sa demande un seul contradicteur.

Si les rescrits n’avaient pas force de loi générale, c’étaient du moins de graves autorités[144]. D’abord, on n’aurait pu leur ôter ce caractère, et cela n’était pas même désirable. Les rescrits favorisaient merveilleusement le développement du droit, et le Digeste nous montre que les anciens jurisconsultes ne manquaient pas de s’en aider. L’influence des mauvais rescrits offrait peu de dangers, car leur caractère d’autorité morale n’excluait pas la critique ni la condamnation de quelques-unes de leurs doctrines. Néanmoins, ce danger frappa tellement l’empereur Macrin, qu’il songea, dit-on, à abolir les anciens rescrits, c’est-à-dire à les dépouiller de leur autorité[145].

L’exposition qui précède s’accorde parfaitement avec tout ce que nous savons des rescrits. Les rescrits devaient être très-familiers aux jurisconsultes, car ceux-ci vivaient auprès de l’empereur, concouraient souvent à leur rédaction, et pouvaient toujours consulter les archives[146]. Ainsi encore on s’explique qu’il y ait eu très-anciennement des recueils de rescrits[147], et comment les jurisconsultes se trouvent en opposition avec un rescrit, soit que par hasard ils n’en aient pas eu connaissance, soit qu’ils en rejettent les principes[148].

Si l’on résume l’histoire de la législation touchant les rescrits, on voit qu’ils jouent encore un grand rôle sous l’empire des recueils de Justinien, mais que leur influence a été presque entièrement détruite par la législation des Novelles.

IV. Mandats. On appelait ainsi des instructions que l’empereur adressait aux fonctionnaires, comme règles de conduite. Ces mandats, semblables à ceux des proconsuls ordinaires, à la mandata jurisdictio, par exemple, étaient ordinairement faits pour les légats ou lieutenants de l’empereur dans les provinces impériales, et y avaient la même autorité que les édits principaux. Si les mandats sont plus rares que les autres espèces de constitutions, cela tient à la position dépendante des provinces, qui rarement avaient l’initiative des modifications apportées au droit commun des Romains. La plupart de ceux que nous connaissons roulent sur le droit criminel ou sur des mesures de police[149]. Les testaments militaires nous offrent un exemple remarquable d’un changement introduit par les mandats dans le domaine du droit privé[150]. Mais cela s’explique par la nature même du testament militaire, qui, supposant une armée en campagne, n’avait guère d’application possible que dans les provinces. J’en dirai autant du mandat qui défend aux fonctionnaires romains de se marier dans la province où ils exercent leurs fonctions[151]. — Gaius et Ulpien, dans l’énumération des différentes sortes de constitutions, passent les mandats sous silence. Le peu d’importance des mandats suffirait pour justifier cette omission ; mais, d’ailleurs, leur autorité étant circonscrite dans les limites d’une province, ils n’avaient, pas plus que le jus honorarium, la legis vicem attribuée aux autres constitutions impériales.

Cette recherche sur la nature et les effets des constitutions impériales peut se résumer en ces termes. Les édits et les mandats faisaient loi pour le juge et les parties, mais les mandats, seulement dans la province pour laquelle ils étaient rendus. Les rescrits n’avaient force de loi que dans l’espèce particulière où ils étaient rendus ; la dernière législation de Justinien en restreignit singulièrement l’emploi ; car elle annule tous les rescrits accordés à la sollicitation des parties, et n’autorise le juge à en demander que s’il s’agit d’interpréter une loi. Les décrets étaient de véritables décisions judiciaires, et les règles contenues dans les jugements définitifs, non dans les jugements interlocutoires, avaient force de lois générales. — Indépendamment de ces distinctions, toute constitution impériale était une autorité grave pour quiconque venait à en avoir connaissance.

Le code de Justinien trancha largement dans les constitutions impériales. Celles insérées dans le Code, quelle que fût leur nature, rescrit, décret, etc., reçurent immédiatement force de loi ; toutes les autres perdirent leur autorité législative[152]. Ainsi donc, les règles posées plus haut s’appliquent uniquement aux constitutions rendues depuis la promulgation du Code, par Justinien ou par ses successeurs. On peut considérer comme appendices de la législation impériale les édits ou generales formæ des præfecti prætorio. Déjà Sévère Alexandre avait sanctionné leur autorité générale s’ils n’avaient rien de contraire aux lois, et si l’empereur n’en avait pas autrement ordonné[153]. Justinien cite, comme lois, quelques-uns de ces édits[154] : quelques fragments s’en sont conservés à la suite de nos recueils de Novelles[155], et Cassiodore attribue en quelque sorte aux préfets l’autorité législative [156].

§ XXV. Principes des Romains sur le droit coutumier.
Sources : Dig., I, 3. Cod., VIII, 53. Cod. Th., V, 12.

On trouve dans Cicéron, au milieu d’idées assez confuses, un passage remarquable sur le droit coutumier. « Il existe, dit-il, une règle qui ne repose sur aucune opinion individuelle, mais nous apparaît comme une nécessité de notre nature morale. Cette règle était vague : les sociétés humaines l’ont formulée, développée et posée comme coutume immuable. » À cette règle il oppose la lex ou la loi positive établie par la volonté de l’homme[157]. — Les anciens jurisconsultes n’assignent pas au droit coutumier l’étendue et l’importance qui lui appartiennent. Cela tient sans doute à ce que, de leur temps, la plus grande partie de l’ancien droit coutumier national s’était perdue dans d’autres sources du droit et n’apparaissait plus sous sa forme primitive (§ 1518). L’époque où ils vivaient était d’ailleurs peu favorable à la création d’un droit coutumier national purement populaire (§ 7). Le droit coutumier particulier était le seul dont ils vissent les manifestations dans la vie réelle, et c’est à lui que se rapportent la plupart des textes sur le droit coutumier qui se sont conservés jusqu’à nous[158]. Cependant leurs principes sont en général fort justes ; et si les auteurs modernes s’y sont trompés, on ne doit l’attribuer qu’à un manque de précision dans les termes. Les jurisconsultes romains admettent, comme constante, toute règle établie par une longue consuetudo, une coutume de plusieurs années, et ils lui donnent pour base le consensus tacite du populus qui l’applique (utentium, omnium)[159]. Par là, on a entendu que l’habitude était le fondement du droit, et que le droit était l’œuvre d’un acte de volonté des mêmes individus qui votent la loi dans les comices. Cette opinion a de graves conséquences : elle lie le droit coutumier à une forme spéciale de constitution politique, et l’exclut nécessairement de Rome impériale et des monarchies modernes. Mais les jurisconsultes romains regardaient la consuetudo, non comme le fondement du droit, mais comme un signe sensible servant à le reconnaître ; et c’est sous ce même point de vue qu’ils envisagent l’écriture, en parlant du droit écrit (§ 22). Nous en avons la preuve dans plusieurs textes, où, indépendamment de la coutume, la conviction directe et commune du peuple (ratio) est représentée comme fondement du droit[160]. De même encore, le consensus n’est pas une volonté qui aurait pu tout aussi bien s’exprimer en sens contraire, mais une conviction unanime, empreinte d’un caractère de nécessité ; et le populus auquel on attribue ce consensus n’est pas la réunion des citoyens divisés en tribus et en centuries, à une époque déterminée, c’est le type idéal de la nation romaine, se perpétuant de génération en génération, et persistant à travers tous les changements de son organisation politique[161]. Cette explication s’accorde avec le haut degré de certitude donné comme signe caractéristique du droit coutumier[162] ; certitude plus facile à trouver dans une conviction commune que dans un acte de volonté individuelle se reproduisant pour chaque cas particulier. Enfin, cette explication s’accorde avec les principes généraux que nous avons posés sur la nature et les conditions essentielles du droit coutumier.

En effet, on reçoit comme droit coutumier les convictions communes des jurisconsultes (prudentium auctoritas)[163]. Sans doute, ceux-ci peuvent être l’organe spécial au moyen duquel la conscience commune du peuple vit et se développe (§ 14) ; mais il ne serait pas raisonnable de soumettre la nation entière aux volontés individuelles des jurisconsultes, et néanmoins le droit coutumier est fait pour la nation entière, non pour les jurisconsultes seulement. On donne encore comme signe caractéristique du droit coutumier l’uniformité des décisions judiciaires[164], et cela confirme mon explication, car on peut y voir autant de manifestations certaines des convictions communes, tandis que les volontés individuelles des juges ne sauraient lier la nation. Attribuer cet effet aux décisions judiciaires, indépendamment du droit coutumier, serait une grave erreur ; car il est dit, au contraire, que le juge ne doit pas se régler uniquement sur les præjudicia[165] ; d’où l’on voit que les præjudicia, sans influence par eux-mêmes, n’ont de valeur que comme monuments du droit coutumier. — Il est encore deux règles dont je dois faire mention : l’une, qu’une erreur constatée ne saurait fonder un droit coutumier[166] ; l’autre, qu’il faut recourir à la décision de l’empereur, si la coutume est encore trop nouvelle pour qu’on puisse la regarder comme l’expression certaine de la conviction générale[167]. — Voilà tout ce que le droit romain renferme sur les caractères essentiels du droit coutumier. Ainsi, par exemple, c’est un principe étranger au droit romain que la coutume doit être, comme simple fait, prouvée par celui qui l’invoque[168]

Quant aux effets de la coutume, le droit romain pose en principe qu’elle a force de loi, legis vicem[169]. D’après les explications données plus haut (§ 22), on voit que le droit coutumier a non-seulement l’autorité, mais aussi la généralité d’une loi, et qu’il n’est pas renfermé, comme le jus honorarium, dans les limites d’une juridiction, ni borné à un certain temps. Ce principe n’a rien d’incompatible avec l’existence d’un droit coutumier particulier, de même qu’une loi peut être rendue pour une ville ou pour une province.

L’action du droit coutumier peut s’exercer de deux manières tantôt il complète une loi dont l’expression est vague ou ambiguë[170] ; tantôt il règle une matière sur laquelle il n’y a pas de disposition législative[171]. Ce dernier cas présente fréquemment pour certaines parties du régime municipal, où souvent l’existence d’une règle certaine a plus d’importance que son contenu. Si donc la coutume d’une ville est muette sur un point semblable, on suit la coutume de Rome[172], moins à cause de sa prépondérance comme capitale de l’empire, que comme ayant été le berceau de la nation. Ainsi donc, à une époque où la nation romaine, embrassant un territoire immense, pouvait difficilement se former des convictions cominunes, Rome fut naturellement appelée à représenter la nation, et à continuer le droit populaire, là où ce droit était indispensable. Après la création de l’empire d’Orient, Constantinople fut investie du même privilège[173], non que cela fût justifié par un enchaînement de circonstances semblables, mais par suite de la parité établie entre les deux capitales. — Au reste, ce complément du droit admet divers degrés d’extension : tantôt il se restreint à une face jusqu’alors négligée d’une institution ancienne ; tantôt il crée une institution nouvelle, et, par là, il concourt au développement systématique du droit. C’est ainsi que la cura prodigi, la prohibition des donations entre époux, et la substitution pupillaire, doivent leur origine aux mores[174].

Le droit coutumier nous montre encore sa puissance en luttant contre une loi, soit qu’il la remplace par une autre, soit qu’il se contente de l’abroger. Ce principe, déjà contenu dans l’expression legis vis, se trouve d’ailleurs formellement exprimé[175], et, ce qui ne laisse aucun doute, on voit, à toutes les époques de l’histoire romaine, le droit coutumier exercer cette action de la manière la plus illimitée. Ainsi, les parties de l’édit du préteur qui corrigent le droit civil, et notamment la loi des douze Tables, sont autant d’innovations du droit coutumier, innovations dont la légitimité n’a jamais été mise en doute[176]. De même encore, on doit rapporter en partie au droit coutumier les effets de l’usus pour le mariage, le second chapitre de la lex Aquilia, et les interrogatoria actiones[177]. Justinien a reconnu plus d’une fois, et en termes si positifs, cette puissance du droit coutumier, qu’on a peine à concevoir que, sous l’empire de sa législation, on ait élevé un doute à cet égard[178]. Néanmoins on invoque en faveur d’une opinion contraire les deux motifs suivants plusieurs des texte cités disent que le droit coutumier s’applique à défaut de loi, et on en a conclu que le droit coutumier s’applique seulement en l’absence d’une loi. Ce système d’interprétation, toujours hasardeux, est ici repoussé par l’ensemble et le rapprochement des textes[179]. On trouve un argument plus plausible dans un texte du Code, qui décide que le droit coutumier ne doit jamais l’emporter sur une loi. Mais il s’agit ici du droit coutumier particulier, non du droit coutumier général, et l’on sait qu’une coutume particulière ne doit jamais prévaloir contre la disposition absolue d’une loi générale[180].

Ce qui précède était sans application pour le droit général des Romains antérieur à Justinien, car tout ce qui n’était pas inséré dans les compilations de l’empereur était par là mêmẹ abrogé. Mais cela s’appliquait au droit coutumier de l’avenir, et à toutes les coutumes particulières dans l’étendue de leurs limites légitimes, car elles sortaient du plan que Justinien s’était tracé, et la législation nouvelle ne porta aucune atteinte à leur autorité.

Comme cette espèce de source se retrouve dans le droit canon et dans les lois impériales, j’en dirai ici quelques mots en forme d’appendice.

Plusieurs textes du droit romain, relatifs au droit coutumier, sont insérés littéralement dans le droit canon, je n’ai donc pas à y revenir[181].

Les innovations se réduisent aux deux principes suivants :

1o La coutume que l’on veut appliquer doit être rationabilis. Cette expression assez vague, quand même on la rapprocherait de certains textes du droit romain, paraît signifier qu’il faut examiner la coutume et ne l’admettre que dispositions sont reconnues justes et sages. D’ailleurs ce principe n’est pas établi en termes généraux, mais à l’occasion d’un conflit entre la loi et la coutume[182].

2o La coutume doit être legitime ou canonice præscripta[183]. Quelques-uns pensent qu’il s’agit ici d’une véritable prescription, moyen dont la nature est mal appropriée à l’établissement d’une règle générale de droit, et dont l’application serait même impossible, car il y a bien des espèces de prescriptions, et, ici, on ne fixe aucun délai. Cette expression doit sans doute être prise, conformément au droit romain, dans le sens de longue durée, et alors legitime præscripta serait synonyme de longa ou diuturna.

Enfin, plusieurs lois de l’empire font mention du droit coutumier, mais elles se bornent à en recommander l’application, sans entrer dans aucun détail sur sa nature ou sur ses effets[184].

§ XXVI. Principes des Romains sur le droit scientifique.

On sait quelle considération entourait les jurisconsultes romains, dès les premiers temps de la république, et leur influence sur la formation. du droit[185]. Quand, à l’expérience’des affaires, ils joignirent l’autorité de la science, cette influence dut s’augmenter encore.

Auguste accrut et modifia cette influence en autorisant un certain nombre de jurisconsultes distingués à donner des avis que les juges devaient observer comme des lois (legis vice), tant qu’il n’existait pas d’avis contraire d’un autre jurisconsulte également autorisé[186]. D’un autre côté, les doctrines et les écrits des jurisconsultes ne perdaient rien de leur importance. Cités devant les tribunaux, ils avaient, non pas force de loi (legis vicem), mais une grande autorité morale, si les jurisconsultes privilégiés n’avaient pas donné d’avis sur la question, ou que leurs avis fussent contradictoires.

Gaius parle des consultations privilégiées comme d’une institution toujours subsistante. Elle cessèrent probablement quand la vie se fut retirée de la science. En effet, les jurisconsultes en réputation devenant tous les jours plus rares, ce privilège, concentré en peu de mains, eût exercé sur la juridiction une influence exorbitante, et telle est sans doute la raison pour laquelle on cessa de l’accorder.

Mais l’abolition de ce privilège ne porta aucune atteinte à l’autorité générale de la littérature du droit. Plus au contraire l’esprit scientifique dégénérait, plus ces grands monuments du passé devaient croître en importance. L’étendue immense de la littérature et ses nombreuses controverses firent bientôt sentir le besoin de soumettre son application à des règles certaines. Déjà Constantin paraît en avoir établi quelques-unes[187] ; mais on ne trouve là-dessus que des mesures incomplètes avant l’ordonnance de Valentinien III[188]. Il posa des règles pour reconnaître dans la pratique l’opinion commune des jurisconsultes, règles bien différentes des anciens principes sur l’unanimité des consultations, et cette ordonnance était encore en vigueur quand Justinien parvint à l’empire. Les règles de Valentinien III, sur l’application de la littérature scientifique, avaient levé bien des difficultés ; mais tous les obstacles n’étaient pas encore aplanis[189], et c’est ce qui détermina Justinien à l’adoption d’une mesure entièrement nouvelle, et beaucoup plus tranchante. Il fit extraire de toute la littérature du droit, sans égard aux exclusions prononcées par Valentinien, ce qu’il jugea nécessaire à l’exposition complète du droit, et notamment à l’administration de la justice. Ces extraits réunis en un volume, et promulgués comme lois, le reste fut aboli. Une partie du jus ainsi érigée en lex, rien ne demeura comme jus sous sa forme primitive, et toute littérature nouvelle fut prohibée à l’avenir. L’empereur ne permit que des traductions grecques des textes latins, et, comme secours mécanique, une indication du contenu des titres. Tout livre original, tout commentaire sur les lois, devait être détruit, et son auteur puni comme faussaire[190]. Pour conserver et propager la science, il ne resta plus que l’enseignement oral donné dans les écoles de droit, organisées par Justinien sur de nouvelles bases[191]. La prohibition des commentaires nous dit assez quel devait être cet enseignement. Sans doute le professeur ne pouvait se livrer à une recomposition originale des textes, et, par ce travail accompli sous les yeux de ses élèves, éveiller leur intelligence, et vivifier la science, car cela eût été en opposition directe avec la proscription de la littérature. L’enseignement devait se réduire à une opération mécanique, et le mérite du professeur se bornait à lever les difficultés subjectives qu’offrait à ses élèves un sujet si vaste et si nouveau pour eux. L’ensemble de ces règlements repose sur l’idée que la législation impériale répondait à tous les besoins, et que dès lors toute production nouvelle n’eût servi qu’à gâter l’œuvre du législateur.

Peut-être jugera-t-on ces prescriptions trop étranges pour les prendre au pied de la lettre, et cherchera-t-on à leur donner un sens figuré ou du moins adouci ; mais ce serait une erreur à mes yeux. Sans doute Justinien, à son avènement au trône, comme Frédéric II, en 1740, entendit résonner à ses oreilles des cris sur la confusion inextricable du droit, et sur l’urgence d’une réforme radicale. Un heureux hasard plaça auprès de lui des jurisconsultes tels qu’on n’en voyait pas depuis plus d’un siècle, et lui-même joignait à la connaissance du droit un esprit actif et avide de gloire. On voulut porter remède au mal le plus apparent, diminuer cette masse de littérature scientifique inaccessible à l’étude, et finir les controverses. Une semblable tentative n’avait jamais été faite, et, à la cour de Justinien, on pouvait croire de très-bonne foi avoir opéré la réforme la plus salutaire, et avoir prévenu, par la sévérité des lois, le retour des anciens abus. D’ailleurs on ne pouvait pas craindre d’étouffer la vie scientifique, comme cela fut arrivé si. Hadrien où Marc-Aurèle eussent eu la même pensée. La décadence de la science était trop visible, et il ne lui restait plus rien à perdre, Les peines prononcées par l’empereur, la destruction des livres et la défense d’en composer, sont des mesures étrangères à nos mœurs, et qui n’auraient pas la moindre chance de succès en présence de l’imprimerie et des communications établies entre les différents peuples de l’Europe. Mais si l’on rapporte au siècle où vivait Justinien la violence de ces mesures, on n’y trouve plus qu’une illusion profondément enracinée dans le cœur de l’homme en matière de science, et surtout de religion, celle d’imposer comme vérité exclusive les doctrines formulées par notre intelligence, et de sacrifier à la crainte de l’erreur la liberté d’examen. Justinien croyait fonder par sa législation un ordre de choses immuable, une formule de concorde[Trad 2] que rien ne devait plus troubler. Est-ce à nous de le juger bien sévèrement ? Nous avons treize siècles d’expérience, et cependant ceux qui accueillirent les nouveaux codes avec tant d’enthousiasme avaient au fond la même idée que Justinien, néanmoins sans la puissance ou la volonté de réaliser cette idée par des moyens aussi violents.

Je ne prétends nullement justifier la conduite de Justinien, mais la présenter sous un jour moins odieux. J’ai voulu surtout montrer que ses prescriptions doivent être prises à la lettre, et repoussent toute interprétation subtile ou forcée.

§ XXVII. Valeur pratique des règles du droit romain sur les sources du droit.

Après avoir exposé les principes du droit romain sur les sources du droit (§ 22-26), il me reste à chercher quelle valeur pratique ces principes ont aujourd’hui pour nous. Cette question se représente pour chaque État où le droit romain a été adopté, et se subdivise ainsi : Faut-il soumettre à ces règles le développement du droit (§ 21) qui s’est accompli depuis la réception du droit romain jusqu’à nos jours ? Faut-il soumettre à ces règles le développement futur du droit ? La première question s’applique au contenu véritable du droit commun actuel, la seconde aux modifications possibles de ce droit. Ces deux questions, ou plutôt ces deux faces de la même question, auront nécessairement une solution identique. Au premier abord, rien ne paraît plus naturel que de résoudre la question d’une manière affirmative. En effet, là où le droit romain est adopté, pourquoi n’adopterait-on pas ses principes sur l’importante matière de la formation du droit ? Les auteurs modernes ne posent pas même la question, mais ils la résolvent implicitement d’une manière affirmative, et, partant de ce principe, ils citent le droit romain, en se réservant néanmoins d’éviter les applications trop délicates.

Je vais dire en peu de mots ce qui résulterait de la solution affirmative de la question.

Quant à la formation des lois proprement dites (§ 23), il faudrait bien renoncer à la coopération du sénat, car, dans aucun pays de l’Europe il n’existe d’assemblée délibérante semblable au sénat de l’ancien empire romain, mais il faudrait chercher les caractères essentiels de la loi dans l’ordonnance de Théodose II. — Les rescrits émanés du souverain, dans une affaire particulière (§ 24), et que chaque juge doit observer comme lois, même en les renfermant dans les bornes de la législation des Novelles, présentent une difficulté plus grave. Plusieurs auteurs modernes nient formellement leur autorité[192]. D’autres s’en tiennent aux règles du droit romain, mais ils donnent à ces règles une signification tacite bien différente de celle qu’elles ont réellement. Ainsi, ils passent sous silence le point principal, l’autorité législative pour le cas particulier, et donnent aux rescrits force de loi pour l’avenir[193], force que n’ont jamais eue les rescrits, d’après les règles même du droit romain, mais seulement les décrets (§ 2324).

Quant au droit coutumier (§ 25), l’application du droit romain en général n’a jamais fait la matière d’un doute ; seulement, on a vu des auteurs, pour repousser une application particulière du droit coutumier conforme au droit romain, critiquer l’autorité de ce droit[194].

Quant au droit scientifique (§ 26), on passe ordinairement sous silence la prohibition des livres de droit faite par Justinien, et jamais auteur moderne n’a prétendu qu’on dût détruire ses livres, en vertu de la loi romaine ; une telle indifférence pour son propre ouvrage n’aurait pas eu d’excuse, et néanmoins, pourquoi cette loi aurait-elle moins d’autorité que les autres lois romaines sur des matières analogues ? En résumé, on voit que les jurisconsultes modernes tantôt admettent, tantôt passent sous silence, et toujours arbitrairement, les prescriptions du droit romain sur les sources du droit. L’ensemble de ces prescriptions étant impossible à observer, deux objections s’élèvent contre l’observation de chacune d’elles. D’abord il y a inconséquence ; à moins de dire que certains points, celui, par exemple, de la destruction des livres, ont été abolis par un nouveau droit coutumier. Ensuite il faudrait considérer que les règles dont on maintient l’application, isolées de celle qu’on rejette, changent peut-être de nature, et devraient elles-mêmes être rejetées.

Si l’on cherche à pénétrer plus avant, et si l’on se demande pourquoi certaines règles, notamment celles sur les lois, n’ont évidemment plus d’application aujourd’hui, on voit qu’elles rentrent dans le droit public, qui généralement n’a pas été adopté (§ 117). Ce principe n’est pas restreint à la législation, il embrasse encore toutes les autres sources du droit ; et si l’on veut s’y tenir rigoureusement, on reconnaîtra que le droit romain est également inapplicable à toutes les sources du droit ; dès lors, plus d’une controverse : celle, par exemple, sur le sens de la L. 2, C., quæ sit longa consuet., deviendrait sans intérêt pour la pratique. Tout ce que j’ai dit contre l’usage du droit romain, touchant la matière des sources, est également vrai du droit canon.

Quant aux lois de l’empire dans les États germaniques, elles embrassent le droit public aussi bien que le droit privé, mais on n’y trouve rien. qui se rapporte aux sources du droit, sinon la reconnaissance du droit coutumier (§ 25) faite en termes généraux, et qui d’ailleurs était superflue.

§ XXVIII. Des idées modernes sur les sources du droit.

C’est ici le lieu d’indiquer les points principaux sur lesquels mes idées diffèrent de celles généralement adoptées. Je me contenterai presque d’énoncer les opinions contraires, sans citer les auteurs, ni établir de controverse.

On donne ordinairement à la législation une place bien différente de celle que je lui assigne. Le plus souvent on la regarde comme la seule base vraie et légitime du droit, et les autres sources comme des compléments secondaires dont on voudrait pouvoir se passer. Dans ce système, la science du droit travaille sur un sujet contingent et variable, sujet dont elle dépend ; les progrès de la législation doivent tous les jours diminuer son importance, et même son dernier but serait de l’anéantir tout à fait. — La valeur exclusive attribuée aux codes complets dans les temps modernes, et les brillantes espérances qu’on y attache, sont des conséquences éloignées du même système. Néanmoins plusieurs, sans adopter ces conséquences ou y mettre autant de prix, tiennent au système lui-même, et on peut le regarder comme l’opinion générale des praticiens les plus distingués.

De la législation je passe au droit scientifique. Les anciens auteurs sont traités de nos jours d’une manière très-arbitraire et inégale. Tantôt on invoque leur autorité, tantôt on la repousse, dans aucun cas, on cherche à s’appuyer sur un principe. Surtout, les opinions des anciens praticiens sont souvent représentées comme s’ils eussent posé des règles immuables, applicables à tous les temps, et comme si chaque siècle n’avait pas sa part d’influence à exercer sur la formation du droit. C’est accepter sans s’en apercevoir la position que le siècle de Valentinien III occupait vis-à-vis des siècles antérieurs. Mais l’ordonnance de Valentinien était un fait positif qui, à aucune époque, ne s’implique de lui-même ; il tenait à la décadence de la science et à la torpeur générale des esprits, tandis que l’activité intellectuelle ne saurait être refusée à notre temps, quel que soit d’ailleurs le jugement que l’on en porte. Je ne puis me borner à résumer aussi sommairement les opinions des auteurs modernes sur le droit coutumier. J’ai même différé jusqu’ici à développer mes propres idées sur notre droit coutumier pratique (§ 18), parce qu’elles ne pouvaient être bien comprises que dans leurs rapports avec d’autres opinions généralement adoptées.

On croit communément que le droit coutumier n’est pas une source naturelle du droit, et qu’ainsi sa reconnaissance a besoin d’une légitimation spéciale. Pour les républiques, on dit que le populus (§ 10) qui adopte la coutume étant lui-même investi de l’autorité législative, la coutume repose nécessairement sur le consentement implicite du législateur (consensus tacitus specialis), et dès lors n’est autre chose qu’une loi tacite. Mais il en est autrement dans les monarchies, où le peuple qui fonde la coutume n’a aucune part au pouvoir législatif, et où le législateur, c’est-à-dire le souverain, ne participe pas à l’établissement de la coutume. Il faut en dire autant des monarchies constitutionnelles ; car peut-être aucun membre des deux chambres n’aura-t-il contribué à établir la coutume, et d’ailleurs la loi ne se fait pas sans le concours du souverain. Ici le droit coutumier se présente comme une espèce d’opposition des sujets contre le gouvernement, comme une usurpation du pouvoir suprême, ce qui appelle une justification expresse, et on la trouve dans le consentement du législateur. Ce consentement qui, dans les républiques, résulte de l’adoption même de la coutume, vient ici s’y ajouter extérieurement. Cela ne présente aucune difficulté pour les pays où le droit romain est en vigueur, car le droit romain reconnaît formellement l’autorité de la coutume, qui dès lors repose sur le consensus generalis expressus du législateur. Mais si la coutume vient à abroger une loi, la L. 2, C. quœ sit longa consuetudo semble exiger une condition nouvelle, et on la trouve dans le consensus specialis tacitus du souverain ; mais les auteurs ne sont pas d’accord sur l’application de ce principe. Les uns pensent que la tolérance de la coutume implique le consentement du souverain ; les autres exigent la preuve que le souverain en ait eu connaissance[195].

Tout ce que je viens de dire s’applique à l’autorité du droit coutumier en général. Mais pour chaque cas particulier, la simple coutume, c’est-à-dire la répétition des mêmes actes, est représentée comme l’unique fondement de la règle du droit, d’où l’on conclut que l’origine de chaque règle se rapporte nécessairement à des actes particuliers, déterminés, susceptibles de vérification. Ce point de vue étroit pourrait tout au plus s’appliquer aux coutumes locales, les seules, il est vrai, dont on s’occupe ordinairement ; mais les principales règles du droit coutumier moderne, qui revêtent à la fois les caractères du droit scientifique (§ 1820), échappent à ce point de vue.

Ces idées fondamentales ont eu la plus grande influence sur la solution pratique des questions particulières que cette matière renferme, et qui se rangent sous ces trois chefs : conditions essentielles, — preuve, — effets du droit coutumier.

§ XXIX. Des idées modernes sur les sources du droit. Suite.

Les conditions essentielles pour l’établissement d’un droit coutumier tiennent, en général, à la nature des actes individuels sur lesquels on établit ce droit (§ 28). Ces conditions n’ont donc qu’une application partielle au droit coutumier local, et, pour celui-ci même, les actes individuels ne sont pas le fondement du droit, mais les signes, les manifestations d’une idée commune de droit. Ces restrictions posées, on doit admettre comme vraies ces conditions essentielles, qu’il s’agit maintenant d’énumérer et d’analyser. On dit, en effet, que les actes propres à servir de base pour l’établissement d’un droit coutumier doivent réunir les caractères suivants.

1o Ces actes doivent être en pluralité. On a longtemps disputé sur le nombre. D’abord un seul acte ne suffit pas ; deux ne suffisent pas ordinairement, mais quelquefois par exception. Enfin, la plupart des auteurs abandonnent, et avec raison, ce point à la décision du juge. Le juge exigera donc, suivant les cas, un plus ou moins grand nombre d’actes ; mais, fidèle au principe que la pluralité des actes doit exprimer une conviction commune, il repoussera les faits particuliers et accidentels qui simuleraient cette apparence[196].

2o Ces actes doivent être uniformes et constants, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de coutume là où on trouve d’autres actes fondés sur une règle contraire ; cela s’entend de soi-même[197].

3o Ces actes doivent s’être répétés pendant un long espace de temps. La question de sa durée a été fort débattue. Les uns exigent cent ans, parce qu’il existe un texte où le mot longævum est pris pour centenaire. Les autres, en se fondant sur le droit canon, pensent qu’il s’agit d’une prescription ordinaire, du longum tempus, c’est-à-dire dix ans ; car le peuple ou le prince auxquels on oppose la prescription étant toujours présents, il n’y a pas lieu à la prescription de vingt ans. Pour prescrire contre le droit canon, contre l’Église, on exige quarante ans ; contre le souverain un temps immémorial. Plus tard, on s’est accordé à ne fixer aucun délai, et à s’en rapporter à la prudence du juge. Ce parti était le plus raisonnable. Ici, de même que pour le nombre des actes, le seul danger dont on ait à se garantir est celui de prendre, comme signes d’une conviction commune, des faits individuels accidentels et passagers[198].

4o Ces actes peuvent être des décisions judiciaires : c’est un principe généralement admis. Quelques-uns même ont prétendu que les décisions judiciaires étaient indispensables pour l’établissement d’un droit coutumier[199] ; mais cette opinion est justement rejetée par la plupart des auteurs. Je vais plus loin encore, et je dis que les jugements mêmes ne servent pas toujours de base au droit coutumier, et qu’il faut leur appliquer, tout en ayant égard à leur caractère spécial, les principes posés plus haut (§ 20) sur les travaux pratiques des jurisconsultes. Si donc un jugement applique un droit coutumier, c’est un témoignage grave de l’existence de ce droit. Il en est de même s’il reconnaît comme vraie une règle de droit sans faire mention de son origine. Mais si un jugement emprunte unie règle à une théorie vicieuse, ce jugement reste dans le domaine de la théorie, et ne saurait être reçu comme témoignage d’une conviction commune de droit.

5o Les auteurs de ces actes doivent avoir conscience de leur nécessité comme droit (necessitatis opinio). Si donc plusieurs personnes répètent pendant un long temps des actes de pure libéralité, cela n’établit pas de droit coutumier, car le donateur et le donataire savaient qu’ils pouvaient, en vertu de leur libre arbitre, omettre ou modifier ces actes. Ce principe est le plus important de tous, et j’aurai bientôt occasion d’y revenir. J’ai déjà cité (§25, note d) les textes de droit romain qui l’expriment formellement. C’est par suite de ce principe que les jugements nous apparaissent comme des manifestations du droit coutumier, car le juge doit suivre le droit et non sa volonté. Les contrats sont moins propres à ce but, car il entre dans les contrats un élément d’arbitraire : néanmoins ils peuvent être des monuments du droit coutumier, s’ils supposent la reconnaissance d’une règle de droit, ou s’ils en font l’application directe[200].

6o Ces actes ne doivent pas reposer sur une erreur. Ce principe écrit dans le droit romain[201] a donné lieu à une confusion d’idées inextricable. En effet, si la règle devait être établie par la coutume, elle n’existait pas encore quand le premier acte a été fait. Si, d’un autre côté, ce premier acte devait être accompagné de la necessitatis opinio, il repose évidemment sur une erreur, et ne peut être compté parmi les actes établissant la coutume. Or, ce raisonnement s’applique aussi bien au second acte devenu le premier, au troisième et ainsi de suite ; d’où il résulte qu’à moins d’abandonner l’une ou l’autre de ces règles, l’établissement du droit coutumier est impossible. La contradiction est tellement évidente, que quelques-uns ont admis l’erreur comme nécessairement liée à l’origine du droit coutumier, sans réfléchir que cette idée est incompatible avec la doctrine de Celsus[202].

Dans mes principes, il n’y a aucune contradiction, puisque la règle de droit est, non pas engendrée, mais seulement manifestée par la coutume. Ainsi la necessitatis opinio, sans aucune erreur, pouvait et devait exister et devait exister quand le premier acte a été fait. Ce principe souffre cependant des restrictions. Si, par exemple, on rattache à une fausse théorie une conviction commune du peuple (§ 20), la règle fondée sur cette conviction commune subsiste indépendamment de la fausse théorie. De même encore un acte peut être tellement extérieur et si indifférent en lui-même, qu’il soit inutile de lui chercher pour base une conviction commune réfléchie. Ainsi on reconnaît aujourd’hui que, pour la signature et le sceau des témoins, il s’est introduit depuis le moyen âge une forme erronée étrangère au droit romain ; mais cette forme vicieuse, consacrée par une longue coutume, n’en est pas moins légale[203].

7o Ces actes doivent être raisonnables (rationabiles). J’ai cité (§25, note z) les textes de droit canon où ce principe est établi. Si on lui donne un sens positif, et que l’on permette au juge d’apprécier le mérite et la sagesse de la règle contenue dans la coutume, un pouvoir aussi illimité compromet beaucoup la certitude du droit. C’est pourquoi on donne ordinairement à ce principe un sens négatif ; alors il est uniquement dirigé contre les coutumes tout à fait déraisonnables et repoussées par le sens moral[204]. Cette interprétation, moins dangereuse pour la pratique, paraît se conformer à un texte de la Caroline, qui signale et condamne plusieurs coutumes « mauvaises et insensées[205] ». Mais il ne résulte pas de ce texte que les mauvaises coutumes soient nulles par elles-mêmes, et non susceptibles d’application : l’empereur, au contraire, en prenant soin de les abolir, reconnaît leur autorité antérieure, à moins qu’on ne veuille accuser la loi d’une grande impropriété de langage.

Si l’on combine ces trois derniers caractères que doit nécessairement réunir le droit coutumier, on obtient les résultats suivants. La règle est engendrée par une idée de droit dont le peuple a la conscience commune, ou par la conviction directe que la règle est vraie et obligatoire en elle-même, indépendamment de toute sanction extérieure. Cette conviction peut se manifester par la répétition des mêmes actes, en d’autres termes par la coutume. Ainsi, ces actes ne doivent pas être purement volontaires, des libéralités, par exemple, ou des délits souvent répétés, car les délinquants ont conscience de leur injustice et de leur libre arbitre. Ces actes ne doivent pas reposer sur une erreur constatée, car alors manquerait cette conviction directe qui est ici le point essentiel[206]. Un exemple va rendre la chose sensible. Si un juge applique une des Novelles non glosées, parce que dans son édition elles n’ont pas de signe distinctif apparent (§ 17), et que d’autres juges suivent son exemple, cela ne constitue pas une coutume.

Dire qu’un acte erroné ou déraisonnable ne peut servir de base à un droit coutumier, c’est rentrer dans la necessitatis opinio, c’est poser une règle qui n’est que la conséquence et le développement de ce principe général. Comme la juste appréciation de la nature du droit coutumier repose sur ce principe, il est bon de l’éclaircir par quelques exemples. Le droit romain défend l’anatocisme si ce genre d’usure s’établissait quelque part en se cachant habilement, cela ne constituerait pas un droit coutumier, car une semblable dissimulation est incompatible avec une conviction loyale. D’un autre côté, les commerçants sont dans l’usage, à la fin de chaque année, quelquefois même à une époque plus rapprochée, de balancer leurs comptes, et d’en passer le solde à nouveau compte, solde qui porte immédiatement intérêt, quoique les intérêts de la période précédente y figurent pour partie. Cet usage est contraire au droit romain ; mais partout cela se fait au grand jour, et ne pourrait se faire autrement sans nuire à la simplicité de la comptabilité commerciale ; d’ailleurs cet usage n’est pas contraire à l’esprit de la loi romaine. La prohibition du droit romain est donc abolie par l’usage général du commerce, et peu importe de savoir combien de commerçants s’en rendent un compte exact, car tous obéissent au sentiment de la nécessité et agissent avec une entière bonne foi.

Si l’on résume ces conditions essentielles du droit coutumier, on voit qu’elles s’appliquent non-seulement aux coutumes locales, mais à un sujet d’une plus haute importance, au droit coutumier général des temps modernes ; car la distinction posée plus haut entre les différentes parties de la pratique du droit, les unes reposant sur une fausse théorie, les autres sur une juste appréciation des circonstances et des nouveaux besoins (§ 20), cette distinction n’est autre que la réalisation des principes développés ici. La fausse théorie est une error, non ratione obtentus, et dès lors incapable de valoir et d’agir comme droit coutumier : la pratique créée par les besoins de la civilisation moderne se fonde sur la ratio, la necessitatis opinio, et dès lors a l’autorité d’un droit coutumier véritable, quand même la théorie aurait mêlé à son établissement plus d’une erreur historique.

8o Enfin, plusieurs auteurs donnent, comme condition essentielle du droit coutumier, la publicité des actes particuliers qui l’établissent. Le caractère apparent ou caché de certains actes a sans doute de l’influence sur le droit coutumier : j’en ai cité des exemples ; mais cela se réduit à dire que ces actes sont plus ou moins propres à manifester la conviction commune qui leur sert de base. Ceux qui attachent une importance spéciale à la publicité ont en vue le consensus populi ou le consensus principis, et partent d’une erreur fondamentale sur la nature du droit coutumier (§ 28), d’où je conclus que la publicité des actes n’est nullement une condition essentielle du droit coutumier[207].

§ XXX. Des idées modernes sur les sources du droit ; suite.

Quand on parle de la preuve d’un droit coutumier, relativement à la pratique, on se figure un procès où ce droit est invoqué par une des parties, et l’on demande comment le juge pourra avoir la preuve de son existence. Une réponse satisfaisante à cette question n’est possible qu’après avoir résolu la question plus générale de savoir comment, indépendamment de tout procès, la reconnaissance d’un droit coutumier vient à s’établir[208].

Si notre esprit se reporte aux membres de la communauté au sein de laquelle le droit coutumier prend naissance, se développe et agit (§ 78), la question se résout d’elle-même. La reconnaissance du droit est pour eux un fait immédiat, puisque le droit lui-même repose sur leur conscience commune, et en ce sens tout droit coutumier est un fait de notoriété[209]. Et qu’on ne dise pas que c’est trop prouver, car alors il n’y aurait jamais d’incertitude ou de débats possibles sur l’existence d’un droit coutumier ; toute la question est de savoir pour qui et dans quelles limites existe la notoriété. Rien de plus notoire que la langue d’un peuple, et néanmoins un voyageur étranger pourra n’en pas connaître un seul mot. Il en est de même du droit coutumier. Pour ceux placés en dehors du cercle de la communauté, sa connaissance ne peut être que médiate et artificiellement acquise. Mais il n’est pas besoin d’aller chercher un étranger : au sein même de la nation, les impubères, et, pour beaucoup de matières, les femmes, se trouvent précisément dans le même cas. Ainsi dans la communauté même où le droit coutumier prend naissance, nous devons distinguer deux classes de personnes, les unes initiées, les autres étrangères à la connaissance commune du droit, toutes soumises à l’empire de la coutume. Le nombre de ces initiés varie selon les matières, et aussi selon le caractère et le degré de civilisation de chaque peuple ; mais il ne faut pas voir en eux des jurisconsultes : ce sont des hommes ayant la connaissance immédiate du droit coutumier ; de même, sur cette connaissance immédiate du droit repose l’ancienne institution des échevins germaniques qui formaient un corps d’initiés.

Il s’agit maintenant de savoir comment les personnes hors du cercle des initiés, soit pour le besoin d’une affaire, soit dans le désir de s’instruire, parviennent à la connaissance médiate du droit coutumier, la seule accessible pour elles. D’abord, elles peuvent connaître le droit par son application réelle, et j’ai dit (§ 29) quels caractères devait alors réunir la pratique. Elles peuvent ensuite le connaître par le témoignage des initiés qui en ont la connaissance immédiate. Ce témoignage peut être demandé et obtenu pour la solution actuelle d’une question de droit particulière ; il peut encore être rendu sur des matières générales, rédigé par écrit, et devenir ainsi susceptible d’une application plus large et plus durable.

Les déclarations des anciens échevins (Weisthümer)[210] nous fournissent un exemple de semblables témoignages rendus pour un besoin spécial du temps présent. Cet usage n’était pas non plus étranger aux Romains, et nous en avons un monument remarquable. Justinien fut supplié de rendre une loi nouvelle sur le fœnus nauticum, le prêt à la grosse aventure. Il chargea un fonctionnaire public de faire une enquête sur les règles suivies pour ce genre de contrat, de recueillir les témoignages des commerçants, sous la foi du serment, et, d’après ces témoignages, il rendit une loi confirmative de la coutume[211]. Une semblable enquête sur le droit coutumier peut se faire encore aujourd’hui, à propos d’une espèce particulière ; j’en parlerai tout à heure, et je montrerai quelle marche le juge doit suivre si le droit coutumier est douteux.

Parmi les actes destinés à constater le droit coutumier d’une manière générale et pour l’avenir, il faut ranger d’abord un grand nombre de déclarations d’échevins, qui n’ont pas été faites à l’occasion d’une espèce particulière ; puis les anciennes lois populaires, et plus tard les livres de droit ; en Allemagne le droit municipal et territorial ; en Italie les statuts des villes, et en France les coutumes. Sans doute dans ces divers recueils plus d’une disposition législative vient compléter la coutume, et par la suite des temps on s’en servit comme de lois véritables, et ainsi tomba en oubli leur destination primitive, la constatation du droit coutumier.

Il serait à désirer, pour conserver et propager le droit coutumier moderne, que nous eussions de semblables recueils composés dans le même esprit. Tel est le véritable but des codes dits provinciaux ; ils se distinguent des codes généraux en ce qu’ils n’embrassent pas le système du droit dans son ensemble, mais se bornent à certaines matières dont le rédacteur de ces codes a une connaissance spéciale qui le rend maître absolu de son sujet. Mais ce ne serait pas l’œuvre d’un jour, un travail à achever comme une affaire ordinaire qui demande une prompte expédition ; ce serait une œuvre lente et progressive, dont la marche devrait se régler sur la jurisprudence des tribunaux supérieurs. Le succès tiendrait au choix des rédacteurs, qui auraient à se défendre d’une double préoccupation : un penchant exclusif pour la centralisation et l’uniformité du droit, qui, d’ailleurs fort commode pour le juge, facilite beaucoup l’inspection générale du mécanisme des affaires ; puis un amour trop vif de la couleur locale et de l’antiquité pour elle-même. Sans doute, l’amour de l’antiquité est une belle et bonne chose moins belle pourtant que la vérité pure, moins bonne la satisfaction que d’un besoin de l’humanité. Ce travail, pour réussir, devrait être exécuté dans le même esprit que les anciennes déclarations d’échevins : surtout il ne faudrait pas négliger le témoignage des personnes étrangères à la science du droit car souvent, malgré leur défaut de théorie, c’est chez elles que l’on trouverait l’intuition la plus vive de sa réalité (note c).

Après ces considérations générales sur les signes distinctifs du droit coutumier, voyons maintenant quelle est la position du juge chargé de l’appliquer. On regarde ordinairement le droit coutumier comme un fait, et on l’assimile à tous les faits susceptibles de constituer un droit, à un contrat, à un testament, par exemple. Si le juge ne peut admettre un fait qui ne soit allégué et prouvé par une des parties, le droit coutumier doit être, pour son allégation et sa preuve, soumis aux mêmes règles que tous les faits en général, que les contrats et les testaments. Ce principe, adouci, il est vrai, par quelques auteurs de manière à rendre son application moins choquante, doit être entièrement rejeté[212].

Tout rapport de droit se compose de deux éléments, l’un général, l’autre particulier ; l’un est la règle de droit, l’autre le fait qui donne lieu à l’application de la règle (§ 5). Le juge peut et doit connaître la règle (jus novit curia), mais il peut et doit ignorer le fait, tant que le fait ne lui a pas été déféré et prouvé par une des parties. Cette distinction subsiste, soit que la règle émane de la loi, du droit coutumier ou du droit scientifique. La doctrine que je combats confond ces deux éléments constitutifs du rapport de droit, elle applique à la règle ce qui n’est vrai que du fait, c’est le fait particulier seul dont les règles de la procédure exigent la preuve ; et c’est ce caractère spécial du fait particulier qu’exprime le mot fait pris dans son sens technique.

Mais ce mot, comme toute expression, technique qui restreint le sens primitif d’un mot, prête à l’équivoque, et voilà ce qui a causé ou du moins confirmé l’erreur. Ainsi, le mot fait, pris dans un sens plus général, peut s’appliquer à l’établissement d’un droit coutumier, et tel est le sens donné au mot fait par les partisans de l’opinion que je réfute. Mais, pour être conséquents, ils devraient étendre ce principe à la loi, car la loi aussi repose sur le fait de la promulgation, et dès lors le juge ne devrait appliquer aucune loi, si une des parties ne l’alléguait et n’en prouvait l’existence ainsi que le contenu. Voilà ce qu’on n’a jamais avancé, bien que, considérés sous ce point de vue général, la loi et le droit coutumier aient une nature identique. Si, laissant de côté la discussion des principes, on cherchait dans le droit romain la confirmation de cette doctrine[213], on ne réussirait pas davantage, car en fait le droit romain ne contient aucune disposition sur la preuve du droit coutumier.

Il y a néanmoins dans cette doctrine un élément de vérité. J’espère, en le reconnaissant et le réduisant à sa juste valeur, réfuter d’une manière complète l’erreur qui s’y mêle[214]. Le droit, dans les temps modernes, a revêtu un caractère artificiel ; on exige du juge des études scientifiques, on le soumet à diverses épreuves, qui lui donnent une position bien différente de celle des anciens échevins. Ceux-ci rendaient sur chaque procès témoignage du droit vivant, dont ils avaient, comme tous les membres de la nation, la conscience immédiate, seulement peut-être plus nette et plus distincte, par suite de l’habitude des affaires. Aujourd’hui, si d’un côté nous demandons au juge davantage, de l’autre nous devons demander moins. S’il a besoin, pour juger, d’une science péniblement acquise, nous ne pouvons prétendre qu’il ait, comme les anciens échevins, cette conscience immédiate du droit que donnent les communications de la vie réelle[215]. La position du juge vis-à-vis de la législation ou du droit scientifique n’est donc pas la même que vis-à-vis du droit coutumier. Le juge peut et doit connaître la législation et le droit scientifique ; s’il les viole par ignorance, il manque à son devoir ; mais en matière de droit coutumier ses obligations sont moins rigoureuses. Le plaideur, qui craint de voir omettre à son préjudice une règle du droit coutumier, doit produire cette règle et imposer sa conviction au juge ; autrement le juge n’est pas répréhensible, et le plaideur doit imputer à sa négligence ou à sa maladresse le préjudice qu’il éprouve.

Ici se révèle la ressemblance pratique du droit coutumier et du fait proprement dit, car le fait doit être allégué et prouvé. Mais il y a loin de cette ressemblance à une assimilation complète, et il existe entre ces deux ordres de faits des différences pratiques essentielles[216]. Le juge ne peut suppléer le fait qui ne lui est pas dénoncé par la partie, il doit suppléer le droit coutumier, quelle que soit la manière dont il en ait connaissance. Les faits du procès doivent être présentés dans de certains délais et suivant certaines formes déterminées par les règles de la procédure ; mais le droit coutumier peut, en tout état de cause, influer sur le jugement, et le juge peut, en cette matière, admettre toute espèce de preuves. Sous ce point de vue, le droit coutumier est absolument semblable aux lois étrangères, dont parfois dépend la décision d’un procès. La connaissance de ces lois n’est pas obligatoire pour le juge ; les parties doivent les rechercher et les produire comme le droit coutumier, ce qui, du reste, ne les assimile pas aux faits proprement dits. Si dans un procès se présente une question de droit coutumier, le juge, pour en prendre connaissance, peut se déterminer suivant les circonstances ; il peut chercher sa conviction dans la pratique, si elle réunit les caractères que j’ai exposés plus haut (§ 29) ; il peut consulter les personnes immédiatement initiées au droit coutumier : alors elles figurent comme experts, non comme témoins, car elles n’ont pas à déposer sur un fait matériel[217]. L’adoption de ce moyen ne saurait passer pour une application directe de la Novelle où il en est parlé (note d), car Justinien ne prescrit pas au juge la marche à suivre pour s’enquérir d’un droit coutumier ; seulement il expose comment lui-même s’y est pris, dans un cas particulier, pour rendre une loi conforme à la coutume. Mais le juge qui suit cet exemple entre dans l’esprit de nos lois, et, sous ce rapport, la Novelle de Justinien peut être regardée comme autorité. — Si la règle de droit coutumier, débattue au procès, avait déjà été appliquée dans une autre espèce, et que le même juge ou tout autre tribunal, après un mûr examen, eût reconnu la règle comme vraie, ce jugement antérieur serait une autorité grave, un témoignage officiel qui abrégerait ou même finirait les débats, car, dans la première affaire, l’opposition de la partie adverse a dû nécessairement éveiller l’attention du magistrat. Aussi Ulpien conseille-t-il au juge de rechercher tout d’abord si la coutume se trouve confirmée par une décision antérieure[218].

N’oublions pas néanmoins que cette différence, dans la mise en œuvre des sources, ne tient pas à la nature même du droit coutumier, mais à l’imperfection de notre jurisprudence, imperfection dont nous ne sommes pas responsables, et que nous devons corriger de notre mieux. Cette espèce de déviation, que la nécessité nous impose, doit donc être renfermée dans des bornes. aussi étroites que possible. D’abord elle est inapplicable aux coutumes faisant partie du droit commun. Toutes ces coutumes, sans aucune exception, sont reconnues par la science qui leur a servi d’intermédiaire, et n’ont pas ce caractère de popularité, le seul difficile à saisir. Ainsi, quand un plaideur soutient que le nudum pactum donne lieu à une action, que les leges restitutæ du Code et les prescriptions du droit public des Romains n’ont pas d’autorité pratique, ce sont là des principes du droit coutumier commun ; mais jamais juge n’en fera le sujet d’une enquête, jamais il n’exigera de preuves ou de témoins de leur application. — Le droit coutumier. local est donc le seul pour lequel il faille recourir à ces voies exceptionnelles, et encore en serat-on dispensé, si par bonheur il existe des recueils généraux réunissant les conditions que j’ai énumérées, où se trouvent consignées les règles de la coutume. De semblables recueils, composés de nos jours, lèveraient toutes les incertitudes, car, sans doute, leur autorité serait confirmée par l’autorité législative.

Enfin, quant à ses effets, le droit coutumier devait être mis sur la même ligne que les lois, car le droit romain, qu’on prend ici pour type, le dit expressément ; mais, dans ses applications particulières, le droit coutumier devait exercer son action de différentes manières, selon qu’il existait déjà une loi sur la question, ou qu’il n’en existait pas. Dans ce dernier cas point de difficulté, car, évidemment, le droit coutumier comblait une lacune de la loi. Dans le second cas, si la coutume était en opposition avec une loi, d’après le principe d’égalité établi entre la législation et le droit coutumier, la règle la plus récente devait l’emporter, quelle que fût son origine. La L. 2, C. quæ sit longa consuet., laissait des doutes sur ce point ; mais la plupart des auteurs ont reconnu au droit coutumier la puissance de modifier la législation, sauf de rares exceptions qu’ils fondent sur cette loi du Code[219].

Quelques auteurs modernes distinguent si la loi a été simplement abolie par le non-usage (desuetudo), ou remplacée par une disposition nouvelle (consuetudo abrogatoria) ; pour ce dernier cas, ils reconnaissent l’autorité de la coutume, et ils la nient formellement pour le premier[220]. Mais, dans le texte cité du Code, on ne trouve pas même l’apparence de cette distinction ; car, si on le prend à la lettre, il s’applique également aux deux cas. En effet, une coutume qui adoucit ou aggrave la peine prononcée par une loi ne subjugue (vincit) pas moins la loi que celle qui anéantit la pénalité tout entière et déclare licites des actes autrefois défendus. Cette distinction n’est pas fondée davantage sur la nature du droit coutumier. Sans doute, le mot desuetudo cache parfois un fait qui n’a rien de commun avec le droit coutumier, je veux dire la non-application d’une loi pendant un long espace de temps, faute de matière pour son application. Ce fait négatif ne manifeste aucune conviction de droit et n’établit aucun droit coutumier. Mais si les cas prévus par la loi se fussent présentés, et qu’on eût négligé de s’en servir, cet abandon de la loi passé en coutume serait aussi efficace pour l’abolir que si une coutume positive l’eût remplacée par une règle contraire. On peut même dire que toute desuetudo implique une règle inverse. Ainsi, par exemple, la prohibition de l’anatocisme, levée pour les comptes courants du commerce, est une desuetudo ; mais elle fait revivre la règle générale sur la validité des stipulations d’intérêts, qui ne sont pas formellement prohibés.

Si une coutume locale se trouve en opposition avec l’intérêt de l’État ou avec une loi générale absolue, cette coutume, quand même elle serait postérieure à la loi, n’a aucune autorité ; et ce principe ne dérive pas seulement du texte du Code, sainement interprété (L. 2, C. quæ sit longa consuet.), il tient à la nature même des rapports entre l’État et ses diverses parties[221]. Ainsi, par exemple, une nouvelle loi sur l’usure. serait une loi générale dont l’application ne pourrait être entravée par aucune coutume locale, antérieure ou postérieure à sa promulgation.

§ XXXI. Principes des législations modernes sur les sources du droit

Les doctrines des auteurs modernes, exposées précédemment, ne pouvaient demeurer sans influence sur les codes qui ont été faits de nos jours. Il s’agit maintenant de rechercher comment les auteurs de ces codes envisagent les sources du droit.

Le code prussien, le premier en date, abolit le droit commun antérieur, se pose comme source exclusive du droit, et, en effet, il devait renfermer tout ce qui était encore susceptible d’application[222]. — Puis il règle la formation des lois futures et le mode de leur publication[223] ; dispositions très-raisonnables, puisque le Code embrassait plusieurs matières du droit public ; mais ces dispositions furent bientôt trouvées insuffisantes et remplacées par d’autres. — Le droit coutumier général, jusque-là en vigueur, était compris dans l’abolition du droit commun quant aux coutumes locales, celles encore susceptibles d’application devaient être recueillies. dans un délai de deux ans, et, avec les lois provinciales, former des codes provinciaux. Les coutumes locales, exclues de ces recueils, ne devaient être admises que comme compléments du Code, et pour le petit nombre de cas où le Code y renvoie[224]. Le Code est muet sur la formation du droit coutumier pour l’avenir ; mais, d’après les dispositions précédentes, ce ne pouvait être qu’un droit coutumier local. — Enfin, relativement au droit scientifique, le Code s’exprime ainsi : « On ne doit avoir aucun égard, pour la décision d’un procès, aux opinions des jurisconsultes ni aux jugements antérieurs des tribunaux[225]. » Malgré la généralité de cette dernière expression, il faut sans doute entendre la jurisprudence (præjudicia), et non l’autorité de la chose jugée ; et quand le Code défend d’avoir égard aux opinions des jurisconsultes, cela veut dire qu’elles n’ont aucune force obligatoire comme lois ; mais l’influence morale qu’elles exercent sur la conviction du juge, quelquefois même à son insu, aucune loi ne saurait l’interdire.

Le droit public est en dehors du Code français ; aussi ne trouve-t-on dans ce Code aucune disposition directe sur le sujet qui nous occupe. L’abolition du droit antérieur sur les matières faisant l’objet du nouveau Code fut prononcée par une loi particulière[226]. Le Code se borne à cette disposition indirecte, fort importante, que le juge ne peut se dispenser de juger sous prétexte du silence ou de l’obscurité de la loi[227]. De cette disposition résulte que, dans de semblables cas, la loi s’en remet à la prudence du juge, et comme la cour de cassation réprime les abus de cette liberté, l’ensemble de ces dispositions forme un système bien lié. Pour certaines matières spéciales, les servitudes et le louage, le Code renvoie aux coutumes locales et aux règlements particuliers[228]. Le Code ne dit rien sur la formation du droit à l’avenir, mais son silence s’interprète aisément ; toute coutume générale est interdite, les coutumes locales sont permises pour les cas spéciaux prévus par le Code.

Le Code autrichien abolit le droit commun, et nommément les coutumes, par l’acte de promulgation de 1811. Ce Code, consacré exclusivement au droit privé, ne contient aucune disposition sur la législation. Les coutumes ne sont applicables que si la loi y renvoie expressément. Quant aux décisions judiciaires, on se borne à dire qu’elles n’ont pas force de loi, qu’elles n’ont d’effet que pour le cas où elles sont rendues, et entre les parties [229].

Dans tous ces Codes, les dispositions les moins importantes sont celles relatives à la législation et au droit coutumier ; à la législation, parce qu’il faut en chercher ailleurs le complément nécessaire ; au droit coutumier, parce que ce droit, sous sa forme populaire primitive, et dégagé du droit scientifique, ne se trouve presque plus dans les temps modernes. Le rapport des coutumes locales au droit général est très-remarquables, mais hors de mon sujet. Une chose plus remarquable encore, c’est le rapport établi entre les nouveaux Codes et la science, l’influence que conservent la littérature et la jurisprudence sur l’administration de la justice ; c’est le développement du nouveau droit d’après l’intelligence de son esprit, confié à la magistrature ; non que là-dessus les textes soient positifs, ils n’en disent rien ou presque rien, mais ce développement était désiré, attendu, préparé par le législateur, et il s’est effectivement accompli.


Ici nous voyons une différence notable (§ 21). En Prusse, la réforme n’avait aucun motif politique, le législateur agissait uniquement dans l’intention bienfaisante de corriger une législation défectueuse et de la remplacer par une meilleure. Le mal se faisait surtout sentir dans le domaine de la littérature. Sans doute on y trouvait de la science et des recherches, c’est-à-dire de bons éléments, mais elle était incohérente ; et la partie pratique de la science du droit, au-dessous du développement général intellectuel, avait perdu son autorité morale. Rompre complétement avec cette littérature semblait utile et même nécessaire ; ainsi donc une pensée semblable à celle de Justinien (§ 26) dominait l’entreprise, sauf les différences tenant à l’indépendance et aux lumières de la civilisation moderne. Aussi, loin de songer à proscrire la science, on voulait fonder sur le Code une science nouvelle, comme on le voit à ses développements et à ses formes didactiques. Le but négatif du législateur fut immédiatement atteint, par l’abandon presque total de l’ancienne littérature ; mais, pendant près de quarante ans, la science semblait se refuser à naître ; depuis quelques années seulement commence un mouvement intellectuel qui donne les meilleures espérances. L’objet direct du nouveau Code était de fonder l’uniformité de la pratique sur des règles exclusives et complètes. Pour juger si cet objet a été rempli, il faudrait comparer la jurisprudence des tribunaux ; les matériaux scientifiques de ce travail nous ont longtemps manqué ; des mains habiles commencent aujourd’hui à les recueillir[230].

En France, l’état des choses était bien différent (§ 21). Les imperfections de la jurisprudence ne paraissaient nullement intolérables ; mais le nouveau Code était un développement naturel de la révolution. La révolution voulait détruire les anciennes institutions, effacer la distinction des provinces, et le Code avait pour but d’abolir les différences locales et de fonder l’unité de la France dans le domaine du droit. La France, avant la révolution, était bien inférieure à l’Allemagne pour la théorie du droit, bien supérieure pour la pratique. L’éloquence du barreau, le contact des mœurs raffinées de la capitale, l’éclat et l’influence des parlements, tout contribuait à donner aux fonctions des juges et des avocats un caractère d’intelligence et de noblesse, et à entourer leur personne de considération.

Les rédacteurs du Code ne voulurent pas abolir l’ancienne jurisprudence, et, sans doute, ils comptaient sur la durée de son action quand ils traitaient si brièvement plusieurs matières très-importantes du droit. Leur attente n’a pas été trompée la littérature nouvelle se lie tellement à l’ancienne, que l’on a peine à croire qu’elles soient séparées par le grand événement de la promulgation d’un Code. De tous les éléments de la vie publique, le droit civil est peut-être celui que la révolution ait le moins ébranlé et le moins modifié.

Ici encore se révèlent l’esprit des différentes nations, leurs qualités et leurs défauts. C’est aux gouvernants à apprécier les besoins de chaque peuple, et la nature des facultés dont ils disposent pour accomplir de grandes choses. Ainsi, en Allemagne, il ne conviendrait pas de laisser au droit ce libre développement qu’il eut pendant le moyen âge, depuis, longtemps encore, et d’où est sortie la pratique moderne. D’un autre côté, il ne conviendrait pas non plus de confier ce développement du droit à une classe de fonctionnaires supérieurs, aux ministres de la justice, par exemple, qui traiteraient cet objet comme les affaires courantes demandant une prompte expédition. La science sans la pratique, ou la pratique sans la science, ne sauraient atteindre le but, il faut la réunion de toutes deux. On pourrait, dans chaque grand État, former une commission législative, composée de savants jurisconsultes et de praticiens expérimentés, qui entretiendraient des relations continuelles avec la haute magistrature, et recueilleraient les résultats de la jurisprudence. Une semblable institution réaliserait avec connaissance de cause, et dès lors plus sûrement, ce que les siècles antérieurs ont fait sans s’en rendre compte. Cette institution aurait, sous une forme bien-différente, précisément les mêmes effets que la révision annuelle du droit romain par l’édit du préteur. Je ne parle ici que des développements intérieurs du droit qui s’accomplissent en vertu de sa force organique (§ 7). Cette institution pourrait encore satisfaire avec réflexion et intelligence beaucoup de besoins qui, autrement, réclament l’intervention du législateur (§ 13). Pour prouver que la distinction ici établie n’est pas arbitraire, mais fondée sur l’expérience et généralement admise, sinon rigoureusement posée, je citerai les pays où plusieurs pouvoirs politiques concourent à la confection de la loi, la France et l’Angleterre. Malgré la jalousie avec laquelle chacun de ces pouvoirs veille au maintien de son autorité législative, ce développement intérieur et tacite du droit est tellement hors de controversé, qu’on le laisse s’accomplir de lui-même et sans obstacle. Néanmoins, si une institution touche à des intérêts politiques, elle exige une forme plus précise et rentre dans le domaine de la législation. Il faut en dire autant, et avec encore plus de raison, d’une recomposition générale et systématique du droit, telle que le Code Napoléon.


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CHAPITRE IV.

interprétation des lois.


§ XXXII. Définition de l’interprétation. Interprétation législative. Interprétation doctrinale.

Jusqu’ici, j’ai considéré le contenu des sources comme les règles du droit en lui-même, et sous un point de vue extérieur. Mais pour que ces règles passent dans la vie réelle, nous avons de notre côté quelque chose à faire, il faut que nous nous les assimilions d’une manière déterminée. Cette assimilation peut recevoir plusieurs applications diverses. Le jurisconsulte s’en sert pour recomposer la science sous des formes nouvelles ; le magistrat, pour rendre ses jugements ; le citoyen, pour régler avec certitude ses rapports sociaux. Je n’ai pas à examiner les caractères particuliers de ces diverses applications ; mais toutes ont pour base un élément commun, l’assimilation même des sources, et c’est cet élément commun que je vais étudier dans le présent chapitre.

Ce que nous avons à faire est un acte intellectuel, acte souvent fort simple, mais qui néanmoins est un travail scientifique, principe et fondement de la science du droit. J’ai déjà parlé de la science comme d’un élément qui concourt à la formation du droit ; je la considère ici sous une face opposée, comme percevant le droit placé en dehors d’elle, le droit qu’elle n’a pas fait, et le traduisant à la conscience de l’homme en caractères précis.

Une semblable perception est possible et nécessaire, quelle que soit d’ailleurs la nature des sources. Néanmoins, pour le droit coutumier et pour le droit scientifique, l’opération se fait plus simplement. Sans doute, il existe sur la nature de ces deux droits des erreurs ayant une grande portée ; j’en ai parlé plus haut. Mais ces erreurs une fois reconnues, l’opération intellectuelle n’a pas besoin d’explication détaillée. Quand, au contraire, il s’agit des lois, l’opération devient souvent très-compliquée ; et voilà pourquoi j’ai intitulé ce chapitre : Interprétation des lois.

Cette opération intellectuelle a pour but la reconnaissance de la loi dans sa vérité ; en d’autres termes, la loi, soumise au criterium de notre intelligence, doit nous apparaître comme vraie. Cette opération est indispensable pour toute application de la loi à la vie réelle ; et c’est sur ce caractère de nécessité constante que se fonde sa légitimité. Cette opération n’est donc pas restreinte, comme plusieurs le pensent, au cas accidentel d’obscurité dans la loi (§ 50) ; mais elle peut alors prendre plus d’importance, et avoir des conséquences plus étendues. L’obscurité est. une imperfection de la loi, et, pour en chercher le remède, il faut d’abord l’étudier à son état normal.

D’un autre côté, quelle que soit l’obscurité de la loi, la nécessité de l’opération intellectuelle n’en subsiste pas moins[231]. Aussi devons-nous poser en principe que le juge, par la nature de ses fonctions, est tenu de donner un sens à la loi, la plus obscure, et d’y conformer son jugement. De même, les faits d’un procès peuvent offrir la plus grande incertitude ; mais cela ne dispense pas le juge de se prononcer. Entre les deux éléments d’un jugement, la règle de droit et le fait, il n’y a pas sous ce rapport de différence essentielle. La disposition du droit français qui défend au juge de s’abstenir, sous prétexte du silence ou de l’obscurité de la loi[232], est fondée sur la nature même des fonctions judiciaires. Il est un cas cependant où la liberté d’interprétation se trouve enchaînée, c’est quand le sens d’une loi est devenu l’objet d’une loi nouvelle. Si donc le sens d’une loi a été fixé par une loi postérieure, ou par une coutume constante, l’interprète cesse d’être libre, il doit accepter et appliquer la loi telle qu’elle est interprétée, quand même il serait convaincu de la fausseté de cette interprétation. Les auteurs modernes appellent l’interprétation authentique ou usuelle, selon qu’elle est fondée sur la loi ou sur la coutume[233], ou bien ils réunissent ces deux espèces d’interprétations sous le nom d’interprétation légale, et l’opposent à l’interprétation doctrinale, celle que je viens de décrire comme un acte scientifique de l’intelligence.

Les distinctions qu’expriment ces mots techniques sont justes si on considère le but commun : connaître le contenu d’une loi. En ce sens, tout moyen d’arriver à ce but s’appelle interprétation, et les distinctions faites par les auteurs répondent à la diversité de ces moyens. Mais si l’on considère l’interprétation dans son essence, il faut en revenir à l’idée d’un acte libre de l’intelligence ; car voilà ce qu’implique nécessairement l’existence de la loi. En effet, toute loi, pour recevoir son application à la vie réelle, doit être saisie par l’intelligence ; car il n’est pas dans l’ordre ordinaire des choses que chaque loi soit suivie d’une autre qui l’explique, et d’ailleurs, en attendant la loi explicative, il faudrait toujours avoir recours à l’action libre de l’intelligence. Cette définition admise, ce que l’on appelle interprétation légale n’est pas une espèce d’interprétation, mais bien plutôt le contraste, l’exclusion, la défense de l’interprétation véritable, c’est-à-dire l’action libre de l’intelligence. La définition que je donne se trouve justifiée, comme contenant le rapport évident et incontestable de la règle à l’exception. Ainsi donc, j’emploierai désormais le mot générique interprétation pour désigner l’interprétation doctrinale.

Des auteurs modernes ont renversé le rapport de la règle et de l’exception. Ils prétendent que l’interprétation est législative de sa nature, et qu’elle ne peut appartenir à une classe de fonctionnaires ou aux citoyens, sans une délégation de l’autorité souveraine[234]. Cette opinion se rattache à celle des auteurs modernes, qui regardent l’interprétation non comme une explication simple et vraie, mais comme une modification de la loi. L’examen de cette opinion trouvera sa place plus bas.

L’interprétation est un art qui s’apprend par l’étude des grands modèles que l’antiquité et les temps modernes nous offrent en abondance. Quant à la théorie de cet art, nous sommes beaucoup moins riches. Cela tient à des circonstances accidentelles. Mais ne nous faisons pas illusion sur la valeur de la théorie, même la plus parfaite. L’art de l’interprétation, comme tous les autres arts, ne s’enseigne pas avec des règles. Mais, en contemplant les œuvres des grands maîtres, nous saisissons le secret de leur supériorité, nous exerçons les facultés que réclame la science, et nous apprenons à bien diriger nos efforts. C’est à donner ce précepte, et à signaler les fausses routes, que se réduit la théorie de l’interprétation comme celle de tous les arts.

Ici encore se présente l’importante question de savoir si les prescriptions du droit romain sur l’interprétation sont obligatoires dans les pays où ce droit est adopté. J’ai résolu cette question négativement (§ 27) au sujet de la formation du droit lui-même ; ici il ne s’agit que de la manière de percevoir les sources du droit, et cette question, quoique intimement liée à la première, pourrait recevoir une solution différente. Je ne saurais, quant à présent, la traiter d’une manière complète et définitive, je citerai donc provisoirement les principes du droit romain, en me réservant d’examiner plus tard si ce sont pour nous des lois obligatoires ou de graves autorités.

Le sujet de ce chapitre se divise en deux parties : l’interprétation de chaque loi prise séparément et en elle-même ; l’interprétation des sources considérées dans leur ensemble. En effet, la réunion des sources embrassant toutes les matières du droit, nous devons y trouver le double caractère d’unité et d’universalité ; ce qui nous impose une double tâche, lever toutes les contradictions, combler toutes les lacunes.

§ XXXIII. A. Interprétation des lois détachées. Règles fondamentales de l’interprétation.

Toute loi étant destinée à fixer un rapport de droit, toute loi exprime une pensée simple ou complexe, qui met ce rapport de droit à l’abri de l’erreur ou de l’arbitraire. Pour que la loi parvienne à ce but, il faut que sa pensée soit saisie tout entière, et dans toute sa pureté, par tous ceux qu’atteint ce rapport de droit. Ceux-ci doivent alors se transporter au point de vue du législateur, reproduire artificiellement ses opérations, et recomposer la loi par la pensée. Tel est le procédé de l’interprétation, que l’on peut définir ainsi : la reconstruction de la pensée contenue dans la loi[235]. Par là seulement on obtient une intuition certaine et complète de ce que la loi renferme, et par là seulement le but de la loi se trouve rempli.

Jusqu’ici l’interprétation de la loi ne diffère en rien de l’interprétation de toute autre pensée exprimée par le langage ; celle, par exemple, dont s’occupe la philologie. Mais son caractère particulier se révèle quand on décompose ses parties constitutives. Ainsi, on y distingue quatre éléments, l’élément grammatical, logique ; historique et systématique.

L’élément grammatical de l’interprétation a pour objet les mots dont se sert le législateur pour nous communiquer sa pensée, c’est-à-dire le langage des lois.

L’élément logique a pour objet la décomposition de la pensée, ou les rapports logiques qui unissent ses différentes parties.

L’élément historique a pour objet l’état du droit existant sur la matière, à l’époque où la loi a été rendue. Cet état détermine le mode d’action de la loi : c’est ce mode d’action et le changement introduit par la loi que l’élément historique doit mettre en lumière.

Enfin, l’élément systématique a pour objet le lien intime qui unit les institutions et les règles du droit au sein d’une vaste unité (§ 5). Le législateur avait devant les yeux cet ensemble aussi bien que les faits historiques, et, pour saisir sa pensée tout entière, nous devons nous expliquer clairement l’action exercée par la loi sur le système général du droit, et la place qu’elle y occupe[236].

L’étude de ces quatre éléments épuise le contenu de la loi. Ce ne sont donc pas quatre espèces d’interprétations, parmi lesquelles on peut choisir selon son goût ou son caprice ; ce sont quatre opérations distinctes, dont la réunion est indispensable pour interpréter la loi. Sans doute l’un ou l’autre de ces éléments peut avoir plus d’importance et ressortir davantage. Aussi suffit-il de n’en négliger aucun, et, d’après les circonstances, on peut, sans nuire à la profondeur de l’interprétation, passer sous silence un de ces éléments dont la mention serait inutile ou pédantesque. Mais la réussite de l’interprétation tient à deux conditions essentielles où se résument les caractères de ces divers éléments. D’abord, nous devons reproduire en nous-mêmes l’opération intellectuelle d’où sort la pensée de la loi ; ensuite, les faits historiques et le système du droit, qui seuls jettent du jour sur une loi particulière, doivent nous être assez présents dans leur ensemble pour que nous y rattachions immédiatement le texte à interpréter. Ces deux conditions mûrement examinées nous expliquent un phénomène qui pourrait nous rendre suspecte la rectitude de notre jugement. Nous trouvons quelquefois dans de savants auteurs de erreurs d’interprétation qui semblent incroyables, et où ne tomberait peut-être pas un élève distingué auquel le même texte serait soumis. Cela se voit surtout pour les nombreuses espèces qui forment une partie si considérable et si instructive du Digeste.

Le but de l’interprétation est de tirer de chaque loi le plus d’instruction possible ; elle doit donc être à la fois individuelle et féconde en résultats[237]. Le succès de l’interprétation admet bien des degrés ; cela tient au talent de l’interprète et encore au talent du législateur qui, maître de son sujet, aura su presser et concentrer dans son texte les idées positives. Ainsi, la législation et l’interprétation exercent entre elles des influences réciproques, elles prospèrent ensemble, et la supériorité de chacune est pour l’autre une condition et un gage de supériorité.

§ XXXIV. Motif de la loi.

Si l’interprétation a pour but de nous donner conscience de la loi, tout ce qui n’appartient pas au contenu de la loi, quelle que soit d’ailleurs son affinité avec ce contenu, demeure, rigoureusement parlant, étranger à l’objet de l’interprétation. Ici se présente en première ligne le motif de la loi (ratio legis). Ce mot a deux sens différents selon qu’on l’applique au passé ou à l’avenir ; ainsi il désigne, 1o la règle supérieure de droit, d’où sort la loi comme déduction et conséquence ; 2o l’effet que la loi est appelée à produire, c’est-à-dire le but, l’intention de la loi. Ce serait se tromper que de voir entre ces deux choses une opposition absolue ; on doit admettre au contraire que le législateur les a constamment réunies dans sa pensée. Elles ont néanmoins cette différence relative que l’une ou l’autre prédomine dans certaines lois. Ici se représente la distinction posée plus haut (§ 16) entre le droit normal et le droit anomal. Dans le droit normal (jus commune) prédomine l’influence des règles antérieures dont la loi complète le développement ; son but est de traduire le droit en caractères visibles et d’assurer son exécution. Dans le droit anomal (jus singulare), l’action de la loi sur l’avenir est le point de vue prédominant. Une loi sur l’usure, par exemple, qui viendrait au secours des débiteurs pauvres, serait dominée uniquement par la maxime générale que le législateur doit interposer sa protection tutélaire quand une classe de la société voit son sort compromis dans le domaine du droit.

Le motif de la loi peut être plus ou moins certain. Il ne l’est jamais davantage que s’il se trouve exprimé dans la loi ; mais alors même il demeure distinct de son contenu, et n’en devient nullement partie intégrante. Par contre, l’ignorance où nous sommes du motif de la loi ne lui ôte rien de son autorité. Quand bien même nous saurions avec certitude que la loi n’a jamais eu de motif véritable, c’est un cas dont je parlerai tout à l’heure, sa force obligatoire n’en recevrait aucune atteinte. L’incertitude sur le motif de la loi peut venir de plusieurs causes. Quelquefois nous apercevons plusieurs motifs sans savoir les coordonner ; quelquefois aussi, un motif évident, exprimé dans le texte même, semble étranger à la loi, par suite de la suppression des idées intermédiaires qui lèveraient cette apparence de contradiction[238].

Il existe divers degrés de relation entre le motif et le contenu de la loi. Tantôt ils présentent le rapport purement logique du principe à la conséquence, et alors ils sont identiques[239] ; tantôt, au contraire, ils se trouvent fort éloignés l’un de l’autre[240]. Les motifs sont appelés spéciaux ou généraux, selon ces différents cas. Au reste, ces idées toutes relatives, loin d’être tranchées rigoureusement, se touchent par des nuances imperceptibles.

Le motif de la loi peut être invoqué utilement et avec confiance quand il s’agit de savoir quelle est la nature de la règle contenue dans la loi, si elle appartient au droit absolu ou au droit supplétif, au jus commune ou au jus singulare (§ 16). — On doit s’en servir avec beaucoup plus de précaution et de réserve pour l’interprétation de la loi. Son emploi varie d’ailleurs suivant son degré de certitude, et suivant son affinité avec le contenu de la loi, comme je l’ai dit tout à l’heure. Les conditions spéciales de ce moyen d’interprétation trouveront leur place plus bas.

Dans les motifs de la loi j’ai signalé de nombreuses différences tenant à la nature de leurs rapports et à leur affinité avec le contenu de la loi, à leur certitude et à leur application. Malgré ces différences, ils ont un caractère commun : ils tiennent à l’essence même de la loi ; en d’autres termes, ils ont une nature objective par rapport à la pensée du législateur. C’est cette nature objective qui les rend reconnaissables à chacun ; et si dans certains cas ils nous restent cachés, ce sont là de rares exceptions. Par là, ils se distinguent nettement des faits ayant avec la pensée du législateur un rapport purement subjectif, faits dont la connaissance est pour nous aussi rare et accidentelle que l’ignorance des motifs de la loi. Il faut ranger dans cette classe les événements qui ont été l’occasion d’une loi, mais qui auraient pu donner lieu à des mesures toutes différentes[241] ; et les considérations de personnes et de circonstances, qui déterminent le législateur à établir une règle générale et permanente[242]. — Ces faits subjectifs ne doivent avoir aucune influence sur l’interprétation de la loi, pas même l’influence restreinte attribuée aux motifs. Seulement, on peut en faire un usage négatif, prouver par là l’absence d’un motif véritable, et repousser les

motifs imaginaires qu’on serait tenté de chercher[243].
§ XXXV. Interprétations des lois défectueuses. Des différentes espèces de défectuosités, et des moyens d’y remédier.

Les principes fondamentaux que je viens de poser (§33) suffisent pour l’interprétation des lois à l’état normal, celles dont l’expression renferme une pensée complète, et que tout nous autorise à regarder comme le contenu véritable de la loi. Je passe maintenant aux lois défectueuses, à l’examen des difficultés qu’elles présentent et des moyens de les surmonter. Les défectuosités de la loi peuvent se ranger en deux clases :

I. Expression indéterminée ne renfermant aucune pensée complète.

II. Expression impropre, dont le sens direct est en contradiction avec la pensée véritable de la loi.

Ces deux espèces de défectuosités n’appellent pas le remède d’une manière également impérieuse. La première veut être corrigée dans tous les cas, et cela n’offre aucun danger. La seconde est plus délicate à traiter, et demande beaucoup de précautions.

Mais, avant d’entrer dans les détails de ce sujet, il est bon de passer en revue les moyens que nous avons à notre disposition. Le premier consiste à examiner l’ensemble de la législation, le second à rapprocher la loi de son motif, le troisième à apprécier le mérite du résultat obtenu par l’interprétation.

A. Examen de la législation dans son ensemble. Ce moyen peut être appliqué de deux manières à l’interprétation d’une loi défectueuse. On peut interpréter la partie défectueuse à l’aide des autres parties de la même loi, et c’est la voie la plus sûre[244] ; on peut interpréter la loi défectueuse à l’aide des autres lois[245].

L’interprétation obtenue par ce dernier moyen sera d’autant plus certaine que les lois seront plus rapprochées ; si elles émanent du même législateur, l’interprétation atteindra son plus haut degré de certitude. On peut néanmoins se servir aussi des lois antérieures, dans la supposition légitime que le législateur a eu ces lois devant les yeux, et que dès lors elles sont le complément de sa pensée[246]. On peut enfin se servir des lois postérieures ; mais ce dernier cas ne rentre que rarement dans le domaine de l’interprétation pure. En effet, ces lois modifient le plus souvent la loi défectueuse, ou en donnent une interprétation authentique (§ 32) qui n’est pas de l’interprétation proprement dite. Quand on emploie les lois postérieures comme moyens d’interprétation pure, on suppose que l’esprit de l’ancienne législation s’est conservé dans la nouvelle[247].

B. Une loi défectueuse s’interprète par ses motifs : mais ce moyen d’interprétation souffre plus de restrictions que le précédent. Ainsi, son emploi sera subordonné à la certitude des motifs, et à leur affinité avec le contenu de la loi (§ 34). En l’absence de l’une ou de l’autre de ces conditions, les motifs pourront toujours servir de remède à la première espèce de défectuosité (l’expression indéterminée), rarement à la seconde espèce (l’expression impropre).

C. L’appréciation du résultat obtenu est, de tous les moyens d’interprétation, le plus aventureux ; car l’interprète risque beaucoup d’excéder ses pouvoirs, et d’empiéter sur le domaine de la législation. Aussi devra-t-on y recourir pour préciser le sens d’une expression indéterminée, jamais pour ramener le texte à la pensée de la loi.

Les moyens d’interprétation nous offrent les mêmes gradations que les défectuosités de la loi. Ainsi, le premier est d’une application générale, le second demande beaucoup de réserve, le troisième doit être circonscrit dans les limites les plus étroites.

§ XXXVI. Interprétation des lois défectueuses. Suite. (Expression indeterminée.)

L’indétermination qui voile une pensée peut tenir ou à une expression incomplète ou à une expression ambiguë.

L’expression incomplète d’une loi a précisément le caractère d’un discours interrompu et dont le sens reste en suspens. Telle serait une loi qui exigerait des témoins dans un cas et n’en fixerait pas le nombre[248].

L’ambiguïté, qui se présente plus fréquemment et avec des conséquences plus graves, peut se trouver : 1o dans une expression ; 2o dans une construction amphibologique.

Tantôt l’expression employée pour désigner une individualité s’applique à d’autres individualités de la même espèces : cela se rencontre moins souvent dans les lois que dans les actes et les contrats[249] ; tantôt l’expression employée pour rendre une idée abstraite présente deux significations différentes[250], ou seulement deux acceptions, l’une plus large, l’autre plus restreinte[251]. Une construction amphibologique peut aussi rendre une loi équivoque ; et, bien que cette espèce d’ambiguïté se voie surtout dans les contrats, les lois n’en sont pas exemptes[252].

Toutes ces ambiguïtés, malgré la diversité de leurs apparences, ont cela de commun qu’elles nous empêchent de saisir avec certitude la pensée complète de la loi. — L’ambiguïté vient du législateur ; elle peut tenir à l’obscurité de ses idées, à son impuissance de manier la langue, ou à ces deux circonstances réunies. Mais, quelle que soit la source de l’obscurité, l’interprète doit nécessairement y porter remède ; car on ne saurait tirer une règle d’une loi ainsi défectueuse. La reconnaissance de cette nécessité est également certaine ; elle peut se prouver par une argumentation logique. Mais l’argumentation se réduit à constater la nature du doute, elle n’en donne pas la solution. On doit la chercher dans les trois moyens d’interprétation que j’ai énumérés (§ 35) : tous sont applicables ; et la question de leur mérite se borne à déterminer l’ordre dans lequel on doit les employer.

Ainsi, on devra d’abord recourir à l’examen de la législation dans son ensemble ; et si cela suffit pour déterminer le sens de la loi, il faudra négliger les autres voies d’interprétation, comme moins sûres et d’ailleurs surabondantes.

En second lieu, on devra consulter le motif de la loi, et, si la chose est possible, le motif spécial ayant une affinité directe avec le contenu de la loi (§ 35) ; et, à son défaut seulement, le motif général comme moyen subsidiaire. Si, par exemple, une loi repose sur l’æquitas, tel est le caractère reconnu du droit normal dans les temps modernes (§ 16), et que cette loi soit susceptible de deux interprétations, on devra préférer celle que l’æquitas justifie[253].

En troisième et dernier lieu, on pourra déterminer le sens de la loi par l’appréciation des résultats que donnent les interprétations diverses. Ainsi, on devra préférer celui qui est le plus raisonnable[254], celui qui répond le mieux aux besoins de la pratique[255], celui enfin qui est le plus humain et le plus doux[256].

§ XXXVII. Interprétation des lois défectueuses. Suite. (Expression impropre.)

La seconde espèce de défectuosité tient à l’impropriété des termes. Ainsi, une expression est impropre quand elle donne un sens clair et déterminé, mais différent de la pensée réelle de la loi. En présence de cette contradiction entre les éléments constitutifs de la loi, on se demande lequel doit l’emporter. Or, l’expression n’étant que le moyen et la pensée le but, on doit évidemment s’attacher à la pensée, et y conformer l’expression en la rectifiant[257]. Cette règle, inattaquable en théorie, peut, dans son application, soulever de graves controverses ; car toute la difficulté se réduit à prouver le fait en question.

Cette seconde espèce de défectuosité présente beaucoup moins de variétés que la première, l’expression indéterminée (§ 36.). L’expression dit tantôt moins, tantôt plus que la pensée ; ce sont là les deux seules différences qui résultent de leur rapport logique. Il s’agit alors de rectifier l’expression, dans le premier cas, par une interprétation extensive ; dans le second cas, par une interprétation restrictive[258] ; et chacune a pour but de mettre en harmonie l’expression et la pensée.

Les procédés à l’aide desquels on corrige une expression impropre diffèrent beaucoup de ceux employés pour préciser une expression indéterminée. — D’abord on suppose qu’il existe une pensée déterminée sous une expression défectueuse. Ce rapport n’admet pas, comme l’indétermination, de preuves logiques, mais seulement des preuves historiques ; sa certitude est donc moins grande, et susceptible de divers degrés. Une autre circonstance augmente encore la difficulté de notre position. — L’expression est le signe le plus immédiat et le plus naturel de la pensée, et c’est justement à l’expression que nous refusons d’ajouter foi. L’expression indéterminée appelle nécessairement le remède de l’interprétation ; car, sans elle, il n’y a ni loi ni texte à appliquer. Ici, au contraire, la lettre même de la loi nous donne un sens clair et susceptible d’application. ― Enfin, lorsqu’il s’agit d’une expression indéterminée, l’opération qui signale le défaut n’est pas celle qui le corrige. Ici les deux opérations se confondent. En effet, nous jugeons que l’expression est impropre en la comparant à la pensée réelle de la loi, mais si cette pensée nous est connue, le remède est déjà trouvé.

Je vais maintenant passer en revue les trois moyens d’interprétation définis plus haut (§ 35), et montrer comment ils peuvent servir à corriger l’expression impropre d’une loi défectueuse.

L’examen de la législation dans son ensemble est encore ici le moyen le plus sûr. Le sénatus-consulte qui a spécialement pour objet la hereditatis petitio nous fournit une exemple de son application. D’après ce sénatus-consulte, le possesseur de bonne foi, qui a vendu les biens de la succession, doit restituer le prix qu’il en a reçu (pretia quæ pervenissent). La généralité de cette expression comprend le cas où le prix de la vente aurait été perdu ; car il n’en a pas moins été reçu ; mais la suite du texte montre que ce cas est excepté, et dès lors il faut entendre ces mots (pretia quæ pervenissent) dans un sens restrictif, le prix reçu et conservé[259]. — Comme autre exemple, je citerai les lois criminelles. Si, dans sa disposition finale, la loi prononce une peine générale contre un certain délit, après avoir prononcé une autre peine contre un cas particulier du même délit, ce cas particulier est excepté de la disposition générale[260].

Le second moyen, qui consiste à rapprocher la pensée et le motif de la loi pour en corriger l’expression, est plus important, mais d’une application plus délicate. Ici surtout on doit prendre en considération la distinction des motifs spéciaux et des motifs généraux (§ 34).

Le motif spécial est très-bien approprié au but de l’interprétation, et jamais mieux que là où le sens littéral de la loi se trouverait en contradiction avec lui. Quand, par exemple, une disposition introduite en faveur de certaines personnes vient, dans une de ses applications, à leur porter préjudice, il faut éviter cette contradiction, et corriger la disposition générale par une interprétation restrictive[261]. Si donc un contrat frauduleux tourne au profit de la partie trompée, le contrat est valide, quoique l’édit frappe de nullité les contrats frauduleux[262]. Si un mineur engage un procès sans l’assistance de son curateur, et qu’il le gagne, il agit valablement[263]. De même encore une transaction sur des aliments, non autorisée par le préteur, reçoit son exécution, si la condition du demandeur s’en trouve améliorée[264].

Indépendamment de ces contradictions entre la loi et son motif, l’interprétation a encore pour objet de fixer les limites véritables de la loi, limites que son application doit atteindre et ne jamais franchir. Ce cas se présente plus fréquemment, et est aussi plus difficile ; il s’agit alors de justifier la rectification du texte, en indiquant la cause probable de son impropriété ; ainsi, le législateur a employé une expression concrète à défaut d’une expression abstraite correspondante, ou pour mieux faire ressortir son idée. Autrement subsisterait toujours le doute de savoir si la pensée qui ressort de notre interprétation est réellement la pensée du législateur, ou celle qu’il aurait dû avoir. Dans ce dernier cas, l’interprétation corrigerait, non l’expression, mais la pensée elle-même, et on verra plus tard (§ 50) que cela est hors de son domaine.

Quelques exemples vont rendre ces principes plus évidents. L’édit déclare infâme la veuve qui se remarie pendant la durée du deuil. Le préteur avait uniquement pour but d’éviter la confusion de part, mais il n’aurait pu exprimer cette idée d’une manière directe et précise sans entrer dans une foule de prescriptions abstraites, et trancher une question fort délicate, celle de la durée possible de la gestation. Le préteur coupait court à tous ces embarras par une simple règle sur la durée du deuil, règle suffisante pour la plupart des cas. Quelquefois la veuve accouchait peu après la mort de son mari, et comme alors il n’y avait plus d’incertitude sur la paternité des enfants à naître, on permettait le mariage, au moyen d’une interprétation restrictive de l’édit. D’un autre côté, les cas où la veuve ne portait pas le deuil de son mari échappant à la règle sur la durée du deuil ; alors on défendait le mariage, au moyen d’une interprétation extensive[265]. — L’actio ad exhibendum appartient à quiconque est intéressé à l’exhibition (cujus interest), et telle était probablement la disposition textuelle de l’édit. Sa généralité embrasse tous ceux pour lesquels il eût été avantageux de voir une chose ; mais comme le préteur voulait évidemment débarrasser les réclamations judiciaires des obstacles accidentels qui auraient pu entraver leur justification, l’interprétation restreignit la règle à l’intérêt d’une demande judiciaire [266]. — La loi des Douze Tables exige un an pour l’usucapion d’un fundus, deux ans pour l’usucapion de toutes les autres choses. Dans quelle classe ranger les bâtiments ? Ils n’étaient certainement pas désignés par le mot fundus, pris dans son sens littéral. Mais comme l’usucapion s’appliquait à l’universalité des choses, et que les choses, considérées sous ce point de vue, se divisent en deux grandes classes, la loi avait sans doute voulu réunir dans la même disposition tous les immeubles, à cause de la similitude de leur nature, et elle avait employé l’expression concrète de fundus, à défaut d’une expression abstraite répondant à la généralité de sa pensée. On étendit donc la dénomination de fundus à tous les immeubles, par conséquent aux bâtiments, et cette interprétation paraît n’avoir jamais été contestée[267]. — Quelquefois, il est vrai, le législateur avertit de ne pas considérer les dispositions concrètes de la loi comme l’expression d’une règle abstraite, et alors l’interprétation extensive se trouve formellement prohibée[268].

L’argument appelé argumentum a contrario est aussi une espèce d’interprétation extensive. En effet, le législateur peut circonscrire sa pensée dans de certaines limites, de manière à impliquer au delà de ces limites une règle tout opposée. Ainsi, quand le préteur introduisait une action avec la formule ordinaire intra annum judicium dabo, cela voulait dire : post annum non dabo, et cette conclusion est évidemment une interprétation extensive[269]. Quand la loi Julia de vi autorisait le préteur, chargé d’appliquer la loi, à déléguer sa juridiction si proficiscatur, cette délégation se trouvait, par la raison inverse, prohibée, hors ce seul cas[270]. De même encore, toute loi établissant une exception implique l’existence d’une règle sans laquelle l’exception n’aurait pas de sens, et confirme indirectement cette règle. Ainsi, quand la loi Julia de adulteriis déclare les femmes condamnées incapables de témoigner en justice, elle reconnaît cette capacité à toutes les autres femmes[271].

D’un autre côté, le motif général d’une loi, l’æquitas, par exemple, ne saurait servir de base à une interprétation qui signale, dans les termes de la loi, une impropriété susceptible de rectification. L’emploi de ce moyen présente un caractère moins doctrinal que législatif. En effet, nous ne demandons pas ce que la loi renferme, mais ce qu’elle devrait renfermer, si le législateur eût eu une idée claire de son principe et de son objet. La justesse de cette supposition est d’ailleurs fort problématique, en raison de l’intervalle qui sépare la loi de ses motifs généraux, et le législateur, tout en saisissant le rapport de droit dans la pureté de son ensemble, peut avoir été déterminé, par une foule de raisons intermédiaires, à repousser cette modification que nous jugeons si raisonnable (§ 34). On trouve fréquemment chez les jurisconsultes romains de semblables interprétations, et nous ne devons pas en cela les prendre pour modèles, car on verra bientôt que les Romains ne distinguaient pas nettement l’interprétation et la formation du droit[272]. Je citerai comme exemple cette règle, que toute loi prohibitive entraîne la nullité de l’acte prohibé[273]. Adopter cette règle comme règle d’interprétation, serait se mettre en contradiction avec les principes établis précédemment, et donner, d’après des motifs généraux d’utilité et de convenance, une grande extension à l’expression de la simple défense. Mais en fait, c’est une loi toute positive en rapport avec plusieurs textes des sources, prononçant une simple défense. C’est l’interprétation authentique de ces textes, et nullement un principe général d’interprétation, que nous devions suivre aujourd’hui.

Quand j’admets les motifs spéciaux comme moyens de rectifier le texte de la loi, et que j’exclus les motifs généraux, on ne doit pas oublier qu’il n’existe entre les uns et les autres aucune ligne de démarcation bien nette (§ 34). La multiplicité des nuances qui les rapprochent rend quelquefois douteuse la légitimité de l’interprétation, et on court risque de modifier le droit en voulant l’interpréter.

Mais il est hors de doute que le troisième moyen d’interprétation, l’appréciation des résultats obtenus (§ 35), ne peut jamais être employé pour juger et rectifier l’expression impropre de la loi. Ce ne serait plus, évidemment mettre en harmonie l’expression et la pensée, ce serait vouloir corriger la pensée elle-même, travail peut-être fort utile aux progrès du droit, mais qui n’aurait de l’interprétation que le nom.

§ XXXVIII. Interprétation des lois de Justinien. (Critique.)

Il s’agit maintenant d’appliquer ces principes généraux d’interprétation à la législation Justinienne qui, présentant des difficultés spéciales, réclamera l’emploi de nouvelles règles. Je suppose l’histoire de cette législation parfaitement connue du lecteur, et je n’en parlerai que dans ses rapports avec l’objet de l’interprétation[274].

L’immense intervalle qui sépare l’interprète de la loi à interpréter forme le trait distinctif de sa position, et donne à l’étude du droit romain son caractère dominant, le caractère scientifique. Dès lors il nous faut renoncer à cette certitude immédiate résultant de la vie commune au sein du peuple où le droit s’est formé, et l’énergie de nos efforts doit, autant que possible, suppléer à cet avantage. Dès lors il ne s’agit plus uniquement d’obtenir, comme résultat de l’interprétation, une règle de droit certaine, il nous faut étudier si bien l’esprit original des sources, nous les approprier d’une manière si complète, qu’elles deviennent pour nous un droit vivant. Cette tâche présente sans doute de grandes difficultés, mais que diminue le grand mérite littéraire des principales sources.

La base de toute interprétation est un texte à interpréter, et la fixation de ce texte s’appelle critique. La critiqué précède donc nécessairement l’interprétation, et par là j’entends la critique générale ; car, dans les applications particulières, la critique est souvent inséparable de l’interprétation. — La critique se divise en deux classes, la critique diplomatique (secondaire), et la haute critique. L’une fournit l’ensemble des matériaux authentiques, dont l’autre se sert pour établir le sens véritable du texte.

L’objet de la critique, considéré en lui-même, est tout aussi général que l’objet de l’interprétation, et n’a rien de spécial au droit romain. Mais la critique a, pour le droit romain, plus d’importance et de difficulté que pour les autres législations ; aussi ai-je différé d’en parler, afin de traiter ici complétement le sujet, et d’éviter les répétitions.

Je commence par le cas le plus simple, celui où le législateur publie lui-même le texte de la loi, avec ordre d’y ajouter foi. En présence de cette publication directe que la découverte de l’imprimerie a rendue possible, et aujourd’hui le cas le plus ordinaire, la critique diplomatique tombe de soi-même ; il semblerait, en outre, que si la haute critique cherche à prouver une faute d’impression, elle va contre la volonté du législateur. Mais j’ai montré (§ 37) que l’interprète pouvait réellement corriger le texte par la pensée de la loi, d’après ce principe, que l’esprit est supérieur à la lettre. Or ici le texte imprimé nous apparaît comme inférieur au texte original ; il n’est que la lettre de la lettre, et peut être corrigé comme la lettre elle-même. Au reste, cela se présente fort rarement, et offre peu d’importance pour la théorie générale de la critique[275].

Mais nous sommes dans une position bien différente vis-à-vis des sources du droit Justinien. Tout le monde reconnaît que nous ne possédons aucun texte officiel émanant du législateur. Si autrefois à Bologne les glossateurs eussent donné le résultat définitif de leurs travaux critiques, ce serait là une vulgate qui pourrait remplacer le texte officiel, sans néanmoins exclure la haute critique. Mais comme une vulgate définitive, composée dans cet esprit, n’a jamais existé, on n’a pas eu à l’adopter (§ 17). Ainsi, nous possédons seulement un grand nombre de manuscrits plus ou moins anciens et plus ou moins bons. Leur unanimité en faveur d’une leçon ne pourrait suppléer à la promulgation du législateur que par une espèce de fiction. Cette unanimité rend extrêmement probable que nous avons sous les yeux le texte original, mais ne donne aucune certitude. Des auteurs modernes ont craint d’ôter à la pratique toute fixité en ouvrant un champ libre à la critique ; aussi l’ont-ils entièrement rejetée, ou renfermée arbitrairement dans d’étroites limites[276].

Cette sollicitude, en faveur d’un texte donné, contre toute altération arbitraire, est une vaine sollicitude, car le texte donné n’existe nulle part. Si l’on cherche à déterminer ce qu’ils regardent comme tel, alors commencent les divergences et les incertitudes. Ce serait la vulgate établie par l’école de Bologne, si cette école en eût fait une. L’unanimité des manuscrits aurait un caractère saisissable, quoique nullement hostile aux droits de la critique ; mais on n’a pas en vue cette unanimité. En effet, dans les cas douteux on n’a, pour ainsi dire, jamais essayé de la constater ; d’ailleurs, si l’on repousse la critique dans la crainte de bouleverser par une recherche plus profonde la jurisprudence des tribunaux, la comparaison des manuscrits aurait précisément ce danger. Si, sous ces différentes formes, le texte donné, le texte infaillible nous échappe, il ne nous reste plus à accepter pour tel que le texte dont on se sert communément, celui consigné dans les éditions les plus répandues, les éditions de Godefroy, par exemple[277]. Mais une définition aussi vague et aussi arbitraire ne

saurait être prise au sérieux.
§ XXXIX. Interprétation des lois de Justinien. (Critique.) Suite

Après avoir établi la légitimité de la critique, il s’agit d’en indiquer les procédés et les règles. — La critique diplomatique s’occupe de rassembler les manuscrits, d’apprécier leurs caractères extérieurs, et de les ranger par ordre de dates et de valeur. Elle doit maintenir l’intégrité du texte reçu, et repousser les éléments étrangers (§ 17) qui, dans la plupart des éditions modernes, peuvent être aisément confondus[278]. — La haute critique a deux objets elle met en œuvre et améliore les manuscrits que la critique diplomatique lui fournit comme matériaux. Ainsi, elle s’occupe d’abord d’établir un texte en comparant les manuscrits. Sans doute elle doit tenir compte de leur nombre et de leur valeur, pour apprécier le degré de vraisemblance des diverses leçons ; mais elle est libre d’adopter la leçon qu’elle juge préférable, sans être tenue de s’en rapporter exclusivement à une certaine classe de manuscrits, les manuscrits de la vulgate, par exemple. Cette espèce d’indépendance de la critique a été reconnue, dans des circonstances remarquables, par ceux-là même qui, en théorie, nient sa légitimité. Ainsi, plusieurs fragments du Digeste, mutilés dans le manuscrit de Florence et ne donnant aucun sens, ont été complétés par des textes d’une authenticité évidente empruntés à d’autres manuscrits, et le cas inverse n’est pas moins fréquent[279]. Je ne connais aucun auteur dont le rigorisme ait repoussé ces deux espèces de rectifications, et pourtant, parmi les restrictions arbitraires énumérées plus haut, l’opinion qui attribuerait au texte de Bologne une autorité exclusive trouverait dans l’histoire le plus d’apparence de fondement. À la vérité, pour la plupart de éditions que l’on peut consulter, le besoin de ces rectifications ne se fait pas sentir, parce qu’elles y sont déjà faites ; preuve évidente qu’à aucune époque il ne s’est formé, sur l’autorité exclusive d’un texte, une opinion unanime semblable à celle qui existe pour tant de règles importantes du droit (§ 20).

Enfin, à cette première fonction de la haute critique appartient la ponctuation, qui, déterminant la division logique d’un texte, semblerait rentrer dans le domaine de l’interprète, si sa forme n’en faisait pas l’affaire du critique. Chose singulière, plusieurs regardent le changement de la ponctuation ordinaire comme une espèce de correction[280]. Mais l’existence d’une ponctuation ordinaire est tout aussi chimérique que celle d’un texte ordinaire, car les manuscrits ne nous donnent qu’une suite continue de lettres placées à une égale distance, susceptibles de faire des mots et des phrases. Le commencement de ponctuation dont quelques manuscrits nous offrent des traces incertaines n’est ici d’aucun intérêt.

Je passe à la seconde fonction de la haute critique, celle qui consiste à améliorer le texte, en le rectifiant par des conjectures[281]. Et voilà surtout ce qui a soulevé tant de réclamations contre l’application de la critique aux sources du droit. Je reconnais que depuis le seizième siècle, plusieurs jurisconsultes, notamment en France et en Hollande, ont singulièrement abusé de la critique conjecturale, et l’ont traitée d’une manière fort légère : je suis loin de les : vouloir défendre, mais, malgré ces abus, la critique conjecturale n’en demeure pas moins légitime et nécessaire, et nous devons la maintenir dans l’intégrité de ses droits[282].

Cette double application de la haute critique au choix et à la rectification des textes a une affinité évidente avec l’interprétation des lois défectueuses, par suite de l’indétermination ou de l’impropriété des termes (§ 35, 37). Ainsi, pour reconnaître et établir la véritable leçon d’un texte, nous devons tout d’abord examiner l’enchaînement nécessaire de ses diverses parties, non d’après des principes généraux de déduction logique, mais en ayant égard au caractère littéraire individuel du texte, ou à la classe de textes dont il fait partie. Ici les règles pourraient difficilement nous instruire ; pour acquérir ce coup d’œil critique, on doit faire une étude constante des sources, et joindre à l’instinct de la vérité une juste défiance de soi-même.

On peut encore rectifier une loi douteuse par sa comparaison avec une autre loi ; mais ce rapprochement des textes n’offre de certitude que suivant le degré de relation intime existant entre les deux lois. Une circonstance extérieure vient encore confirmer ce moyen de rectification, si nous parvenons à montrer d’une manière vraisemblable comment le texte original a été défiguré par les copistes ; et d’abord on peut invoquer l’analogie. En effet, il est des erreurs de copistes que leur répétition fréquente et uniforme nous autorise à supposer, par exemple la confusion de certaines lettres, et la substitution de l’une à l’autre ; l’omission d’une lettre que la même lettre précède immédiatement, et qu’il s’agit de rétablir (gémination) ; enfin des lignes entières omises ou interverties dans le manuscrit original du copiste. Mais cette dernière hypothèse demande déjà plus de circonspection. — Le degré de difficultés que présentent diverses leçons rend encore vraisemblable l’altération du texte, et permet de croire que le copiste aura modifié l’original faute de le comprendre. — Quelquefois enfin, du temps où vivait le copiste, le droit avait changé, et c’est ce nouveau droit que la copie substitue à l’ancien texte [283]. — Mais l’on ne doit jamais supposer, pour rectifier un texte, que les manuscrits originaux renfermaient des abréviations dont le sens aurait échappé aux copistes ; car Justinien ayant expressément défendu de s’en servir pour la copie de ses lois[284], si quelques abréviations se sont glissées dans les manuscrits, c’est un cas accidentel fort rare, dont l’application à un texte déterminé n’offre jamais de vraisemblance suffisante.

§ XL. Interprétation des lois de Justinien. Suite. (Des lois prises isolément.)

Les règles de l’interprétation, dans leur application aux lois de Justinien, ne concernent que ses deux recueils principaux : le Digeste et le Code. Chacun de ces recueils forme un vaste ensemble, composé d’une foule de parties histo- riquement diverses, avec indication de leur origine. Il s’agit maintenant de montrer comment on doit interpréter ces diverses parties considérées isolément, et dans leurs rapports avec l’ensemble.

Pour interpréter un texte en lui-même, il faut apprécier tous ses caractères historiques, c’est-à-dire ne rien négliger de ce que l’inscription et la souscription nous apprennent sur sa date, son auteur, son motif même, et sur la nature particulière, souvent très-différente, de l’original. auquel il a été emprunté[285]. Ici nous pouvons nous servir non-seulement de tous les autres textes de la législation Justinienne, mais de toutes les sources du droit, antérieures et postérieures, car, d’après les principes posés (§ 17), on a vu que l’usage scientifique de ces riches et nombreux matériaux ne saurait nous être interdit.

Les parties constitutives de la législation Justinienne peuvent se diviser en deux grandes classes, que sous ce point de vue il importe de bien distinguer. La première et la pluș considérable embrasse l’ensemble du Digeste et les rescrits contenus dans le Code ; ces textes avaient pour objet principal d’attester le droit alors en vigueur, ce qui leur donne un caractère scientifique, et l’élément systématique de l’interprétation y domine (§ 33). Mais cette définition pourrait donner lieu à une double méprise que je dois signaler. D’abord les rescrits ne se bornent pas toujours à exprimer le droit existant, souvent aussi ils le modifient (§ 24) ; c’est ce que font également, quoique à un moindre degré, les écrits scientifiques des anciens jurisconsultes (§ 14, 19), et ce caractère ressortira encore mieux quand j’exposerai leur méthode d’interprétation. Ensuite, ce serait une grave erreur de regarder les règles générales de l’interprétation des lois comme inapplicables à l’ensemble du Digeste et aux rescrits du Code, parce que ces éléments des sources n’avaient pas originairement d’autorité législative ; ces règles, par leur essence, s’appliquent à toutes les formes sous lesquelles le droit se produit, bien que j’aie dû en présenter le développement à l’occasion des lois. Aussi lorsque j’aie voulu faire ressortir les règles de l’interprétation par des exemples, n’ai-je eu aucun égard au caractère primitif des textes. — La seconde classe embrasse ce qui était originairement loi, c’est-à-dire les édits insérés dans le Code. Si pour la première classe domine l’élément systématique de l’interprétation, ici domine l’élément historique[286], et il faut en dire autant des Novelles, qui d’ailleurs ne forment pas partie intégrante d’une unité supérieure, mais sont des lois détachées.

§ XLI. Interprétation des lois de Justinien. Suite. (Des lois considérées dans leur rapport avec le recueil où elles se trouvent.)

Voyons maintenant quelle influence exerce sur l’interprétation d’une loi son rapport avec l’ensemble du recueil où elle figure.

Le moyen d’interprétation qui consiste à examiner une loi défectueuse dans son ensemble (§ 35) prend ici un nouvel aspect et une nouvelle importance, car le Digeste, aussi bien que le Code, n’étant qu’une grande loi de Justinien, ce moyen d’interprétation reçoit une vaste et légitime extension[287].

Le titre spécial où un texte est inséré est encore d’un grand secours pour l’interprète. En effet chaque titre du Digeste et du Code, se distinguant des autres titres par la matière dont il traite, la spécialité de son objet peut très-bien servir à déterminer le sens d’un texte douteux. On ne doit pas oublier néanmoins que les rédacteurs du droit Justinien, trompés par une apparence extérieure d’analogie, ont parfois inséré un texte dans un titre qui ne lui convient nullement, et alors ce moyen d’interprétation cesse d’être applicable[288]. Mais, indépendamment de ces cas exceptionnels, ce serait exagérer la règle que de restreindre chaque texte à l’objet direct de son titre, car souvent les rédacteurs ont eu à la fois en vue un autre objet et même plus important. — On pourrait encore chercher un moyen semblable d’interprétation dans la disposition des fragments de chaque titre, si les rédacteurs eussent suivi un ordre logique. Mais pour le Code ils ont évidemment suivi l’ordre chronologique, et pour le Digeste ils ont adopté un autre ordre tout aussi extérieur, et qui n’admet pas davantage ce moyen d’interprétation. Quelquefois cependant la place qu’occupe un fragment dans un titre est déterminée par l’enchaînement des idées, et c’est alors un secours que l’interprète ne doit pas négliger[289].

Enfin, les changements innombrables que les textes originaux ont subis en passant dans les compilations de Justinien offrent une grande importance, et sont de trois espèces.

La première et la plus directe consiste en modifications partielles que l’on appelle ordinairement interpolations, ou emblema Triboniani. Plusieurs de ces interpolations sont évidentes[290] ; d’autres, et en bien plus grand nombre, sont plus ou moins vraisemblables ; d’autres nous sont tout à fait inconnues. Justinien avait permis et même expressément recommandé ces interpolations, dans le but fort raisonnable de changer les parties des anciens textes qui n’étaient plus en harmonie avec la législation nouvelle, et de les approprier ainsi à l’objet de la compilation[291]. Aussi est-ce une règle importante de n’employer, pour la critique des textes, les anciennes sources qu’avec la plus grande réserve, et dans les cas seulement où on peut établir qu’aucun changement du droit n’avait donné lieu à une interpolation.

Le caractère général de la compilation donne à certaines expressions un sens différent de celui qu’elles avaient dans les textes originaux : c’est là une seconde espèce de changements moins apparents, car les anciens textes ne subissent alors aucune modification. La matière des servitudes nous en offre un exemple non douteux. D’après l’ancien droit, les servitudes pouvaient s’acquérir par une in jure cessio ; aussi, les anciens jurisconsultes parlent souvent de la cessio, à propos de servitudes. Du temps de Justinien, la in jure cessio n’existait plus ; mais l’expression générique cessio pouvait très-bien s’appliquer à un transfert en général indépendamment de sa forme ; c’est pourquoi les rédacteurs ont laissé subsister cette expression dans une foule de textes, pensant avec raison qu’elle serait prise dans le sens du nouveau droit[292]. — Un cas plus ordinaire, et aussi plus important, est celui où la décision d’un ancien jurisconsulte, littéralement reproduite, a, par son insertion dans le recueil, un autre motif et un autre objet, de sorte qu’elle est également juste dans les deux cas, mais à différents titres[293]. — L’interprétation fondée sur la présomption d’un semblable changement peut s’appeler duplex interpretatio.

La troisième espèce de changements a de l’analogie avec la seconde, mais en diffère néanmoins parce qu’elle ne modifie pas des décisions particulières, mais tient à la nature même de la compilation. Ainsi, les nombreux rescrits insérés dans le Code nous apparaissent avec un nouveau caractère et la sanction d’une autorité nouvelle. Tout rescrit avait immédiatement force de loi pour le cas particulier où il était rendu, non pour les cas semblables (§ 24) ; dans le Code, c’est précisément l’inverse. L’espèce qui avait donné lieu au rescrit était un fait accompli depuis longtemps, et Justinien met au rang des lois générales la règle concrète exprimée par le rescrit. L’insertion d’un rescrit dans le code implique déjà ce changement, car elle ne pouvait avoir d’autre but ; mais Justinien a établi en termes formels l’autorité législative des rescrits[294].

Nous devons alors tirer de la décision particulière la règle abstraite, en éliminant la partie concrète, dans une juste mesure, car on peut aisément pécher par excès ou par défaut[295]. Quelquefois même on ne saurait déterminer avec certitude ce qui est règle générale, et ce qui tient aux circonstances particulières où le rescrit a été rendu. — Le procédé employé ici diffère essentiellement de l’interprétation extensive d’une loi, tirée de son motif (§ 37). Dans ce dernier cas, on rectifie, en l’élargissant, l’expression défectueuse de la loi ; quant aux rescrits, on n’a rien à rectifier, il s’agit uniquement de discerner la règle générale dans son application particulière[296]. Pour l’interprétation des rescrits, l’argumentum a contrario (§ 37) est plus dangereux que partout ailleurs ; car la partie du rescrit où l’on trouve le principe de l’argument peut tenir à la nature individuelle de l’espèce, et c’est un doute qu’on

ne dissipe jamais complétement [297].
§ XLII. B. Interprétation des sources du droit considérées dans leur ensemble. (Antinomie.)

Jusqu’ici j’ai parlé de l’interprétation des lois prises isolément. Mais la réunion des sources (§ 17-21) forme un vaste ensemble destiné à régler tous les faits qui se passent dans le domaine du droit. Considérées sous ce point de vue, elles doivent nous offrir le double caractère d’unité et d’universalité ; or, pour saisir ce double caractère, il ne suffit pas d’étudier les lois isolément, il faut embrasser la généralité des sources. — Ici encore, je commencerai par examiner le droit à l’état normal, puis j’indiquerai les moyens que nous avons de remédier à ses défectuosités.

Nous devons commencer par systématiser dans notre esprit l’ensemble total des sources. Ce procédé est identique à celui par lequel nous reconstruisons séparément les rapports de droit et les institutions (§ 4, 5) ; seulement il opère sur une plus grande échelle. Le motif fondamental de la loi, que nous avons déjà consulté pour l’interprétation isolée (§ 34), prend alors une valeur, une importance nouvelle, et la force organique de la science (§ 14) agit ici dans toute son extension. L’ensemble des sources, et particulièrement ce que nous appelons le corps de droit Justinien, peut, sous cet aspect, être regardé comme une seule loi, et les règles données pour l’interprétation d’une loi considérée en elle-même (§ 35) deviennent jusqu’à un certain point applicables. Le parallélisme des textes a pour cet objet un intérêt spécial, mais la variété et l’étendue des sources rendent ce parallélisme complet difficile à saisir[298].

Les défectuosités de cet ensemble, comparées aux défectuosités des lois particulières (§ 35), se rapportent à ces deux caractères essentiels, l’unité et l’universalité. Là où manque l’une ou l’autre, nous avons une contradiction à lever ou une lacune à remplir. Mais, en réalité, ces deux conditions n’ont qu’une seule et même base. C’est toujours l’unité qu’il s’agit de rétablir, négativement en levant les contradictions, positivement en comblant les lacunes.

Les contradictions que présentent les sources dans leurs diverses parties ont de l’analogie avec l’expression indéterminée d’une loi particulière (§ 35, 36). L’une et l’autre défectuosité se prouve logiquement, doit être nécessairement rectifiée, — non par voie d’argumentation logique, — ici historiquement. Ainsi, l’on doit surtout chercher à concilier les textes, en montrant que la contradiction n’a qu’une apparence de réalite ; mais si les textes sont effectivement inconciliables, on doit recourir aux règles suivantes.

La contradiction peut exister entre les diverses sources dont l’ensemble forme le droit commun (§ 17, 20), ou bien entre cet ensemble et les sources qui peuvent s’y ajouter plus tard (§ 21).

Les parties constitutives du droit commun, en Allemagne, sont les lois de Justinien, le droit canon, les lois impériales, le droit coutumier scientifiquement établi, c’est-à-dire la jurisprudence des tribunaux. S’il existe au sein du droit commun une contradiction insoluble, il est de principe que la source la plus moderne passe avant la plus ancienne. En effet, comme une semblable contradiction tient au développement progressif du droit, toute règle nouvelle emporte avec soi l’annulation de l’ancienne règle. Si donc nous voulons appliquer le droit actuel, ce sont les règles vivantes, non les règles mortes qu’il faut suivre[299] ; d’où résulte encore une restriction naturelle du principe posé plus haut. Ainsi, quand, à côté de l’ancienne règle, il y avait une exception, cette exception, loin d’être abolie avec l’ancienne règle, continue de subsister à côté de la règle nouvelle, tant qu’elle n’est pas spécialement abolie[300].

Le principe général s’applique de la manière suivante. La jurisprudence véritable des tribunaux, comme modification plus récente des anciennes sources, se place en première ligne ; puis viennent les lois impériales, puis le droit canon, et enfin le droit romain. Le rang assigné à ces deux derniers demande seul une explication justificative.

La question de savoir si, pour les matières du droit privé, le droit canon l’emporte sur le droit romain, a été longtemps débattue. D’abord il est évident que l’on doit chercher à les concilier. Mais quand la conciliation est impossible, si, par exemple, le droit canon déroge ouvertement au droit romain, plusieurs auteurs mettent en avant cette doctrine : Les deux droits, disent-ils, n’ont d’autorité parmi nous qu’en vertu de leur réception ; or, comme cette réception date de la même époque, ce sont deux droits contemporains, dès lors égaux en puissance, et dont chaque conflit appelle l’intervention spéciale de la jurisprudence[301].

Mais, pour les matières du droit privé, le droit canon, par rapport au droit romain, a le caractère de Novelles, surtout les décrétales où le conflit se montre le plus souvent. C’est dans ce rapport que les deux droits ont été adoptés à Bologne, et quand les décrétales parurent d’abord séparément, puis furent réunies en recueils tels que nous les possédons, la réception des deux droits était un fait accompli, et les décrétales furent en réalité autant de lois dérogatrices. À la vérité le droit canon était déjà complet lorsque l’Allemagne l’adopta conjointement avec le droit romain ; mais cette adoption se fit dans le même esprit qu’à Bologne, comme aussi nous n’admettons d’autres sources du droit romain que celles reconnues par l’école de Bologne (§ 17). Cette assimilation complète pourrait tout au plus donner lieu à un doute, si le droit canon, reçu comme loi en Italie, ne l’avait pas été en Allemagne. Mais du temps de la réception, le saint-siège et ses lois n’étaient pas moins respectés en Allemagne qu’en Italie ; aussi, accepter le droit canon et sa suprématie, ce n’était pas pour elle se soumettre à l’autorité de Bologne, c’était agir d’après les mêmes principes.

De tout cela il résulte que pour les matières du droit privé le droit canon l’emporte sur le droit romain. Cette règle souffre néanmoins exception s’il existe sur un point une jurisprudence spéciale, où, dans les pays protestants, si une prescription du droit canon privé est en contradiction avec les doctrines de l’Église protestante. La supériorité reconnue aux lois impériales sur le droit canon peut produire le même effet par une exception du même genre, si les lois impériales condamnent une règle particulière du droit canon, et rétablissent la règle du droit

romain[302].
§ XLII. Interprétation des sources du droit considérées dans leur ensemble. (antinomie). Suite.

La contradiction entre les textes mêmes de la législation Justinienne a plus d’importance et présente plus de difficultés. Ces antinomies sont fort nombreuses et elles ont donné lieu, chez les auteurs modernes, aux opinions les plus diverses[303].

Il faut d’abord distinguer les Novelles et les trois autres recueils. Les Novelles étaient des lois détachées qui devaient servir à l’amélioration et au développement progressif du droit, et le législateur ne les a jamais réunies en un seul corps. Ainsi, en cas de contradiction, chaque Novelle doit l’emporter non-seulement sur les trois recueils, mais sur les Novelles antérieures [304]. La reconnaissance d’une antinomie est ici chose moins délicate, et la tentative de conciliation moins nécessaire que pour les autres sources, car le changement du droit était précisément l’objet des Novelles. À la vérité, toutes les Novelles ont été adoptées simultanément avec les autres parties du corps de droit, et l’on pourrait croire que cette circonstance, abolissant les différences originaires de dates, détruit leur suprématie[305]. Mais l’adoption s’est faite dans le sens de Justinien. En acceptant l’héritage de ses lois, nous avons reconnu les degrés d’autorité que lui-même leur avait assignés à la fin de son long règne ; et puisque les Novelles avaient alors aboli les dispositions contraires du droit antérieur, peu nous importe que les Novelles aient été adoptées en même temps que ce droit antérieur.

Quant aux trois autres recueils du droit Justinien, il est bon de déterminer le point de vue historique général sous lequel on doit se placer, afin de trouver les règles applicables aux différents cas d’antinomie. Justinien lui-même considère ses recueils comme une vaste unité, comme un véritable corps de législation exclusive et complète pour traiter les matières du droit[306]. Ce but devait être atteint par un choix fait dans une immensité de matériaux, et chaque fragment choisi, tout en conservant le signe de son origine, ne devait plus figurer que comme partie intégrante d’une œuvre entièrement nouvelle.

Dans ce nouvel édifice du droit, le Digeste était la pièce principale, la seule ayant un sens par elle-même, et presque suffisante pour la pratique ; au Digeste se rattachait tout le reste comme pièces accessoires, comme extraits ou compléments. Il n’y a rien là néanmoins qui établisse la supériorité des textes du Digeste sur ceux des autres recueils.

Les Institutes sont mises tantôt en première ligne, comme l’œuvre de Justinien lui-même, tantôt en dernière ligne, comme simple extraits Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/310 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/311 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/312 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/313 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/314 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/315 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/316 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/317 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/318 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/319 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/320 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/321 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/322 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/323 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/324 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/325 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/326 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/327 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/328 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/329 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/330 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/331 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/332 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/333 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/334 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/335 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/336 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/337 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/338 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/339 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/340 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/341 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/342 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/343 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/344 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/345 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/346 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/347 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/348 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/349 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/350 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/351 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/352 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/353 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/354 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/355 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/356 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/357 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/358 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/359 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/360 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/361 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/362 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/363 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/364 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/365 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/366 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/367 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/368

Notes du traducteur
  1. Les mots allemands Observanz ou Herkommen, dont l’auteur donne ici l’explication, n’ont pas d’équivalents en français. (Note du trad.)
  2. Ici l’auteur fait allusion à la formula concordiæ, de 1577, établie comme loi pour l’Église luthérienne. (Note du trad.)

    legibus inesse credi oportet, ut ad cas quoque personas et ad cas res pertinerent, quæ quandoque similes erunt.  »

  1. Ainsi Cicéron dit bien qu’il n’est pas jurisconsulte ; mais il était loin de penser que lui ou tout autre homme d’État connut moins bien qu’un jurisconsulte la constitution politique, le jus sacrum, etc. Ulpien donne, il est vrai, beaucoup plus d’extension à la jurisprudentia (L. 10, §.2, D. de J. et J.), et l’on ne doit pas blâmer sa définition, ou l’accuser d’avoir exagéré l’importance de sa science, car il n’a fait qu’exprimer le changement apporté par le temps à la position des jurisconsultes et des hommes d’État.
  2. Ils partent de ce principe erroné, que quand une puissance politique succombe, toutes les institutions qui s’étaient développées sous son influence périssent nécessairement. Ainsi on a dit qu’après la chute de l’empire d’Occident, la conquête des barbares dut anéantir le droit romain, et l’anéantit en effet. Mais cette opinion du moins trouverait aujourd’hui difficilement des partisans.
  3. Ainsi je parlerai de certaines parties du droit tombés en désuétude, à cause de la place qu’elles occupent dans les sources, et pour ne pas en détruire l’ensemble.
  4. Cf. Stahl, Philosophie des Rechts, II, 1, p. 165, 166.
  5. J’ai puisé ces convictions dans l’étude approfondie des jurisconsultes romains, si grands sous ce point de vue, et l’expérience d’une longue pratique judiciaire n’a fait que les vérifier et les affermir.
  6. J’exposerai les principes généraux sur cette matière, au chapitre III du livre II.
  7. Cette confusion se trouve, sans parler des auteurs modernes, dans plusieurs passages de Cicéron. (Voy. § 22, note m.) Tandis que les uns rangent à tort les contrats parmi les sources du droit, d’autres, par une erreur inverse, mettent sur la même ligne les lois et les causes des obligations, pour établir la fausse doctrine du titulus et du modus adquirendi. Höpfner, Commentar., § 293. Le mot autonomie, par ses diverses significations, a beaucoup contribué à la première de ces erreurs.
  8. Ainsi à Rome on voit d’anciens droits coutumiers particuliers à certaines gentes. Dirksen, Civil. Abhandlungen, II, p. 90.
  9. L. 1 de J. et J. (I, 1.). Publicum jus est quod ad statum rei Romana spectat ; privatum quod ad singulorum utilitatem. Sunt enim quædam publice utilia, quædam privatim. Cf. L. 2, § 46, de Orig. jur. (I, 2).
  10. En ce sens, ou peut dire que la doctrine morale de la réparation, considérée sous un certain aspect, est un droit que l’État doit faire respecter. Cf. Hegel, Naturrecht, §§ 102, 103, 220 ; Klenze, Lehrbuch des Strafrechts, p. x-xvii.
  11. Le droit positif de chaque peuple détermine si l’État exercera ce droit par lui-même ou s’il en abandonnera la poursuite aux particuliers lésés. Ce dernier système était celui des peines privées des Romains ; mais les développements de l’autorité publique tendent à établir partout le système contraire.
  12. L. 1, § 2, de J. et J. (I, 1).
  13. Haller, Restauration des Staatswissenschaft.
  14. Puchta, II, p. 8, 9 : « La coutume, pour le peuple qui l’a établie, est un miroir où il se reconnaît. »
  15. Ainsi, par exemple, quand il s’agit de déterminer par qui la preuve doit être faite, pour changer un état de choses existant. Elle exerce également son influence sur la possession, l’usucapion, la prescription de la plainte, les précédents judiciaires (§ 20), mais en se combinant avec d’autres éléments. C’est un point de vue général que je ne fais qu’indiquer ici ; j’entrerai dans les détails quand je traiterai de ces diverses matières.
  16. Si j’attache ici une importance particulière aux jugements populaires, c’est par opposition aux décisions savantes qui, dans les temps modernes, émanent de collèges permanents (§ 14). Ce caractère se retrouve évidemment dans les jugements par échevins des peuples germaniques et dans les res judicatæ des Romains, non, comme on le pourrait croire, parce que les judices étaient des personnes privées, car le point de droit, et c’est ici la chose importante, était toujours réglé par le préteur ; mais parce que le préteur, étant élu chaque année et n’appartenant à aucune corporation savante, représentait l’esprit général de la nation. Aussi les Romains eux-mêmes regardaient-ils les res judicatæ’’comme sources du droit et comme émanant du préteur. Auctor ad Herennium, II, 13. — Mais cela doit s’entendre des affaires ordinaires, pour chacune desquelles le préteur nommait un juge, ou du moins un petit nombre de juges. Dans les affaires centumvirales, les centumvirs connaissaient du fait et du droit ; car on ne leur donnait pas de formule, et telle est l’origine de la querela inofficiosi.
  17. Stahl, Philosophie des Rechts, II, 1, p. 140.
  18. Tel est le véritable sens de ce passage de Goethe souvent mal compris « Les lois et le droit, semblables à un mal héréditaire, se transmettent de génération en génération, et s’étendent insensiblement de pays en pays. L’intelligence devient sottise ; le bienfait, tourment. Malheur à toi d’être né petit-fils ! mais du droit né avec nous, hélas ! il n’en est jamais question ! » Ainsi on a cru à tort que le poëte faisait ici la satire du droit positif, et se plaignait que le droit naturel ne fût pas seul suivi. Je suis loin de prétendre que les idées que j’expose se soient présentées à Goethe dans le même enchaînement ; mais c’est le privilège du génie d’arriver par une intuition directe aux résultats que nous n’obtenons qu’avec effort et par une longue suite de déductions.
  19. Il y eut d’abord des consultations verbales des advocati, plus tard des responsa par écrit.
  20. L. 102 de R. J. (L. 17) : « Omnis definitio in jure civili periculosa est parum (rarum) est enim, ut non subverti possit. »
  21. L. 1 de R. J. (L. 17) : « Regula est, quæ rem quæ est breviter enarrat. Non (ut) ex regula jus sumatur, sed (ut) ex jure quod est regula fìat… quæ, simul cum in aliquo vitiata est, perdit officium suum. » Cela veut dire qu’on ne doit pas sacrifier à une règle une vérité concrète évidente. L’axiome : pas de règle sans exception, se présente ici naturellement ; mais, en ce cas, admettre une exception c’est reconnaître que la règle a été posée d’une manière incomplète. Quelquefois aussi le législateur exprime ses prescriptions sous forme de règle, et alors les exceptions ne peuvent être admises qu’avec beaucoup de précaution.
  22. L. 2, § 5, 6, de Orig. jur. (I, 2). Ce n’est pas ici le lieu d’examiner quel degré de confiance mérite ce point historique.
  23. Cette transformation des anciennes sources du droit montre surtout dans le langage constant des temps postérieurs. Ce que l’on nommait autrefois les sources du droit, leges, plebiscita, senatusconsulta, etc., était depuis longtemps passé dans les écrits des grands jurisconsultes, à côté desquels se plaçaient les lois impériales dont le nombre s’augmentait tous les jours. Dès lors on disait que le droit se composait des leges ou cons- titutiones (constitutions impériales) et du jus ou prudentia (la littérature juridique). C’est ainsi que s’expriment plusieurs passage du Commonitorium, en tête du Bréviaire visigoth. Int. L. 2. C. Th. de dot. (III, 13.) Int. L. un. C. Th. de respons. prud. (I, 4.) Int. Cod. Greg., II, 2, 1. Edictum Theodorici in epilogo. Proœm. Inst., § 2, 1. Const., Deo auctore, § 1. 2, 9, 11. Const., Cordi, pr. § 1, L. 5, C. quorum appell. (VII, 65.) Justiniani Sanctio pragmatica, § 11. — De même le droit anglais repose sur une double base, la statute law et la common law, et les actes du parlement tiennent la place des constitutions impériales.
  24. Je cite ici les expressions techniques des Romains, non comme exposé historique de leurs idées à cet égard, mais afin de mieux faire ressortir ces principes généraux, en les rattachant à des expressions techniques bien connues. Je montrerai, § 22, comment ces principes se lient aux idées reçues chez les Romains sur l’origine du droit. Voici un texte qui fait parfaitement ressortir leurs conséquences logiques, L. 51, § 2, ad L. Aquil. (IX, 2) : « Multa autem jure civili, contra rationem disputandi, pro utilitate communi recepta esse. »
  25. L. 38 de pactis (II, 14), L. 20 pr. de relig. (XI, 7), L. 42, de op. lib. (XXXVIII, 1), L. 45, § 1, de R. J. (L. 17) etc.
  26. L. 12, § 1 de pactis dot. (XXIII, 4), L. 27 de R. J. (L. 17).
  27. L. 7, § 16 de pactis (II, 14).
  28. L. 42 de pactis (II, 14), L. 114, § 7 de leg. (I, 30), L. 49, § 2 de fidej. (XLVI, 1).
  29. L. 27, § 4, L. 7, § 14 de pactis (II, 14), publica causa, res publica.
  30. Consultatio, § 4 passim.
  31. Res familiaris, privata, ad voluntatem spectans. L. 7, § 14, L. 27, S 4 de pactis (II, 14). L. 12, § 1 de pactis dot. (XXIII, 4), L. 27 de R. J. (L. 17). — Je traiterai, ch. IV, de la différence qui existe entre ces deux espèces de règles de droit.
  32. Glück I, § 14. Ce qui a donné lieu à cette division, c’est la L. 7 de Leg. (I, 3), où l’on trouve néanmoins un membre de plus « Legis virtus est imperare, vitare, permittere, punire. » Mais, dans ce passage, le jurisconsulte a voulu simplement indiquer les principaux effets de la loi, et non poser les bases d’une classification.
  33. L. 15 de V. S. (L. 16), L. 16 cod., L. 9 de usurp. (XLI, 3).
  34. L. 5 pr. de div. rer. (I, 8), L. 7, § 5. L. 14, pr. L, 30, § 1, L. 65, § 1 de adq. rer. dom. (XLI, 1), L. 6, pr. L. 72, § de contr. emt. (XVIII, 1,), L. 45, pr. de usurp. (XLI, 3).
  35. L. 8 de tut. (XXVI, 1), L. 77, § 3 de cond. (XXXV, 1), L. 116, §1 de R. J. (L. 17), L. 8, 14. C. de Judæis (1, 9).
  36. L. 1, § 16, 17, L. 3, §.4, L. 4. de O. n. n. (XXXI, 1), L. 40 ad leg. Jul. de adult. (XLVIII,  5).
  37. L. 5, § 2, L. 6 de cap. min. (IV, 5).
  38. C’est ce qui est arrivé à Burchardi, dans son ouvrage intitulé : Grundzüge des Rechtssystems der. Romer aus ihren Begriffen von offentlichem und Privatrecht entwickelt. Bonn, 1322. Il regarde le droit des personnes comme appartenant au jus publicum, le droit des choses comme appartenant au jus privatum, et les actions comme appartenant à l’un et à l’autre. Ces principes me semblent erronés ; mais la sagacité avec laquelle Burchardi les développe donne du prix à son ouvrage.
  39. L. 14, 15, 16 de leg. (I 3), L. 141, pr. de R. J. (L. 17). — Ce sont, au fond, les principes déjà exposés par Thibaut Versuche, II, N. 13.
  40. L. 16 de leg. (1, 3). « Jus singulare est quod contra tenorem rationis propter aliquam utilitatem auctoritate constituentium introductum est. » L’expression jus singulare se trouve aussi L. 23, § 3 de fid. lib. (XL, 5), L. 23, § 1, L. 44, § 1 adq. poss. (XLI, 2), L. 44, § 3. de usurp. (XLI, 3), L. 15 de reb. cred (XII, 1). (Singularia quædam recepta). L’utilitas (cf. § 15) est aussi donnée comme motif du jus singulare, L. 44, § 1 de adq. poss., L. 2, § 16 pro emt. (XLI, 4). — Necessitas, qui, au fond, ne diffère pas d’utilitas, se lit L. 162 de R. J. (L. 17). — Le jus singulare est dit quelquefois «  benigne receptum. » L. 34 pr. mandati (XVII, 1), cf. Brissonius v. benigne et benignus. Dans plusieurs autres textes, ce droit singulier, purement positif, est appelé jus constitutum, sans aucun rapport aux constitutions impériales. L. 25 de don. inter v. et uxorem (XXIV, 1). L. 1 rer. am. (XXV, 2). L. 20, § 3 de statu lib. (XL, 7). L. 94, pr. § 1, de cond. (XXXV, 1). Alciati parerg. VII, 26 (quelquefois aussi jus constitutum désigne les constitutions impériales. L. 1. § 2 quæ sent. (XLIX, 8). Le sens de cette expression est douteux dans les Frag. Vat., § 278, et L. 22, C. de usuris. (IV, 32)). — On oppose au droit singulier (jus constitutum) le jus vulgatum, L. 32, § 24 de don. int. v. et ux. (XXIV, 1).
  41. L. 15 de vulg. (XXVIII, 6).
  42. L. 15 de vulg. (XXVIII, 6), L. 40 de admin. (XXVI, 7).
  43. L. 30, § 2 de excus. (XXVII, 1), Fr. Vat. § 152. Mais cette expression se trouve rarement.
  44. Voy. le titre de reb. auct. jud. (XLII, 5), et surtout L. 24, § 2, 3, L. 32, où ils sont appelés privilegiarii.
  45. L’expression d’hypothèques privilégiées, si souvent employée dans les temps modernes, n’était pas connue des Romains.
  46. « Auctoritate constituentium. » Voy. note q.
  47. L. 1 de don. int. vir. (XXIV, 1).
  48. Par ex. L. 1, § 2 ad munic. (L. 1).
  49. L. 1, C. de adq. poss. (VII, 32), L. 53 de adq. rer. dom. (XLI, 1), L. 15 de reb. cred. (XII, 1).
  50. Je reviendrai sur ces droits eux-mêmes quand je traiterai des lois.
  51. Ainsi, dans plusieurs passages de Cicéron (Ernesti, v. privilegium), Gellius, X, 20. — Cf. Dirksen Civilistische Abhaudlungen, vol. I, p. 246 sq.
  52. L. 3 in f. C. de leg. (I, 14), Const. Summa, § 4.
  53. L. 1, § 2 de const. princ. (I, 4). L. 4 C. Th. de itin. mun. (XV, 3), Cf. § 24.
  54. L’histoire et la littérature de ces sources appartiennent à l’histoire du droit proprement dite ; je parle seulement ici de ce que l’on en peut regarder comme droit encore en vigueur.
  55. Recueil des 168 N., Julien, et liber Authenticorum. Biener Geschichte der Novellen Justininians. Berlin, 1824. 8.
  56. Biener, p. 258, 259. Quoique contesté par un petit nombre de jurisconsultes (Mühlenbruch, I, § 18), ce point ne saurait être douteux ; car, en abandonnant ce principe, on tombe dans un arbitraire sans limites.
  57. Savigny, Histoire du droit romain au moyen âge, III, § 195, 196. — Quand ici je nie l’autorité de la glose, et que plus bas je reconnais celle des Authentiques d’Irnerius, quoique ce fussent de simples gloses destinées à montrer la concordance du Code et des Novelles, il n’y a là aucune contradiction. En effet, on n’admettait les Authentiques que comme extraits du texte, dont on se servait pour faciliter les recherches et les citations. Ce serait donc méconnaître l’autorité qu’on leur accorde que de les opposer au texte des Novelles.
  58. On a prétendu, au contraire, que nous avions adopté bien moins le corpus juris fixé par les glossateurs que la pratique du droit italien, exposée dans leurs écrits (Seidensticker Juristische Fragmente, Th. 2, p. 188-194). Cette opinion ne saurait être admise, car les glossateurs étaient des interprètes qui n’avaient pas pour but d’exposer la pratique, mais de la réformer. Savigny, Histoire du droit au moyen âge, ch. XLI, Num. 1. — Cette opinion a néanmoins un côté de vérité : c’est que les doctrines des glossateurs ont exercé une influence notable sur la pratique du droit en Allemagne.
  59. Savigny, § 175, 176.
  60. Lauterbach, proleg. § V. N. 6, 7. Eckhard, Hermeneut. § 282. Brunnquell, Hist. j. II, 9, § 22. Zepernich, à la suite de Beck, de Novellis Leonis. Hal. 1779, p. 552 sq. Glück I, § 53, 56. Weber, Versuche über das Civilrecht, p. 47-49.
  61. Beck, de Novellis Leonis, ed. Zepernick. Hal, 1779.
  62. Beck, 1. c., § 48. Mühlenbruch, I, § 18. Dabelow Handbuch des Pandectenrechts, Th. I, § 50. Hal., 1816. Ce dernier prétend qu’autrefois on rejetait dans la pratique tous les textes non glosés ; que, depuis l’abandon des éditions glosées, on a continué de rejeter les Novelles sans gloses, mais que l’on a admis l’autorité des autres textes non glosés (pages 199, 200) ; puis il ajoute : « Quant aux leges restitutæ, elles n’ont aucune autorité (p. 201). » Ici l’auteur ne distingue pas l’usage des temps anciens de celui des temps modernes. Cette opinion a cela d’original que les textes restitués sont distingués des textes non glosés. Or, il y a entre ces textes autant de différence qu’entre le Digeste et les Pandectes.
  63. On en trouve un exemple dans une décision émanée, le 23 décembre 1615, de la chambre impériale, dans l’affaire Waldeck c. Paderborn et consorts, relativement au comté de Piermont. Ce document est imprimé en entier dans C. Mauritius, de judicio aulico, § 14 (Kilon. 1666, et dans ses dissert. et opusc. Argent. 1724, 4, p. 337). On y lit : « Nous vous citons pour vous entendre condamner, comme punition de votre désobéissance, à la peine prononcée par la L. ult., § ult., Cod. de in jus vocando. » — Plusieurs auteurs semblent croire que la chambre impériale a rendu une foule de décisions semblables ; par ex. : Andler, jurisprud. qua publ. qua privata. Solisbaci, 1672, 4, p. 434. Pütter, de præventione, § 19, 90, 135. Mais, en fait, la décision de 1650 est la seule de ce genre.
  64. On serait tenté de le croire, à la manière dont s’exprime là-dessus Uffenbach, de consilio aulico, c. 12, p. 155 « additur interdum citatio ad videndum se incidisse in pœnam, L. ult. C. de inj. voc. … Et quamvis, quod pauci hactenus observarunt, prædicta lege ult. non authentica, șed a Cujacio restituta, consequenter spuria sit, et hine adeo secure cum illa neutiquam navigari videatur, hoc tamen non obstante Dn. ab Andler quotidianam prædictæ leg. ult. praxin confirmat, etc. » La seule preuve que l’on en donne est la décision de 1650 (note k). On peut bien admettre, avec Dabelow (note i), que l’usage d’éditions plus complètes a donné lieu à ce genre de méprise, auparavant impossible ; mais cela ne fonde aucune pratique judiciaire constante, et, par conséquent, aucun droit commun.
  65. F. W. Textor, Decisiones electorales Palatinæ. Francof. 1693, 4, Decisio XX. Le demandeur avait invoqué cette lex restituta (p. 78) ; mais la cour dénie formellement toute autorité aux lois restituées (p. 81, 82), à moins que leurs dispositions n’aient passé dans le droit coutumier ; et peut-être est-ce le motif de la décision de la chambre impériale, dans l’affaire Waldeck c. Paderborn (note k). — On ne conçoit pas que Beck, de Novellis Leonis, § 48, après avoir cité le jugement de la cour palatine, dise, au sujet de la L. 12, C. cit. : « excitatam tamen pariter ad causa definitionem in supremo appellationis judicio Palatino… docet F. W Textor. » Cela signifie évidemment que la cour a fondé sa décision sur la loi cițée. Or, elle a fait précisément le contraire.
  66. Par exemple, la Nov. 162 non glosée. Voy. § 164. — L’autorité purement scientifique des sources du droit antérieures et postérieures à Justinien s’explique par deux analogies parfaitement semblables. Ainsi, telle est l’autorité des anciennes sources du droit germanique dans les pays de droit commun, et celle du droit romain en Prusse, on Autriche et en France.
  67. Eichhorn, Kirchenrecht, 1, p. 349-360. On a contesté l’adoption des deux recueils d’extravagantes ; mais comme elles apportent très-peu de modifications au droit privé des Romains,. le seul dont je m’occupe ici, cette question est pour nous sans intérêt.
  68. On peut citer comme exemples le peculium adventitium et la donatio propter nuptias.
  69. Savigny, Histoire du droit romain au moyen âge, vol. III, § 33.
  70. On trouve d’excellentes remarques sur ce sujet dans Götze, Provincialrecht der Altmark. Motive, I, p. 11-13.
  71. On verra le sens et l’importance de ce principe, que je pose ici comme une abstraction, lorsque je réfuterai les opinions contraires à la mienne (§ 28 sq.). Je me réserve d’exposer alors les conditions indispensables à l’existence d’un véritable droit coutumier ; exposition qui trouverait ici sa place sans les erreurs nombreuses et fort accréditées auxquelles ce sujet a donné lieu ; j’ai donc jugé plus convenable d’établir les principes d’une manière critique, en y joignant la réfutation de ces erreurs.
  72. Savigny, Histoire du droit romain au moyen âge, volume III, § 32.
  73. Savigny, passim et ch. XLI.
  74. Savigny, passim et ch. XLVII.
  75. Sur la nature et l’importance de l’autorité doctrinale pour la juridiction, voy. un excellent morceau de Möser, Patriotische Fantasien, I, N. 22.
  76. On peut en donner pour exemple le Summariissimum, tel qu’on le voit souvent dans la pratique moderne. Cf. Savigny, Recht des Besitzes, § 51, 6e éd.
  77. Thibaut, § 16, et avant lui plusieurs autres auteurs. — Ce sujet est très-bien traité dans Puchta, Gerwohnheitsrecht. II, p. 111.
  78. Voy.,  sur l’accord des auteurs, § 19, et sur les conditions que doivent réunir les jugements pour fonder un droit coutumier, § 19, num. 4. On doit donc être en garde contre la formule si souvent répétée : Praxin testantur, etc.
  79. Pütter, Inst. jur. publ., § 44.
  80. Hofacker, § 127. Thibaut, § 16. On trouve le même langage dans plusieurs textes des sources du droit, § 7, J. de satisd. (IV 11), « cum necesse est omnes provincias… regiam urbem ejusque observantiam sequi. » — L. 2, § 24 de O. J. (I, 2), « vetustissima juris observantia. » — Clem. 2 de appell. (II, 12), « antiquam et communem observantiam litigantium sequi. » Dans d’autres textes, observantia veut dire adoption constante d’une coutume ; dans les auteurs classiques, respect pour la personne. Cicero, de invent., II, 22, 53. Je ne parle pas ici de ces diverses significations.
  81. Eichhorn, Deutsches Privatrecht, § 35. Le caractère distinctif de ce mot est de s’appliquer aux personnes, et non aux localités. Ainsi, on l’emploie en parlant de la noblesse ou d’une classe de la noblesse, d’un chapitre, d’une corporation, etc., mais non en parlant d’une province ou d’une. ville.
  82. Eichhorn, Kirchenrecht, vol. II, p. 39-44. Puchta, Gewohnheitsrecht, II, p. 105, qui a déterminé avec plus de précision que tout autre le sens de ce mot et de ses synonymes, prétend qu’on ne doit l’employer que dans ce cas seulement, application de l’autonomie. En effet, la phraséologie de Puchta, si elle était adoptée, lèverait toutes les incertitudes.
  83. Maurer, Abhandlungen, N. 6. Hofacker, § 127. Thibaut, § 16. — D’un autre côté, voy. Eichhorn, p. 41.
  84. Puchta, Gewohnheitsrecht, I, p. 163.
  85. Puchta, Gewohnheitsrecht, L. I, ch. 4, 5, 6.
  86. § 3, 9, 10, J. de jure nat. (I, 2) ; L. 6, § 1, de J. et J. (I, 1) ; L. 2, § 5, 12, de orig. jur. (I, 2). Voici un passage de Cicéron, qui résiste à toutes les subtilités, de partit. orat., C. 37 ; « sed propria legis et ea quæ scripta sunt, el ea quæ sine litteris, aut gentium jure aut majorum more, retinentur. »
  87. Ainsi l’édit prétorien appartenait au jus scriptum, quand même il s’appuyait sur le droit coutumier. Le préteur, en adoptant le droit coutumier, le recomposait, lui donnait un caractère de certitude, qui, pour la pratique, le rendait chose nouvelle. Les responsa des jurisconsultes rentraient également dans le jus scriptum, parce que l’écriture servait à en fixer l’autorité. Mais un principe du droit coutumier ne devenait pas jus scriptum quand un jurisconsulte l’insérait dans ses ouvrages et l’adoptait comme vrai, car cela ne touchait en rien à l’origine du droit. — Cf. Thibaut, § 10. L’explication que donne Zimmern, I, S-14, est beaucoup trop subtile et très-loin de la vérité.
  88. Hübner, Berichtigungen und Zusätze zu Höpfner, p. 152.
  89. Glück, I, § 82, s’étend longuement sur ce sujet, et indique les auteurs qui l’ont traité avant lui. Cette erreur a sa source, mais non sa justification, dans les L. 35, 36, de legibus (I, 3). L’opinion que je combats a néanmoins cela de vrai, c’est que le droit écrit, fixé par une lettre invariable, a un plus haut degré de certitude que le droit coutumier. Mais l’autorité législative n’est nullement une condition indispensable, car le préteur faisait du droit écrit sans être législateur.
  90. Gaius, I, § 2-7.
  91. § 3, J. de j. nat. (I, 2).
  92. L. 2, § 12, de orig. jur. (I, 2).
  93. L. 7, de J. et J. (I, 1).
  94. Cicero, Top., ch. 5 : « ut si quis jus civile dicat id esse quod in legibus, senatus-consultis, rebus judicatis, jurisperitorum auctoritate, edictis magistratuum, more, æquitate consistat.  »
  95. Cicero, de invent., II, ch. 22, 53, 54 ; de part. orat., ch. 37 ; auctor ad Herennium, II, ch. 13.
  96. Par ex. Cicero, de part. orat., C. 37. Le droit dérive de la nature ou de la loi. Celle-ci est écrite ou non écrite. La loi écrite est faite par l’autorité publique, lex, senatus-consullum, fœdus, ou par les particuliers, tabulæ, pactum conventum, stipulatio. Les contrats figurent aussi dans la définition de la loi non écrite. Les passages cités plus haut ont tous le même sens.
  97. Cf. Dirksen, Eigenthümlichkeit des Jus Gentium, Rhein. Museum, vol. I, p. 1-50. Puchta, Gewohnheitsrecht, I, p. 32, 40.
  98. « Omnes homines, » « omnes gentes, » « gentes humanæ. » Gaius, I, § 1. L. 9, L. 1. § 4, de J. et J. (I, 1).
  99. Gaius, I, § 1, 189 ; II, § 66, 69, 79, L. 9, de J. et. J. (I, 1) ; L. 1, pr. de adq. rer. dom. (XLI, 1). Dans les ouvrages de rhétorique, on l’appelle ordinairement natura (note l). J’ai indiqué la source de cette opinion à la fin du § 8.
  100. L. 11, de J. et J. (I, 1) ; § 11, J. de j. nat. (I, 2).
  101. Considéré sous ce point de vue, ce contraste a de l’analogie avec celui de jus scriptum et æquitas, jus (ou juris ratio) et utilitas. Les considérations générales que j’ai présentées sur ce sujet (§ 15) trouvent ici une application historique spéciale.
  102. Cette terminologie peut être regardée comme celle adoptée par les jurisconsultes romains. Néanmoins, ils en avaient encore une autre qui avait un membre de plus, jus naturale, gentium, civile. J’en parlerai dans l’appendice de ce vol., N. 1.
  103. Cicero, de part. orat., ch. 37. Voy. plus haut note b.
  104. § 12, J. de nupt. (I, 10.) Cf., § 65, note b. — Le jus gentium peut alors, en quelque sorte, être examiné sous un double point de vue, l’un théorique, l’autre pratique, selon que l’on étudie l’origine du droit lui-même, ou son application chez les Romains.
  105. L. 7, pr. de J. et J. (I, 1) ; L. 2, § 10, de orig. jur. (1, 2) ; § 7, J. de j. nat (I, 2.) — Ainsi donc, Jus civile a plusieurs significations très-différentes : 1o droit privé (§ 1) ; 2o droit positif d’un peuple quelconque ; 3o droit privé des Romains ; § 1, 2, 3, J. de j. nat. (I, 2) ; L. 6, pr. L. 9, de J. et J. (I, 1) ; 4o le droit romain à l’exclusion du jus honorarium, L. 7 de J. et J. (I, 1) ; 5o enfin, tout droit auquel on ne peut donner une désignation plus spéciale, L. 2, § 5, 6, 8, 12, de orig. j. (I, 2.)
  106. Je ne dis pas que leur autorité fût générale, mais seulement qu’elle pouvait l’être. Ainsi, par exemple, les édits des empereurs avaient régulièrement force de loi dans tout l’empire, quoique souvent ils ne fussent rendus que pour une province ou pour une ville. Les responsa, et, dans l’origine, les rescrits, ne s’appliquaient qu’à une seule affaire, et, en ce sens, leur autorité était fort restreinte ; mais ils allaient dans tout l’empire : les édits d’un magistrat ne dépassaient pas les bornes de sa juridiction.
  107. Gaius, IV, § 118 : « Exceptiones… omnes vel ex legibus, vel ex his quæ legis vicem obtinent substantiam capiunt, vel ex jurisdictione Prætoris proditæ sunt. » L. 14 de condit. inst. (XXVIII, 7). Ce que Gaius dit en passant des exceptions s’applique également aux actions.
  108. Ont legis vicem : 1o les sénatus-consultes, Gaius, 1, 4 ; 2o les constitutions des empereurs, Gaius, I, § 5 ; L. 1, pr. de const. (I, 4) (même les imperiales contractus ; L. 26, C. de don. int. vir., V, 16) ; 3o les responsa, Gaius, I, § 7 ; 4o le droit coutumier, L. 32, § 1 ; L. 33, de leg. (I, 3) pro lege ; » L. 38, cod. « vim legis ; » L. 3, C. quæ sit longa cousu. VIII, 53) « legis vicem ; » § 9, J. de j. nat. (I, 2) « legem imitantur. »
  109. Duroi, Archiv., vol. VI, p. 308, 309, 393, donne des exemples de semblables conflits entre l’édit et le jus gentium.
  110. Certains textes nous représentent l’édit comme fondé sur le droit coutumier (§ 25, t) ; d’autres opposent le droit coutumier à l’édit, par ex. Gaius, III, § 82 : « neque lege XII Tabul., neque prætoris edicto, sed co jure quod consensu receptum est ; » et § 3-9, J. de j. nat. (I, 2). Cette contradiction apparente est facile à expliquer. Ces derniers textes parlent du droit coutumier, qui a conservé sa forme primitive et qui n’a pas passé dans l’édit.
  111. L. 3-6, 8, 10-12, de leg. (I, 2).
  112. Le texte mutilé d’Ulpien, tit. de leg., § 3, confirme cette supposition. Cf. Blume Zeitssch. f. gesch. Rechtsw., IV, 367.
  113. Gaius, I, § 5. — L. 1, de const. princ. (I, 4) d’Ulpien, reproduite § 6, J. de j. nat. (I, 2). Ce n’est pas ici le lieu d’examiner pourquoi, dans le Digeste et dans les Institutes, lex regia n’a pas conservé son sens primitif. — Ordinairement le mot constitutio désigne le genre entier ; quelquefois aussi les édits, par opposition aux rescrits. L. 3, C. si minor (II, 43).
  114. Je vais indiquer plusieurs édits non douteux, et il serait facile de grossir cette liste. Quatre d’Auguste, L. 2, pr. ad Sc. Vell. (XVI, 1) ; L. 26, de lib. (XXVIII, 2) ; L. 8, pr. de quæst. (XLVIII, 18) ; Auct. de j. fisci, § 8. — Quatre de Claude, L. 2, pr. ad Sc. Vell. (XVI, 1) ; L. 15, pr. ad L. Corn., de falsis (XLVIII, 10) ; L. 2, qui sine man. (XL, 8) ; L. un., § 3 ; C. de lat. lib. (VII, 6) ; Ulpien, III, § 6. — Deux de Vespasien, L. 4, § 6, de leg. (L. 7) ; L. 2, C. de æd. priv. (VIII, 10). — Un de Domitien, L. 2, § 1, de cust. (XLVIII, 3). — Un de Nerva, L. 4, pr. ne de statu (XL, 15). — Quatre de Trajan, L. 6, § 1, de extr. crim. (XLVII, 11) ; Gaius, III, § 172 ; § 4, J. de suce. lib. (III, 7) ; L. 13, pr., § 1, de j. fisci (XLIX, 14) ; Auct. de j. fisci, § 6. — Deux d’Hadrien, Gaius, 1, § 55, 93 ; L. 3, C. de ed. D. Hadr. (VI, 33). — Un de Pius, L. 11, de mun. (L. 4). — Trois de Marc-Aurèle, § 14, J. de usuc. (II, 6) ; L. 24, § 1, de reb. auct. jud. (XLII, 5) ; L. 3, C. si adv. fiscum (II, 37). — Un de Sévère, L. 3, § 4, de sep. viol. (XLVII, 12). Il faut encore ranger parmi les édits les manifestes étrangers au droit, par ex. ceux de Nerva dont parle Pline, epist. X, 66.
  115. L. 3, C. de leg. (I, 14).
  116. C’est ce que nos jurisconsultes appellent un jus singulare. Ainsi, par ex., les édits d’Auguste et de Claude, relatifs aux cautions des femmes, et l’édit d’Auguste, qui défend de déshériter les soldats, L. 2, pr. ad Sc. Vell. (XVI, 1) ; L. 26, de lib. (XXVIII, 2), eussent été regardés par les jurisconsultes des temps postérieurs comme leges generales. Guyet, Abhandlungen, p. 42, s’est mépris à ce sujet.
  117. La plupart des lois impériales, notamment celles de Justinien, étaient adressées à un fonctionnaire, par ex. à un præfectus prætorio, et ainsi avaient la forme de rescrits ; mais comme personne ne doutait que ce ne fussent de véritables edicta, generales leges, leges edictales, on ne les appelait pas des rescrits. Un exemple emprunté à nos institutions rendra la chose sensible. Tout ce que renferme le recueil des lois prussiennes, lois ou ordonnances, est également obligatoire, et cependant les unes sont adressées directement à tous les sujets et à tous les fonctionnaires, les autres sont des ordres du cabinet adressés au ministère d’État ou à un ministre spécial. Cf. § 24, note e.
  118. L. 8, C. de leg. (I, 14).
  119. L. 9, C. de leg. (I, 14).
  120. L. 1, § 1, de const. princ. (I, 14) : « Quodcumque igitur Imp… vel cognoscens decrevit, vel de plano interlocutus est… legem esse constat. »
  121. Pauli libri tres decretorum. Je citerai encore le recueil des édits d’Hadrien, par Dositheus.
  122. Par ex., le decretum D. Marci, sur ceux qui se font justice eux-mêmes. L. 13, quod metus (IV, 2) ; L. 7, ad L. J. de vi priv. (XLVIII, 7).
  123. L. 3, C. de leg. (I, 14), « … interlocutionibus, quas in uno negotio judicantes protulimus vel postea proferemus, non in commune præjudicantibus, » par opposition aux édits qui avaient force de loi.
  124. L. 12, pr. C. de leg. (I, 14) : « Si imperialis majestas causam cognitionaliter examinaverit, et partibus cominus constitutis sententiam dixerit : omnes omnino judices… sciant hanc esse legem non solum illi causæ, pro qua producta est, sed et omnibus similibus. » On a coutume de regarder ce texte comme en contradiction avec celui cité note précédente. Néanmoins, il distingue les deux espèces de décrets précisément comme le fait Ulpien (note k).
  125. L. 12, cit. « … cum et veteris juris conditores, constitutiones quæ ex imperiali decreto processerunt, legis vim obtinere, aperte dilucideque definiant. » Ce qui paraît se rapporter à Gaius, I, § 5.
  126. On peut comparer ces décrets aux arrêts de nos cours d’appel.
  127. Schulting, Diss. pro rescriptis Imp. Rom. (Comm. acad., vol. I, N. 3) ; Guyet, Abhandlungen, N. 4.
  128. Cette forme ne devait être employée que dans les occasions importantes, notamment pour les rescrits sur des matières de droit public intéressant des corporations. L. 7, C. de div. rescr. (I, 23). Mais on voit que cela ne s’observait pas toujours d’après la const. Summa, § 4 : « Si… pragmaticæ sanctiones… alicui personæ impertitæ sunt…  » On trouve d’importants matériaux pour cette recherche dans J. H. Böhmer, exerc. ad Pand., I, exerc. 12, C. I. Néanmoins Böhmer se trompe en ce qu’il donne comme caractère distinctif des pragmatiques sanctions cette restriction légale mise à leur application.
  129. Elles s’appellent personales constitutiones, L. 1, § 2, de const. (I, 4) ; L. 6, J. de J. nat. (I, 2). Quelques auteurs modernes les nomment rescrits de grâce, définition beaucoup trop restreinte, et tout à fait inexacte quand il s’agit de réprimandes ou de peines.
  130. L. 1, § 2, de fugit. (XI, 14) : « Est etiam generalis epistola, D. Marci et Commodi, qua declaratur, et præsides et magistratus, et milites stationarios dominum adjuvare debere in inquirendis fugitivis, etc. » — L. 3, § 5, de sepulcro viol. (XLVII, 12) : « D. Hadrianus rescripto pœnam statuit quadraginta aureorum in eos qui in civitate sepeliunt, quam fisco inferri jussit, et in magistratus eadem qui passi sunt… quia generalia sunt rescripta, et oportet Imperialia statuta suam vim obtinere et in omni loco valere. » Peut-être doit-on ajouter ici l’epistola D. Hadriani sur les cautions, 4, J. de fidej. (III, 20) ; Gaius, III, § 121, 122. — Dans les deux premiers cas cités, ces rescrits avaient le caractère d’ordonnances de police ; c’étaient des circulaires adressées à une classe de fonctionnaires.
  131. Ainsi, par ex., Justinien, L. 5, pr. C. de receptis (II, 56), appelle lex une de ses ordonnances (L. 4, cod.), quoiqu’elle fût adressée au præfectus prætorio. Le Code Théodosien, composé presque entièrement de pièces du même genre, est encore plus décisif, car il les appelle constitutionesedictorum viribus aut sacra generalitate subnixæ, et edictales generalesque constitutiones, L. 5, 6, C. Th. de const (I, 1), ed. Hänel. — Guyet, p. 84, trompé par la forme extérieure de ces ordonnances, les regarde comme des rescrits et les oppose aux édits ; puis il tire de là de fausses conséquences sur la nature des rescrits. Cf. § 23, note g.
  132. Par ex. : L. un., de grege domin. (XI, 75). Guyet, p. 74, cite encore d’autres textes.
  133. Par ex : la Sanctio pragmatica de Justinien, pro Petitione Vigilii, sur l’organisation de l’Italie, dont il venait d’achever la conquête.
  134. L. 7, pr. C. de div. rescr. (I, 23).
  135. Sur les consultations, voy. surtout Holweg, Civilprozesz, I, § 10. — Elles furent, interdites par la novelle 125 de l’an 544. On verra que cette interdiction n’était pas absolue, quand je traiterai de l’interprétation des lois, § 48. Au reste, il est évident que si, malgré la défense de la novelle, un juge consultait l’empereur, et que l’empereur lui fit réponse, le juge devait s’y conformer comme avant la novelle. Il en était de même si l’empereur, de son propre mouvement, ou sur la demande d’une des parties, adressait au juge un rescrit. L’usage des rescrits, à l’occasion d’un procès, était alors beaucoup plus rare, mais non tout à fait abandonné.
  136. L. 89, § 1, ad L. Fale. (XXXV, 2), « generaliter rescripserunt ; » L. 1, § 3, de leg. tut. (XXVI, 4), « generaliter rescripsit ; » L. 9, § 2, de her. inst. (XXVIII, 5), «  rescripta generalia ; » L. 9, § 5, de jur. et facti ign. (XXII, 6), « initium constitutionis generale est. » — Les rescrits dont parlent ces textes avaient été rendus à l’occasion de procès, et c’est en cela qu’ils diffèrent des rescrits généraux dont il est question dans la note d. D’un autre côté, l’expression generale rescriptum exprime plus qu’une simple opposition à personalis constitutio (note c).
  137. Ces considérations expliquent pourquoi on trouve tant de simples rescrits sur les excuses. Fragm. Vat., § 191, 208, 247. — § 159, 206, 211, 215, 246. Le § 236 est surtout remarquable, comme établissant un nouveau droit : « quo rescripto declaratur ante cos non habuisse immunitatem. »
  138. L. 4, 12 (al. 2, 10), C. Th. de div. resc. (I, 2) ; L. 1 2, C. de div. resc. (I, 23).
  139. L. 3, 4, 6, C. de div. resc. (I, 23) ; L. 1, C. Th. cod. (I, 2).
  140. L. 7, C. de div. resc. (I, 23) ; L. 2, 3, 4, 5, C. si contra jus (I, 22). À cela se rapporte l’appel contre les rescrits, c’est-à-dire contre les jugements fondés sur des rescrits. L. 1, § 1, de appell. (XLIX, 1).
  141. L. 2 (al. 1), C. Th. de div. resc. (I, 2) ; L. 6, C. si contra jus (I, 22) ; L. 3, 7, C. de precibus (I, 19) ; Nov. 82, C. 13.
  142. Capitolini Macrinus, C. 13 : « quum Trajanus nunquam libellis responderit. » Cela veut dire qu’il adressait ses rescrits aux magistrats, et non aux parties. On trouve plusieurs rescrits de Trajan, cités dans Schulting. Diss. pro rescript., § 15. — Justinien défend d’avoir égard aux rescrits privés, Nov. 113, C. I, de l’an 541.
  143. L. 11 (al. 9), C. Th. de div. resc. (I, 2) ; L. 2, C. de leg. (I, 14) : « Quæ ex relationibus… vel consultatione… statuimus… nec generalia jura sint, sed leges faciant his duntaxat negotiis atque personis, pro quibus fuerint promulgata. » L. 13, C. de sentent. et interloc. (VII}, 45) : « Nemo judex vel arbiter existimet, neque consultationes, quas non rite judicatas esse putaverit, sequendum… cum non exemplis sed legibus judicandum sit.  » Ce dernier texte est doublement remarquable. D’abord, il exprime formellement ce dont il est ici question, l’application des règles une fois admises aux autres cas semblables. Ensuite, il met sur la même ligne les rescrits en réponse aux consultations et les jugements de plusieurs autres tribunaux ; mais il ne parle pas des jugements émanés de l’empereur lui-même. Par là se trouve évitée fort habilement toute contradiction avec la L. 12, pr. C. de leg. (I, 14) (§ 23, note o). Ainsi, l’on distingue entre les jugements rendus par l’empereur en personne, et ceux rendus par un magistrat, d’après un rescrit de l’empereur. En effet, ces derniers n’avaient ni la même publicité, ni le même degré de certitude que les premiers, car il se pouvait toujours que le rescrit eût été mal entendu. Plusieurs auteurs reconnaissent, par exception, une autorité générale aux rescrits, quand ils renferment une interprétation authentique, en se fondant sur la L. 12, § 1, C. eod. : « interpretationem, sive in precibus, sive in judiciis, sive alio quocunque modo factam, ratam et indubitatam haberi. » (Glück, I, § 96, N. III.) Mais je ne nie pas l’autorité des rescrits, et même leur autorité législative, restreinte à un cas déterminé. Si, contrairement aux textes cités, Justinien eût voulu leur donner force de loi générale, il se fût exprimé en termes formels, comme il l’a fait pour les décrets, et il n’eût pas dit en passant : sive in precibus.
  144. Ces mots, legis vis, employés par Gaius et Ulpien, sont entendus par plusieurs auteurs dans le seul sens d’autorité, mais certainement à tort. Les jurisconsultes romains s’exprimaient avec plus de précision. S’ils eussent pris ces mots, vis legis, dans le sens vague et général d’influence, d’autorité, Gaius n’eût pas oublié d’attribuer le vis legis au jus honorarium, et § 7, au lieu de ne parler que des responsa prudentium, il eût ajouté l’auctoritas prudentium, qui était bien plus étendue. D’un autre côté, il ne faudrait pas, d’après le texte de Gaius (I, § 5), mettre sur la même ligne les rescrits et les édits. Gaius, § 7, donne aussi la vis legis aux responsa ; mais la suite montre clairement que les responsa n’ont force de loi que pour le cas auquel ils s’appliquent.
  145. Capitolini Macrinus, C. 13 : « Fuit in jure non incallidus, adeo ut statuisset omnia rescripta veterum principum tollere, ut jure non rescriptis ageretur, nefas esse dicens leges videri Commodi et Caracalli et hominum imperitorum voluntates, quum Trajanus nunquam libellis responderit, ne ad alias causas facta præferrentur, quæ ad gratiam composita viderentur. » Cela ne peut s’entendre que de l’autorité permanente des rescrits, car les procès à l’occasion desquels les veteres principes avaient rendu les rescrits étaient des faits depuis longtemps accomplis.
  146. Ainsi donc, cette connaissance des rescrits n’implique pas une publication spéciale des rescrits, comme le prétend Guyet, p. 74.
  147. Ainsi, par ex., Papiri Justi libri XX constitutionum, qui, d’après les fragments qui s’en sont conservés, se composaient de rescrits ; et, plus tard, les codes Grégorien et Hermogénien, du moins en grande partie. Il faut sans doute ranger dans la même classe les semestria de D. Marcus, recueil semestriel des rescrits (peut-être aussi des décrets) les plus importants, composé par des personnes privées, peut-être par l’empereur lui-même, et alors ce serait une espèce de publication légale. Cf. Brissonius, v. Semestria, Cujacius in Papin., L. 72, de cond. Opp., IV, 489, dont je n’admets pas l’explication.
  148. On trouve des passages semblables cités dans Guyet, p. 55 sq.
  149. Brissonius, de formulis, lib. 3., C. 84.
  150. L. 1, pr. de test. mil. (XXIX, 1), « et exinde mandatis inseri cæpit caput tale : Cum in notitiam, etc. ».
  151. L. 2, § 1, de his quæ ut ind. (XXXIV, 9) ; L. 6, C. de nupt. (V, 4).
  152. Const. Summa, § 3. Mais cela n’abolissait pas les privilèges conférés par des rescrits à une corporation ou à une personne privée. Ibid., § 4.
  153. L. 2, C. de off. præf. præt. Or. et Ill. (I, 26). Cela s’appliquait alors à tout l’empire, depuis Constantin, à chaque préfecture, semblablement à ce qui se pratiquait autrefois pour les édits provinciaux des proconsuls.
  154. L. 16, C. de jud. (III, 1) ; L. 27, C. de fidejuss. (VIII, 41).
  155. Nov. 165, 166, 167, 168. Cf. Biener, Gesch. der Novellen, p. 98, 118.
  156. Cassiodor. Var., VI, 3, formula Præf. Præt. : « Pene est ut leges possit condere, etc. »
  157. Cicero, de inventione, II, 53, 54 : « Natura jus est, quod non opinio genuit, sed quædam innata vis inseruit, ut religionem, pietatem… Consuetudine jus est, quod aut leviter a natura tractum aluit et majus fecit usus, ut religionem : aut si quid eorum quæ ante diximus, ab natura profectum, majus factum propter consuetudinem videmus, aut quod in morem vetustas vulgi approbatione perduxit. »
  158. Puchta, Gewohnheitsrecht, I, p. 71 sq.
  159. Gaius, III, § 82 ; Ulpian., tit. de leg., § 4 ; L. 32-40, de leg. (I, 3) ; § 9, 11, J. de j. nat. (I, 2).
  160. L. 39 de leg. (1, 3) : « Quod non ratione introductum, sed errore primum, deinde consuetudine obtentum est, in aliis similibus non obtinet. » (Alia similia, les cas semblables qui se présenteraient à l’avenir.) L. 1, C. quæ sit l. c. (VIII, 53) : « Nam et consuetudo præcedens, et ratio quæ consuetudinem suasit, custodienda est. » Cf. Puchta, p. 61, 81.
  161. On peut m’opposer, avec grande apparence de raison, la L. 32, § 1, de leg. (I, 3), où l’on conclut de l’expressus populi consensus pour la loi au tacitus consensus pour la coutume. Mais d’abord il s’agit moins de l’autorité de la coutume que de la nature de cette autorité (legis vice). Voy. Puchta, p. 84. Ensuite, je ne prétends pas que les anciens jurisconsultes aient eu toujours présent à l’esprit le sens propre du mot populus. Pour combattre mon opinion, il faudrait établir, par des textes positifs, que les anciens jurisconsultes regardaient la réunion des cives, et non la nation idéale, comme le sujet du droit coutumier.
  162. L. 36, de leg. (I, 3) : « quod in tantum probatum est ut non fuerit necesse scripto id comprehendere. ».
  163. L. 2, § 5, 6, 8, 12, de orig. jur. (I, 2).
  164. L. 38, de leg. (I, 3) ; L. 1, C. quæ sit l. consu. (VIII, 53). Pour le droit coutumier particulier voy. surtout L. 34, de leg. (I, 3) (Puchta, I, p. 96). — Chose remarquable, les auteurs qui ont écrit sur la rhétorique énumèrent toujours, parmi les sources du droit, les res judicatæ, et les anciens jurisconsultes n’en parlent pas. Au reste, leur autorité a été reconnue de tout temps (§ 12, note b).
  165. L. 13, C. de sent. et interloc. (VII, 45). V. § 24, note r.
  166. L. 39, de leg. (I, 3). Voy. note d. Puchta, I, p. 99. — En voici le motif tout naturel. Ici la coutume est le résultat d’une erreur, et par conséquent n’exprime pas la conscience commune du droit, qui fait toute sa force.
  167. L. 11, C. de leg., I, 14.
  168. Puchta, I, p. 110.
  169. Voy. § 22, note x.
  170. L. 38, de leg. (I, 3).
  171. L. 32, pr. L. 33, de leg. (I, 3). Cf. Puchta, I, p. 87.
  172. L. 32, pr. de leg. (I, 3) : « si qua in re hoc defecerit… tune jus, quo urbs Roma utitur, servari oportet. »
  173. L. 1, § 10, C. de vet. j. enucl. (I, 17) ; § 7, J. de satisd. (IV, 11).
  174. L. 1, pr. de curat. (XXVII, 10) ; L. 1, de don. int. v. et ux. (XXIV, 1) ; L. 2, pr. de vulg. et pup. subst. (XXVIII, 6).
  175. L. 32, § 1, de leg. (1, 3) : « … Quare rectissime etiam illud receptum est, ut leges non solum suffragio legislatoris, sed etiam tacito consensu omnium per desuetudinem abrogentur. » Cf. Puchta, p. 86, 90.
  176. Cicero, de invent., II, 22 : « Consuetudinis autem jus esse putatur id, quod voluntate omnium sine lege vetustas comprobavit. In ea auten… sunt… corum multo maxima pars, quæ prætores edicere consueverunt. » Les erreurs où sont tombés à ce sujet les premiers historiens du droit n’ont plus besoin d’être réfutées.
  177. Gaius, I, § 111 ; L. 27, § 4, ad L. Aquil. (IX, 2) ; L. 1, § 1, de interrog. act. (XI, 1).
  178. § 11, J. de j. pat. (I, 2) ; § 7, J. de injur. (IV, 4). L. 1, pr. C. de cad. toll. (VI, 51) ; L. 1, § 10, C. de vet. j. enuel. (I, 17) ; Const. hæc quæ necess., § 2. — Nov. 89, C. 15 ; Nov. 106.
  179. L. 32, pr. L. 33, de leg. (I, 3). Cf. Puchta, I, p. 88. — On ne saurait fonder sur le premier de ces textes un semblable argument a contrario, car, immédiatement après (§ 1), l’auteur dit expressément le contraire.
  180. L. 2, C. quæ sit 1. consu. (VIII, 53). Voy. l’appendice de ce vol., N. II.
  181. C. 4, D. XI, = L. 2, C. quæ sit l. consu. (VIII, 53), C. 6 ; D. XII, = § 9, J. de j. nat. (I, 2). — C. 7, D. XII, = L. 1, C. quæ sit. I. cons. (VIII, 53.)
  182. C. 11, X, de consuet. (I, 4) ; C. 1. de const. in VI (I, 2.). Je reviendrai sur le sens de ces passages, dans l’appendice de ce vol., N. II.
  183. C. 11, X, de consuet. (I, 4) ; C. 4, de consuet. in VI (I, 4) ; C. 9, de offic. ord. in VI (I, 16) ; C. 50, X, de elect. (I, 6). — Meurer, Juristische Abhandlungen. Leipzig, 1780, N. V, a fait une recherche sur le sens de ces passages, et il prétend qu’il s’agit ici de droits particuliers à conférer à des tiers, et non de coutume à établir par la prescription. Cependant il revient à l’explication que je donne, du moins pour le C. 11, X, de consuet. Glück, 1, § 86, N. V, a adopté la première opinion de Meurer. — Eichhorn, Kirchenrecht, p. 42, 43 ; rapporte ces passages, non à un droit coutumier proprement dit, mais à une observance, c’est-à-dire à un statut tacite, établissant des droits pour les tiers (§ 20 f.). Ces textes peuvent avoir été faits pour des cas semblables ; mais Eichhorn lui-même reconnaît leur généralité, et peut-être le vague de l’expression répond à l’obscurité de la pensée.
  184. C. C. C., art. 104. — Conc. ord. cam., tit. 19, proœm., tit. 71, Rec. imp. nov., § 105.
  185. L. 2, 5, de orig. j. (I, 2).
  186. Gaius, I, § 7 ; § 8, J. de j. nat. (I, 2). — L. 2, § 47, de orig. jur. (I, 2). — Ainsi je distingue les responsa, les consultations données, sur un cas déterminé, par un jurisconsulte autorisé à cet effet, des doctrines professées par les auteurs en général, c’est-à-dire la littérature du droit. L’autorité des responsa, obligatoires pour le juge, était une chose toute positive, et c’est à quoi se rapportent les textes cités. L’influence de la littérature était fort naturelle, mais son caractère était indéterminé, et elle ne liait aucun juge. Gaius parle de l’autorité des responsa, sans exclure l’influence de la littérature. Hugo, Rechtsgesch., p. 811, 11e éd., repousse, ou du moins met en doute l’autorité des responsa, et n’admet que l’influence de la littérature. Cette opinion me paraît inconciliable avec l’emploi du mot responsa ; mais cette discussion est hors de mon sujet.
  187. L. 1, 2, C. Th., de resp. prud. (I, 4), textes nouvellement découverts.
  188. L. 3 (al. un.), C. Th. de resp. prud. (I, 4), de l’an 426.
  189. Savigny, Histoire du droit romain au moyen âge, I, § 3.
  190. L. 1, § 12 ; L. 2, § 21 ; L. 3, § 21, C. de vet. j. enucl. (I, 17).
  191. Const. Omnem.
  192. Mühlenbruch, I, § 35.
  193. Glück, I, § 96, qui cite les auteurs pour et contre son opinion.
  194. Par ex., Schweitzer, de desuetudine, p. 52, 53, 84. Tout son ouvrage est dirigé contre l’effet de la désuétude pure : aussi dit-il que le droit romain est inapplicable à cette question. Mais Schweitzer doit être consulté pour toutes les autres questions de la matière, et notamment pour celle de l’abrogatio par la coutume.
  195. Glück, I, § 85 ; Guilleaume, Rechtslehre von der Gewohnheit ; Osnabrück, 1801, § 24-27.
  196. Lauterbach, I, 3. § 36 ; Müller ad Struv., I, 3, § 20 ; Glück, I, § 86, N. 1, et surtout Puchta, Gewohnheitsrecht, II, p. 79 sq., p. 85.
  197. Puchta, II, p. §9 sq.
  198. Puchta, II, p. 93 sq.
  199. Lauterbach, I, 3, § 35 ; Müller ad Struv., I, 3, § 20 ; Glück, I, § 86, N. 5 ; Guilleaume, 531 ; Puchta, II, p. 31 sq.
  200. Puchta, II, p. 33 sq.
  201. Voy. plus bas, note l.
  202. Schweitzer, de desuetudine, p. 78 ; Hübner, Berichtigungen und Zusätze zu Höpfner, p. 164. Ce dernier, pour échapper à la L. 39, de leg., prétend qu’elle ne s’applique qu’aux fausses interprétations des lois. Mais, d’abord, cette restriction est purement arbitraire ; et, ensuite, si l’erreur peut fonder un droit coutumier, pourquoi pas l’erreur sur l’interprétation d’une loi ?
  203. Sur l’erreur relativement aux coutumes, voy. Puchta, II, p. 62 sq.
  204. Glück, I, § 86, N. 3. Cf. Puchta, II, p. 49 sq.
  205. C. C. C., art. 218 : « … De notre pouvoir impérial nous les abolissons, et annulons et anéantissons, et défendons de les citer à l’avenir. » — Ce passage ne doit pas s’entendre comme disposition générale sur la nature du droit coutumier ; car les coutumes ne sont mentionnées ici qu’accidentellement. En effet, plusieurs des principes abolis reposaient, non sur des coutumes, mais sur des lois locales. Le texte cité a donc pour objet d’établir le rapport, en matière de pénalité, du droit général aux droits particuliers, et nullement celui du droit écrit au droit non écrit, chose toute différente.
  206. L. 39, de leg. (I, 3) : « Quod non ratione introductum, sed errore primum, deinde consuctudine obtentum est in aliis similibus non obtinet. » C’est-à-dire, quand une coutume repose, non sur une idée de droit commune à toute la nation, mais sur une erreur (ce qui exclut nécessairement la conviction universelle), cette coutume ne fonde pas un véritable droit coutumier, et il n’y a aucune raison de l’appliquer à l’avenir.
  207. Puchta, II, p. 40 sq.
  208. Cf. Puchta, Gewohnheitsrecht, II, liv. III, ch. 3, 4.
  209. L. 36, de leg. (I, 3) : « Immo magnæ auctoritatis hoc jus habetur, quod in tantum probatum est, ut non fuerit necesse scripto id comprehendere. »
  210. Heichhorn, Deutsches Privatrecht, § 5, 14, 26. — Peut-être croira-t-on que, semblable à l’institution des anciens échevins, cet usage, bon pour des temps peu civilisés, n’est plus applicable de nos jours. Mais en Angleterre, par exemple, on constate parfaitement les besoins de la société au moyen d’enquêtes, où l’on entend des personnes de toutes les classes. Les mêmes formes pourraient être en partie adoptées parmi nous, quand il s’agit d’établir l’existence d’un droit coutumier.
  211. Nov. 106. Cf. Puchta, I, p. 116 ; II, p. 133.
  212. Puchta, I, p. 105 ; II, p. 151 sq. Cf. Lange Begründungslehre des Rechts. Erlangen, 1821, § 16.
  213. Telle paraît être l’opinion de Heichhorn, Deutsches Privatrecht, § 26.
  214. Cf. Puchta, Gewohnlicitsrecht, II, p. 165 sq.
  215. Sans doute cela vien en partie de ce que nous avons adopté un droit étranger, qui, de sa nature, exige une étude savante ; mais on ne doit pas croire que ce soit là le motif principal. Les Anglais n’ont pas de droit étranger, mais une masse énorme d’actes du parlement et de décisions judiciaires, dont l’étude, comme chez nous celle du droit romain, donne aux juges anglais un caractère tout à fait différent de celui des anciens échevins. »
  216. Puchta, Gewohnheitsrecht, II, p. 169, 176, 187 sq.
  217. Puchta, II, p. 125 sq., p. 135 sq., Il cite également les auteurs qui approuvent cette méthode. Cf. note c.
  218. L. 34, de leg. (I, 3) : « Cum de consuetudine civitatis vel provinciæ confidere quis videtur : primum quidem illud explorandum arbitror, an etiam contradicto aliquando judicio consuetudo firmata sit. » Cf. Puchta, I, p. 96 ; II, p. 129 sq. On a souvent conclu de ce texte, mais à tort, qu’il fallait absolument des décisions judiciaires pour établir un droit coutumier (§ 29).
  219. Voyez l’appendice, N. II.
  220. C’est cette opinion que s’est proposé d’établir Schweitzer, de desuetudine. Lips., 1801. Elle est également adoptée par Hübner, Berichtigungen und Zusätze zu Höpfner, p. 159. — Les véritables principes sur la matière sont très-bien exposés dans Puchta, Gewohiheitsrecht, II, p. 199 sq.
  221. Voy. l’appendice, N. II.
  222. Publikationspatent, § 1.
  223. L. R. Einleitung, § 7-11.
  224. Publikationspatent, § 7. — L. R. Lipleitung, § 3, 4.
  225. L. R. Einleit, § 6.
  226. Loi du 21 mars 1804. « À compter du jour où les lois composant le Code civil sont exécutoires, les lois romaines, les ordonnances, les coutumes générales ou locales, les statuts et règlements, ont cessé d’avoir force de loi générale ou particulière dans les matières qui font l’objet de ces lois. » Coutumes générales ou locales ne veut pas dire droit coutumier général ou particulier, mais droit particulier à une province ou à une localité (écrit ou non écrit). Le droit coutumier s’appelle usage.
  227. Code civil, art. 4.
  228. Code civil, art. 645, 650, 663, 671, 674, 1736, 1754, 1758, 1777. — Les art. 1135, 1159, 1160, n’ont avec le sujet qui nous occupe qu’un rapport apparent.
  229. Œsterreich. Gesetzbuch, § 10, 12.
  230. Simon und Strampf, Rechtssprüche Preussischer Gerichtshöfe. Berlin, 1828.
  231. On verra plus bas comment cette opinion s’accorde avec les prescriptions du droit Justinien. Voy. § 48.
  232. Code civil, art. 4.
  233. Ce droit coutumier interprétatif a en même temps la nature du droit scientifique (§ 14, 20) ; car il arrive bien rarement que la conviction générale de la nation ait pour objet une loi déterminée.
  234. Zacharia, Hermeneutik des Rechts. Meissen, 1805, p. 161-165.
  235. J’emploie le mot pensée, comme le plus propre à exprimer la partie intellectuelle de la loi. D’autres emploient le mot sens. Il faut éviter le mot intention, parce qu’il a une double signification ; car il peut s’entendre également du but immédiat de la loi, et d’un but plus éloigné du législateur auquel la loi concourt indirectement. Les Romains se servent indifféremment des mots mens et sententia.
  236. L’élément systématique forme aussi une partie essentielle et intégrante de l’interprétation. Cet élément manque dans les nombreux commentaires faits sur le droit Justinien, où l’on s’attendrait à le trouver. En effet, ce sont, pour la plupart, des commentaires dogmatiques et quelquefois historiques, où l’auteur, à l’occasion du texte, s’étend sur les matières qui s’y rapportent.
  237. Le mot interprétation (explicatio) est le plus propre à exprimer cette idée ; car par là on entend l’exposition complète de tout ce que le texte renferme. Le mot explication convient mieux à l’éclaircissement des difficultés accidentelles que peut offrir le texte.
  238. Le sénatus-consulte Macédonien avait pour but d’interdire, dans l’intérêt des familles, les emprunts usuraires faits par les fils sous la puissance paternelle. Mais, pour atteindre ce but, la défense dut être beaucoup plus étendue et embrasser bien des cas innocents.
  239. La L. 13, § 1, de pign. act. (XIII, 7), détermine le degré de la faute relativement au contrat de gage, et cette détermination n’est que la conséquence du principe général posé dans la L. 5, § 2, commodati (XIII, 6). Il faut en dire autant de plusieurs contrats qui s’y trouvent mentionnés ; par ex., le dépôt, On pourrait être tenté d’appliquer à la tutelle la règle adoptée pour le dépôt ; car le tuteur ne retire aucun profit de son administration. Mais cette conséquence, purement logique, tombe devant d’autres motifs, et ici se présente l’application de ce que j’ai dit plus haut sur la combinaison de divers motifs ; et, relativement à la tutelle, les principes qu’il s’agit de concilier se combattent mutuellement.
  240. La règle générale sur la faute (L. 5, § 2, comm.) repose sur un principe d’équité, dont il est très-délicat de fixer les limites, et dont les applications sont fort éloignées.
  241. Par ex., le fait qui a donné lieu au sénatus consulte Macédonien. L. 1, pr. de Sc. Maced. (XIV, 6).
  242. Ainsi, la loi qui permet d’épouser la fille de son frère, rendue sous le règne de Claude, n’avait d’autre but que d’autoriser l’empereur à épouser Agrippine, fille de Germanicus. Suetonii Claud., C., 26 ; Taciti Annal., XII, 5-7.
  243. Ordinairement, on ne distingue pas assez ces considérations subjectives d’avec la base de la loi, et les expressions vagues, le vœu, le motif, l’intention de la loi, contribuent à cette confusion. Ce sujet a été traité avec une certaine exactitude par Hüfeland, Geist des Römischen Rechts, Th. 1. Giesen, 1813, p. 13-19.
  244. L. 24, de leg. (I, 3) : « Incivile est, nisi tota lege perspecta, una aliqua particula ejus proposita, judicare vel respondere. »
  245. Cette méthode d’interprétation, qui consiste à compléter une loi par une autre, ne doit pas être confondue avec la conciliation des contradictions que présentent les sources du droit considérées comme un seul tout. Je traiterai ce sujet § 42-45.
  246. L. 26, 27, de leg. (I, 3) : « Non est novum, ut priores leges ad posteriores trahantur. » — « Ideo, quia antiquiores leges ad posteriores trahi usitatum est, et semper quasi hoc
  247. L. 28, de leg. (I, 3) : « Sed et posteriores leges ad priores pertinent, nisi contrariæ sint. » Ce texte ne parle que du cas où les lois postérieures sont contraires. Mais dans le cas d’interprétation authentique, le sens de la loi antérieure est adopté par nous, non comme vrai, mais comme fixé par la loi postérieure.
  248. Ainsi, dans la Nov. 107, C. 1. — Il en est de même quand il s’agit d’une somme dont la nature ou la quotité est indéterminée. De semblables cas, non dans des lois, mais dans des testaments, sont cités L. 21, § 1, qui teșt. (XXVIII, 1).
  249. Exemples : L. 21, § 1, qui test. (XXVIII, 1). L’esclave Stichus est légué à Titius, et il y a plusieurs individus appelés Stichus et Titius. L. 39, § 6, de legat. (XXX, un.). Le fonds Cornélien est légué par un testateur qui en possédait plusieurs de ce nom.
  250. Ainsi, les mots familia, puer, potestas, ont plusieurs significations très-différentes. L. 195, 204, 215, de V. S. (L. 16). — On trouve des exemples remarquables de ces doubles significations, L. 5, C. fin. reg. (III, 39), et L. 30, C. de j. dot. (V, 12) ; dans la première, præscriptio peut vouloir dire exception, précepte, et, selon plusieurs auteurs, usucapion ; dans la seconde, ces mots : si tamen extant, peuvent vouloir dire : s’ils n’ont pas été anéantis, ou s’ils n’ont pas été aliénés (extant apud maritum).
  251. Ainsi, les expressions suivantes ont deux significations, l’une large, l’autre étroite : cognatio, pignus, hypotheca, adoptio (L. 1, § 1, de adopt., I, 7), familia (L. 195, de V. S., L. 16). — La convention ne luminibus officiatur peut s’appliquer à l’état actuel des choses, ou bien à l’état actuel et à l’état futur. L. 23, pr. de serv. P. U. (VIII, 2). L’interprétation qui lève une équivoque est appelée declarativa, et lata ou stricta, selon qu’elle étend ou restreint le sens du mot. Thibaut, Pandekten, § 48, 50, 53.
  252. L’explication d’un texte difficile, L. 2, de div. temp. præscr. (XLIV, 3), tient à la question de savoir si ses derniers mots : mihi contra videtur, se rapportent au texte entier ou seulement à une de ses parties. — On trouve des exemples de ces constructions équivoques dans Mühlenbruch, I, § 59, not. 1.
  253. C’est ainsi qu’il faut entendre la L. 8, C. de jud. (III, 1) de l’an 314 : « Placuit, in omnibus rebus præcipuam esse justitiæ æquitatisque [scriptæ], quam stricti juris rationem ; » c’est-à-dire, quand une loi équivoque présente deux sens, l’un conforme à la rigueur du droit, l’autre à l’équité, c’est ce dernier qu’il faut préférer (præcipuam esse rationem). Cette loi semble en opposition avec la L. 1, C. de leg. (I, 14), de l’an 316 : «  Inter æquitatem jusque interpositam interpretationem nobis solis et oportet et licet inspicere. » On a dit que la L. 8, étant antérieure à la L. 1, se trouve abrogée par cette dernière ; supposition fort invraisemblable, car les deux lois ont été rendues sous Constantin, et à deux ans de distance seulement. D’autres, pour concilier ces deux lois, ajoutent, dans la L. 8, le mot scriptæ (équité reconnue par la loi) ; mais cette leçon, quoiqu’elle se trouve dans l’ancienne édition de Chevallon (Paris, 1526, 8), est repoussée par l’ensemble du texte. Doneau (I, 13) enseigne que la L. 8 parle d’une simple restriction, et la L. 1 d’une dérogation complète au droit strict, distinction que les textes ne justifient nullement. La contradiction disparaîtrait si l’on n’appliquait la L. 1 qu’à la correction de la lettre par l’esprit (§ 37), ce que le juge ne peut faire, en vue de la simple équité. Mais, suivant moi, la L. 1 s’applique, non à l’interprétation, mais au développement du droit (§ 47), et alors la L. 8 n’offre plus aucune contradiction. L’expression interpretationem ne présente pas de difficulté.
  254. L. 19 de leg. (I, 3) : « In ambigua voce legis ea potius accipienda est significatio, quæ vitio caret… »
  255. L. 67 de R. J. (L. 17) : « Quotiens idem sermo duas sententias exprimit, ea potissimum excipiațur, quæ rei gerendæ aptior est. » On trouve une application de cette règle dans la L. 3 de const. (I, 4) : «  Beneficium Imperatoris, quod a divina scilicet ejus indulgentia proficiscitur, quam plenissime interpretari debemus. »
  256. L. 192, § 1, de R. J. (L. 17):« In re dubia benigniorem interpretationem sequi non minus justum est quam tutius. » L. 56, 168, pr. eod. — L. 18; de leg. (I, 3) : « Benignius leges interpretandæ sunt, quo voluntas earum conservetur. » Ces derniers mots peuvent signifier : Parce que c’est la prescription générale du législateur ; mais je crois qu’il vaut mieux les entendre ainsi : Tant qu’on ne viole aucune disposition formelle (quo pour quatenus). — Voici quelques applications de cette règle. Si la loi pénale est douteuse, il faut choisir la peine la plus douce (L. 42, de pœnis, XLVIII, 19). Dans l’interprétation des testaments, il faut favoriser l’institution d’héritier, jamais l’exhérédation (L. 19, de lib. et posth., XXVIII, 2). Ainsi donc, cette règle a un autre sens que celle relative à l’équité (note f), et on a tort de les identifier…
  257. L. 17, de leg. (I, 3) : « Scire leges non est verba earum tenere, sed vim ac potestatem. » L. 6, § 1, de V. S. (L. 16) ;. L. 13, § 2, de excus. (XXVII, 1) ; L. 19, ad exhib. (X, 4).
  258. Les auteurs modernes, adoptant une phraséologie étrangère aux Romains, l’appellent interpretatio extensiva, restrictiva, et lui opposent l’interpretatio declarativa, qui n’étend ni ne restreint la loi, et s’applique à un tout autre cas (§ 36, d).
  259. L. 20, § 6 ; L. 23, de her. pet. (V, 3).
  260. L. 41, de pœnis (XLVIII, 19).
  261. L. 25, de leg. (I, 3) ; L. 6, C. eod. (I, 14).
  262. L. 7, § 7, de pactis (II, 14) ; L. 30, C. de transact. (II, 4)
  263. L. 2, C. qui legit. pers. (III, 6) ; L. 14, C. de proc. (II, 13).
  264. L. 8`, § 6, de transact. (II, 15).
  265. L. 1, L. 11, § 1, 2, 3, de his qui not. (III, 2).
  266. L. 19, ad exhib. (X, 4).
  267. Cicero, Top., § 4.
  268. Par ex. L. 10, C. de revoc. don. (VIII, 56), et Nov. 115, C 3 pr.
  269. L. 22, de leg. (I, 3) : « Cum lex in præteritum quid indulget, in futurum vetat. » Doneau (I, 14) applique ce texte difficile aux cas semblables à celui dont je m’occupe. Ainsi, præteritum et futurum ne se rapportent pas à la date de la loi, car elle ne dispose que pour l’avenir, mais à une époque déterminée, fixée par la loi ; ici, par exemple, le terme d’une année depuis l’ouverture du droit. Avant l’expiration de l’année, la plainte est permise (in præteritum indulget), et par conséquent, interdite après l’année expirée (in futurum vetat).
  270. L. 1 pr., de off. ejus cui mand. (I, 21).
  271. L. 18, de testibus (XXII, 5).
  272. J’en trouve des exemples dans les textes suivants : L. 40 pr., de her. pet. (V, 3) ; L. 2, § 1, 3 ad Sc. Vell. (XVI, 1) ; L. 1, § 6, de ædil. ed. (XXI, 1) ; L. 15, L. 6, §2, dej. patr. (XXXVII, 14) ; L. 2. pr., § 1, de cust. (XLVIII, 5). — Cf. § 47 et 50, in f.
  273. L. 5, C. de leg. (I, 14)
  274. C’est à dessein que je ne parle pas ici des sources du droit justinien, de leur origine, de leurs diverses parties, de leur langage, de nos moyens d’interprétation, des manuscrits et des éditions du texte.
  275. Nous en avons, de nos jours, un exemple remarquable. Un décret du roi de Westphalie, du 18 janvier 1813, ordonne, article 3, que le décimateur d’un immeuble payera le dixième de l’impôt foncier, s’il reçoit le dixième du revenu net, sinon, en proportion de ce qu’il reçoit (Bulletin de 1813, n. 3, p. 45). Dans un autre numéro du Bulletin, on voit : Bulletin n. 3… du revenu net, lisez : du revenu brut. Cette rectification, insérée également dans le Moniteur du 3 février, n’était revêtue d’aucune signature ni d’aucun signe d’authenticité, quoique en opposition formelle avec le texte original de la loi. Le résultat pratique de ces deux rédactions et très-différent, et il s’agissait de savoir laquelle on devait suivre. La première rédaction était en harmonie avec le système général sur la levée des impôts, mais d’une exécution difficile. La seconde rédaction avait des caractères tout opposés.
  276. Thibaut rejetait entièrement, dans l’application, l’usage de la critique (Versuche, I, n. 16) ; mais, plus tard, il abandonna cette opinion (Logische Auslegung, § 44). — Feuerbach n’admet la critique conjecturale que si le texte ne présente aucun sens, ou est en contradiction avec lui-même (Civilistische Versuche, Th. I, n. 3). Cette opinion est adopté par Glück, 1, § 35, n. 5.
  277. La plupart des adversaires de la critique partagent cette opinion, sans s’en rendre compte à eux-mêmes ou l’exprimer bien clairement ; mais elle est nettement professée, au milieu de beaucoup de confusion, dans Dabelow, Handbuch des Pandecteurechts, Th. I, p. 204 (Halle, 1816). Cependant, l’auteur agit tout au contraire et donne à la critique de grandes libertés.
  278. L’application des textes non glosés, et cependant authentiques, est sans doute une erreur ; mais c’en est une plus grande encore de regarder comme partie intégrante du droit romain les divers sommaires composés depuis le quatorzième siècle et insérés plus tard dans les éditions. Au reste, la méprise s’explique aisément. Les gloses et autres remarques plus modernes sont placées en marge dans les éditions, tandis que ces sommaires se trouvent au milieu des textes, sous forme d’intitulés, ce qui peut tromper un novice. Cf. Savigny, Beruf unserer Zeit, p. 62, et Histoire du droit romain au moyen âge, ch. LIII.
  279. Savigny, Histoire du droit romain au moyen âge, vol. III, § 167, 171. Peut-être dira-t-on que ces compléments, tirés du manuscrit de Florence, faisaient déjà partie de la vulgate, Mais les jurisconsultes de Bologne nous ont laissé à faire bon nombre de rectifications semblables, qui, plus tard, ont été effectuées d’après le manuscrit de Florence, et contre lesquelles on n’a jamais réclamé.
  280. Feuerbach, p. 93.
  281. La correction est chose relative, et suppose un texte fautif, qu’il s’agit précisément de rectifier. En ce sens, l’indication des fautes d’impression est déjà une correction ; mais ordinairement on réserve cette expression pour les rectifications ayant un caractère scientifique, c’est-à-dire celles faites à des manuscrits ou à des éditions publiées d’après des manuscrits.
  282. Ainsi, c’est une restriction illégitime de n’admettre les conjectures que comme dernière ressource, quand le texte ne présente aucun sens, ou renferme une contradiction évidente. Voy. § 38, note c.
  283. Je citerai, comme exemple, le § 4, J. de nupt. (I, 10) : « Duorum autem fratrum vel sororum liberi, vel fratris et sororis, jungi non possunt. » Le non, qui se trouve dans beaucoup de manuscrits et manque dans plusieurs autres, doit évidemment être rejeté, surtout quand on considère qu’au temps où ont été faits nos manuscrits, tous les copistes savaient que le mariage entre cousins germains était interdit (par le droit canon). Mais, à la vérité, ces cas sont fort rares. Il semblerait beaucoup plus naturel et beaucoup plus utile de rectifier les textes d’après l’histoire du droit antéjustinien ; mais on verra bientôt que le plus souvent ces rectifications sont inadmissibles.
  284. Const. Omnem, § 8; L. 1, § 13, C. de vet. j. enuel. (I, 17); L. 2, § 22, cod.; Const. Cordi, § 5.
  285. Cela s’applique surtout au Digeste, dont chaque fragment doit être considéré comme faisant autrefois partie d’un ouvrage scientifique. Il faut en dire autant des différents textes du Code tirés d’une même constitution (coassatio). Ce cas se trouve très-fréquemment dans le Code Théodosien, quelquefois aussi dans le Code Justinien. On peut citer comme ex. la L. 5, C. de act. emti (IV, 49), qui se rattache à la L. 3, C. in quibus causis (II, 41).
  286. Ainsi, par ex., au sujet de la L. un. C. de nudo j. Quir. toll. (VII, 25). La principale question est celle de savoir quel était, sur ce point, le droit en vigueur au commencement du règne de Justinien, et que cette loi modifie.
  287. La comparaison de deux textes du Digeste peut se faire dans deux buts très-différents dans le but de rectifier une expression vague ou inexacte, c’est celui dont je parle ici ; ou dans le but de faire disparaître une antinomie, c’est ce dont je traiterai. plus bas.
  288. C’est ce que l’on appelle les leges fugitivæ. On cite pour exemple la L. 6, de transact. (II, 15), insérée, par erreur, au titre de transactionibus, à cause du seul mot transigi, bien qu’elle n’y ait aucun rapport, comme on peut s’en convaincre en la rapprochant de la L. 1, § 1, test. quemadm. aper. (XXIX, 3).
  289. Bluhme, Ordnung der Fragmente in den Pandectentitelu, Zeitschr. f. Gesch. Rechtsw., vol. IV, p. 290, 366, 414.
  290. Ainsi, par ex., l’usucapion des immeubles, jusqu’à Justinien, était de deux ans ; il l’étendit à dix, et quelquefois à vingt ans, ce qu’on appelait autrefois longum tempus. Voilà pourquoi, dans les textes des anciens jurisconsultes, on a remplacé le plus souvent, bien que sans nécessité, les mots usucapio et usucapere, par les mots longi temporis capio et longo tempore capere. Cf. L. 10, § 1 ; L. 17 ; L. 26 ; L. 33, § 3, de usurp. (XLI, 3), et plusieurs textes semblables.
  291. L. 1, § 7 ; L. 2, § 10 ; C. de vet. j. enucl. ( I, 17) ; Const. Hæc quæ necess., §.2 ; Const. Summa, § 3 ; Const. Cordi, §.3.
  292. Voy. L. 63, de usufructu (VII, 1) ; L. 20, § 1, de serv. P. U. (VIII, 2) ; L. 3, 3 L. 10 ; L. 11 ; L. 14, de serv. P. R. (VIII, 3) ; L. 15 ; L. 18, Comm. præd. (VIII, 4). Peut-être, dans la plupart des textes originaux, lisait-on in jure cessio, et les rédacteurs du Digeste auront effacé in jure. D’abord, cela rentrait dans la première classe de changements, et ensuite le mot cessio avait pris une autre signification. Mais cette supposition n’est pas absolument nécessaire ; car si Gaius et Ulpien ajoutent ordinairement les mots in jure, ils les omettent quelquefois. Gaius, I, § 168-172 ; II, § 30, 35 ; Ulpian., XI, § 7.
  293. Ainsi on lit, dans la L. 11, pr. de public. (VI, 2.) : « Si de usufructu agatur tradito, Publiciana datur. » (De même plus loin, au sujet des servitudes rurales.) Voilà sans doute le sens d’Ulpien. Quand un usufruit n’a pas été constitué solennellement (avec l’in jure cessio), mais avec tradition, l’usufruitier n’a pas la confessoria (vindicatio ususfructus), mais la Publiciana, pour laquelle il suffit toujours de la tradition. Pour appliquer ce texte au droit Justinien, il faut supposer que l’usufruit a été constitué par un non-propriétaire ; car c’est en général le seul cas où il puisse être désormais question de la Publiciana. — Si la maison de mon voisin menace ruine, et que j’obtienne une missio, puis un second décret, j’ai en même temps la Publiciana et la capacité d’usucaper. L.5, pr. ; L. 18, §.15, de danno infecto (XXXIX, 2). Autrefois, cela voulait dire que, par le second décret, le préteur voulait conférer la propriété, mais ne pouvait donner que le domaine bonitaire. D’après le droit Justinien, cela s’applique au cas où le voisin ne peut pas prouver sa propriété.
  294. Const. Hæc quæ necess., § 2 ; Const. Summa, § 3.
  295. Sous ce rapport, on peut voir comment les jurisconsultes romains considéraient les rescrits, dans la L. 9, § 5, de j. et f. iguor. (XXII, 6). Ainsi, ils avaient été amenés à regarder, sinon comme des lois, du moins comme une grave autorité (§ 24), les règles contenues dans les rescrits.
  296. Ainsi donc, il ne faut pas confondre avec l’interprétation extensive 1o le procédé dont je parle ici, qui consiste à découvrir dans une décision concrète la règle générale qu’elle contient, d’une manière apparente ou cachée ; 2o l’application, aux cas semblables, des règles renfermées dans les rescrits. Cette application, qui suppose l’autorité législative des rescrits, était défendue dans l’ancien droit (§ 24) ; elle est ordonnée pour les rescrits insérés dans le Code. Tout cela n’a rien de commun avec l’interprétation extensive.
  297. Mühlenbruch, Archiv. f. civil. Praxis, II, p. 427.
  298. La glose fournit une excellente base au recueil des textes parallèles. Pour les premières études, les notes de D. Godefroy, qui, sur ce point, ne sont que des extraits de la glose, ont aussi. leur utilité.
  299. Ce genre de contradiction n’a rien de défectueux, que si l’on considère l’ancienne loi comme partie intégrante des sources (et nécessairement abolie) ; le droit encore en vigueur n’a pour cela rien de défectueux. L’établissement d’une semblable contradiction n’implique aucune critique du droit, tandis que l’idée de blâme est inséparable d’une loi particulière défectueuse (§ 35-37).
  300. L. 80, de R. J. (L. 17) : « In toto jure generi per speciem derogatur, et illud potissimum habetur quod ad speciem directum est. » L. 41, de pœnis (XLVIII, 19) ;. « nec ambigitur, in cetero omni jure speciem generi derogare. » J’ai cité le reste de cette loi (§ 37, note d). L’examen de la loi nouvelle peut seul faire décider si l’abolition s’étend aussi à l’exception. — On ne doit considérer comme limitation des règles générales que les dispositions ayant un caractère exceptionnel, et non les dispositions spéciales qui sortent de l’ancien droit, par voie de conséquence. Voy. Thibaut, Civilist. Abhandlungen, Num. 7, où ce principe est bien exposé.
  301. Hübner, Berichtigungen und Zusätze zu Höpfner, p. 14-22. Mühlenbruch, I, § 70. On trouve des vues plus justes dans Böhmer, Jus ecel. prot., Lib. I, tit. 2, § 70-73, qui traite la question fort au long, sans néanmoins arriver à un résultat bien clair. Cf. Hofacker, I, § 53.
  302. Ainsi, par exemple, la matière des intérêts, où du moins il est généralement reconnu que les lois impériales ont aboli la défense absolue prononcée par le droit canon, et rétabli la légitimité des intérêts, conformément au droit romain. Mais les questions de détail sont très-controversées.
  303. On trouve là-dessus de très-bonnes choses dans Thibaut, Civilist. Abhandl., Num. 6, et dans Löhr, Justinians Compilation (Grolman und Löhr Magazin, vol. III, N. 7). — On trouve une liste très-étendue des auteurs dans Haubold, Inst. jur. Rom. hist. dogm., ed. 1826, § 300.
  304. Pour cet objet, le tableau chronologique donné par Biener (Geschichte der Novellen, Anhang, N. 4) est très-utile, et même indispensable dans la pratique. Si l’on objecte que les glossateurs n’ont pas connu ce tableau, on répond qu’ils en ont admis le principe, qu’ils l’ont appliqué dans la mesure de leurs connaissances, et qu’ils n’ont pas fixé une fausse chronologie. Ainsi, pour cela comme pour la critique du texte ($ 17, 38), ils n’ont pas mis obstacle au progrès.
  305. Hübner, Berichtigungen und Zusätze zu Höpfner, p. 8-14, prend une peine inutile pour échapper à cette objection. Il finit par adopter le principe que je pose ici, mais il ne l’accepte que comme un pis-aller, point de vue tout à fait faux.
  306. Const. Omnem, § 7 ; Const. Summa, §.3 ; L. 2, § 12, 23, C. de vet. j. enucl. (I, 17.). — Hufeland, Geist der R. R., I, p. 143-145, leur refuse ce caractère, à cause des nombreux principes purement scientifiques qu’ils renferment. Mais cette critique ne touche que leur origine et leur forme ; car leur autorité législative est trop bien établie par les textes cités pour qu’on la puisse mettre en question, et c’est là seulement ce dont il s’agit. Sans doute on peut dire que plusieurs textes ne sont pas des lois, mais des matériaux historiques. Je reviendrai bientôt là-dessus.