Traité de droit romain (Savigny)/Livre I/Chapitre 4

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Traité de droit romain
Traduction par Charles Guénoux.
Firmin-Didot Frères (1p. 199-319).

CHAPITRE IV.

interprétation des lois.


§ XXXII. Définition de l’interprétation. Interprétation législative. Interprétation doctrinale.

Jusqu’ici, j’ai considéré le contenu des sources comme les règles du droit en lui-même, et sous un point de vue extérieur. Mais pour que ces règles passent dans la vie réelle, nous avons de notre côté quelque chose à faire, il faut que nous nous les assimilions d’une manière déterminée. Cette assimilation peut recevoir plusieurs applications diverses. Le jurisconsulte s’en sert pour recomposer la science sous des formes nouvelles ; le magistrat, pour rendre ses jugements ; le citoyen, pour régler avec certitude ses rapports sociaux. Je n’ai pas à examiner les caractères particuliers de ces diverses applications ; mais toutes ont pour base un élément commun, l’assimilation même des sources, et c’est cet élément commun que je vais étudier dans le présent chapitre.

Ce que nous avons à faire est un acte intellectuel, acte souvent fort simple, mais qui néanmoins est un travail scientifique, principe et fondement de la science du droit. J’ai déjà parlé de la science comme d’un élément qui concourt à la formation du droit ; je la considère ici sous une face opposée, comme percevant le droit placé en dehors d’elle, le droit qu’elle n’a pas fait, et le traduisant à la conscience de l’homme en caractères précis.

Une semblable perception est possible et nécessaire, quelle que soit d’ailleurs la nature des sources. Néanmoins, pour le droit coutumier et pour le droit scientifique, l’opération se fait plus simplement. Sans doute, il existe sur la nature de ces deux droits des erreurs ayant une grande portée ; j’en ai parlé plus haut. Mais ces erreurs une fois reconnues, l’opération intellectuelle n’a pas besoin d’explication détaillée. Quand, au contraire, il s’agit des lois, l’opération devient souvent très-compliquée ; et voilà pourquoi j’ai intitulé ce chapitre : Interprétation des lois.

Cette opération intellectuelle a pour but la reconnaissance de la loi dans sa vérité ; en d’autres termes, la loi, soumise au criterium de notre intelligence, doit nous apparaître comme vraie. Cette opération est indispensable pour toute application de la loi à la vie réelle ; et c’est sur ce caractère de nécessité constante que se fonde sa légitimité. Cette opération n’est donc pas restreinte, comme plusieurs le pensent, au cas accidentel d’obscurité dans la loi (§ 50) ; mais elle peut alors prendre plus d’importance, et avoir des conséquences plus étendues. L’obscurité est. une imperfection de la loi, et, pour en chercher le remède, il faut d’abord l’étudier à son état normal.

D’un autre côté, quelle que soit l’obscurité de la loi, la nécessité de l’opération intellectuelle n’en subsiste pas moins[1]. Aussi devons-nous poser en principe que le juge, par la nature de ses fonctions, est tenu de donner un sens à la loi, la plus obscure, et d’y conformer son jugement. De même, les faits d’un procès peuvent offrir la plus grande incertitude ; mais cela ne dispense pas le juge de se prononcer. Entre les deux éléments d’un jugement, la règle de droit et le fait, il n’y a pas sous ce rapport de différence essentielle. La disposition du droit français qui défend au juge de s’abstenir, sous prétexte du silence ou de l’obscurité de la loi[2], est fondée sur la nature même des fonctions judiciaires. Il est un cas cependant où la liberté d’interprétation se trouve enchaînée, c’est quand le sens d’une loi est devenu l’objet d’une loi nouvelle. Si donc le sens d’une loi a été fixé par une loi postérieure, ou par une coutume constante, l’interprète cesse d’être libre, il doit accepter et appliquer la loi telle qu’elle est interprétée, quand même il serait convaincu de la fausseté de cette interprétation. Les auteurs modernes appellent l’interprétation authentique ou usuelle, selon qu’elle est fondée sur la loi ou sur la coutume[3], ou bien ils réunissent ces deux espèces d’interprétations sous le nom d’interprétation légale, et l’opposent à l’interprétation doctrinale, celle que je viens de décrire comme un acte scientifique de l’intelligence.

Les distinctions qu’expriment ces mots techniques sont justes si on considère le but commun : connaître le contenu d’une loi. En ce sens, tout moyen d’arriver à ce but s’appelle interprétation, et les distinctions faites par les auteurs répondent à la diversité de ces moyens. Mais si l’on considère l’interprétation dans son essence, il faut en revenir à l’idée d’un acte libre de l’intelligence ; car voilà ce qu’implique nécessairement l’existence de la loi. En effet, toute loi, pour recevoir son application à la vie réelle, doit être saisie par l’intelligence ; car il n’est pas dans l’ordre ordinaire des choses que chaque loi soit suivie d’une autre qui l’explique, et d’ailleurs, en attendant la loi explicative, il faudrait toujours avoir recours à l’action libre de l’intelligence. Cette définition admise, ce que l’on appelle interprétation légale n’est pas une espèce d’interprétation, mais bien plutôt le contraste, l’exclusion, la défense de l’interprétation véritable, c’est-à-dire l’action libre de l’intelligence. La définition que je donne se trouve justifiée, comme contenant le rapport évident et incontestable de la règle à l’exception. Ainsi donc, j’emploierai désormais le mot générique interprétation pour désigner l’interprétation doctrinale.

Des auteurs modernes ont renversé le rapport de la règle et de l’exception. Ils prétendent que l’interprétation est législative de sa nature, et qu’elle ne peut appartenir à une classe de fonctionnaires ou aux citoyens, sans une délégation de l’autorité souveraine[4]. Cette opinion se rattache à celle des auteurs modernes, qui regardent l’interprétation non comme une explication simple et vraie, mais comme une modification de la loi. L’examen de cette opinion trouvera sa place plus bas.

L’interprétation est un art qui s’apprend par l’étude des grands modèles que l’antiquité et les temps modernes nous offrent en abondance. Quant à la théorie de cet art, nous sommes beaucoup moins riches. Cela tient à des circonstances accidentelles. Mais ne nous faisons pas illusion sur la valeur de la théorie, même la plus parfaite. L’art de l’interprétation, comme tous les autres arts, ne s’enseigne pas avec des règles. Mais, en contemplant les œuvres des grands maîtres, nous saisissons le secret de leur supériorité, nous exerçons les facultés que réclame la science, et nous apprenons à bien diriger nos efforts. C’est à donner ce précepte, et à signaler les fausses routes, que se réduit la théorie de l’interprétation comme celle de tous les arts.

Ici encore se présente l’importante question de savoir si les prescriptions du droit romain sur l’interprétation sont obligatoires dans les pays où ce droit est adopté. J’ai résolu cette question négativement (§ 27) au sujet de la formation du droit lui-même ; ici il ne s’agit que de la manière de percevoir les sources du droit, et cette question, quoique intimement liée à la première, pourrait recevoir une solution différente. Je ne saurais, quant à présent, la traiter d’une manière complète et définitive, je citerai donc provisoirement les principes du droit romain, en me réservant d’examiner plus tard si ce sont pour nous des lois obligatoires ou de graves autorités.

Le sujet de ce chapitre se divise en deux parties : l’interprétation de chaque loi prise séparément et en elle-même ; l’interprétation des sources considérées dans leur ensemble. En effet, la réunion des sources embrassant toutes les matières du droit, nous devons y trouver le double caractère d’unité et d’universalité ; ce qui nous impose une double tâche, lever toutes les contradictions, combler toutes les lacunes.

§ XXXIII. A. Interprétation des lois détachées. Règles fondamentales de l’interprétation.

Toute loi étant destinée à fixer un rapport de droit, toute loi exprime une pensée simple ou complexe, qui met ce rapport de droit à l’abri de l’erreur ou de l’arbitraire. Pour que la loi parvienne à ce but, il faut que sa pensée soit saisie tout entière, et dans toute sa pureté, par tous ceux qu’atteint ce rapport de droit. Ceux-ci doivent alors se transporter au point de vue du législateur, reproduire artificiellement ses opérations, et recomposer la loi par la pensée. Tel est le procédé de l’interprétation, que l’on peut définir ainsi : la reconstruction de la pensée contenue dans la loi[5]. Par là seulement on obtient une intuition certaine et complète de ce que la loi renferme, et par là seulement le but de la loi se trouve rempli.

Jusqu’ici l’interprétation de la loi ne diffère en rien de l’interprétation de toute autre pensée exprimée par le langage ; celle, par exemple, dont s’occupe la philologie. Mais son caractère particulier se révèle quand on décompose ses parties constitutives. Ainsi, on y distingue quatre éléments, l’élément grammatical, logique ; historique et systématique.

L’élément grammatical de l’interprétation a pour objet les mots dont se sert le législateur pour nous communiquer sa pensée, c’est-à-dire le langage des lois.

L’élément logique a pour objet la décomposition de la pensée, ou les rapports logiques qui unissent ses différentes parties.

L’élément historique a pour objet l’état du droit existant sur la matière, à l’époque où la loi a été rendue. Cet état détermine le mode d’action de la loi : c’est ce mode d’action et le changement introduit par la loi que l’élément historique doit mettre en lumière.

Enfin, l’élément systématique a pour objet le lien intime qui unit les institutions et les règles du droit au sein d’une vaste unité (§ 5). Le législateur avait devant les yeux cet ensemble aussi bien que les faits historiques, et, pour saisir sa pensée tout entière, nous devons nous expliquer clairement l’action exercée par la loi sur le système général du droit, et la place qu’elle y occupe[6].

L’étude de ces quatre éléments épuise le contenu de la loi. Ce ne sont donc pas quatre espèces d’interprétations, parmi lesquelles on peut choisir selon son goût ou son caprice ; ce sont quatre opérations distinctes, dont la réunion est indispensable pour interpréter la loi. Sans doute l’un ou l’autre de ces éléments peut avoir plus d’importance et ressortir davantage. Aussi suffit-il de n’en négliger aucun, et, d’après les circonstances, on peut, sans nuire à la profondeur de l’interprétation, passer sous silence un de ces éléments dont la mention serait inutile ou pédantesque. Mais la réussite de l’interprétation tient à deux conditions essentielles où se résument les caractères de ces divers éléments. D’abord, nous devons reproduire en nous-mêmes l’opération intellectuelle d’où sort la pensée de la loi ; ensuite, les faits historiques et le système du droit, qui seuls jettent du jour sur une loi particulière, doivent nous être assez présents dans leur ensemble pour que nous y rattachions immédiatement le texte à interpréter. Ces deux conditions mûrement examinées nous expliquent un phénomène qui pourrait nous rendre suspecte la rectitude de notre jugement. Nous trouvons quelquefois dans de savants auteurs de erreurs d’interprétation qui semblent incroyables, et où ne tomberait peut-être pas un élève distingué auquel le même texte serait soumis. Cela se voit surtout pour les nombreuses espèces qui forment une partie si considérable et si instructive du Digeste.

Le but de l’interprétation est de tirer de chaque loi le plus d’instruction possible ; elle doit donc être à la fois individuelle et féconde en résultats[7]. Le succès de l’interprétation admet bien des degrés ; cela tient au talent de l’interprète et encore au talent du législateur qui, maître de son sujet, aura su presser et concentrer dans son texte les idées positives. Ainsi, la législation et l’interprétation exercent entre elles des influences réciproques, elles prospèrent ensemble, et la supériorité de chacune est pour l’autre une condition et un gage de supériorité.

§ XXXIV. Motif de la loi.

Si l’interprétation a pour but de nous donner conscience de la loi, tout ce qui n’appartient pas au contenu de la loi, quelle que soit d’ailleurs son affinité avec ce contenu, demeure, rigoureusement parlant, étranger à l’objet de l’interprétation. Ici se présente en première ligne le motif de la loi (ratio legis). Ce mot a deux sens différents selon qu’on l’applique au passé ou à l’avenir ; ainsi il désigne, 1o la règle supérieure de droit, d’où sort la loi comme déduction et conséquence ; 2o l’effet que la loi est appelée à produire, c’est-à-dire le but, l’intention de la loi. Ce serait se tromper que de voir entre ces deux choses une opposition absolue ; on doit admettre au contraire que le législateur les a constamment réunies dans sa pensée. Elles ont néanmoins cette différence relative que l’une ou l’autre prédomine dans certaines lois. Ici se représente la distinction posée plus haut (§ 16) entre le droit normal et le droit anomal. Dans le droit normal (jus commune) prédomine l’influence des règles antérieures dont la loi complète le développement ; son but est de traduire le droit en caractères visibles et d’assurer son exécution. Dans le droit anomal (jus singulare), l’action de la loi sur l’avenir est le point de vue prédominant. Une loi sur l’usure, par exemple, qui viendrait au secours des débiteurs pauvres, serait dominée uniquement par la maxime générale que le législateur doit interposer sa protection tutélaire quand une classe de la société voit son sort compromis dans le domaine du droit.

Le motif de la loi peut être plus ou moins certain. Il ne l’est jamais davantage que s’il se trouve exprimé dans la loi ; mais alors même il demeure distinct de son contenu, et n’en devient nullement partie intégrante. Par contre, l’ignorance où nous sommes du motif de la loi ne lui ôte rien de son autorité. Quand bien même nous saurions avec certitude que la loi n’a jamais eu de motif véritable, c’est un cas dont je parlerai tout à l’heure, sa force obligatoire n’en recevrait aucune atteinte. L’incertitude sur le motif de la loi peut venir de plusieurs causes. Quelquefois nous apercevons plusieurs motifs sans savoir les coordonner ; quelquefois aussi, un motif évident, exprimé dans le texte même, semble étranger à la loi, par suite de la suppression des idées intermédiaires qui lèveraient cette apparence de contradiction[8].

Il existe divers degrés de relation entre le motif et le contenu de la loi. Tantôt ils présentent le rapport purement logique du principe à la conséquence, et alors ils sont identiques[9] ; tantôt, au contraire, ils se trouvent fort éloignés l’un de l’autre[10]. Les motifs sont appelés spéciaux ou généraux, selon ces différents cas. Au reste, ces idées toutes relatives, loin d’être tranchées rigoureusement, se touchent par des nuances imperceptibles.

Le motif de la loi peut être invoqué utilement et avec confiance quand il s’agit de savoir quelle est la nature de la règle contenue dans la loi, si elle appartient au droit absolu ou au droit supplétif, au jus commune ou au jus singulare (§ 16). — On doit s’en servir avec beaucoup plus de précaution et de réserve pour l’interprétation de la loi. Son emploi varie d’ailleurs suivant son degré de certitude, et suivant son affinité avec le contenu de la loi, comme je l’ai dit tout à l’heure. Les conditions spéciales de ce moyen d’interprétation trouveront leur place plus bas.

Dans les motifs de la loi j’ai signalé de nombreuses différences tenant à la nature de leurs rapports et à leur affinité avec le contenu de la loi, à leur certitude et à leur application. Malgré ces différences, ils ont un caractère commun : ils tiennent à l’essence même de la loi ; en d’autres termes, ils ont une nature objective par rapport à la pensée du législateur. C’est cette nature objective qui les rend reconnaissables à chacun ; et si dans certains cas ils nous restent cachés, ce sont là de rares exceptions. Par là, ils se distinguent nettement des faits ayant avec la pensée du législateur un rapport purement subjectif, faits dont la connaissance est pour nous aussi rare et accidentelle que l’ignorance des motifs de la loi. Il faut ranger dans cette classe les événements qui ont été l’occasion d’une loi, mais qui auraient pu donner lieu à des mesures toutes différentes[11] ; et les considérations de personnes et de circonstances, qui déterminent le législateur à établir une règle générale et permanente[12]. — Ces faits subjectifs ne doivent avoir aucune influence sur l’interprétation de la loi, pas même l’influence restreinte attribuée aux motifs. Seulement, on peut en faire un usage négatif, prouver par là l’absence d’un motif véritable, et repousser les

motifs imaginaires qu’on serait tenté de chercher[13].
§ XXXV. Interprétations des lois défectueuses. Des différentes espèces de défectuosités, et des moyens d’y remédier.

Les principes fondamentaux que je viens de poser (§33) suffisent pour l’interprétation des lois à l’état normal, celles dont l’expression renferme une pensée complète, et que tout nous autorise à regarder comme le contenu véritable de la loi. Je passe maintenant aux lois défectueuses, à l’examen des difficultés qu’elles présentent et des moyens de les surmonter. Les défectuosités de la loi peuvent se ranger en deux clases :

I. Expression indéterminée ne renfermant aucune pensée complète.

II. Expression impropre, dont le sens direct est en contradiction avec la pensée véritable de la loi.

Ces deux espèces de défectuosités n’appellent pas le remède d’une manière également impérieuse. La première veut être corrigée dans tous les cas, et cela n’offre aucun danger. La seconde est plus délicate à traiter, et demande beaucoup de précautions.

Mais, avant d’entrer dans les détails de ce sujet, il est bon de passer en revue les moyens que nous avons à notre disposition. Le premier consiste à examiner l’ensemble de la législation, le second à rapprocher la loi de son motif, le troisième à apprécier le mérite du résultat obtenu par l’interprétation.

A. Examen de la législation dans son ensemble. Ce moyen peut être appliqué de deux manières à l’interprétation d’une loi défectueuse. On peut interpréter la partie défectueuse à l’aide des autres parties de la même loi, et c’est la voie la plus sûre[14] ; on peut interpréter la loi défectueuse à l’aide des autres lois[15].

L’interprétation obtenue par ce dernier moyen sera d’autant plus certaine que les lois seront plus rapprochées ; si elles émanent du même législateur, l’interprétation atteindra son plus haut degré de certitude. On peut néanmoins se servir aussi des lois antérieures, dans la supposition légitime que le législateur a eu ces lois devant les yeux, et que dès lors elles sont le complément de sa pensée[16]. On peut enfin se servir des lois postérieures ; mais ce dernier cas ne rentre que rarement dans le domaine de l’interprétation pure. En effet, ces lois modifient le plus souvent la loi défectueuse, ou en donnent une interprétation authentique (§ 32) qui n’est pas de l’interprétation proprement dite. Quand on emploie les lois postérieures comme moyens d’interprétation pure, on suppose que l’esprit de l’ancienne législation s’est conservé dans la nouvelle[17].

B. Une loi défectueuse s’interprète par ses motifs : mais ce moyen d’interprétation souffre plus de restrictions que le précédent. Ainsi, son emploi sera subordonné à la certitude des motifs, et à leur affinité avec le contenu de la loi (§ 34). En l’absence de l’une ou de l’autre de ces conditions, les motifs pourront toujours servir de remède à la première espèce de défectuosité (l’expression indéterminée), rarement à la seconde espèce (l’expression impropre).

C. L’appréciation du résultat obtenu est, de tous les moyens d’interprétation, le plus aventureux ; car l’interprète risque beaucoup d’excéder ses pouvoirs, et d’empiéter sur le domaine de la législation. Aussi devra-t-on y recourir pour préciser le sens d’une expression indéterminée, jamais pour ramener le texte à la pensée de la loi.

Les moyens d’interprétation nous offrent les mêmes gradations que les défectuosités de la loi. Ainsi, le premier est d’une application générale, le second demande beaucoup de réserve, le troisième doit être circonscrit dans les limites les plus étroites.

§ XXXVI. Interprétation des lois défectueuses. Suite. (Expression indeterminée.)

L’indétermination qui voile une pensée peut tenir ou à une expression incomplète ou à une expression ambiguë.

L’expression incomplète d’une loi a précisément le caractère d’un discours interrompu et dont le sens reste en suspens. Telle serait une loi qui exigerait des témoins dans un cas et n’en fixerait pas le nombre[18].

L’ambiguïté, qui se présente plus fréquemment et avec des conséquences plus graves, peut se trouver : 1o dans une expression ; 2o dans une construction amphibologique.

Tantôt l’expression employée pour désigner une individualité s’applique à d’autres individualités de la même espèces : cela se rencontre moins souvent dans les lois que dans les actes et les contrats[19] ; tantôt l’expression employée pour rendre une idée abstraite présente deux significations différentes[20], ou seulement deux acceptions, l’une plus large, l’autre plus restreinte[21]. Une construction amphibologique peut aussi rendre une loi équivoque ; et, bien que cette espèce d’ambiguïté se voie surtout dans les contrats, les lois n’en sont pas exemptes[22].

Toutes ces ambiguïtés, malgré la diversité de leurs apparences, ont cela de commun qu’elles nous empêchent de saisir avec certitude la pensée complète de la loi. — L’ambiguïté vient du législateur ; elle peut tenir à l’obscurité de ses idées, à son impuissance de manier la langue, ou à ces deux circonstances réunies. Mais, quelle que soit la source de l’obscurité, l’interprète doit nécessairement y porter remède ; car on ne saurait tirer une règle d’une loi ainsi défectueuse. La reconnaissance de cette nécessité est également certaine ; elle peut se prouver par une argumentation logique. Mais l’argumentation se réduit à constater la nature du doute, elle n’en donne pas la solution. On doit la chercher dans les trois moyens d’interprétation que j’ai énumérés (§ 35) : tous sont applicables ; et la question de leur mérite se borne à déterminer l’ordre dans lequel on doit les employer.

Ainsi, on devra d’abord recourir à l’examen de la législation dans son ensemble ; et si cela suffit pour déterminer le sens de la loi, il faudra négliger les autres voies d’interprétation, comme moins sûres et d’ailleurs surabondantes.

En second lieu, on devra consulter le motif de la loi, et, si la chose est possible, le motif spécial ayant une affinité directe avec le contenu de la loi (§ 35) ; et, à son défaut seulement, le motif général comme moyen subsidiaire. Si, par exemple, une loi repose sur l’æquitas, tel est le caractère reconnu du droit normal dans les temps modernes (§ 16), et que cette loi soit susceptible de deux interprétations, on devra préférer celle que l’æquitas justifie[23].

En troisième et dernier lieu, on pourra déterminer le sens de la loi par l’appréciation des résultats que donnent les interprétations diverses. Ainsi, on devra préférer celui qui est le plus raisonnable[24], celui qui répond le mieux aux besoins de la pratique[25], celui enfin qui est le plus humain et le plus doux[26].

§ XXXVII. Interprétation des lois défectueuses. Suite. (Expression impropre.)

La seconde espèce de défectuosité tient à l’impropriété des termes. Ainsi, une expression est impropre quand elle donne un sens clair et déterminé, mais différent de la pensée réelle de la loi. En présence de cette contradiction entre les éléments constitutifs de la loi, on se demande lequel doit l’emporter. Or, l’expression n’étant que le moyen et la pensée le but, on doit évidemment s’attacher à la pensée, et y conformer l’expression en la rectifiant[27]. Cette règle, inattaquable en théorie, peut, dans son application, soulever de graves controverses ; car toute la difficulté se réduit à prouver le fait en question.

Cette seconde espèce de défectuosité présente beaucoup moins de variétés que la première, l’expression indéterminée (§ 36.). L’expression dit tantôt moins, tantôt plus que la pensée ; ce sont là les deux seules différences qui résultent de leur rapport logique. Il s’agit alors de rectifier l’expression, dans le premier cas, par une interprétation extensive ; dans le second cas, par une interprétation restrictive[28] ; et chacune a pour but de mettre en harmonie l’expression et la pensée.

Les procédés à l’aide desquels on corrige une expression impropre diffèrent beaucoup de ceux employés pour préciser une expression indéterminée. — D’abord on suppose qu’il existe une pensée déterminée sous une expression défectueuse. Ce rapport n’admet pas, comme l’indétermination, de preuves logiques, mais seulement des preuves historiques ; sa certitude est donc moins grande, et susceptible de divers degrés. Une autre circonstance augmente encore la difficulté de notre position. — L’expression est le signe le plus immédiat et le plus naturel de la pensée, et c’est justement à l’expression que nous refusons d’ajouter foi. L’expression indéterminée appelle nécessairement le remède de l’interprétation ; car, sans elle, il n’y a ni loi ni texte à appliquer. Ici, au contraire, la lettre même de la loi nous donne un sens clair et susceptible d’application. ― Enfin, lorsqu’il s’agit d’une expression indéterminée, l’opération qui signale le défaut n’est pas celle qui le corrige. Ici les deux opérations se confondent. En effet, nous jugeons que l’expression est impropre en la comparant à la pensée réelle de la loi, mais si cette pensée nous est connue, le remède est déjà trouvé.

Je vais maintenant passer en revue les trois moyens d’interprétation définis plus haut (§ 35), et montrer comment ils peuvent servir à corriger l’expression impropre d’une loi défectueuse.

L’examen de la législation dans son ensemble est encore ici le moyen le plus sûr. Le sénatus-consulte qui a spécialement pour objet la hereditatis petitio nous fournit une exemple de son application. D’après ce sénatus-consulte, le possesseur de bonne foi, qui a vendu les biens de la succession, doit restituer le prix qu’il en a reçu (pretia quæ pervenissent). La généralité de cette expression comprend le cas où le prix de la vente aurait été perdu ; car il n’en a pas moins été reçu ; mais la suite du texte montre que ce cas est excepté, et dès lors il faut entendre ces mots (pretia quæ pervenissent) dans un sens restrictif, le prix reçu et conservé[29]. — Comme autre exemple, je citerai les lois criminelles. Si, dans sa disposition finale, la loi prononce une peine générale contre un certain délit, après avoir prononcé une autre peine contre un cas particulier du même délit, ce cas particulier est excepté de la disposition générale[30].

Le second moyen, qui consiste à rapprocher la pensée et le motif de la loi pour en corriger l’expression, est plus important, mais d’une application plus délicate. Ici surtout on doit prendre en considération la distinction des motifs spéciaux et des motifs généraux (§ 34).

Le motif spécial est très-bien approprié au but de l’interprétation, et jamais mieux que là où le sens littéral de la loi se trouverait en contradiction avec lui. Quand, par exemple, une disposition introduite en faveur de certaines personnes vient, dans une de ses applications, à leur porter préjudice, il faut éviter cette contradiction, et corriger la disposition générale par une interprétation restrictive[31]. Si donc un contrat frauduleux tourne au profit de la partie trompée, le contrat est valide, quoique l’édit frappe de nullité les contrats frauduleux[32]. Si un mineur engage un procès sans l’assistance de son curateur, et qu’il le gagne, il agit valablement[33]. De même encore une transaction sur des aliments, non autorisée par le préteur, reçoit son exécution, si la condition du demandeur s’en trouve améliorée[34].

Indépendamment de ces contradictions entre la loi et son motif, l’interprétation a encore pour objet de fixer les limites véritables de la loi, limites que son application doit atteindre et ne jamais franchir. Ce cas se présente plus fréquemment, et est aussi plus difficile ; il s’agit alors de justifier la rectification du texte, en indiquant la cause probable de son impropriété ; ainsi, le législateur a employé une expression concrète à défaut d’une expression abstraite correspondante, ou pour mieux faire ressortir son idée. Autrement subsisterait toujours le doute de savoir si la pensée qui ressort de notre interprétation est réellement la pensée du législateur, ou celle qu’il aurait dû avoir. Dans ce dernier cas, l’interprétation corrigerait, non l’expression, mais la pensée elle-même, et on verra plus tard (§ 50) que cela est hors de son domaine.

Quelques exemples vont rendre ces principes plus évidents. L’édit déclare infâme la veuve qui se remarie pendant la durée du deuil. Le préteur avait uniquement pour but d’éviter la confusion de part, mais il n’aurait pu exprimer cette idée d’une manière directe et précise sans entrer dans une foule de prescriptions abstraites, et trancher une question fort délicate, celle de la durée possible de la gestation. Le préteur coupait court à tous ces embarras par une simple règle sur la durée du deuil, règle suffisante pour la plupart des cas. Quelquefois la veuve accouchait peu après la mort de son mari, et comme alors il n’y avait plus d’incertitude sur la paternité des enfants à naître, on permettait le mariage, au moyen d’une interprétation restrictive de l’édit. D’un autre côté, les cas où la veuve ne portait pas le deuil de son mari échappant à la règle sur la durée du deuil ; alors on défendait le mariage, au moyen d’une interprétation extensive[35]. — L’actio ad exhibendum appartient à quiconque est intéressé à l’exhibition (cujus interest), et telle était probablement la disposition textuelle de l’édit. Sa généralité embrasse tous ceux pour lesquels il eût été avantageux de voir une chose ; mais comme le préteur voulait évidemment débarrasser les réclamations judiciaires des obstacles accidentels qui auraient pu entraver leur justification, l’interprétation restreignit la règle à l’intérêt d’une demande judiciaire [36]. — La loi des Douze Tables exige un an pour l’usucapion d’un fundus, deux ans pour l’usucapion de toutes les autres choses. Dans quelle classe ranger les bâtiments ? Ils n’étaient certainement pas désignés par le mot fundus, pris dans son sens littéral. Mais comme l’usucapion s’appliquait à l’universalité des choses, et que les choses, considérées sous ce point de vue, se divisent en deux grandes classes, la loi avait sans doute voulu réunir dans la même disposition tous les immeubles, à cause de la similitude de leur nature, et elle avait employé l’expression concrète de fundus, à défaut d’une expression abstraite répondant à la généralité de sa pensée. On étendit donc la dénomination de fundus à tous les immeubles, par conséquent aux bâtiments, et cette interprétation paraît n’avoir jamais été contestée[37]. — Quelquefois, il est vrai, le législateur avertit de ne pas considérer les dispositions concrètes de la loi comme l’expression d’une règle abstraite, et alors l’interprétation extensive se trouve formellement prohibée[38].

L’argument appelé argumentum a contrario est aussi une espèce d’interprétation extensive. En effet, le législateur peut circonscrire sa pensée dans de certaines limites, de manière à impliquer au delà de ces limites une règle tout opposée. Ainsi, quand le préteur introduisait une action avec la formule ordinaire intra annum judicium dabo, cela voulait dire : post annum non dabo, et cette conclusion est évidemment une interprétation extensive[39]. Quand la loi Julia de vi autorisait le préteur, chargé d’appliquer la loi, à déléguer sa juridiction si proficiscatur, cette délégation se trouvait, par la raison inverse, prohibée, hors ce seul cas[40]. De même encore, toute loi établissant une exception implique l’existence d’une règle sans laquelle l’exception n’aurait pas de sens, et confirme indirectement cette règle. Ainsi, quand la loi Julia de adulteriis déclare les femmes condamnées incapables de témoigner en justice, elle reconnaît cette capacité à toutes les autres femmes[41].

D’un autre côté, le motif général d’une loi, l’æquitas, par exemple, ne saurait servir de base à une interprétation qui signale, dans les termes de la loi, une impropriété susceptible de rectification. L’emploi de ce moyen présente un caractère moins doctrinal que législatif. En effet, nous ne demandons pas ce que la loi renferme, mais ce qu’elle devrait renfermer, si le législateur eût eu une idée claire de son principe et de son objet. La justesse de cette supposition est d’ailleurs fort problématique, en raison de l’intervalle qui sépare la loi de ses motifs généraux, et le législateur, tout en saisissant le rapport de droit dans la pureté de son ensemble, peut avoir été déterminé, par une foule de raisons intermédiaires, à repousser cette modification que nous jugeons si raisonnable (§ 34). On trouve fréquemment chez les jurisconsultes romains de semblables interprétations, et nous ne devons pas en cela les prendre pour modèles, car on verra bientôt que les Romains ne distinguaient pas nettement l’interprétation et la formation du droit[42]. Je citerai comme exemple cette règle, que toute loi prohibitive entraîne la nullité de l’acte prohibé[43]. Adopter cette règle comme règle d’interprétation, serait se mettre en contradiction avec les principes établis précédemment, et donner, d’après des motifs généraux d’utilité et de convenance, une grande extension à l’expression de la simple défense. Mais en fait, c’est une loi toute positive en rapport avec plusieurs textes des sources, prononçant une simple défense. C’est l’interprétation authentique de ces textes, et nullement un principe général d’interprétation, que nous devions suivre aujourd’hui.

Quand j’admets les motifs spéciaux comme moyens de rectifier le texte de la loi, et que j’exclus les motifs généraux, on ne doit pas oublier qu’il n’existe entre les uns et les autres aucune ligne de démarcation bien nette (§ 34). La multiplicité des nuances qui les rapprochent rend quelquefois douteuse la légitimité de l’interprétation, et on court risque de modifier le droit en voulant l’interpréter.

Mais il est hors de doute que le troisième moyen d’interprétation, l’appréciation des résultats obtenus (§ 35), ne peut jamais être employé pour juger et rectifier l’expression impropre de la loi. Ce ne serait plus, évidemment mettre en harmonie l’expression et la pensée, ce serait vouloir corriger la pensée elle-même, travail peut-être fort utile aux progrès du droit, mais qui n’aurait de l’interprétation que le nom.

§ XXXVIII. Interprétation des lois de Justinien. (Critique.)

Il s’agit maintenant d’appliquer ces principes généraux d’interprétation à la législation Justinienne qui, présentant des difficultés spéciales, réclamera l’emploi de nouvelles règles. Je suppose l’histoire de cette législation parfaitement connue du lecteur, et je n’en parlerai que dans ses rapports avec l’objet de l’interprétation[44].

L’immense intervalle qui sépare l’interprète de la loi à interpréter forme le trait distinctif de sa position, et donne à l’étude du droit romain son caractère dominant, le caractère scientifique. Dès lors il nous faut renoncer à cette certitude immédiate résultant de la vie commune au sein du peuple où le droit s’est formé, et l’énergie de nos efforts doit, autant que possible, suppléer à cet avantage. Dès lors il ne s’agit plus uniquement d’obtenir, comme résultat de l’interprétation, une règle de droit certaine, il nous faut étudier si bien l’esprit original des sources, nous les approprier d’une manière si complète, qu’elles deviennent pour nous un droit vivant. Cette tâche présente sans doute de grandes difficultés, mais que diminue le grand mérite littéraire des principales sources.

La base de toute interprétation est un texte à interpréter, et la fixation de ce texte s’appelle critique. La critiqué précède donc nécessairement l’interprétation, et par là j’entends la critique générale ; car, dans les applications particulières, la critique est souvent inséparable de l’interprétation. — La critique se divise en deux classes, la critique diplomatique (secondaire), et la haute critique. L’une fournit l’ensemble des matériaux authentiques, dont l’autre se sert pour établir le sens véritable du texte.

L’objet de la critique, considéré en lui-même, est tout aussi général que l’objet de l’interprétation, et n’a rien de spécial au droit romain. Mais la critique a, pour le droit romain, plus d’importance et de difficulté que pour les autres législations ; aussi ai-je différé d’en parler, afin de traiter ici complétement le sujet, et d’éviter les répétitions.

Je commence par le cas le plus simple, celui où le législateur publie lui-même le texte de la loi, avec ordre d’y ajouter foi. En présence de cette publication directe que la découverte de l’imprimerie a rendue possible, et aujourd’hui le cas le plus ordinaire, la critique diplomatique tombe de soi-même ; il semblerait, en outre, que si la haute critique cherche à prouver une faute d’impression, elle va contre la volonté du législateur. Mais j’ai montré (§ 37) que l’interprète pouvait réellement corriger le texte par la pensée de la loi, d’après ce principe, que l’esprit est supérieur à la lettre. Or ici le texte imprimé nous apparaît comme inférieur au texte original ; il n’est que la lettre de la lettre, et peut être corrigé comme la lettre elle-même. Au reste, cela se présente fort rarement, et offre peu d’importance pour la théorie générale de la critique[45].

Mais nous sommes dans une position bien différente vis-à-vis des sources du droit Justinien. Tout le monde reconnaît que nous ne possédons aucun texte officiel émanant du législateur. Si autrefois à Bologne les glossateurs eussent donné le résultat définitif de leurs travaux critiques, ce serait là une vulgate qui pourrait remplacer le texte officiel, sans néanmoins exclure la haute critique. Mais comme une vulgate définitive, composée dans cet esprit, n’a jamais existé, on n’a pas eu à l’adopter (§ 17). Ainsi, nous possédons seulement un grand nombre de manuscrits plus ou moins anciens et plus ou moins bons. Leur unanimité en faveur d’une leçon ne pourrait suppléer à la promulgation du législateur que par une espèce de fiction. Cette unanimité rend extrêmement probable que nous avons sous les yeux le texte original, mais ne donne aucune certitude. Des auteurs modernes ont craint d’ôter à la pratique toute fixité en ouvrant un champ libre à la critique ; aussi l’ont-ils entièrement rejetée, ou renfermée arbitrairement dans d’étroites limites[46].

Cette sollicitude, en faveur d’un texte donné, contre toute altération arbitraire, est une vaine sollicitude, car le texte donné n’existe nulle part. Si l’on cherche à déterminer ce qu’ils regardent comme tel, alors commencent les divergences et les incertitudes. Ce serait la vulgate établie par l’école de Bologne, si cette école en eût fait une. L’unanimité des manuscrits aurait un caractère saisissable, quoique nullement hostile aux droits de la critique ; mais on n’a pas en vue cette unanimité. En effet, dans les cas douteux on n’a, pour ainsi dire, jamais essayé de la constater ; d’ailleurs, si l’on repousse la critique dans la crainte de bouleverser par une recherche plus profonde la jurisprudence des tribunaux, la comparaison des manuscrits aurait précisément ce danger. Si, sous ces différentes formes, le texte donné, le texte infaillible nous échappe, il ne nous reste plus à accepter pour tel que le texte dont on se sert communément, celui consigné dans les éditions les plus répandues, les éditions de Godefroy, par exemple[47]. Mais une définition aussi vague et aussi arbitraire ne

saurait être prise au sérieux.
§ XXXIX. Interprétation des lois de Justinien. (Critique.) Suite

Après avoir établi la légitimité de la critique, il s’agit d’en indiquer les procédés et les règles. — La critique diplomatique s’occupe de rassembler les manuscrits, d’apprécier leurs caractères extérieurs, et de les ranger par ordre de dates et de valeur. Elle doit maintenir l’intégrité du texte reçu, et repousser les éléments étrangers (§ 17) qui, dans la plupart des éditions modernes, peuvent être aisément confondus[48]. — La haute critique a deux objets elle met en œuvre et améliore les manuscrits que la critique diplomatique lui fournit comme matériaux. Ainsi, elle s’occupe d’abord d’établir un texte en comparant les manuscrits. Sans doute elle doit tenir compte de leur nombre et de leur valeur, pour apprécier le degré de vraisemblance des diverses leçons ; mais elle est libre d’adopter la leçon qu’elle juge préférable, sans être tenue de s’en rapporter exclusivement à une certaine classe de manuscrits, les manuscrits de la vulgate, par exemple. Cette espèce d’indépendance de la critique a été reconnue, dans des circonstances remarquables, par ceux-là même qui, en théorie, nient sa légitimité. Ainsi, plusieurs fragments du Digeste, mutilés dans le manuscrit de Florence et ne donnant aucun sens, ont été complétés par des textes d’une authenticité évidente empruntés à d’autres manuscrits, et le cas inverse n’est pas moins fréquent[49]. Je ne connais aucun auteur dont le rigorisme ait repoussé ces deux espèces de rectifications, et pourtant, parmi les restrictions arbitraires énumérées plus haut, l’opinion qui attribuerait au texte de Bologne une autorité exclusive trouverait dans l’histoire le plus d’apparence de fondement. À la vérité, pour la plupart de éditions que l’on peut consulter, le besoin de ces rectifications ne se fait pas sentir, parce qu’elles y sont déjà faites ; preuve évidente qu’à aucune époque il ne s’est formé, sur l’autorité exclusive d’un texte, une opinion unanime semblable à celle qui existe pour tant de règles importantes du droit (§ 20).

Enfin, à cette première fonction de la haute critique appartient la ponctuation, qui, déterminant la division logique d’un texte, semblerait rentrer dans le domaine de l’interprète, si sa forme n’en faisait pas l’affaire du critique. Chose singulière, plusieurs regardent le changement de la ponctuation ordinaire comme une espèce de correction[50]. Mais l’existence d’une ponctuation ordinaire est tout aussi chimérique que celle d’un texte ordinaire, car les manuscrits ne nous donnent qu’une suite continue de lettres placées à une égale distance, susceptibles de faire des mots et des phrases. Le commencement de ponctuation dont quelques manuscrits nous offrent des traces incertaines n’est ici d’aucun intérêt.

Je passe à la seconde fonction de la haute critique, celle qui consiste à améliorer le texte, en le rectifiant par des conjectures[51]. Et voilà surtout ce qui a soulevé tant de réclamations contre l’application de la critique aux sources du droit. Je reconnais que depuis le seizième siècle, plusieurs jurisconsultes, notamment en France et en Hollande, ont singulièrement abusé de la critique conjecturale, et l’ont traitée d’une manière fort légère : je suis loin de les : vouloir défendre, mais, malgré ces abus, la critique conjecturale n’en demeure pas moins légitime et nécessaire, et nous devons la maintenir dans l’intégrité de ses droits[52].

Cette double application de la haute critique au choix et à la rectification des textes a une affinité évidente avec l’interprétation des lois défectueuses, par suite de l’indétermination ou de l’impropriété des termes (§ 35, 37). Ainsi, pour reconnaître et établir la véritable leçon d’un texte, nous devons tout d’abord examiner l’enchaînement nécessaire de ses diverses parties, non d’après des principes généraux de déduction logique, mais en ayant égard au caractère littéraire individuel du texte, ou à la classe de textes dont il fait partie. Ici les règles pourraient difficilement nous instruire ; pour acquérir ce coup d’œil critique, on doit faire une étude constante des sources, et joindre à l’instinct de la vérité une juste défiance de soi-même.

On peut encore rectifier une loi douteuse par sa comparaison avec une autre loi ; mais ce rapprochement des textes n’offre de certitude que suivant le degré de relation intime existant entre les deux lois. Une circonstance extérieure vient encore confirmer ce moyen de rectification, si nous parvenons à montrer d’une manière vraisemblable comment le texte original a été défiguré par les copistes ; et d’abord on peut invoquer l’analogie. En effet, il est des erreurs de copistes que leur répétition fréquente et uniforme nous autorise à supposer, par exemple la confusion de certaines lettres, et la substitution de l’une à l’autre ; l’omission d’une lettre que la même lettre précède immédiatement, et qu’il s’agit de rétablir (gémination) ; enfin des lignes entières omises ou interverties dans le manuscrit original du copiste. Mais cette dernière hypothèse demande déjà plus de circonspection. — Le degré de difficultés que présentent diverses leçons rend encore vraisemblable l’altération du texte, et permet de croire que le copiste aura modifié l’original faute de le comprendre. — Quelquefois enfin, du temps où vivait le copiste, le droit avait changé, et c’est ce nouveau droit que la copie substitue à l’ancien texte [53]. — Mais l’on ne doit jamais supposer, pour rectifier un texte, que les manuscrits originaux renfermaient des abréviations dont le sens aurait échappé aux copistes ; car Justinien ayant expressément défendu de s’en servir pour la copie de ses lois[54], si quelques abréviations se sont glissées dans les manuscrits, c’est un cas accidentel fort rare, dont l’application à un texte déterminé n’offre jamais de vraisemblance suffisante.

§ XL. Interprétation des lois de Justinien. Suite. (Des lois prises isolément.)

Les règles de l’interprétation, dans leur application aux lois de Justinien, ne concernent que ses deux recueils principaux : le Digeste et le Code. Chacun de ces recueils forme un vaste ensemble, composé d’une foule de parties histo- riquement diverses, avec indication de leur origine. Il s’agit maintenant de montrer comment on doit interpréter ces diverses parties considérées isolément, et dans leurs rapports avec l’ensemble.

Pour interpréter un texte en lui-même, il faut apprécier tous ses caractères historiques, c’est-à-dire ne rien négliger de ce que l’inscription et la souscription nous apprennent sur sa date, son auteur, son motif même, et sur la nature particulière, souvent très-différente, de l’original. auquel il a été emprunté[55]. Ici nous pouvons nous servir non-seulement de tous les autres textes de la législation Justinienne, mais de toutes les sources du droit, antérieures et postérieures, car, d’après les principes posés (§ 17), on a vu que l’usage scientifique de ces riches et nombreux matériaux ne saurait nous être interdit.

Les parties constitutives de la législation Justinienne peuvent se diviser en deux grandes classes, que sous ce point de vue il importe de bien distinguer. La première et la pluș considérable embrasse l’ensemble du Digeste et les rescrits contenus dans le Code ; ces textes avaient pour objet principal d’attester le droit alors en vigueur, ce qui leur donne un caractère scientifique, et l’élément systématique de l’interprétation y domine (§ 33). Mais cette définition pourrait donner lieu à une double méprise que je dois signaler. D’abord les rescrits ne se bornent pas toujours à exprimer le droit existant, souvent aussi ils le modifient (§ 24) ; c’est ce que font également, quoique à un moindre degré, les écrits scientifiques des anciens jurisconsultes (§ 14, 19), et ce caractère ressortira encore mieux quand j’exposerai leur méthode d’interprétation. Ensuite, ce serait une grave erreur de regarder les règles générales de l’interprétation des lois comme inapplicables à l’ensemble du Digeste et aux rescrits du Code, parce que ces éléments des sources n’avaient pas originairement d’autorité législative ; ces règles, par leur essence, s’appliquent à toutes les formes sous lesquelles le droit se produit, bien que j’aie dû en présenter le développement à l’occasion des lois. Aussi lorsque j’aie voulu faire ressortir les règles de l’interprétation par des exemples, n’ai-je eu aucun égard au caractère primitif des textes. — La seconde classe embrasse ce qui était originairement loi, c’est-à-dire les édits insérés dans le Code. Si pour la première classe domine l’élément systématique de l’interprétation, ici domine l’élément historique[56], et il faut en dire autant des Novelles, qui d’ailleurs ne forment pas partie intégrante d’une unité supérieure, mais sont des lois détachées.

§ XLI. Interprétation des lois de Justinien. Suite. (Des lois considérées dans leur rapport avec le recueil où elles se trouvent.)

Voyons maintenant quelle influence exerce sur l’interprétation d’une loi son rapport avec l’ensemble du recueil où elle figure.

Le moyen d’interprétation qui consiste à examiner une loi défectueuse dans son ensemble (§ 35) prend ici un nouvel aspect et une nouvelle importance, car le Digeste, aussi bien que le Code, n’étant qu’une grande loi de Justinien, ce moyen d’interprétation reçoit une vaste et légitime extension[57].

Le titre spécial où un texte est inséré est encore d’un grand secours pour l’interprète. En effet chaque titre du Digeste et du Code, se distinguant des autres titres par la matière dont il traite, la spécialité de son objet peut très-bien servir à déterminer le sens d’un texte douteux. On ne doit pas oublier néanmoins que les rédacteurs du droit Justinien, trompés par une apparence extérieure d’analogie, ont parfois inséré un texte dans un titre qui ne lui convient nullement, et alors ce moyen d’interprétation cesse d’être applicable[58]. Mais, indépendamment de ces cas exceptionnels, ce serait exagérer la règle que de restreindre chaque texte à l’objet direct de son titre, car souvent les rédacteurs ont eu à la fois en vue un autre objet et même plus important. — On pourrait encore chercher un moyen semblable d’interprétation dans la disposition des fragments de chaque titre, si les rédacteurs eussent suivi un ordre logique. Mais pour le Code ils ont évidemment suivi l’ordre chronologique, et pour le Digeste ils ont adopté un autre ordre tout aussi extérieur, et qui n’admet pas davantage ce moyen d’interprétation. Quelquefois cependant la place qu’occupe un fragment dans un titre est déterminée par l’enchaînement des idées, et c’est alors un secours que l’interprète ne doit pas négliger[59].

Enfin, les changements innombrables que les textes originaux ont subis en passant dans les compilations de Justinien offrent une grande importance, et sont de trois espèces.

La première et la plus directe consiste en modifications partielles que l’on appelle ordinairement interpolations, ou emblema Triboniani. Plusieurs de ces interpolations sont évidentes[60] ; d’autres, et en bien plus grand nombre, sont plus ou moins vraisemblables ; d’autres nous sont tout à fait inconnues. Justinien avait permis et même expressément recommandé ces interpolations, dans le but fort raisonnable de changer les parties des anciens textes qui n’étaient plus en harmonie avec la législation nouvelle, et de les approprier ainsi à l’objet de la compilation[61]. Aussi est-ce une règle importante de n’employer, pour la critique des textes, les anciennes sources qu’avec la plus grande réserve, et dans les cas seulement où on peut établir qu’aucun changement du droit n’avait donné lieu à une interpolation.

Le caractère général de la compilation donne à certaines expressions un sens différent de celui qu’elles avaient dans les textes originaux : c’est là une seconde espèce de changements moins apparents, car les anciens textes ne subissent alors aucune modification. La matière des servitudes nous en offre un exemple non douteux. D’après l’ancien droit, les servitudes pouvaient s’acquérir par une in jure cessio ; aussi, les anciens jurisconsultes parlent souvent de la cessio, à propos de servitudes. Du temps de Justinien, la in jure cessio n’existait plus ; mais l’expression générique cessio pouvait très-bien s’appliquer à un transfert en général indépendamment de sa forme ; c’est pourquoi les rédacteurs ont laissé subsister cette expression dans une foule de textes, pensant avec raison qu’elle serait prise dans le sens du nouveau droit[62]. — Un cas plus ordinaire, et aussi plus important, est celui où la décision d’un ancien jurisconsulte, littéralement reproduite, a, par son insertion dans le recueil, un autre motif et un autre objet, de sorte qu’elle est également juste dans les deux cas, mais à différents titres[63]. — L’interprétation fondée sur la présomption d’un semblable changement peut s’appeler duplex interpretatio.

La troisième espèce de changements a de l’analogie avec la seconde, mais en diffère néanmoins parce qu’elle ne modifie pas des décisions particulières, mais tient à la nature même de la compilation. Ainsi, les nombreux rescrits insérés dans le Code nous apparaissent avec un nouveau caractère et la sanction d’une autorité nouvelle. Tout rescrit avait immédiatement force de loi pour le cas particulier où il était rendu, non pour les cas semblables (§ 24) ; dans le Code, c’est précisément l’inverse. L’espèce qui avait donné lieu au rescrit était un fait accompli depuis longtemps, et Justinien met au rang des lois générales la règle concrète exprimée par le rescrit. L’insertion d’un rescrit dans le code implique déjà ce changement, car elle ne pouvait avoir d’autre but ; mais Justinien a établi en termes formels l’autorité législative des rescrits[64].

Nous devons alors tirer de la décision particulière la règle abstraite, en éliminant la partie concrète, dans une juste mesure, car on peut aisément pécher par excès ou par défaut[65]. Quelquefois même on ne saurait déterminer avec certitude ce qui est règle générale, et ce qui tient aux circonstances particulières où le rescrit a été rendu. — Le procédé employé ici diffère essentiellement de l’interprétation extensive d’une loi, tirée de son motif (§ 37). Dans ce dernier cas, on rectifie, en l’élargissant, l’expression défectueuse de la loi ; quant aux rescrits, on n’a rien à rectifier, il s’agit uniquement de discerner la règle générale dans son application particulière[66]. Pour l’interprétation des rescrits, l’argumentum a contrario (§ 37) est plus dangereux que partout ailleurs ; car la partie du rescrit où l’on trouve le principe de l’argument peut tenir à la nature individuelle de l’espèce, et c’est un doute qu’on

ne dissipe jamais complétement [67].
§ XLII. B. Interprétation des sources du droit considérées dans leur ensemble. (Antinomie.)

Jusqu’ici j’ai parlé de l’interprétation des lois prises isolément. Mais la réunion des sources (§ 17-21) forme un vaste ensemble destiné à régler tous les faits qui se passent dans le domaine du droit. Considérées sous ce point de vue, elles doivent nous offrir le double caractère d’unité et d’universalité ; or, pour saisir ce double caractère, il ne suffit pas d’étudier les lois isolément, il faut embrasser la généralité des sources. — Ici encore, je commencerai par examiner le droit à l’état normal, puis j’indiquerai les moyens que nous avons de remédier à ses défectuosités.

Nous devons commencer par systématiser dans notre esprit l’ensemble total des sources. Ce procédé est identique à celui par lequel nous reconstruisons séparément les rapports de droit et les institutions (§ 4, 5) ; seulement il opère sur une plus grande échelle. Le motif fondamental de la loi, que nous avons déjà consulté pour l’interprétation isolée (§ 34), prend alors une valeur, une importance nouvelle, et la force organique de la science (§ 14) agit ici dans toute son extension. L’ensemble des sources, et particulièrement ce que nous appelons le corps de droit Justinien, peut, sous cet aspect, être regardé comme une seule loi, et les règles données pour l’interprétation d’une loi considérée en elle-même (§ 35) deviennent jusqu’à un certain point applicables. Le parallélisme des textes a pour cet objet un intérêt spécial, mais la variété et l’étendue des sources rendent ce parallélisme complet difficile à saisir[68].

Les défectuosités de cet ensemble, comparées aux défectuosités des lois particulières (§ 35), se rapportent à ces deux caractères essentiels, l’unité et l’universalité. Là où manque l’une ou l’autre, nous avons une contradiction à lever ou une lacune à remplir. Mais, en réalité, ces deux conditions n’ont qu’une seule et même base. C’est toujours l’unité qu’il s’agit de rétablir, négativement en levant les contradictions, positivement en comblant les lacunes.

Les contradictions que présentent les sources dans leurs diverses parties ont de l’analogie avec l’expression indéterminée d’une loi particulière (§ 35, 36). L’une et l’autre défectuosité se prouve logiquement, doit être nécessairement rectifiée, — non par voie d’argumentation logique, — ici historiquement. Ainsi, l’on doit surtout chercher à concilier les textes, en montrant que la contradiction n’a qu’une apparence de réalite ; mais si les textes sont effectivement inconciliables, on doit recourir aux règles suivantes.

La contradiction peut exister entre les diverses sources dont l’ensemble forme le droit commun (§ 17, 20), ou bien entre cet ensemble et les sources qui peuvent s’y ajouter plus tard (§ 21).

Les parties constitutives du droit commun, en Allemagne, sont les lois de Justinien, le droit canon, les lois impériales, le droit coutumier scientifiquement établi, c’est-à-dire la jurisprudence des tribunaux. S’il existe au sein du droit commun une contradiction insoluble, il est de principe que la source la plus moderne passe avant la plus ancienne. En effet, comme une semblable contradiction tient au développement progressif du droit, toute règle nouvelle emporte avec soi l’annulation de l’ancienne règle. Si donc nous voulons appliquer le droit actuel, ce sont les règles vivantes, non les règles mortes qu’il faut suivre[69] ; d’où résulte encore une restriction naturelle du principe posé plus haut. Ainsi, quand, à côté de l’ancienne règle, il y avait une exception, cette exception, loin d’être abolie avec l’ancienne règle, continue de subsister à côté de la règle nouvelle, tant qu’elle n’est pas spécialement abolie[70].

Le principe général s’applique de la manière suivante. La jurisprudence véritable des tribunaux, comme modification plus récente des anciennes sources, se place en première ligne ; puis viennent les lois impériales, puis le droit canon, et enfin le droit romain. Le rang assigné à ces deux derniers demande seul une explication justificative.

La question de savoir si, pour les matières du droit privé, le droit canon l’emporte sur le droit romain, a été longtemps débattue. D’abord il est évident que l’on doit chercher à les concilier. Mais quand la conciliation est impossible, si, par exemple, le droit canon déroge ouvertement au droit romain, plusieurs auteurs mettent en avant cette doctrine : Les deux droits, disent-ils, n’ont d’autorité parmi nous qu’en vertu de leur réception ; or, comme cette réception date de la même époque, ce sont deux droits contemporains, dès lors égaux en puissance, et dont chaque conflit appelle l’intervention spéciale de la jurisprudence[71].

Mais, pour les matières du droit privé, le droit canon, par rapport au droit romain, a le caractère de Novelles, surtout les décrétales où le conflit se montre le plus souvent. C’est dans ce rapport que les deux droits ont été adoptés à Bologne, et quand les décrétales parurent d’abord séparément, puis furent réunies en recueils tels que nous les possédons, la réception des deux droits était un fait accompli, et les décrétales furent en réalité autant de lois dérogatrices. À la vérité le droit canon était déjà complet lorsque l’Allemagne l’adopta conjointement avec le droit romain ; mais cette adoption se fit dans le même esprit qu’à Bologne, comme aussi nous n’admettons d’autres sources du droit romain que celles reconnues par l’école de Bologne (§ 17). Cette assimilation complète pourrait tout au plus donner lieu à un doute, si le droit canon, reçu comme loi en Italie, ne l’avait pas été en Allemagne. Mais du temps de la réception, le saint-siège et ses lois n’étaient pas moins respectés en Allemagne qu’en Italie ; aussi, accepter le droit canon et sa suprématie, ce n’était pas pour elle se soumettre à l’autorité de Bologne, c’était agir d’après les mêmes principes.

De tout cela il résulte que pour les matières du droit privé le droit canon l’emporte sur le droit romain. Cette règle souffre néanmoins exception s’il existe sur un point une jurisprudence spéciale, où, dans les pays protestants, si une prescription du droit canon privé est en contradiction avec les doctrines de l’Église protestante. La supériorité reconnue aux lois impériales sur le droit canon peut produire le même effet par une exception du même genre, si les lois impériales condamnent une règle particulière du droit canon, et rétablissent la règle du droit

romain[72].
§ XLII. Interprétation des sources du droit considérées dans leur ensemble. (antinomie). Suite.

La contradiction entre les textes mêmes de la législation Justinienne a plus d’importance et présente plus de difficultés. Ces antinomies sont fort nombreuses et elles ont donné lieu, chez les auteurs modernes, aux opinions les plus diverses[73].

Il faut d’abord distinguer les Novelles et les trois autres recueils. Les Novelles étaient des lois détachées qui devaient servir à l’amélioration et au développement progressif du droit, et le législateur ne les a jamais réunies en un seul corps. Ainsi, en cas de contradiction, chaque Novelle doit l’emporter non-seulement sur les trois recueils, mais sur les Novelles antérieures [74]. La reconnaissance d’une antinomie est ici chose moins délicate, et la tentative de conciliation moins nécessaire que pour les autres sources, car le changement du droit était précisément l’objet des Novelles. À la vérité, toutes les Novelles ont été adoptées simultanément avec les autres parties du corps de droit, et l’on pourrait croire que cette circonstance, abolissant les différences originaires de dates, détruit leur suprématie[75]. Mais l’adoption s’est faite dans le sens de Justinien. En acceptant l’héritage de ses lois, nous avons reconnu les degrés d’autorité que lui-même leur avait assignés à la fin de son long règne ; et puisque les Novelles avaient alors aboli les dispositions contraires du droit antérieur, peu nous importe que les Novelles aient été adoptées en même temps que ce droit antérieur.

Quant aux trois autres recueils du droit Justinien, il est bon de déterminer le point de vue historique général sous lequel on doit se placer, afin de trouver les règles applicables aux différents cas d’antinomie. Justinien lui-même considère ses recueils comme une vaste unité, comme un véritable corps de législation exclusive et complète pour traiter les matières du droit[76]. Ce but devait être atteint par un choix fait dans une immensité de matériaux, et chaque fragment choisi, tout en conservant le signe de son origine, ne devait plus figurer que comme partie intégrante d’une œuvre entièrement nouvelle.

Dans ce nouvel édifice du droit, le Digeste était la pièce principale, la seule ayant un sens par elle-même, et presque suffisante pour la pratique ; au Digeste se rattachait tout le reste comme pièces accessoires, comme extraits ou compléments. Il n’y a rien là néanmoins qui établisse la supériorité des textes du Digeste sur ceux des autres recueils.

Les Institutes sont mises tantôt en première ligne, comme l’œuvre de Justinien lui-même, tantôt en dernière ligne, comme simple extraits Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/310 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/311 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/312 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/313 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/314 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/315 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/316 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/317 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/318 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/319 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/320 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/321 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/322 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/323 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/324 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/325 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/326 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/327 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/328 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/329 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/330 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/331 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/332 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/333 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/334 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/335 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/336 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/337 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/338 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/339 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/340 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/341 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/342 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/343 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/344 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/345 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/346 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/347 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/348 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/349 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/350 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/351 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/352 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/353 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/354 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/355 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/356 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/357 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/358 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/359 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/360 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/361 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/362 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/363 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/364 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/365 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/366 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/367 Page:Friedrich Carl von Savigny - Traité de droit romain, Tome 1, 1855.djvu/368

    legibus inesse credi oportet, ut ad cas quoque personas et ad cas res pertinerent, quæ quandoque similes erunt.  »

  1. On verra plus bas comment cette opinion s’accorde avec les prescriptions du droit Justinien. Voy. § 48.
  2. Code civil, art. 4.
  3. Ce droit coutumier interprétatif a en même temps la nature du droit scientifique (§ 14, 20) ; car il arrive bien rarement que la conviction générale de la nation ait pour objet une loi déterminée.
  4. Zacharia, Hermeneutik des Rechts. Meissen, 1805, p. 161-165.
  5. J’emploie le mot pensée, comme le plus propre à exprimer la partie intellectuelle de la loi. D’autres emploient le mot sens. Il faut éviter le mot intention, parce qu’il a une double signification ; car il peut s’entendre également du but immédiat de la loi, et d’un but plus éloigné du législateur auquel la loi concourt indirectement. Les Romains se servent indifféremment des mots mens et sententia.
  6. L’élément systématique forme aussi une partie essentielle et intégrante de l’interprétation. Cet élément manque dans les nombreux commentaires faits sur le droit Justinien, où l’on s’attendrait à le trouver. En effet, ce sont, pour la plupart, des commentaires dogmatiques et quelquefois historiques, où l’auteur, à l’occasion du texte, s’étend sur les matières qui s’y rapportent.
  7. Le mot interprétation (explicatio) est le plus propre à exprimer cette idée ; car par là on entend l’exposition complète de tout ce que le texte renferme. Le mot explication convient mieux à l’éclaircissement des difficultés accidentelles que peut offrir le texte.
  8. Le sénatus-consulte Macédonien avait pour but d’interdire, dans l’intérêt des familles, les emprunts usuraires faits par les fils sous la puissance paternelle. Mais, pour atteindre ce but, la défense dut être beaucoup plus étendue et embrasser bien des cas innocents.
  9. La L. 13, § 1, de pign. act. (XIII, 7), détermine le degré de la faute relativement au contrat de gage, et cette détermination n’est que la conséquence du principe général posé dans la L. 5, § 2, commodati (XIII, 6). Il faut en dire autant de plusieurs contrats qui s’y trouvent mentionnés ; par ex., le dépôt, On pourrait être tenté d’appliquer à la tutelle la règle adoptée pour le dépôt ; car le tuteur ne retire aucun profit de son administration. Mais cette conséquence, purement logique, tombe devant d’autres motifs, et ici se présente l’application de ce que j’ai dit plus haut sur la combinaison de divers motifs ; et, relativement à la tutelle, les principes qu’il s’agit de concilier se combattent mutuellement.
  10. La règle générale sur la faute (L. 5, § 2, comm.) repose sur un principe d’équité, dont il est très-délicat de fixer les limites, et dont les applications sont fort éloignées.
  11. Par ex., le fait qui a donné lieu au sénatus consulte Macédonien. L. 1, pr. de Sc. Maced. (XIV, 6).
  12. Ainsi, la loi qui permet d’épouser la fille de son frère, rendue sous le règne de Claude, n’avait d’autre but que d’autoriser l’empereur à épouser Agrippine, fille de Germanicus. Suetonii Claud., C., 26 ; Taciti Annal., XII, 5-7.
  13. Ordinairement, on ne distingue pas assez ces considérations subjectives d’avec la base de la loi, et les expressions vagues, le vœu, le motif, l’intention de la loi, contribuent à cette confusion. Ce sujet a été traité avec une certaine exactitude par Hüfeland, Geist des Römischen Rechts, Th. 1. Giesen, 1813, p. 13-19.
  14. L. 24, de leg. (I, 3) : « Incivile est, nisi tota lege perspecta, una aliqua particula ejus proposita, judicare vel respondere. »
  15. Cette méthode d’interprétation, qui consiste à compléter une loi par une autre, ne doit pas être confondue avec la conciliation des contradictions que présentent les sources du droit considérées comme un seul tout. Je traiterai ce sujet § 42-45.
  16. L. 26, 27, de leg. (I, 3) : « Non est novum, ut priores leges ad posteriores trahantur. » — « Ideo, quia antiquiores leges ad posteriores trahi usitatum est, et semper quasi hoc
  17. L. 28, de leg. (I, 3) : « Sed et posteriores leges ad priores pertinent, nisi contrariæ sint. » Ce texte ne parle que du cas où les lois postérieures sont contraires. Mais dans le cas d’interprétation authentique, le sens de la loi antérieure est adopté par nous, non comme vrai, mais comme fixé par la loi postérieure.
  18. Ainsi, dans la Nov. 107, C. 1. — Il en est de même quand il s’agit d’une somme dont la nature ou la quotité est indéterminée. De semblables cas, non dans des lois, mais dans des testaments, sont cités L. 21, § 1, qui teșt. (XXVIII, 1).
  19. Exemples : L. 21, § 1, qui test. (XXVIII, 1). L’esclave Stichus est légué à Titius, et il y a plusieurs individus appelés Stichus et Titius. L. 39, § 6, de legat. (XXX, un.). Le fonds Cornélien est légué par un testateur qui en possédait plusieurs de ce nom.
  20. Ainsi, les mots familia, puer, potestas, ont plusieurs significations très-différentes. L. 195, 204, 215, de V. S. (L. 16). — On trouve des exemples remarquables de ces doubles significations, L. 5, C. fin. reg. (III, 39), et L. 30, C. de j. dot. (V, 12) ; dans la première, præscriptio peut vouloir dire exception, précepte, et, selon plusieurs auteurs, usucapion ; dans la seconde, ces mots : si tamen extant, peuvent vouloir dire : s’ils n’ont pas été anéantis, ou s’ils n’ont pas été aliénés (extant apud maritum).
  21. Ainsi, les expressions suivantes ont deux significations, l’une large, l’autre étroite : cognatio, pignus, hypotheca, adoptio (L. 1, § 1, de adopt., I, 7), familia (L. 195, de V. S., L. 16). — La convention ne luminibus officiatur peut s’appliquer à l’état actuel des choses, ou bien à l’état actuel et à l’état futur. L. 23, pr. de serv. P. U. (VIII, 2). L’interprétation qui lève une équivoque est appelée declarativa, et lata ou stricta, selon qu’elle étend ou restreint le sens du mot. Thibaut, Pandekten, § 48, 50, 53.
  22. L’explication d’un texte difficile, L. 2, de div. temp. præscr. (XLIV, 3), tient à la question de savoir si ses derniers mots : mihi contra videtur, se rapportent au texte entier ou seulement à une de ses parties. — On trouve des exemples de ces constructions équivoques dans Mühlenbruch, I, § 59, not. 1.
  23. C’est ainsi qu’il faut entendre la L. 8, C. de jud. (III, 1) de l’an 314 : « Placuit, in omnibus rebus præcipuam esse justitiæ æquitatisque [scriptæ], quam stricti juris rationem ; » c’est-à-dire, quand une loi équivoque présente deux sens, l’un conforme à la rigueur du droit, l’autre à l’équité, c’est ce dernier qu’il faut préférer (præcipuam esse rationem). Cette loi semble en opposition avec la L. 1, C. de leg. (I, 14), de l’an 316 : «  Inter æquitatem jusque interpositam interpretationem nobis solis et oportet et licet inspicere. » On a dit que la L. 8, étant antérieure à la L. 1, se trouve abrogée par cette dernière ; supposition fort invraisemblable, car les deux lois ont été rendues sous Constantin, et à deux ans de distance seulement. D’autres, pour concilier ces deux lois, ajoutent, dans la L. 8, le mot scriptæ (équité reconnue par la loi) ; mais cette leçon, quoiqu’elle se trouve dans l’ancienne édition de Chevallon (Paris, 1526, 8), est repoussée par l’ensemble du texte. Doneau (I, 13) enseigne que la L. 8 parle d’une simple restriction, et la L. 1 d’une dérogation complète au droit strict, distinction que les textes ne justifient nullement. La contradiction disparaîtrait si l’on n’appliquait la L. 1 qu’à la correction de la lettre par l’esprit (§ 37), ce que le juge ne peut faire, en vue de la simple équité. Mais, suivant moi, la L. 1 s’applique, non à l’interprétation, mais au développement du droit (§ 47), et alors la L. 8 n’offre plus aucune contradiction. L’expression interpretationem ne présente pas de difficulté.
  24. L. 19 de leg. (I, 3) : « In ambigua voce legis ea potius accipienda est significatio, quæ vitio caret… »
  25. L. 67 de R. J. (L. 17) : « Quotiens idem sermo duas sententias exprimit, ea potissimum excipiațur, quæ rei gerendæ aptior est. » On trouve une application de cette règle dans la L. 3 de const. (I, 4) : «  Beneficium Imperatoris, quod a divina scilicet ejus indulgentia proficiscitur, quam plenissime interpretari debemus. »
  26. L. 192, § 1, de R. J. (L. 17):« In re dubia benigniorem interpretationem sequi non minus justum est quam tutius. » L. 56, 168, pr. eod. — L. 18; de leg. (I, 3) : « Benignius leges interpretandæ sunt, quo voluntas earum conservetur. » Ces derniers mots peuvent signifier : Parce que c’est la prescription générale du législateur ; mais je crois qu’il vaut mieux les entendre ainsi : Tant qu’on ne viole aucune disposition formelle (quo pour quatenus). — Voici quelques applications de cette règle. Si la loi pénale est douteuse, il faut choisir la peine la plus douce (L. 42, de pœnis, XLVIII, 19). Dans l’interprétation des testaments, il faut favoriser l’institution d’héritier, jamais l’exhérédation (L. 19, de lib. et posth., XXVIII, 2). Ainsi donc, cette règle a un autre sens que celle relative à l’équité (note f), et on a tort de les identifier…
  27. L. 17, de leg. (I, 3) : « Scire leges non est verba earum tenere, sed vim ac potestatem. » L. 6, § 1, de V. S. (L. 16) ;. L. 13, § 2, de excus. (XXVII, 1) ; L. 19, ad exhib. (X, 4).
  28. Les auteurs modernes, adoptant une phraséologie étrangère aux Romains, l’appellent interpretatio extensiva, restrictiva, et lui opposent l’interpretatio declarativa, qui n’étend ni ne restreint la loi, et s’applique à un tout autre cas (§ 36, d).
  29. L. 20, § 6 ; L. 23, de her. pet. (V, 3).
  30. L. 41, de pœnis (XLVIII, 19).
  31. L. 25, de leg. (I, 3) ; L. 6, C. eod. (I, 14).
  32. L. 7, § 7, de pactis (II, 14) ; L. 30, C. de transact. (II, 4)
  33. L. 2, C. qui legit. pers. (III, 6) ; L. 14, C. de proc. (II, 13).
  34. L. 8`, § 6, de transact. (II, 15).
  35. L. 1, L. 11, § 1, 2, 3, de his qui not. (III, 2).
  36. L. 19, ad exhib. (X, 4).
  37. Cicero, Top., § 4.
  38. Par ex. L. 10, C. de revoc. don. (VIII, 56), et Nov. 115, C 3 pr.
  39. L. 22, de leg. (I, 3) : « Cum lex in præteritum quid indulget, in futurum vetat. » Doneau (I, 14) applique ce texte difficile aux cas semblables à celui dont je m’occupe. Ainsi, præteritum et futurum ne se rapportent pas à la date de la loi, car elle ne dispose que pour l’avenir, mais à une époque déterminée, fixée par la loi ; ici, par exemple, le terme d’une année depuis l’ouverture du droit. Avant l’expiration de l’année, la plainte est permise (in præteritum indulget), et par conséquent, interdite après l’année expirée (in futurum vetat).
  40. L. 1 pr., de off. ejus cui mand. (I, 21).
  41. L. 18, de testibus (XXII, 5).
  42. J’en trouve des exemples dans les textes suivants : L. 40 pr., de her. pet. (V, 3) ; L. 2, § 1, 3 ad Sc. Vell. (XVI, 1) ; L. 1, § 6, de ædil. ed. (XXI, 1) ; L. 15, L. 6, §2, dej. patr. (XXXVII, 14) ; L. 2. pr., § 1, de cust. (XLVIII, 5). — Cf. § 47 et 50, in f.
  43. L. 5, C. de leg. (I, 14)
  44. C’est à dessein que je ne parle pas ici des sources du droit justinien, de leur origine, de leurs diverses parties, de leur langage, de nos moyens d’interprétation, des manuscrits et des éditions du texte.
  45. Nous en avons, de nos jours, un exemple remarquable. Un décret du roi de Westphalie, du 18 janvier 1813, ordonne, article 3, que le décimateur d’un immeuble payera le dixième de l’impôt foncier, s’il reçoit le dixième du revenu net, sinon, en proportion de ce qu’il reçoit (Bulletin de 1813, n. 3, p. 45). Dans un autre numéro du Bulletin, on voit : Bulletin n. 3… du revenu net, lisez : du revenu brut. Cette rectification, insérée également dans le Moniteur du 3 février, n’était revêtue d’aucune signature ni d’aucun signe d’authenticité, quoique en opposition formelle avec le texte original de la loi. Le résultat pratique de ces deux rédactions et très-différent, et il s’agissait de savoir laquelle on devait suivre. La première rédaction était en harmonie avec le système général sur la levée des impôts, mais d’une exécution difficile. La seconde rédaction avait des caractères tout opposés.
  46. Thibaut rejetait entièrement, dans l’application, l’usage de la critique (Versuche, I, n. 16) ; mais, plus tard, il abandonna cette opinion (Logische Auslegung, § 44). — Feuerbach n’admet la critique conjecturale que si le texte ne présente aucun sens, ou est en contradiction avec lui-même (Civilistische Versuche, Th. I, n. 3). Cette opinion est adopté par Glück, 1, § 35, n. 5.
  47. La plupart des adversaires de la critique partagent cette opinion, sans s’en rendre compte à eux-mêmes ou l’exprimer bien clairement ; mais elle est nettement professée, au milieu de beaucoup de confusion, dans Dabelow, Handbuch des Pandecteurechts, Th. I, p. 204 (Halle, 1816). Cependant, l’auteur agit tout au contraire et donne à la critique de grandes libertés.
  48. L’application des textes non glosés, et cependant authentiques, est sans doute une erreur ; mais c’en est une plus grande encore de regarder comme partie intégrante du droit romain les divers sommaires composés depuis le quatorzième siècle et insérés plus tard dans les éditions. Au reste, la méprise s’explique aisément. Les gloses et autres remarques plus modernes sont placées en marge dans les éditions, tandis que ces sommaires se trouvent au milieu des textes, sous forme d’intitulés, ce qui peut tromper un novice. Cf. Savigny, Beruf unserer Zeit, p. 62, et Histoire du droit romain au moyen âge, ch. LIII.
  49. Savigny, Histoire du droit romain au moyen âge, vol. III, § 167, 171. Peut-être dira-t-on que ces compléments, tirés du manuscrit de Florence, faisaient déjà partie de la vulgate, Mais les jurisconsultes de Bologne nous ont laissé à faire bon nombre de rectifications semblables, qui, plus tard, ont été effectuées d’après le manuscrit de Florence, et contre lesquelles on n’a jamais réclamé.
  50. Feuerbach, p. 93.
  51. La correction est chose relative, et suppose un texte fautif, qu’il s’agit précisément de rectifier. En ce sens, l’indication des fautes d’impression est déjà une correction ; mais ordinairement on réserve cette expression pour les rectifications ayant un caractère scientifique, c’est-à-dire celles faites à des manuscrits ou à des éditions publiées d’après des manuscrits.
  52. Ainsi, c’est une restriction illégitime de n’admettre les conjectures que comme dernière ressource, quand le texte ne présente aucun sens, ou renferme une contradiction évidente. Voy. § 38, note c.
  53. Je citerai, comme exemple, le § 4, J. de nupt. (I, 10) : « Duorum autem fratrum vel sororum liberi, vel fratris et sororis, jungi non possunt. » Le non, qui se trouve dans beaucoup de manuscrits et manque dans plusieurs autres, doit évidemment être rejeté, surtout quand on considère qu’au temps où ont été faits nos manuscrits, tous les copistes savaient que le mariage entre cousins germains était interdit (par le droit canon). Mais, à la vérité, ces cas sont fort rares. Il semblerait beaucoup plus naturel et beaucoup plus utile de rectifier les textes d’après l’histoire du droit antéjustinien ; mais on verra bientôt que le plus souvent ces rectifications sont inadmissibles.
  54. Const. Omnem, § 8; L. 1, § 13, C. de vet. j. enuel. (I, 17); L. 2, § 22, cod.; Const. Cordi, § 5.
  55. Cela s’applique surtout au Digeste, dont chaque fragment doit être considéré comme faisant autrefois partie d’un ouvrage scientifique. Il faut en dire autant des différents textes du Code tirés d’une même constitution (coassatio). Ce cas se trouve très-fréquemment dans le Code Théodosien, quelquefois aussi dans le Code Justinien. On peut citer comme ex. la L. 5, C. de act. emti (IV, 49), qui se rattache à la L. 3, C. in quibus causis (II, 41).
  56. Ainsi, par ex., au sujet de la L. un. C. de nudo j. Quir. toll. (VII, 25). La principale question est celle de savoir quel était, sur ce point, le droit en vigueur au commencement du règne de Justinien, et que cette loi modifie.
  57. La comparaison de deux textes du Digeste peut se faire dans deux buts très-différents dans le but de rectifier une expression vague ou inexacte, c’est celui dont je parle ici ; ou dans le but de faire disparaître une antinomie, c’est ce dont je traiterai. plus bas.
  58. C’est ce que l’on appelle les leges fugitivæ. On cite pour exemple la L. 6, de transact. (II, 15), insérée, par erreur, au titre de transactionibus, à cause du seul mot transigi, bien qu’elle n’y ait aucun rapport, comme on peut s’en convaincre en la rapprochant de la L. 1, § 1, test. quemadm. aper. (XXIX, 3).
  59. Bluhme, Ordnung der Fragmente in den Pandectentitelu, Zeitschr. f. Gesch. Rechtsw., vol. IV, p. 290, 366, 414.
  60. Ainsi, par ex., l’usucapion des immeubles, jusqu’à Justinien, était de deux ans ; il l’étendit à dix, et quelquefois à vingt ans, ce qu’on appelait autrefois longum tempus. Voilà pourquoi, dans les textes des anciens jurisconsultes, on a remplacé le plus souvent, bien que sans nécessité, les mots usucapio et usucapere, par les mots longi temporis capio et longo tempore capere. Cf. L. 10, § 1 ; L. 17 ; L. 26 ; L. 33, § 3, de usurp. (XLI, 3), et plusieurs textes semblables.
  61. L. 1, § 7 ; L. 2, § 10 ; C. de vet. j. enucl. ( I, 17) ; Const. Hæc quæ necess., §.2 ; Const. Summa, § 3 ; Const. Cordi, §.3.
  62. Voy. L. 63, de usufructu (VII, 1) ; L. 20, § 1, de serv. P. U. (VIII, 2) ; L. 3, 3 L. 10 ; L. 11 ; L. 14, de serv. P. R. (VIII, 3) ; L. 15 ; L. 18, Comm. præd. (VIII, 4). Peut-être, dans la plupart des textes originaux, lisait-on in jure cessio, et les rédacteurs du Digeste auront effacé in jure. D’abord, cela rentrait dans la première classe de changements, et ensuite le mot cessio avait pris une autre signification. Mais cette supposition n’est pas absolument nécessaire ; car si Gaius et Ulpien ajoutent ordinairement les mots in jure, ils les omettent quelquefois. Gaius, I, § 168-172 ; II, § 30, 35 ; Ulpian., XI, § 7.
  63. Ainsi on lit, dans la L. 11, pr. de public. (VI, 2.) : « Si de usufructu agatur tradito, Publiciana datur. » (De même plus loin, au sujet des servitudes rurales.) Voilà sans doute le sens d’Ulpien. Quand un usufruit n’a pas été constitué solennellement (avec l’in jure cessio), mais avec tradition, l’usufruitier n’a pas la confessoria (vindicatio ususfructus), mais la Publiciana, pour laquelle il suffit toujours de la tradition. Pour appliquer ce texte au droit Justinien, il faut supposer que l’usufruit a été constitué par un non-propriétaire ; car c’est en général le seul cas où il puisse être désormais question de la Publiciana. — Si la maison de mon voisin menace ruine, et que j’obtienne une missio, puis un second décret, j’ai en même temps la Publiciana et la capacité d’usucaper. L.5, pr. ; L. 18, §.15, de danno infecto (XXXIX, 2). Autrefois, cela voulait dire que, par le second décret, le préteur voulait conférer la propriété, mais ne pouvait donner que le domaine bonitaire. D’après le droit Justinien, cela s’applique au cas où le voisin ne peut pas prouver sa propriété.
  64. Const. Hæc quæ necess., § 2 ; Const. Summa, § 3.
  65. Sous ce rapport, on peut voir comment les jurisconsultes romains considéraient les rescrits, dans la L. 9, § 5, de j. et f. iguor. (XXII, 6). Ainsi, ils avaient été amenés à regarder, sinon comme des lois, du moins comme une grave autorité (§ 24), les règles contenues dans les rescrits.
  66. Ainsi donc, il ne faut pas confondre avec l’interprétation extensive 1o le procédé dont je parle ici, qui consiste à découvrir dans une décision concrète la règle générale qu’elle contient, d’une manière apparente ou cachée ; 2o l’application, aux cas semblables, des règles renfermées dans les rescrits. Cette application, qui suppose l’autorité législative des rescrits, était défendue dans l’ancien droit (§ 24) ; elle est ordonnée pour les rescrits insérés dans le Code. Tout cela n’a rien de commun avec l’interprétation extensive.
  67. Mühlenbruch, Archiv. f. civil. Praxis, II, p. 427.
  68. La glose fournit une excellente base au recueil des textes parallèles. Pour les premières études, les notes de D. Godefroy, qui, sur ce point, ne sont que des extraits de la glose, ont aussi. leur utilité.
  69. Ce genre de contradiction n’a rien de défectueux, que si l’on considère l’ancienne loi comme partie intégrante des sources (et nécessairement abolie) ; le droit encore en vigueur n’a pour cela rien de défectueux. L’établissement d’une semblable contradiction n’implique aucune critique du droit, tandis que l’idée de blâme est inséparable d’une loi particulière défectueuse (§ 35-37).
  70. L. 80, de R. J. (L. 17) : « In toto jure generi per speciem derogatur, et illud potissimum habetur quod ad speciem directum est. » L. 41, de pœnis (XLVIII, 19) ;. « nec ambigitur, in cetero omni jure speciem generi derogare. » J’ai cité le reste de cette loi (§ 37, note d). L’examen de la loi nouvelle peut seul faire décider si l’abolition s’étend aussi à l’exception. — On ne doit considérer comme limitation des règles générales que les dispositions ayant un caractère exceptionnel, et non les dispositions spéciales qui sortent de l’ancien droit, par voie de conséquence. Voy. Thibaut, Civilist. Abhandlungen, Num. 7, où ce principe est bien exposé.
  71. Hübner, Berichtigungen und Zusätze zu Höpfner, p. 14-22. Mühlenbruch, I, § 70. On trouve des vues plus justes dans Böhmer, Jus ecel. prot., Lib. I, tit. 2, § 70-73, qui traite la question fort au long, sans néanmoins arriver à un résultat bien clair. Cf. Hofacker, I, § 53.
  72. Ainsi, par exemple, la matière des intérêts, où du moins il est généralement reconnu que les lois impériales ont aboli la défense absolue prononcée par le droit canon, et rétabli la légitimité des intérêts, conformément au droit romain. Mais les questions de détail sont très-controversées.
  73. On trouve là-dessus de très-bonnes choses dans Thibaut, Civilist. Abhandl., Num. 6, et dans Löhr, Justinians Compilation (Grolman und Löhr Magazin, vol. III, N. 7). — On trouve une liste très-étendue des auteurs dans Haubold, Inst. jur. Rom. hist. dogm., ed. 1826, § 300.
  74. Pour cet objet, le tableau chronologique donné par Biener (Geschichte der Novellen, Anhang, N. 4) est très-utile, et même indispensable dans la pratique. Si l’on objecte que les glossateurs n’ont pas connu ce tableau, on répond qu’ils en ont admis le principe, qu’ils l’ont appliqué dans la mesure de leurs connaissances, et qu’ils n’ont pas fixé une fausse chronologie. Ainsi, pour cela comme pour la critique du texte ($ 17, 38), ils n’ont pas mis obstacle au progrès.
  75. Hübner, Berichtigungen und Zusätze zu Höpfner, p. 8-14, prend une peine inutile pour échapper à cette objection. Il finit par adopter le principe que je pose ici, mais il ne l’accepte que comme un pis-aller, point de vue tout à fait faux.
  76. Const. Omnem, § 7 ; Const. Summa, §.3 ; L. 2, § 12, 23, C. de vet. j. enucl. (I, 17.). — Hufeland, Geist der R. R., I, p. 143-145, leur refuse ce caractère, à cause des nombreux principes purement scientifiques qu’ils renferment. Mais cette critique ne touche que leur origine et leur forme ; car leur autorité législative est trop bien établie par les textes cités pour qu’on la puisse mettre en question, et c’est là seulement ce dont il s’agit. Sans doute on peut dire que plusieurs textes ne sont pas des lois, mais des matériaux historiques. Je reviendrai bientôt là-dessus.