Traité de droit romain (Savigny)/Livre I/Chapitre 3

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Traité de droit romain
Traduction par Charles Guénoux.
Firmin-Didot Frères (1p. 65-197).

CHAPITRE III.

sources du droit romain actuel.


§ XVII. A. Lois.

En appliquant au droit romain actuel, qui est l’objet direct de cet ouvrage (§ 1-3), ce que j’ai dit (§ 4-16) sur les sources du droit en général, j’ai à déterminer quelle place occupent parmi les sources du droit romain actuel la législation, le droit coutumier et le droit scientifique.

Comme législation, se présentent d’abord les quatre parties composant le droit Justinien, et connues sous le nom de corpus juris, c’est-à-dire les Institutes, le Digeste, le Code et les diverses Novelles postérieures aux trois premiers recueils[1], mais toujours dans les limites et sous la forme que leur a données l’école de Bologne. En effet, c’est sous cette forme que le droit romain est devenu droit commun de l’Europe ; et lorsque, quatre siècles plus tard, d’autres sources vinrent successivement s’y ajouter, le corpus juris de l’école de Bologne était reçu si universellement et depuis si longtemps ; son autorité, comme base de la pratique, était si bien établie que les nouvelles découvertes restèrent dans le domaine de la science, et ne servirent qu’à la théorie du droit. C’est par le même motif que le droit Anté-Justinien est exclu de la pratique, et cette exclusion n’a jamais été contestée. Il serait déraisonnable de ne pas appliquer aux sources mêmes du droit Justinien les conséquences de ce principe. Ainsi, l’on doit exclure de la pratique les textes grecs du Digeste, auxquels l’école de Bologne a substitué une traduction latine, les restitutions peu nombreuses du Digeste et les restitutions beaucoup plus importantes du Code. Ainsi, encore parmi les trois recueils de Novelles que nous possédons actuellement[2], on ne doit reconnaître que l’Authenticum, d’après lequel a été fait l’extrait de l’école de Bologne, connu sous le nom de Vulgate[3]. Comme conséquence. inverse du même principe, il faut admettre les additions faites au Code par l’école de Bologne, c’est-à-dire les Authentiques des empereurs Frédéric Ier et Frédéric II, et les Authentiques beaucoup plus nombreuses d’Irnerius[4].

Mais c’est au choix des sources que se borne l’influence directe de l’école de Bologne. Ainsi, il ne faut pas y chercher un corps de doctrines. exclusives, travail qui n’a jamais été réalisé, et qui même n’entrait pas dans son esprit[5]. Quant à la critique des textes, quoique les glossateurs aient réuni leurs efforts sur cet objet, jamais ils n’ont donné un texte incontesté, auquel on ait pu être tenté d’attribuer une autorité exclusive[6].

Mais il importe bien davantage de déterminer dans les sources mêmes généralement reconnues quelles matières sont encore en vigueur. Ainsi, sans parler du droit public, qui de nos jours n’a plus d’application (§ 1), plusieurs matières du droit privé sont entièrement rejetées dans la pratique moderne, par exemple, tout ce qui se rapporte à l’esclavage, au colonat, à la stipulation. Cette exclusion ne doit pas être attribuée à l’école de Bologne, elle tient à l’influence que le droit coutumier et la science exercent sur la législation. Au reste, cette exclusion n’a pas été prononcée tout d’abord et d’un consentement unanime : c’est à la critique de la science qu’il a été donné, dans les temps modernes, de repousser les fausses applications du droit romain, souvent tentées autrefois. Ainsi, les glossateurs étaient très-portés à méconnaître ses limites naturelles, comme on le voit aux efforts qu’ils firent du temps de Frédéric Ier, pour donner à l’autorité impériale une base plus solide en l’appuyant sur le droit romain.

Ce que je viens de dire sur l’autorité législative du droit romain a trouvé des contradicteurs ; ainsi, on a soutenu que les parties du corpus juris non glosées, c’est-à-dire les textes restitués, devaient être également reçues dans la pratique. Quoique rejetée comme une erreur évidente par la plupart des auteurs qui ont écrit sur la théorie et sur la pratique du droit[7], cette opinion a néanmoins ses partisans. Quelques-uns même sont allés jusqu’à donner force de loi aux Novelles de l’empereur Léon VI[8], sans considérer qu’au commencement du dixième siècle la domination des empereurs grecs en Italie avait cessé depuis longtemps, et que dès lors manque toute voie de communication, semblable à celle qui a fait parvenir jusqu’à nous la législation Justinienne. D’autres admettent les textes restitués du droit Justinien, ou du moins quelques-uns de ces textes, ou regardent leur autorité comme un sujet de controverse[9]. Cette opinion a plus d’apparence de vérité. En effet, on pourrait prétendre que si l’on reconnaissait force de loi aux éditions glosées, depuis que ces éditions ont été abandonnées et remplacées par d’autres, celle de Godefroy, par exemple, on doit accorder au texte de ces dernières une semblable autorité. Mais la question n’a jamais tenu à ces circonstances extérieures et accidentelles, car le choix des textes avait été fait et leur autorité exclusive reconnue bien avant la découverte de l’imprimerie, et bien avant qu’il y ait eu à choisir entre les éditions. Néanmoins on peut toujours soutenir que le seizième siècle, époque de la plupart des restitutions, était aussi apte que les siècles précédents à recevoir de nouveaux textes et également habile à leur donner force législative. Mais la reconnaissance d’un texte comme loi est un fait qui s’accomplit au grand jour et repose sur de puissants motifs, comme on le reconnaît aisément. Si, par exemple, le Digeste était demeuré incomplet, et que l’Infortiatum n’eût été découvert qu’au seizième siècle, on n’aurait sans doute pas manqué de lui donner force de loi. Mais il n’y avait pas de motif pour sanctionner les textes isolés restitués au seizième siècle, et dont les dispositions étaient équivoques ou tout à fait à rejeter ; aussi n’a-t-on jamais proposé de les reconnaître tous. Il reste donc seulement à savoir si quelques-uns de ces textes ne mériteraient pas, par leur sagesse, d’obtenir force de loi ; question qui s’est élevée pour la L. 4 au Code, de in jus vocando. Cette loi, restituée par Cujas, frappe de déchéance toute demande qui, pendante à un tribunal, est portée devant d’autres juges. Cette loi a été citée dans un jugement d’un tribunal de l’Empire comme servant de base à une peine comminatoire[10]. Si cette application n’est pas une erreur d’un tribunal, qui n’avait pas le privilège de l’infaillibilité[11], il faudra en conclure que les juges impériaux accueillaient volontiers une loi tendant à augmenter l’éclat de leur juridiction suprême, mais non que ce principe ait passé dans le droit commun de l’Allemagne. On a dit, et cela est complétement erroné, que le tribunal suprême palatin avait appliqué la L. 12 (restituée), C. de œdificiis privatis (VIII, 10), tandis que les motifs de son jugement nient formellement l’autorité de cette loi[12].

Si, par les motifs que je viens d’exposer, les textes restitués n’ont pas d’autorité législative, on n’en doit pas moins reconnaître leur autorité scientifique, et la science a aussi son influence. sur la pratique du droit ; de même que les textes sur les matières tombées en désuétude, l’esclavage, par exemple, et les sources du droit anté-justinien rentrent dans le domaine de la science. Mais les textes restitués, par la nature même de leur objet, n’y occupent qu’une place secondaire. Gaius et Ulpien éclairent certaines parties du Digeste, qui sans eux seraient demeurées obscures ; les textes restitués, au contraire, renferment quelques changements législatifs, sans jeter aucune lumière sur le reste du droit, et il s’agit uniquement de savoir si l’on doit ou non adopter, dans la pratique, les innovations particulières qu’ils contiennent ; par exemple, au sujet de la 229 C. de fide instrumentorum, si celui qui est partie dans un procès peut ou non demander qu’un tiers lui communique ses titres ; au sujet des Novelles 121 et 138, de quelle manière les intérêts excédant le double du capital doivent être calculés. Le droit antérieur est indépendant de ces nouvelles règles, et n’en devient pas plus clair. Souvent aussi il arrive qu’une question de droit sur laquelle le Digeste renferme des textes contradictoires est tranchée par une Novelle non glosée de Justinien. Si cette Novelle n’a pas force de loi, elle a du moins une grande autorité, et les auteurs qui ont écrit sur la pratique du droit attachent avec raison beaucoup d’importance aux Novelles non glosées[13].

Si donc il existe quelques décisions judiciaires où des textes restitués du droit Justinien aient été appliqués comme loi, ces décisions isolées sont en trop petit nombre pour renverser ou même affaiblir le principe que j’ai posé plus haut, principe reconnu de tout temps en théorie et en pratique.

Indépendamment du droit romain, nous avons encore à nous occuper du droit canon, en tant qu’il a modifié ou complété des institutions du droit romain. Le droit canon, aussi bien que le droit romain, a été reconnu comme droit commun de l’Europe. Mais les seuls recueils dont l’autorité législative soit incontestable sont le décret de Gratien, les décrétales de Grégoire IX, le Sextus et les Clémentines[14]

Si enfin on considère spécialement le droit romain actuel comme le droit commun de l’Allemagne, il ne faut pas oublier les lois de l’Empire qui ont modifié certaines parties du droit privé romain. Mais ces modifications sont beaucoup moins importantes que celles introduites par le droit canon.

§ XVIII. B. Droit coutumier.

J’ai traité (§ 7, 12) de la nature du droit du peuple, ou droit coutumier, je vais montrer quelle place ce droit occupe parmi les sources du droit romain actuel.

Quand Justinien parvint à l’empire, le droit populaire n’existait plus depuis longtemps sous sa forme primitive. Ses parties les plus importantes avaient, du temps de la république, passé dans les décrets du peuple ou dans les édits. La littérature du droit s’était emparée du reste, qui dès lors figure comme droit scientifique. À l’époque de la décadence de la littérature, la nation n’avait plus cette énergie morale que demande la création du droit ; ou, si par hasard les circonstances extérieures appelaient une institution nouvelle, la législation impériale suffisait pour lui donner une forme déterminée[15]. On ne saurait donc s’imaginer l’ancien droit coutumier subsistant comme droit commun à côté des recueils de Justinien ; car toutes ses créations importantes avaient nécessairement trouvé place dans le Digeste ou dans le Code ; mais la législation générale n’empêchait sans doute pas le droit coutumier local de régler certains détails ; et il ne nous est pas permis de hasarder même une conjecture sur la valeur et l’étendue de ce droit. — Sous les successeurs de Justinien, les mêmes circonstances durent entretenir le même état de choses, d’autant plus que sa législation était la dernière grande tentative de ce genre, et que la force créatrice du droit allait toujours s’affaiblissant.

L’Europe se trouvait dans une position bien différente quand au moyen âge le droit romain s’introduisit chez des nations au sein desquelles. il n’était pas né. Ces nations étaient organisées de manière à rendre difficile l’existence d’un droit coutumier général, capable de modifier et de compléter un droit d’origine étrangère. Cependant plusieurs circonstances favorisaient le droit coutumier. L’adoption d’une législation étrangère créait une foule de rapports artificiels qu’il fallait régler par de nouvelles institutions subsidiaires. Une législation intelligente et active pouvait sans doute satisfaire ces besoins ; mais étant incompatible avec le caractère des gouvernements. d’alors, il fallut bien recourir au droit coutumier, dont la jeunesse et l’énergie du peuple secondaient le développement. La manière spéciale dont ce besoin s’était fait sentir donnait à ce droit un caractère particulier. Au lieu de sortir de la conscience commune de la nation, il revêtit tout d’abord le caractère d’un droit scientifique, comme je le montrerai bientôt (§ 19).

La manifestation la plus remarquable d’un droit coutumier général, dans les temps modernes, est l’adoption même du droit romain dans les limites déterminées plus haut (§ 17). Mais cette adoption eut une signification différente chez les différents peuples de l’Europe, et les changements qu’elle apporta dans le domaine du droit devaient se faire sentir d’une manière très-diverse. En Italie, où le droit Justinien n’avait jamais cessé d’exister, il prit seulement une vie nouvelle, et les limites de son application furent plus rigoureusement posées. En France, le droit romain n’avait jamais disparu complétement ; mais la forme particulière du droit Justinien y était toute nouvelle. En Allemagne, l’adoption du droit Justinien dut être beaucoup plus sensible ; car le droit romain était là un élément entièrement neuf, jusqu’alors inconnu, mais approprié aux nouveaux besoins de la civilisation naissante, ce qui nous donne la raison suffisante de son introduction. L’Allemagne ne reçut le droit romain qu’après une lutte longue et animée, qui fit ressortir encore mieux l’influence du droit coutumier. — La manière dont le droit romain fut reçu et circonscrit dans de certaines limites (§ 17) mérite surtout notre attention ; car on y voit l’œuvre d’une volonté réfléchie et intelligente, et non le produit d’un simple hasard. Ce ne fut pas d’ailleurs un fait instantané et subit, mais un travail lent et progressif, notamment pour ce qui touche l’exclusion d’une partie importante du droit romain. Ce grand spectacle d’un droit coutumier général, s’établissant chez plusieurs nations, quoiqu’à des époques différentes, nous révèle l’esprit de la civilisation moderne. En voyant ces nations adopter dans son ensemble un droit né chez un peuple étranger avec lequel plusieurs n’avaient pas même de communauté d’origine, on reconnaît que les peuples modernes ne sont pas appelés comme ceux de l’antiquité à une nationalité profondément distincte, mais que la religion chrétienne les unit par un lien invisible, sans néanmoins effacer les traits essentiels du caractère national[16]. Telle est la loi du développement des temps modernes, dont le dernier but est encore caché à nos yeux.

À côté du droit coutumier général, se place toujours, dans les temps modernes, un droit coutumier local, dont les limites sont plus étroites et dont la formation, comme autrefois chez les Romains, rencontre moins d’obstacles. Ainsi restreint, ce droit pouvait être un véritable droit populaire engendré par les croyances communes du peuple, sans le secours de la science. Dans ce droit, les anciennes idées germaniques sur la propriété territoriale (fiefs, biens héréditaires, biens roturiers) se sont combinées de mille manières avec l’ensemble du droit de succession. Ces rapports, qui s’étendent au delà de la vie humaine, sont intimement liés à la manière de vivre, aux diverses conditions et aux mœurs de chaque peuple.

De même on voit dans les villes la communauté d’intérêts créer pour les corporations de commerçants et d’artisans un droit coutumier spécial qui, par suite de la communauté de biens, sous mille formes diverses, modifie le droit de succession. Néanmoins, il reste encore ici une place assez large à l’application du droit romain. Les coutumes locales exercent moins d’action sur les institutions d’origine romaine, dont elles ont seulement modifié quelques-unes par suite de besoins renouvelés tous les jours ; par exemple, ce qui touche le droit de bâtir entre voisins, la location des immeubles et les serviteurs à gages.

Ainsi donc les coutumes locales ont toujours eu beaucoup d’influence sur les institutions d’origine germanique, et moins sur la transformation du droit romain[17].

Ce double droit coutumier, l’un général, l’autre local, qui modifie la législation, n’est pas seulement une source du droit pour le passé, il embrasse aussi l’avenir.

Le droit coutumier, envisagé dans cette application particulière, a précisément les mêmes caractères que nous avons reconnus au droit coutumier en général. Il est produit par la communauté des convictions, non par la volonté des individus, dont les actes ne font que manifester cette communauté d’idées. Les mœurs, les usages que nous appelons proprement coutumes ne sont donc pas le fondement du droit, mais des signes auxquels on le reconnaît. Si maintenant on considère la coutume et la loi quant à leur puissance, il faut mettre ces deux sources du droit sur la même ligne. Le droit coutumier peut compléter, modifier ou abolir la loi (§ 13) ; il peut également créer une règle nouvelle, et la substituer à la loi qu’il abroge[18].

§ XIX. C. Droit scientifique.

Dans l’ancienne Rome, le droit populaire, conjointement avec la législation, avait eu d’importantes manifestations longtemps avant qu’il fût question d’un droit scientifique ; mais après que l’esprit scientifique se fut éveillé dans la nation, il dut se tourner aussi vers le droit, qui lui offrait un sujet à la fois noble et national. La classe des jurisconsultes devint presque l’unique représentant du droit populaire, dont la force créatrice apparaissait rarement sous sa forme primitive. Quoique la science du droit fut un des organes de la vie scientifique répandue dans toute la nation, elle eut néanmoins un mode de développement à part. Elle parvint plus tard que les autres sciences à cette maturité qui l’attendait chez les Romains ; et quand elle atteignit son plus haut point de perfection, la décadence avait déjà commencé pour les sciences et pour les arts. Cette circonstance fut d’un grand avantage pour la science du droit. Grâce à la lenteur de son développement, elle atteignit cette profondeur et cette originalité qui devaient fonder son influence sur les peuples étrangers et les siècles à venir ; influence refusée aux Romains dans toutes les autres parties du domaine de la science.

Si la science du droit dut son origine à l’activité de l’esprit scientifique de la nation, la marche naturelle de son développement ne fut jamais troublée par aucune cause étrangère ou accidentelle, et voilà ce qui distingue l’histoire du droit chez les Romains de celle de tous les autres peuples. La manière dont les jurisconsultes romains agissaient sur la formation du droit est difficile à déterminer avec exactitude, à cause de la propension que nous avons à appliquer nos idées modernes à une époque si différente de la nôtre. Chez les Romains, les jurisconsultes avaient une position très-élevée, à cause de l’exercice entièrement libre et bienveillant de leurs fonctions, à cause de leur petit nombre, et aussi de leur naissance. Réunis dans la capitale du monde, ils vivaient avec les préteurs, plus tard avec l’empereur, exerçant sur eux une action continuelle et irrésistible. Les opinions qu’ils adoptaient devaient influer sur les progrès du droit, et chacun d’eux, celui surtout que distinguait la supériorité de son esprit, devait avoir une large part de cette autorité invisible. De nos jours, on appelle jurisconsulte quiconque a étudié le droit pour devenir magistrat, avocat, auteur ou professeur, c’est-à-dire presque toujours en vue d’une fonction salariée. Ces jurisconsultes sont très-nombreux, et répandus dans toute l’Allemagne ; ils forment une société fort mêlée, où le mérite est très-inégalement réparti. Leur influence sur le droit doit donc être moins directe et moins personnelle. Il faut un long temps pour qu’une opinion prenne un caractère de généralité ; et si parfois un principe ou une doctrine vient à passer dans la législation, et à agir ainsi sur le droit, le hasard doit y être pour beaucoup.

L’état des choses était bien différent de celui de l’ancienne Rome quand, au moyen âge, le droit romain fut adopté par la plupart des peuples de l’Europe. Cette adoption donna au droit un caractère scientifique (§ 18) ; et les connaissances nécessaires pour résoudre les difficultés qu’offrait son application ne pouvaient être communes à tous. De ce besoin naquirent pour le droit une école et une littérature, qui n’étaient pas appelées par l’état général de la culture intellectuelle[19]. Au moyen âge, comme dans l’ancienne Rome, la science du droit eut donc un développement différent de celui des autres sciences, mais différent en sens inverse. Dans l’ancienne Rome, la science du droit fut la dernière à atteindre sa perfection ; au moyen âge, elle se développa bien avant que l’esprit scientifique se fût éveillé dans la nation. L’isolement où elle se trouva pendant de longues années rendit son existence très-difficile, et condamna plusieurs de ses parties à une imperfection inévitable. Mais l’énergie des efforts que durent soutenir les glossateurs donne à leurs travaux une dignité noble et sérieuse, et les résultats qu’ils obtinrent, malgré une position si difficile, ont encore aujourd’hui droit à notre admiration[20].

Ainsi donc le droit populaire, à moins qu’il ne fût renfermé dans un cercle très-étroit, se trouva dès l’origine identifié au droit scientifique, et les besoins pratiques, pour avoir satisfaction, durent être traduits par la science (§ 18). Ainsi la science du droit prit un caractère original, et chez les jurisconsultes la théorie se trouva intimement liée à la pratique, de même que souvent l’influence de la pratique a sauvé la théorie d’une décadence complète[21]. Pendant les siècles suivants, la science a été cultivée d’une manière bien inégale, a subi bien des vicissitudes ; mais l’influence exercée par la science sur la formation du droit est toujours restée dans les mêmes conditions qu’au moyen âge. Les travaux dont le droit romain a été l’objet depuis son adoption sont d’une étendue si immense et d’une nature si variée qu’il convient de les soumettre à un examen spécial pour savoir en quel sens nous devons les considérer comme source du droit, et quel usage nous en devons faire. On peut les diviser en deux grandes classes, selon qu’ils traitent de la théorie ou de la pratique. Mais comme ces expressions sont souvent opposées l’une à l’autre dans un sens très-différent, il importe d’en déterminer les sens avec plus d’exactitude.

Sous le nom de théorie, je comprends tous les travaux qui ont trait à l’établissement des textes, ou à leur interprétation, ou à leur mise en œuvre comme système de droit. Tout cela ne crée pas un droit nouveau, et ne sert qu’à éclairer le droit déjà existant : aussi ces travaux ne sont pas au nombre des sources du droit proprement dites, mais l’autorité dont ils jouissent leur donne un caractère à peu près semblable. En effet, quoique chacun soit libre de critiquer ces travaux, quoique l’unanimité des auteurs n’ôte à personne l’indépendance de son jugement, il y a néanmoins, parmi les fonctionnaires chargés d’appliquer le droit, une classe nombreuse et respectable qui, sans être au-dessous de leur office, sont incapables de juger une doctrine nouvelle, et de se former une opinion par eux-mêmes. Rien donc de plus naturel et même de plus désirable que de voir ces fonctionnaires suivre exclusivement l’opinion des auteurs, non dans l’intérêt de leur commodité, mais dans l’intérêt même de la sûreté du droit. Elle serait fort compromise si le juge qui n’a pu faire des études approfondies voulait avoir une opinion personnelle sur chaque question de droit, et il est très-probable que sa décision se ressentirait de l’insuffisance de ses éléments. Le juge court néanmoins un danger, celui de se laisser entraîner trop facilement par l’apparence d’une doctrine nouvelle, au détriment de la justice[22]. Mais si parmi les magistrats se trouve un véritable jurisconsulte, sans doute il a bien le droit d’appliquer à l’administration de la justice la sagesse et la maturité de ses convictions.

Mais à quel signe reconnaître la présence de cette bienfaisante autorité ? Là-dessus il est impossible de formuler une règle précise. Le nombre des auteurs d’accord sur un principe ne saurait entrer en considération, et il s’agit bien moins encore de compter les voix pour ou contre une opinion controversée. Il faut que tous les jurisconsultes ayant une réputation de sagesse et de science soient unanimes sur une opinion, et que nul d’entre eux n’ait à élever contre elle une objection grave et fondée. La nouvelle opinion doit donc avoir été pendant un certain temps l’objet de l’attention publique, sans qu’ici l’on pense à fixer un nombre déterminé d’années. En ce sens, on peut ranger un ouvrage théorique parmi les sources du droit ; car on lui reconnaît une origine certaine et légitime. Je citerai comme exemple la doctrine sur les deux degrés de fautes, qui, de nos jours, a obtenu l’assentiment universel dont avait joui si longtemps la doctrine des trois degrés. D’après ce qui précède, on voit que cette autorité ne fonde jamais rien d’une manière invariable et définitive ; car des recherches plus profondes peuvent toujours modifier la science, et les nouvelles doctrines sont tout aussi légitimes que les anciennes.
§ XX. C. Droit scientifique. Suite.

Sous le nom de pratique je comprends les recherches qui n’ont pas seulement pour objet le contenu des sources, mais leurs rapports avec la réalité du droit, c’est-à-dire tout ce qui touche son application immédiate et les besoins du temps. La forme sous laquelle se produit cette recherche, l’enseignement oral, un livre ou une décision judiciaire, est une chose indifférente ou du moins secondaire. Dans tous les cas, cette recherche est organe du droit coutumier et partie du droit scientifique ; car les décisions rendues par des juges instruits, et surtout par des collèges permanents, ont toujours un caractère scientifique (§ 14). Là se reproduit l’identité du droit coutumier et du droit scientifique ; identité que j’ai donnée comme signe caractéristique des temps modernes. Je range dans la même classe les ouvrages dogmatiques qui traitent spécialement de la pratique, et les recueils de consultations et de jugements, soit qu’ils émanent d’un jurisconsulte, ou d’un collège de juges, ou de magistrats supérieurs. Quand je distingue deux genres d’ouvrages dogmatiques, les uns théoriques et les autres pratiques, je ne prétends pas dire que ces deux genres soient nécessairement distincts on peut les retrouver dans le même ouvrage, également ou inégalement répartis.

La question que j’ai posée pour la théorie se représente ici pour la pratique. — À quel signe peut-on reconnaître sa bonté, sa légitimité ? Cette question est d’une plus haute importance encore, et mérite un examen particulier.

Si l’on soumet un procès à un homme qui n’ait pas étudié le droit, il prononcera d’après une vue confuse de l’affaire dans son ensemble ; et peut-être, s’il joint à du bon sens un caractère décidé, se croira-t-il très-sûr de son fait.

Ce serait un grand hasard si une autre personne, placée dans les mêmes conditions, rendait un jugement semblable ou diamétralement opposé. C’est à la science à particulariser le rapport de droit, à discerner les règles qui le dominent, et à lever ainsi toutes les incertitudes qui obscurcissent les éléments de décision. En cela surtout se montre la supériorité des jurisconsultes romains. Sans doute ils étaient aidés par une terminologie rigoureuse et par les distinctions précises établies entre les diverses actions. Mais il ne faut pas attribuer au hasard ces circonstances favorables ; elles tenaient à l’heureuse aptitude du peuple romain pour la formation du droit. Cet avantage nous manque, et celui plus grand encore de posséder un droit original né avec la nation, et se développant avec elle ; mais nous avons le même problème à résoudre, et les moyens de solution ne nous manquent pas.

Si l’on examine sans prévention les modifications apportées par la pratique de nos devanciers aux institutions d’origine romaine, on y reconnaît deux caractères très-différents. Les unes sont rationnelles, c’est-à-dire qu’elles tiennent aux nouveaux besoins de la civilisation moderne, aux changements apportés dans l’administration de la justice, et surtout aux idées morales créées par le christianisme. D’après les principes que j’ai posés plus haut, on doit reconnaître à ces modifications la force et l’autorité d’un droit coutumier scientifiquement établi. Si quelques jurisconsultes ont voulu, à tort, faire sortir ces principes du droit romain, leur erreur ne porte aucune atteinte à la vérité de ces principes ; seulement, nous ne devons pas croire que ces fausses déductions n’aient été qu’un prétexte pour colorer leurs doctrines. Ces jurisconsultes se trompaient de bonne foi, et, dans de semblables cas, nous devons approfondir le véritable sens du droit romain, non pour nous en tenir à ses principes, mais pour mieux apprécier la nature et l’étendue du changement. D’autres modifications, au contraire, sont le résultat d’une simple méprise, le produit d’une science incomplète. Ce sont là des erreurs que nous devons démasquer et poursuivre, sans qu’elles puissent se retrancher derrière une longue et paisible possession. Le plus souvent, d’ailleurs, elles reposent sur une contradiction, sur un raisonnement vicieux, dont la fausseté se prouve logiquement. Tout ce qui porte ce caractère n’a que l’apparence de la pratique ; c’est une mauvaise théorie, qui toujours doit céder à une théorie meilleure[23].

La distinction critique de ces modifications apportées au droit romain n’a jamais été tentée ; car, ordinairement, on se contente d’invoquer l’autorité de tels ou tels praticiens, pour ou contre l’application actuelle d’un principe, et, en cette matière, il est tout à fait impossible de poser une règle générale. C’est un travail et une critique de détails entrepris sans que nous sachions si, plus tard, nous pourrons en tirer des principes généraux. La réfutation des erreurs de la pratique forme un des principaux objets de cet ouvrage ; et si la solution du problème reste incomplète, son immense difficulté me servira d’excuse. Considérée sous un autre point de vue, la question peut se poser de la manière suivante : Distinguer dans le droit romain les parties d’où la vie s’est retirée de celles qui subsistent encore et doivent toujours subsister. — La condition essentielle pour réussir dans cette entreprise est un sens droit, libre de toute prévention. Celui qui, par prédilection pour le droit romain, ne songe qu’à le rétablir dans sa pureté primitive et celui qui, prêtant ses idées à la pratique moderne, lui attribue une autorité bien éloignée de l’esprit de ses fondateurs sont l’un et l’autre également impropres à ce travail ; tous deux ont leurs superstitions : l’un considère comme encore existant un fait historiquement accompli, l’autre prend ses imaginations pour des réalités.

La partie de la pratique que je regarde comme un élément sain du droit a une importance bien plus haute que les travaux scientifiques. Non-seulement elle forme une autorité respectable, mais elle est partie essentielle et constitutive du nouveau droit. Cependant il ne faut pas lui reconnaître une existence absolue et immuable ; non que la théorie puisse la condamner comme s’éloignant des sources ; car elle subsiste à titre de véritable droit coutumier, mais elle peut être abolie par les mêmes voies qu’elle a été fondée.

L’influence de la pratique a été souvent comprise d’une manière différente. Ainsi on a dit qu’un tribunal, après avoir rendu plusieurs décisions uniformes, était enchaîné par ces décisions, et tenu de suivre la même règle à l’avenir[24]. Cette assertion a son côté de vérité ; car les jugements antérieurs d’un tribunal sont pour lui-même une autorité, et il est plus digne et plus utile de les suivre que de les changer légèrement. Ici, comme pour toutes les coutumes, agit la loi de continuité, dont j’ai déjà signalé les effets (§ 12. a). Mais, si un examen sérieux et approfondi vient à faire découvrir des arguments jusque-là inconnus, l’abandon de la règle ne saurait être blâmé, et l’on ne doit pas opposer à ce changement, comme barrière insurmontable, une règle dont l’origine est tout à fait semblable à celle de la nouvelle. — L’influence exercée par les décisions des magistrats supérieurs sur les tribunaux de leur ressort, n’a pas absolument le même caractère ; car, indépendamment de leur autorité morale, ces magistrats ont le pouvoir de faire triompher leurs doctrines en réformant les sentences des juges subalternes. Lors donc que ceux-ci se conforment à la jurisprudence d’une magistrature plus élevée, ils ne cèdent pas à l’autorité ; mais ils entrent dans l’esprit du législateur, dont la sagesse a établi les divers degrés de juridiction.

Dans toute cette recherche, j’ai évité à dessein plusieurs expressions techniques, dont le sens vague et incertain a jeté beaucoup de confusion sur la matière dont je m’occupe. Je vais examiner rapidement les diverses significations que les auteurs modernes donnent à ces expressions, et montrer comment elles se rattachent aux doctrines que j’ai exposées.

Je commence par le mot jurisprudence (Gerichtsgebrauch). On appelle jurisprudence tantôt le véritable droit coutumier fondé sur une longue suite de monuments judiciaires, tantôt les décisions uniformes d’un tribunal, auxquelles on attribue force obligatoire pour l’avenir. Il serait plus convenable de n’employer jamais les mots jurisprudence et pratique que dans le premier sens, c’est-à-dire pour désigner le véritable droit coutumier consigné dans les décisions judiciaires. — Je crois devoir signaler l’abus dangereux que souvent l’en fait de ces expressions. Plusieurs, pour établir un principe sur la pratique, se contentent de quelques décisions isolées. Mais, comme les tribunaux ne sont pas plus infaillibles que les auteurs, ces décisions peuvent fort bien reposer sur une erreur de droit. Ici, comme pour les opinions des auteurs, il faut un accord de décisions plus général, et là où les jugements se contredisent il n’y a pas de jurisprudence à invoquer[25]. Je passe aux expressions observance ou usage[Trad 1], dont le sens est encore plus vague.

Souvent on réserve ces expressions pour le droit public, et alors elles ont le même sens que coutume pour le droit privé[26]. Quelquefois aussi on les applique au droit privé dans le sens de droit coutumier ; ce sont alors des mots inutiles et qu’il est mieux d’éviter[27]. Le sens le plus précis qu’on leur donne est celui de droit coutumier, mais de droit coutumier particulier, restreint à une certaine classe de personnes, par exemple aux membres d’une corporation[28]. C’est une simple modification du même sens que de désigner par là un statut tacite que cette corporation s’impose en vertu de son autonomie[29].

Mais c’est donner au mot observance une signification toute différente que de l’appliquer aux contrats tacites des membres de cette corporation[30]. Alors il faudrait mieux rejeter cette expression équivoque, pour s’en tenir au mot contrat. Si l’on examine attentivement la chose, on voit que la plupart de ceux qui emploient le mot observance y attachent l’idée de droit coutumier, et non celle de contrat : comment donc a-t-on été amené à y joindre cette dernière idée ? Cette question demande à être approfondie. Certains rapports de droit nous laissent dans l’incertitude de savoir s’ils résultent des prescriptions du droit coutumier ou d’un contrat tacite entre les parties intéressées. Ce doute, ou plutôt la perception confuse de ce sujet, a conduit naturellement à l’emploi du mot vague observance. Mais, loin de remédier au mal, l’adoption de ce mot l’a rendu irrémédiable ; car, en dissimulant le doute, on a renoncé à l’éclaircir. Je finis par l’examen de l’expression communis opinio, à laquelle on attachait autrefois une importance extraordinaire. On entendait par là une opinion des jurisconsultes tellement unanime, que nul ne pouvait se soustraire à son autorité. La gravité de ce résultat faisait chercher des règles sûres pour constater cette unanimité, comme Valentinien III en a établi par une loi[31]. C’était se jeter dans le domaine de l’arbitraire, et souvent on le reconnaît à la bizarrerie des règles. J’ai dit (§ 19) ce que signifie opinion commune, et quelle valeur on doit y attacher. Au reste, les auteurs modernes n’emploient presque plus l’expression technique de communis opinio.

§ XXI. Sources accessoires du droit.

Jusqu’ici j’ai considéré les sources du droit romain actuel comme si elles existaient seules et indépendamment de toutes autres. J’ai dû me placer à ce point de vue pour les étudier d’une manière complète et dans toute leur pureté. Mais dans aucun des pays où le droit romain a été adopté, les sources du droit n’ont eu cette existence isolée. Je dois donc examiner les autres sources avec lesquelles elles ont été en contact, et dont l’ensemble forme la réalité vivante du droit.

Dans chaque pays elles se trouvèrent tout d’abord placées en présence d’un droit national ; en Allemagne, par exemple, en présence du droit germanique ; et de même dans les autres pays, particulièrement en France. La combinaison de ces deux espèces de droits dans leur application fut toujours une matière difficile et compliquée, un problème dont la solution faisait un des objets les plus importants de la science, surtout dans sa partie pratique (§ 20).

À côté du droit étranger se plaça ensuite la législation nationale, qui, dans son cours, tantôt conciliait les deux droits, tantôt, indépendamment de ce conflit, organisait et fixait les nouveaux éléments fournis par la pratique (§ 20). Ainsi, en Allemagne, nous trouvons un droit territorial, qui tantôt embrasse tout un pays, tantôt une seule province, droit dont l’importance et l’étendue varient selon les différents. États. Parallèlement à ce droit territorial, se montre le droit commun défini (§ 2), qui partout a le caractère d’un droit supplétif, et ne s’applique que quand le droit territorial n’a pas de disposition contraire. Cela tient au besoin qu’a le droit de se développer par la législation, et la législation a précisément pour objet le développement du droit. Mais ce serait méconnaître la relation qui existe entre le droit territorial et le droit commun que de se représenter le droit territorial comme applicable à la plupart des difficultés, et le droit commun réduit dans son application à certains cas rares et exceptionnels. Le droit commun, au contraire, a la prééminence partout où son empire est reconnu, et où il n’a pas été remplacé par de nouveaux codes.

En effet, des codes nationaux ont de nos jours complétement transformé les sources du droit dans une grande partie de l’Europe. En Prusse et en Autriche, cette transformation a été amenée. par le développement interne du droit ; en France, la raison politique y a été pour beaucoup. D’abord, la révolution avait détruit bien des institutions ; ensuite, on voulait, par l’uniformité du droit, effacer le souvenir de l’ancienne division des provinces. Ces nouveaux codes étaient appelés par le besoin interne qui avait fait naître un grand nombre de lois particulières dans divers pays. On voulait terminer le conflit des institutions romaines et des institutions germaniques, et lever les difficultés engendrées par les théories confuses et la pratique souvent incertaine des siècles antérieurs (§ 1920). Ce but ne pouvait être atteint que quand la critique, par des recherches profondes, aurait débarrassé la science de ses imperfections. Mais le législateur étant placé lui-même sous l’influence du mal auquel il voulait remédier, les améliorations ne pouvaient être qu’extérieures, accidentelles et bornées, tandis que, les erreurs fondamentales ainsi fixées par un texte, l’action continuelle et bienfaisante de la science se trouvait suspendue, ou du moins entravée.

Ces nouveaux codes se distinguent des lois particulières rendues antérieurement, par l’étendue de ce qu’ils embrassent, et par leur caractère d’exclusion. Ce sont en effet autant de systèmes complets sur l’universalité du droit. Ainsi, par exemple, quoique les rédacteurs du code prussien ne voulussent pas changer les matériaux du droit, mais les présenter sous une forme meilleure, la force organique qui est au fond de toute théorie les entraîna bientôt malgré eux au delà du but qu’ils s’étaient posé ; et si les conséquences auxquelles ils furent amenés eussent été prévues d’avance, peut-être auraient-elles inspiré de sérieuses réflexions sur la nature même de l’entreprise. — Le caractère exclusif de ces codes donna, quant à la forme, une nouvelle base au droit positif, car, les textes une fois promulgués, l’application directe du droit romain devient nécessairement impossible ; mais, quant au fond, les règles et les principes qui découlent des anciennes sources du droit continuent de subsister dans les lois nouvelles. Pour en avoir l’intelligence complète, il faut les ramener à leur origine. L’étude approfondie des anciennes sources du droit n’est donc pas devenue inutile, comme plusieurs s’en étaient vainement flattés.

Tel est le motif qui m’a fait prendre le droit romain actuel pour sujet de cet ouvrage. S’il trouve son application directe dans les pays où les anciennes sources du droit sont encore en vigueur, il sert à approfondir les codes modernes, et son étude demeure toujours la source la plus féconde pour vivifier la science et la pratique qui s’y rattache.

§ XXII. Principes des Romains sur les sources du droit en général[32]

À l’exposition qui précède de la nature des sources du droit, je vais maintenant rattacher les principes adoptés par les Romains sur cette matière. Mais, avant d’en déterminer l’autorité et la valeur, je dois les énumérer tous. Le droit canon et les lois de l’Empire ont aussi quelques rapports avec ce sujet ; mais cela se réduit à très-peu de chose, et sera convenablement placé comme appendice.

L’énumération des sources du droit, telle qu’on la trouve dans plusieurs passages des jurisconsultes romains, ne repose sur aucune idée systématique. C’est plutôt une exposition des formes extérieures du droit, sans égard à leur essence, à leur origine, ou à leur classification qui ne peut être fondée que sur les rapports et les différences de leur contenu. Cette énumération, qui d’ailleurs répond parfaitement à l’esprit pratique des Romains, servait au juge comme d’indication pour savoir où il devait chercher les moyens de résoudre une question de droit. À cette manière extérieure d’envisager la question, à ce but, était très-bien appropriée la division souvent reproduite du jus scriptum[33] et non scriptum ; expressions qu’il faut entendre littéralement, et auxquelles les Romains eux-mêmes n’attachaient pas grande importance. Ainsi, ils appelaient jus scriptum le droit dont l’origine se rattache à un texte écrit[34]. Plusieurs jurisconsultes modernes, ne se contentant pas d’une explication aussi simple, appellent jus non scriptum. le droit non promulgué, c’est-à-dire le droit coutumier, sans tenir aucun compte de l’emploi ou de l’absence de l’écriture[35]. D’autres concilient les deux opinions en donnant à ces expressions deux sens, l’un scientifique, l’autre grammatical, que chacun peut adopter suivant son gré[36].

Gaius énumère ainsi les sources du droit : lois, plébiscites, sénatus-consultes, constitutions impériales, édits, réponses des prudents[37]. Les Institutes de Justinien reproduisent la même énumération, en y ajoutant le droit non écrit[38]. Pomponius commence par faire une exposition chronologique des sources du droit, dont il résume ensuite les différentes classes : lex, prudentium interpretatio, legis actiones, plébiscites, édits, sénatus-consultes, constitutions impériales[39]. Enfin, Papinien s’accorde avec Gaius, sauf qu’il substitue, comme Pomponius, aux réponses des prudents, l’expression plus générale d’auctoritas prudentium[40]. — Les différences de ces textes tiennent à l’ordre suivi dans l’énumération des sources, à l’admission ou au rejet du droit non écrit, à la manière d’envisager le droit des jurisconsultes, et enfin à l’addition des legis actiones faite par Pomponius. Cette dernière différence s’explique aisément. Dans un résumé de l’histoire du droit, Pomponius pouvait très-bien parler d’une matière dont la mention eût été déplacée dans un ouvrage sur la pratique.

L’énumération des sources du droit se trouve encore dans plusieurs ouvrages de rhétorique. Un passage des Topiques de Cicéron se rapproche beaucoup des textes des jurisconsultes cités plus haut ; ce qui s’explique par la nature de cet ouvrage[41]. Ailleurs, on ne trouve que des spéculations systématiques sur l’origine du droit, spéculations vagues et confuses, et qui, néanmoins, s’arrêtent aux manifestations extérieures du droit[42]. La confusion est même poussée si loin, que l’on voit rangés parmi les sources les faits individuels de l’homme qui servent de base aux rapports de droit, confusion dans laquelle les jurisconsultes ne sont jamais tombés[43].

Les anciens jurisconsultes ont défini avec plus d’exactitude certaines, divisions du droit qui avaient un grand intérêt pratique. Je veux parler de ces deux divisions : jus civile et jus gentium, jus civile et jus honorarium[44]. — Voici le sens de la première. Dès que Rome eut établi des relations avec les peuples voisins, les tribunaux romains se virent obligés, indépendamment du droit national, d’appliquer et par conséquent de connaître le droit de ces peuples ; non-seulement le droit particulier à chacun d’eux, mais celui commun à plusieurs. Plus Rome étendit sa domination, plus ces relations se multiplièrent, plus leur cercle grandit, et l’on se vit ainsi naturellement amené à l’idée abstraite d’un droit commun aux Romains et à tous les peuples[45]. Cette idée, empiriquement acquise, n’était pas rigoureusement vraie, et les Romains eux-mêmes ne se trompaient pas sur la valeur de leur induction ; d’abord ils ne connaissaient pas tous les peuples, ensuite ils ne s’étaient pas curieusement enquis de savoir si chacun des principes du jus gentium était réellement admis chez tous les peuples qu’ils connaissaient. Ce caractère de généralité relative une fois admis, on dut remonter à son origine, et on la trouva dans la naturalis ratio, c’est-à-dire dans les idées de droit naturellement communes à tous les hommes[46] ; d’où sortait comme conséquence nécessaire l’immuabilité de ce droit[47]. Mais on se contentait de poser cette origine comme principe, sans en poursuivre les conséquences et soumettre chacune des règles du jus gentium à un examen rigoureux.

Si maintenant on compare le droit national des Romains au droit général, on obtient les résultats suivants. Quelques institutions et les règles qui s’y rattachent sont communes au jus gentium et au jus civile ; tels sont les contrats les plus usuels, la vente, le louage, la société, etc., la plupart des délits en tant qu’ils entraînent une réparation de dommages, la tradition comme moyen d’acquérir la propriété, et qui, d’après le droit civil, s’appliquait aux res nec mancipi, enfin l’esclavage héréditaire. — Un bien plus grand nombre d’institutions appartenaient exclusivement au droit civil : d’abord, le mariage qui, même sous sa forme la plus libre, n’était possible qu’entre citoyens romains, et soumis à des conditions rigoureusement déterminées ; puis, l’autorité paternelle qui servait de base à l’agnation ; la plupart des moyens d’acquérir la propriété, et les plus importants, la mancipation, l’usucapion, etc. ; pour les obligations, la verborum et literarum obligatio; les délits comme soumis à des peines positives ; enfin, le droit de succession. Néanmoins, le plus grand nombre de ces institutions du droit positif sont fondées sur la nature même de l’homme, et existent aussi dans le droit étranger, mais sous une autre forme. Aussi, quand Rome eut étendu ses relations avec les autres peuples, les tribunaux romains reconnurent dans la pratique les institutions du droit général correspondant aux institutions du droit civil. Ainsi, ils admirent un mariage selon le jus gentium, aussi valide que le mariage civil, quoique privé de quelques-uns de ses effets. À côté de l’agnation ils admirent une naturalis cognatio ; à côté de la propriété ex jure Quiritium, la propriété in bonis ; à côté des formes rigoureuses de la stipulation (spondes spondeo), des formes plus libres, accessibles aux étrangers. Le droit de succession, dont la nature est toute positive, résista davantage à l’influence du droit général ; c’est néanmoins à cette influence qu’il faut rapporter les extensions progressives de la succession ab intestat des cognats. — D’après ce qui précède, on voit qu’il n’y a pas d’opposition complète entre le droit national et le droit général (jus civile et jus gentium), car une grande partie du premier se retrouve dans le second[48]. D’ailleurs, cette opposition partielle devait encore diminuer par la suite des temps ; car deux systèmes de droit, incessamment en contact, appliqués par les mêmes juges, tendent naturellement à s’assimiler.

Ainsi encore s’explique d’une manière plus simple l’identité de deux expressions que j’em ploie comme synonymes : jus gentium, droit qui se retrouve chez tous les peuples connus ; jus naturale, droit fondé sur la nature générale de l’esprit humain[49]. — Cependant, de ces deux formes de la même idée, la première doit être regardée comme prédominante, car, sous le point de vue des Romains, le jus gentium, aussi bien que le jus civile, était un droit positif ayant dans l’histoire son origine et ses développements. À mesure que le peuple romain, s’assimilant les peuples conquis, perdait de son individualité, le jus gentium, mieux approprié à l’immense étendue de l’empire et au nouvel état de choses, devait croître en importance, comme nous le montre la législation Justinienne. Cette grande révolution était l’œuvre de la nécessité, et il n’y a dans son accomplissement ni arbitraire ni sagesse, rien à blâmer ou à louer, sinon que l’action lente et silencieuse de cette nécessité fut appréciée avec une justesse jusqu’alors sans exemple, et la lettre du droit mise en harmonie avec son nouvel esprit plus habilement qu’on ne devait l’attendre du sixième siècle.

Le plus grand intérêt pratique alors attaché à l’opposition des deux systèmes de droit, c’est que leur application tenait à l’état personnel des individus. Le droit civil, proprement dit, n’était fait que pour les citoyens romains ; dans la suite, on rendit communes aux Latins quelques-unes de ses institutions, mais la jouissance en fut toujours interdite aux étrangers, tandis que le jus gentium. s’étendait à tous les hommes ayant la capacité du droit. La même distinction se reproduit pour les immeubles ; ainsi, certaines parties du droit des choses s’appliquaient exclusivement, en Italie ou dans les provinces, selon qu’elles appartenaient au droit civil (ex : la mancipation, l’usucapion), ou au jus gentium ; la tradition, par exemple. Ici on peut demander comment ces distinctions se rattachent à la division du droit en droit écrit et droit non écrit. Ordinairement on ne parle du droit non écrit qu’à propos du jus civile dont il serait une subdivision. Mais cette restriction n’est pas fondée sur la réalité des choses ; et comme le jus gentium résulte de la comparaison du droit de plusieurs peuples, et qu’ainsi il ne peut être question de textes, quand même quelques-uns de ces peuples auraient des lois écrites, le jus gentium primitif, à moins que par hasard il n’eût été inséré dans l’édit, faisait, pour les Romains, partie du droit. non écrit, et nous apparaît comme une subdivision existant à côté du droit coutumier national (mores majorum). Au reste, cette idée ne se trouve exprimée dans aucun jurisconsulte, mais seulement dans Cicéron[50].

Il me reste à signaler un nouveau rapport entre les deux espèces de droits que je viens de caractériser. Comme le jus gentium, à Rome, formait un système de droit positif d’une application pratique, il dut nécessairement subir l’influence des prescriptions du jus civile. Si, par exemple, le jus civile défendait le mariage à un certain degré de parenté, le jus gentium ne l’aurait pas permis à Rome, quand bien même le droit des peuples étrangers en eût reconnu la validité[51]. De même encore, les contrats interdits par le jus civile, tels que les dettes de jeu ou les intérêts usuraires, ne donnaient pas lieu à une naturalis obligatio. Voici comment Cicéron (de part. orat., ch. 37) exprime cette action du jus civile sur le jus gentium : « atque etiam hoc imprimis, ut nostros mores legesque tueamur, quodammodo naturali jure præscriptum est. » Au reste, je n’ai pas besoin de dire que cette action du droit civil est restreinte aux règles qui ont le caractère d’un droit absolu (§ 16). Une seconde division du droit est celle du jus civile et jus honorarium [52]. Quant à ses résultats pratiques, on ne doit pas croire que le jus civile eût une autorité supérieure à celle du jus honorarium et dût lui être préféré en cas de collision ; seulement, le jus honorarium, émané d’un magistrat, se bornait à l’étendue de sa juridiction et à la durée de son exercice, tandis que le jus civile était susceptible d’embrasser tous les temps et toutes les parties de l’empire [53]. Voilà l’idée qu’expriment les mots de lex ou quod legis vicem obtinet[54] appliqués au jus civile, et ce qu’entendent les anciens jurisconsultes quand ils ont soin d’assigner ce caractère à une des sources du droit[55]. Mais cette distinction toute pratique avait une base plus profonde. Les décrets du peuple, les sénatus-consultes, les constitutions impériales créaient réellement un droit nouveau, tandis que le préteur, dans son édit, ne constituait pas le droit, il était pour cela sans qualité, seulement il déclarait comment il entendait le droit, et les principes qu’il suivrait dans l’exercice de ses fonctions. Ainsi, il y avait des règles établies ipso jure, d’autres jurisdictione, tuitione prætoris.

Cette distinction deviendra encore plus claire si on la rapproche de ce que j’ai dit précédemment. — D’abord, on voit que le jus honorarium appartient exclusivement au droit écrit, et que le jus civile rentre seul dans le droit non écrit. Le rapport du jus honorarium au jus gentium paraît moins évident. D’abord, ce serait tout à fait se tromper que de les regarder comme identiques ; l’édit du prætor urbanus contenait beaucoup de règles particulières au droit romain ensuite il admettait, en vue de l’utilitas[56], plus d’un principe contraire à la naturalis ratio (§ 15). On ne doit pas non plus considérer le jus civile et le jus honorarium comme des subdivisions du jus civile par opposition au jus gentium, car les édits provinciaux, à côté du droit local, renfermaient beaucoup de règles du jus gentium, et ce droit devait occuper en occuper encore plus de place dans l’édit du prætor peregrinus. Seulement, on peut dire que plus d’un élément général du jus gentium ayant passé dans le jus civile des Romains, cette transition s’était souvent opérée au moyen du jus honorarium. Enfin, on peut demander si le droit prétorien, en tant qu’il constitue un nouveau droit, et surtout en tant qu’il modifie le jus civile, est une loi ou une coutume. Il est maintenant reconnu que ces modifications s’accomplissaient en vertu du droit coutumier, et non de l’autorité législative du préteur (§ 25, t) ; ce serait néanmoins se tromper que de regarder le préteur comme simple rédacteur du droit coutumier. Sans doute, ses matériaux lui étaient fournis par la coutume ; mais, quant à leur mise en œuvre, aux développements et aux modifications de détail, quant aux lacunes à combler (corrigendi, supplendi juris civilis), il jouissait d’une complète indépendance[57]. Ainsi, en fait, les préteurs avaient une très-grande part à la formation du droit, mais leur renouvellement annuel replaçait cette fonction entre les mains du peuple. C’était un pouvoir populaire empreint d’un caractère d’aristocratie.

Ce que je viens de dire sur la manière dont les Romains envisageaient les sources du droit est vrai pour tout le temps où la science du droit conserva encore quelque vie. Postérieurement à cette époque, c’est-à-dire depuis les empereurs chrétiens, les idées changèrent complétement. Il n’y eut plus que deux sources du droit, les leges et le jus, c’est-à-dire les édits des empereurs et les écrits des jurisconsultes ; car ces deux formes avaient absorbé tous les anciens éléments du droit (§ 15 a). Valentinien III soumit à des règles l’autorité des auteurs devant les tribunaux (§ 26) ; mais les sources furent encore simplifiées par la législation de Justinien. Il donna force de loi à une partie de la littérature scientifique, enleva toute autorité à la partie beaucoup plus considérable qu’il rejetait, et défendit de composer à l’avenir aucun ouvrage nouveau (§ 26). Le Digeste ainsi posé, comme jus, mais comme lex, on peut dire que les sources du droit se réduisaient aux constitutions impériales, sauf une espèce de droit coutumier renfermé dans des bornes très-étroites, et dont je parlerai bientôt. — Les divisions générales du droit en jus civile et jus gentium, civile et honorarium, ne devaient plus figurer dans la législation Justinienne que comme des faits historiques ; car elles avaient perdu toute importance pratique, sinon toute application. Ainsi, en principe, il était toujours vrai que les citoyens romains pouvaient seuls contracter un mariage revêtu de tous les effets civils, exercer la puissance paternelle, faire un testament, être institués héritiers ; mais ceux auxquels on refusait ces capacités, les peregrini, n’étant plus que des étrangers, le principe avait perdu de son importance, à cause de la rareté de son application. Pour les étrangers eux-mêmes ces incapacités n’eurent plus, en réalité, le même intérêt ; car, depuis la novelle 118, les successions ab intestat furent déférées sans égard à l’agnation. — Depuis longtemps le jus honorarium n’existait plus, on n’avait donc pas à fixer géographiquement les limites de son application.

§ XXIII. Principes des Romains sur les lois. — Sources.

Ce que les sources du droit renferment sur les anciennes formes de la législation se réduit à fort peu de chose. Ce sont des lieux communs et des conseils pour le législateur assez insignifiants[58]. Sans doute les anciens jurisconsultes donnaient d’importantes notions sur la place qu’occupaient, dans le droit public, les diverses espèces de décrets du peuple, et sur l’autorité législative du sénat. Mais ces matières étaient trop étrangères au temps où vivait Justinien pour qu’il les admît dans ses recueils[59].

Les renseignements et les règles touchant la législation impériale sont plus importants et plus complets. Ce sujet trouvait encore son application sous le règne de Justinien, et de nos jours il a conservé une partie de son intérêt. Gaius et Ulpien s’accordent à dire que les constitutions ont legis vicem, parce que chaque empereur reçoit son imperium en vertu d’une lex[60], et ils distinguent trois espèces de constitutions, les édits, les décrets et les rescrits, auxquels il convient d’ajouter les mandats.

I. Édits. — Le nom de cette espèce de constitution et le droit d’en faire usage se rattachent directement aux institutions de la république. Les édits étaient des ordonnances rendues par les empereurs en vertu d’une magistrature dont ils étaient investis, ordonnances semblables aux édits que les préteurs, les proconsuls, etc., rendaient avant l’établissement de l’empire, et que longtemps encore ils continuèrent à rendre depuis son établissement. Si les empereurs différèrent d’employer les édits comme instrument pour les actes les plus importants de leur autorité suprême, cela tient à deux circonstances. D’abord ils s’efforcèrent longtemps de gouverner en conservant les anciennes formes ; puis les édits, si l’on s’en tenait rigoureusement à leurs limites, ne s’adaptaient pas bien à une législation générale. En effet, si l’empereur rendait un édit en vertu de sa tribunitia potestas, cet édit, comme l’autorité même des tribuns, ne s’appliquait pas au delà de Rome ; si l’empereur usait de sa proconsularis potestas, son édit n’avait d’autorité que dans les provinces qui lui étaient tombées en partage. Quand on se fut habitué à considérer l’empereur comme magistrat souverain de tout l’empire, alors seulement ses édits purent être reçus comme lois de l’empire ; aussi est-il digne de remarque que déjà Gaius leur attribue la legis vicem, c’est-à-dire une autorité générale ; car la circonscription dans de certaines limites était précisément ce qui distinguait les édits des leges et de ce qui legis vicem obtinet (§ 22) ; néanmoins, on trouve dès les premiers siècles un assez grand nombre d’édits impériaux d’une authenticité certaine ; mais je n’admets comme tels que ceux mentionnés dans les sources du droit ; car, lorsqu’il s’agit de l’acception précise d’un mot technique, on ne peut s’en rapporter aux historiens[61].

Les édits ayant seuls le caractère et l’autorité générale de loi, il devait y avoir des signes certains auxquels on pût les reconnaître et les distinguer des autres constitutions. Ces signes sont énumérés de la manière suivante dans une constitution de Théodose II et de Valentinien III : le nom d’edictum ou generalis lex, la communication au sénat par une oratio, la publication par les lieutenants des provinces, enfin la mention expresse que la constitution a force obligatoire pour tous. Un seul de ces signes suffit, indépendamment des autres[62] ; ainsi, un édit n’en est pas moins valide pour être rendu à l’occasion d’un procès, la constitution citée le dit expressément ; de même encore l’édit devait être connu et respecté de tous, quoiqu’il ne concernât pas tous les Romains, mais seulement une certaine classe de personnes[63] ; enfin l’édit ne perdait rien de son caractère de généralité pour être adressé spécialement au magistrat qui l’avait sollicité[64]. — Les empereurs ajoutent qu’à l’avenir ils auront recours, pour la rédaction de leurs édits, à la coopération du sénat[65], sans néanmoins faire dépendre de cette formalité l’autorité législative des édits. — Enfin, on reconnaît la nécessité de la publication, mais on n’en fixe pas le mode, seule chose qui ait de l’intérêt pour la pratique[66].

II. Décrets. C’est ainsi que l’on appelle les jugements interlocutoires et définitifs rendus par l’empereur dans l’exercice de son autorité judiciaire[67]. Attribuer aux décrets, comme aux autres constitutions, force de loi pour le cas particulier où ils sont rendus, paraît une inconséquence ; car les décrets étaient des décisions judiciaires toujours obligatoires, comme émanant du tribunal suprême de l’empire. Mais la juridiction impériale était une institution en dehors de toutes les règles, institution à laquelle les anciennes idées de judicium et res judicata ne s’appliquaient pas directement ; peut-être voulait-on exprimer que les jugements de l’empereur réglaient le point litigieux d’une manière encore plus définitive que les jugements d’un tribunal ordinaire. D’ailleurs, il n’y avait pas entre eux de différence essentielle. Ainsi les décrets, comme les jugements, ne s’appliquaient qu’à une espèce particulière, et même, les règles de droit contenues dans leur dispositif n’avaient pas force de loi pour l’avenir. Néanmoins, les règles appliquées par les décrets jouissaient d’une grande autorité, aussi les jurisconsultes en faisaient-ils des recueils[68], et souvent un seul décret servait de base à l’établissement d’un principe nouveau[69].

Justinien laissa les choses dans cet état, quant aux jugements interlocutoires ; une constitution insérée au Code le dit expressément[70] ; mais il accrut l’autorité des jugements impériaux définitifs, et il ordonna que les règles de droit, sanctionnées par eux, deviendraient lois pour tous les cas semblables[71]. La forme seule de cette ordonnance prouve qu’elle modifie le droit existant, et en établit un nouveau. Ainsi donc, quand Justinien invoque, à ce sujet, l’autorité des anciens jurisconsultes, il donne à leurs paroles un sens arbitraire ; car certainement ces jurisconsultes ne reconnaissaient force de loi aux décrets que pour l’espèce où ils étaient rendus[72]. Au reste, cette innovation pouvait se justifier, et ne prêtait pas au même abus que les rescrits. En effet, l’empereur ne pouvait être trompé par un exposé infidèle, puisque les deux parties étaient en présence, et la publicité attachée aux formes solennelles de la juridiction impériale tenait, jusqu’à un certain point, lieu de promulgation[73]. Ainsi, avant Justinien, les décrets n’avaient force de loi que pour un cas particulier, et Justinien mit au rang des lois générales les règles contenues dans les jugements définitifs.

Cette distinction que Justinien établit a été souvent mal, comprise par les jurisconsultes modernes. Quelquefois on la confond avec le principe général qu’un jugement n’a d’effet qu’entre les parties. Mais cela n’atteint que le rapport de droit particulier, et ce rapport ne reçoit ici aucune extension. Si donc l’empereur jugeait, entre deux parties, une question d’hérédité, sa décision suprême ne pouvait profiter ni préjudicier à un tiers. Quelquefois on la confond avec le système d’interprétation large ou étroite ; mais ce n’est nullement de cela qu’il s’agit ici. Les règles sanctionnées par un jugement définitif doivent être appliquées aux cas absolument semblables, et non par voie d’analogie.

§ XXIV. Principes des Romains sur les lois. Suite.

III. Rescrits[74]. Le sens littéral du mot rescriptum est : réponse par écrit. Cette réponse pouvait, quant à sa forme extérieure, se faire de différentes manières : en marge de la demande (adnotatio, subscriptio) ; par une lettre séparée (epistola) ; par un acte solennel (pragmatica sanctio), dont le protocole ne nous est pas bien connu[75]. Tous ces rescrits ont l’autorité de lex, toutefois renfermée dans des bornes plus étroites que celle des édits, dont ils diffèrent essentiellement. Mais que faut-il entendre par là ? Pour attribuer aux rescrits une autorité moindre qu’aux édits, il faut nécessairement ajouter quelque chose qui n’est pas impliqué dans l’idée de leur forme ou de leur origine. Il y a des lettres impériales d’une autorité fort restreinte, et qui ne sauraient être assimilées à une lex ; il en est d’autres, au contraire, dont l’autorité est illimitée. Nous devons faire abstraction des unes et des autres, pour nous occuper d’une classe intermédiaire de lettres, auxquelles s’applique exclusivement l’expression technique de rescrits.

D’abord, ont moins d’autorité que les rescrits proprement dits toutes les lettres de l’empereur étrangères aux affaires, lettres dont il n’est évidemment pas question ici, quoique ayant le nom et la forme des rescrits. Même parmi les lettres d’affaires, il faut distinguer celles qui n’appliquent aucune règle et expriment une décision arbitraire de l’empereur : celles, par exemple, ayant trait à une exemption individuelle des effets d’une loi (§ 16), à une subvention, à une réprimande[76]. Ces lettres ont, pour la personne et le cas auxquels elles s’appliquent, l’autorité d’une lex, et chaque juge doit les respecter comme telles. Mais on ne saurait y chercher de règle pour un cas semblable, puisque, ordinairement, ces lettres ne s’appuient sur aucune règle.

Ont plus d’autorité que les rescrits proprement dits les publications spécialement destinées à établir une règle nouvelle et à la faire connaître de tous. Ce sont là des lois véritables, malgré la forme de lettre sous laquelle elles se présentent, et l’occasion accidentelle qui les a provoquées n’a rien qui restreigne leur application ou les distingue des autres lois. Dans les premiers temps de l’empire on appelait ces publications, à cause de leur forme exceptionnelle, lettres générales ou rescrits généraux[77], sans y attacher aucune idée d’infériorité. Lorsque, plus tard, cette forme de législation fut devenue la plus ordinaire, on abandonna ces dénominations pour s’en tenir aux termes généraux de leges, edicta, edictales constitutiones[78]. Les textes de ces lois que nous avons aujourd’hui ne parlent nullement de leur publication ; mais cela s’entendait de soi-même, et les magistrats auxquels on les adressait y veillaient sans qu’il fût besoin d’une mention spéciale pour les en avertir ; mention ajoutée néanmoins à quelques-unes de ces lois[79]. Les pragmaticæ sanctiones pouvaient aussi être des lois générales[80], de même que les epistolæ d’une forme moins solennelle ; et il fallait une disposition expresse pour les faire rentrer dans le domaine plus étroit des rescrits. Quel est donc le signe caractéristique qui sépare profondément les rescrits des édits ? C’est leur destination restreinte à la décision d’un rapport individuel de droit, et exclusive de la publicité. Les rescrits ont cela de commun avec les constitutions en général, qu’ils s’appuient sur une règle, l’expriment, mais uniquement dans son application concrète. Au reste, les rescrits nous offrent plusieurs distinctions importantes.

1o Les rescrits sont rendus, tantôt à la demande d’une des parties (libellus), tantôt à la demande du juge[81]. Cela se rencontre surtout dans une forme de procédure très-importante, lorsque, pour un cas difficile, le juge supplie l’empereur de lui dicter son jugement (relatio, consultatio). Ici l’empereur ne figure pas comme juge, mais comme rédacteur du jugement, et dans la même qualité que les universités allemandes, saisies d’une affaire par l’envoi de la procédure. Aussi voilà pourquoi les décisions de cette espèce sont rangées parmi les rescrits et non parmi les décrets. Justinien défendit les consultations ; mais la défense n’était pas aussi absolue que ses termes le feraient croire[82].

2o La règle appliquée dans le rescrit est tantôt fondue avec la décision même, tantôt posée d’une manière abstraite et donnée comme motif de la décision. Ces derniers rescrits, qui ne sont pas des lois, bien qu’ils en aient la forme, s’appellent generalia rescripta, mais dans un sens différent de celui indiqué plus haut[83].

3o Quelquefois la règle appliquée dans le rescrit était déjà formulée, et alors l’empereur agit en jurisconsulte. Quelquefois aussi cette règle modifie le droit par voie d’interprétation libre. Ces derniers rescrits sont ordinairement dictés par des raisons d’ordre public ou d’économie politique, et ne touchent pas aux droits des tiers[84].

Les effets attachés aux rescrits peuvent se résumer de la manière suivante : 1o ils ont force de loi dans le cas particulier pour lequel ils sont rendus ; 2o ils n’ont force de loi dans aucun autre cas ; 3o mais pour les cas semblables ce sont de graves autorités.

Les rescrits ont force de loi dans le cas particulier pour lequel ils sont rendus : c’est ce que disent en termes généraux le Digeste et les Institutes (§ 23), et le Code, d’une manière implicite, en leur refusant l’autorité de lois générales. Il résulte de là que le juge auquel on présente un rescrit est tenu de s’y conformer strictement, sans pouvoir écouter sa propre conviction. Cet effet attaché au rescrit est surtout d’une grande importance quand il a été sollicité, non par le juge, mais par une des parties. Alors ce rescrit est un droit personnel acquis à cette partie, droit transmissible à ses coïntéressés et à ses héritiers, et qui peut s’exercer après un long espace de temps[85]. Mais, dans l’espèce même où il était rendu, le rescrit offrait de grands dangers ; il pouvait toujours être supposé ou falsifié, et surtout avoir été obtenu d’après une exposition des faits incomplète ou mensongère. On avait paré à ce double abus en soumettant les rescrits à des formes extérieures rigoureusement déterminées[86], et en autorisant la partie adverse à faire une enquête sur la manière dont le rescrit avait été obtenu[87]. Tout rescrit contraire à l’intérêt public, ou en opposition avec les règles du droit (contra jus), était en outre frappé de nullité[88]. Au reste, les empereurs ne s’interdisaient nullement la faculté de modifier le droit par leurs rescrits, mais ils prévoyaient le cas où, trompés sur les faits, ils auraient, contre leur propre volonté, violé les règles du droit. — En présence des dangers qu’entraînait l’autorité, législative des rescrits, peut-être eût-il été plus sage de n’en jamais accorder, du moins sur la demande des parties, ce que Trajan semble avoir fait. Justinien finit également par interdire aux juges l’application des rescrits privés, qui, dès lors, n’eurent plus force de loi[89]. D’un autre côté, la défense d’étendre les rescrits au delà du cas particulier pour lequel ils avaient été rendus fut renouvelée dans les termes les plus formels. Cela s’appliquait particulièrement aux rescrits provoqués par une consultation du juge[90], c’est-à-dire au genre de rescrits dont l’extension offrait le moins de dangers ; aussi crut-on superflu d’exprimer la même défense pour les rescrits privés, tant la chose était évidente. En effet, un rescrit rendu dans une espèce particulière, et souvent sur un exposé très-infidèle d’une des parties, pouvait se ressentir de ce caractère de particularité et se prêter difficilement à une application générale ; d’ailleurs, et c’est là le point important, la publicité manquait aux rescrits. Ces motifs subsistent pour les rescrits interprétatifs comme pour tous les autres, et les auteurs qui leur attribuent force de loi générale se trompent évidemment. Je me réserve de le prouver plus bas (§ 47).

Le véritable caractère des rescrits, comme celui des décrets (§ 23), a été souvent méconnu par les auteurs modernes. Ici encore, on a reproduit la défense de l’interprétation large ; mais il ne s’agit nullement d’extension ; la règle même, posée dans un rescrit, ne devait pas être appliquée aux cas absolument semblables. Ici encore, on a cru retrouver le principe général que les jugements n’ont d’effet qu’entre les parties ; mais ce principe est encore plus étranger aux rescrits. qu’aux décrets ; il ne pouvait même en être question. Si, par exemple, un héritier testamentaire soumettait à l’empereur un testament dont la validité fût douteuse, et que l’empereur reconnût, par un rescrit, la validité du testament, l’héritier testamentaire pouvait opposer ce rescrit à tous les héritiers du sang ; car il n’avait pas eu besoin de nommer dans sa demande un seul contradicteur.

Si les rescrits n’avaient pas force de loi générale, c’étaient du moins de graves autorités[91]. D’abord, on n’aurait pu leur ôter ce caractère, et cela n’était pas même désirable. Les rescrits favorisaient merveilleusement le développement du droit, et le Digeste nous montre que les anciens jurisconsultes ne manquaient pas de s’en aider. L’influence des mauvais rescrits offrait peu de dangers, car leur caractère d’autorité morale n’excluait pas la critique ni la condamnation de quelques-unes de leurs doctrines. Néanmoins, ce danger frappa tellement l’empereur Macrin, qu’il songea, dit-on, à abolir les anciens rescrits, c’est-à-dire à les dépouiller de leur autorité[92].

L’exposition qui précède s’accorde parfaitement avec tout ce que nous savons des rescrits. Les rescrits devaient être très-familiers aux jurisconsultes, car ceux-ci vivaient auprès de l’empereur, concouraient souvent à leur rédaction, et pouvaient toujours consulter les archives[93]. Ainsi encore on s’explique qu’il y ait eu très-anciennement des recueils de rescrits[94], et comment les jurisconsultes se trouvent en opposition avec un rescrit, soit que par hasard ils n’en aient pas eu connaissance, soit qu’ils en rejettent les principes[95].

Si l’on résume l’histoire de la législation touchant les rescrits, on voit qu’ils jouent encore un grand rôle sous l’empire des recueils de Justinien, mais que leur influence a été presque entièrement détruite par la législation des Novelles.

IV. Mandats. On appelait ainsi des instructions que l’empereur adressait aux fonctionnaires, comme règles de conduite. Ces mandats, semblables à ceux des proconsuls ordinaires, à la mandata jurisdictio, par exemple, étaient ordinairement faits pour les légats ou lieutenants de l’empereur dans les provinces impériales, et y avaient la même autorité que les édits principaux. Si les mandats sont plus rares que les autres espèces de constitutions, cela tient à la position dépendante des provinces, qui rarement avaient l’initiative des modifications apportées au droit commun des Romains. La plupart de ceux que nous connaissons roulent sur le droit criminel ou sur des mesures de police[96]. Les testaments militaires nous offrent un exemple remarquable d’un changement introduit par les mandats dans le domaine du droit privé[97]. Mais cela s’explique par la nature même du testament militaire, qui, supposant une armée en campagne, n’avait guère d’application possible que dans les provinces. J’en dirai autant du mandat qui défend aux fonctionnaires romains de se marier dans la province où ils exercent leurs fonctions[98]. — Gaius et Ulpien, dans l’énumération des différentes sortes de constitutions, passent les mandats sous silence. Le peu d’importance des mandats suffirait pour justifier cette omission ; mais, d’ailleurs, leur autorité étant circonscrite dans les limites d’une province, ils n’avaient, pas plus que le jus honorarium, la legis vicem attribuée aux autres constitutions impériales.

Cette recherche sur la nature et les effets des constitutions impériales peut se résumer en ces termes. Les édits et les mandats faisaient loi pour le juge et les parties, mais les mandats, seulement dans la province pour laquelle ils étaient rendus. Les rescrits n’avaient force de loi que dans l’espèce particulière où ils étaient rendus ; la dernière législation de Justinien en restreignit singulièrement l’emploi ; car elle annule tous les rescrits accordés à la sollicitation des parties, et n’autorise le juge à en demander que s’il s’agit d’interpréter une loi. Les décrets étaient de véritables décisions judiciaires, et les règles contenues dans les jugements définitifs, non dans les jugements interlocutoires, avaient force de lois générales. — Indépendamment de ces distinctions, toute constitution impériale était une autorité grave pour quiconque venait à en avoir connaissance.

Le code de Justinien trancha largement dans les constitutions impériales. Celles insérées dans le Code, quelle que fût leur nature, rescrit, décret, etc., reçurent immédiatement force de loi ; toutes les autres perdirent leur autorité législative[99]. Ainsi donc, les règles posées plus haut s’appliquent uniquement aux constitutions rendues depuis la promulgation du Code, par Justinien ou par ses successeurs. On peut considérer comme appendices de la législation impériale les édits ou generales formæ des præfecti prætorio. Déjà Sévère Alexandre avait sanctionné leur autorité générale s’ils n’avaient rien de contraire aux lois, et si l’empereur n’en avait pas autrement ordonné[100]. Justinien cite, comme lois, quelques-uns de ces édits[101] : quelques fragments s’en sont conservés à la suite de nos recueils de Novelles[102], et Cassiodore attribue en quelque sorte aux préfets l’autorité législative [103].

§ XXV. Principes des Romains sur le droit coutumier.
Sources : Dig., I, 3. Cod., VIII, 53. Cod. Th., V, 12.

On trouve dans Cicéron, au milieu d’idées assez confuses, un passage remarquable sur le droit coutumier. « Il existe, dit-il, une règle qui ne repose sur aucune opinion individuelle, mais nous apparaît comme une nécessité de notre nature morale. Cette règle était vague : les sociétés humaines l’ont formulée, développée et posée comme coutume immuable. » À cette règle il oppose la lex ou la loi positive établie par la volonté de l’homme[104]. — Les anciens jurisconsultes n’assignent pas au droit coutumier l’étendue et l’importance qui lui appartiennent. Cela tient sans doute à ce que, de leur temps, la plus grande partie de l’ancien droit coutumier national s’était perdue dans d’autres sources du droit et n’apparaissait plus sous sa forme primitive (§ 1518). L’époque où ils vivaient était d’ailleurs peu favorable à la création d’un droit coutumier national purement populaire (§ 7). Le droit coutumier particulier était le seul dont ils vissent les manifestations dans la vie réelle, et c’est à lui que se rapportent la plupart des textes sur le droit coutumier qui se sont conservés jusqu’à nous[105]. Cependant leurs principes sont en général fort justes ; et si les auteurs modernes s’y sont trompés, on ne doit l’attribuer qu’à un manque de précision dans les termes. Les jurisconsultes romains admettent, comme constante, toute règle établie par une longue consuetudo, une coutume de plusieurs années, et ils lui donnent pour base le consensus tacite du populus qui l’applique (utentium, omnium)[106]. Par là, on a entendu que l’habitude était le fondement du droit, et que le droit était l’œuvre d’un acte de volonté des mêmes individus qui votent la loi dans les comices. Cette opinion a de graves conséquences : elle lie le droit coutumier à une forme spéciale de constitution politique, et l’exclut nécessairement de Rome impériale et des monarchies modernes. Mais les jurisconsultes romains regardaient la consuetudo, non comme le fondement du droit, mais comme un signe sensible servant à le reconnaître ; et c’est sous ce même point de vue qu’ils envisagent l’écriture, en parlant du droit écrit (§ 22). Nous en avons la preuve dans plusieurs textes, où, indépendamment de la coutume, la conviction directe et commune du peuple (ratio) est représentée comme fondement du droit[107]. De même encore, le consensus n’est pas une volonté qui aurait pu tout aussi bien s’exprimer en sens contraire, mais une conviction unanime, empreinte d’un caractère de nécessité ; et le populus auquel on attribue ce consensus n’est pas la réunion des citoyens divisés en tribus et en centuries, à une époque déterminée, c’est le type idéal de la nation romaine, se perpétuant de génération en génération, et persistant à travers tous les changements de son organisation politique[108]. Cette explication s’accorde avec le haut degré de certitude donné comme signe caractéristique du droit coutumier[109] ; certitude plus facile à trouver dans une conviction commune que dans un acte de volonté individuelle se reproduisant pour chaque cas particulier. Enfin, cette explication s’accorde avec les principes généraux que nous avons posés sur la nature et les conditions essentielles du droit coutumier.

En effet, on reçoit comme droit coutumier les convictions communes des jurisconsultes (prudentium auctoritas)[110]. Sans doute, ceux-ci peuvent être l’organe spécial au moyen duquel la conscience commune du peuple vit et se développe (§ 14) ; mais il ne serait pas raisonnable de soumettre la nation entière aux volontés individuelles des jurisconsultes, et néanmoins le droit coutumier est fait pour la nation entière, non pour les jurisconsultes seulement. On donne encore comme signe caractéristique du droit coutumier l’uniformité des décisions judiciaires[111], et cela confirme mon explication, car on peut y voir autant de manifestations certaines des convictions communes, tandis que les volontés individuelles des juges ne sauraient lier la nation. Attribuer cet effet aux décisions judiciaires, indépendamment du droit coutumier, serait une grave erreur ; car il est dit, au contraire, que le juge ne doit pas se régler uniquement sur les præjudicia[112] ; d’où l’on voit que les præjudicia, sans influence par eux-mêmes, n’ont de valeur que comme monuments du droit coutumier. — Il est encore deux règles dont je dois faire mention : l’une, qu’une erreur constatée ne saurait fonder un droit coutumier[113] ; l’autre, qu’il faut recourir à la décision de l’empereur, si la coutume est encore trop nouvelle pour qu’on puisse la regarder comme l’expression certaine de la conviction générale[114]. — Voilà tout ce que le droit romain renferme sur les caractères essentiels du droit coutumier. Ainsi, par exemple, c’est un principe étranger au droit romain que la coutume doit être, comme simple fait, prouvée par celui qui l’invoque[115]

Quant aux effets de la coutume, le droit romain pose en principe qu’elle a force de loi, legis vicem[116]. D’après les explications données plus haut (§ 22), on voit que le droit coutumier a non-seulement l’autorité, mais aussi la généralité d’une loi, et qu’il n’est pas renfermé, comme le jus honorarium, dans les limites d’une juridiction, ni borné à un certain temps. Ce principe n’a rien d’incompatible avec l’existence d’un droit coutumier particulier, de même qu’une loi peut être rendue pour une ville ou pour une province.

L’action du droit coutumier peut s’exercer de deux manières tantôt il complète une loi dont l’expression est vague ou ambiguë[117] ; tantôt il règle une matière sur laquelle il n’y a pas de disposition législative[118]. Ce dernier cas présente fréquemment pour certaines parties du régime municipal, où souvent l’existence d’une règle certaine a plus d’importance que son contenu. Si donc la coutume d’une ville est muette sur un point semblable, on suit la coutume de Rome[119], moins à cause de sa prépondérance comme capitale de l’empire, que comme ayant été le berceau de la nation. Ainsi donc, à une époque où la nation romaine, embrassant un territoire immense, pouvait difficilement se former des convictions cominunes, Rome fut naturellement appelée à représenter la nation, et à continuer le droit populaire, là où ce droit était indispensable. Après la création de l’empire d’Orient, Constantinople fut investie du même privilège[120], non que cela fût justifié par un enchaînement de circonstances semblables, mais par suite de la parité établie entre les deux capitales. — Au reste, ce complément du droit admet divers degrés d’extension : tantôt il se restreint à une face jusqu’alors négligée d’une institution ancienne ; tantôt il crée une institution nouvelle, et, par là, il concourt au développement systématique du droit. C’est ainsi que la cura prodigi, la prohibition des donations entre époux, et la substitution pupillaire, doivent leur origine aux mores[121].

Le droit coutumier nous montre encore sa puissance en luttant contre une loi, soit qu’il la remplace par une autre, soit qu’il se contente de l’abroger. Ce principe, déjà contenu dans l’expression legis vis, se trouve d’ailleurs formellement exprimé[122], et, ce qui ne laisse aucun doute, on voit, à toutes les époques de l’histoire romaine, le droit coutumier exercer cette action de la manière la plus illimitée. Ainsi, les parties de l’édit du préteur qui corrigent le droit civil, et notamment la loi des douze Tables, sont autant d’innovations du droit coutumier, innovations dont la légitimité n’a jamais été mise en doute[123]. De même encore, on doit rapporter en partie au droit coutumier les effets de l’usus pour le mariage, le second chapitre de la lex Aquilia, et les interrogatoria actiones[124]. Justinien a reconnu plus d’une fois, et en termes si positifs, cette puissance du droit coutumier, qu’on a peine à concevoir que, sous l’empire de sa législation, on ait élevé un doute à cet égard[125]. Néanmoins on invoque en faveur d’une opinion contraire les deux motifs suivants plusieurs des texte cités disent que le droit coutumier s’applique à défaut de loi, et on en a conclu que le droit coutumier s’applique seulement en l’absence d’une loi. Ce système d’interprétation, toujours hasardeux, est ici repoussé par l’ensemble et le rapprochement des textes[126]. On trouve un argument plus plausible dans un texte du Code, qui décide que le droit coutumier ne doit jamais l’emporter sur une loi. Mais il s’agit ici du droit coutumier particulier, non du droit coutumier général, et l’on sait qu’une coutume particulière ne doit jamais prévaloir contre la disposition absolue d’une loi générale[127].

Ce qui précède était sans application pour le droit général des Romains antérieur à Justinien, car tout ce qui n’était pas inséré dans les compilations de l’empereur était par là mêmẹ abrogé. Mais cela s’appliquait au droit coutumier de l’avenir, et à toutes les coutumes particulières dans l’étendue de leurs limites légitimes, car elles sortaient du plan que Justinien s’était tracé, et la législation nouvelle ne porta aucune atteinte à leur autorité.

Comme cette espèce de source se retrouve dans le droit canon et dans les lois impériales, j’en dirai ici quelques mots en forme d’appendice.

Plusieurs textes du droit romain, relatifs au droit coutumier, sont insérés littéralement dans le droit canon, je n’ai donc pas à y revenir[128].

Les innovations se réduisent aux deux principes suivants :

1o La coutume que l’on veut appliquer doit être rationabilis. Cette expression assez vague, quand même on la rapprocherait de certains textes du droit romain, paraît signifier qu’il faut examiner la coutume et ne l’admettre que dispositions sont reconnues justes et sages. D’ailleurs ce principe n’est pas établi en termes généraux, mais à l’occasion d’un conflit entre la loi et la coutume[129].

2o La coutume doit être legitime ou canonice præscripta[130]. Quelques-uns pensent qu’il s’agit ici d’une véritable prescription, moyen dont la nature est mal appropriée à l’établissement d’une règle générale de droit, et dont l’application serait même impossible, car il y a bien des espèces de prescriptions, et, ici, on ne fixe aucun délai. Cette expression doit sans doute être prise, conformément au droit romain, dans le sens de longue durée, et alors legitime præscripta serait synonyme de longa ou diuturna.

Enfin, plusieurs lois de l’empire font mention du droit coutumier, mais elles se bornent à en recommander l’application, sans entrer dans aucun détail sur sa nature ou sur ses effets[131].

§ XXVI. Principes des Romains sur le droit scientifique.

On sait quelle considération entourait les jurisconsultes romains, dès les premiers temps de la république, et leur influence sur la formation. du droit[132]. Quand, à l’expérience’des affaires, ils joignirent l’autorité de la science, cette influence dut s’augmenter encore.

Auguste accrut et modifia cette influence en autorisant un certain nombre de jurisconsultes distingués à donner des avis que les juges devaient observer comme des lois (legis vice), tant qu’il n’existait pas d’avis contraire d’un autre jurisconsulte également autorisé[133]. D’un autre côté, les doctrines et les écrits des jurisconsultes ne perdaient rien de leur importance. Cités devant les tribunaux, ils avaient, non pas force de loi (legis vicem), mais une grande autorité morale, si les jurisconsultes privilégiés n’avaient pas donné d’avis sur la question, ou que leurs avis fussent contradictoires.

Gaius parle des consultations privilégiées comme d’une institution toujours subsistante. Elle cessèrent probablement quand la vie se fut retirée de la science. En effet, les jurisconsultes en réputation devenant tous les jours plus rares, ce privilège, concentré en peu de mains, eût exercé sur la juridiction une influence exorbitante, et telle est sans doute la raison pour laquelle on cessa de l’accorder.

Mais l’abolition de ce privilège ne porta aucune atteinte à l’autorité générale de la littérature du droit. Plus au contraire l’esprit scientifique dégénérait, plus ces grands monuments du passé devaient croître en importance. L’étendue immense de la littérature et ses nombreuses controverses firent bientôt sentir le besoin de soumettre son application à des règles certaines. Déjà Constantin paraît en avoir établi quelques-unes[134] ; mais on ne trouve là-dessus que des mesures incomplètes avant l’ordonnance de Valentinien III[135]. Il posa des règles pour reconnaître dans la pratique l’opinion commune des jurisconsultes, règles bien différentes des anciens principes sur l’unanimité des consultations, et cette ordonnance était encore en vigueur quand Justinien parvint à l’empire. Les règles de Valentinien III, sur l’application de la littérature scientifique, avaient levé bien des difficultés ; mais tous les obstacles n’étaient pas encore aplanis[136], et c’est ce qui détermina Justinien à l’adoption d’une mesure entièrement nouvelle, et beaucoup plus tranchante. Il fit extraire de toute la littérature du droit, sans égard aux exclusions prononcées par Valentinien, ce qu’il jugea nécessaire à l’exposition complète du droit, et notamment à l’administration de la justice. Ces extraits réunis en un volume, et promulgués comme lois, le reste fut aboli. Une partie du jus ainsi érigée en lex, rien ne demeura comme jus sous sa forme primitive, et toute littérature nouvelle fut prohibée à l’avenir. L’empereur ne permit que des traductions grecques des textes latins, et, comme secours mécanique, une indication du contenu des titres. Tout livre original, tout commentaire sur les lois, devait être détruit, et son auteur puni comme faussaire[137]. Pour conserver et propager la science, il ne resta plus que l’enseignement oral donné dans les écoles de droit, organisées par Justinien sur de nouvelles bases[138]. La prohibition des commentaires nous dit assez quel devait être cet enseignement. Sans doute le professeur ne pouvait se livrer à une recomposition originale des textes, et, par ce travail accompli sous les yeux de ses élèves, éveiller leur intelligence, et vivifier la science, car cela eût été en opposition directe avec la proscription de la littérature. L’enseignement devait se réduire à une opération mécanique, et le mérite du professeur se bornait à lever les difficultés subjectives qu’offrait à ses élèves un sujet si vaste et si nouveau pour eux. L’ensemble de ces règlements repose sur l’idée que la législation impériale répondait à tous les besoins, et que dès lors toute production nouvelle n’eût servi qu’à gâter l’œuvre du législateur.

Peut-être jugera-t-on ces prescriptions trop étranges pour les prendre au pied de la lettre, et cherchera-t-on à leur donner un sens figuré ou du moins adouci ; mais ce serait une erreur à mes yeux. Sans doute Justinien, à son avènement au trône, comme Frédéric II, en 1740, entendit résonner à ses oreilles des cris sur la confusion inextricable du droit, et sur l’urgence d’une réforme radicale. Un heureux hasard plaça auprès de lui des jurisconsultes tels qu’on n’en voyait pas depuis plus d’un siècle, et lui-même joignait à la connaissance du droit un esprit actif et avide de gloire. On voulut porter remède au mal le plus apparent, diminuer cette masse de littérature scientifique inaccessible à l’étude, et finir les controverses. Une semblable tentative n’avait jamais été faite, et, à la cour de Justinien, on pouvait croire de très-bonne foi avoir opéré la réforme la plus salutaire, et avoir prévenu, par la sévérité des lois, le retour des anciens abus. D’ailleurs on ne pouvait pas craindre d’étouffer la vie scientifique, comme cela fut arrivé si. Hadrien où Marc-Aurèle eussent eu la même pensée. La décadence de la science était trop visible, et il ne lui restait plus rien à perdre, Les peines prononcées par l’empereur, la destruction des livres et la défense d’en composer, sont des mesures étrangères à nos mœurs, et qui n’auraient pas la moindre chance de succès en présence de l’imprimerie et des communications établies entre les différents peuples de l’Europe. Mais si l’on rapporte au siècle où vivait Justinien la violence de ces mesures, on n’y trouve plus qu’une illusion profondément enracinée dans le cœur de l’homme en matière de science, et surtout de religion, celle d’imposer comme vérité exclusive les doctrines formulées par notre intelligence, et de sacrifier à la crainte de l’erreur la liberté d’examen. Justinien croyait fonder par sa législation un ordre de choses immuable, une formule de concorde[Trad 2] que rien ne devait plus troubler. Est-ce à nous de le juger bien sévèrement ? Nous avons treize siècles d’expérience, et cependant ceux qui accueillirent les nouveaux codes avec tant d’enthousiasme avaient au fond la même idée que Justinien, néanmoins sans la puissance ou la volonté de réaliser cette idée par des moyens aussi violents.

Je ne prétends nullement justifier la conduite de Justinien, mais la présenter sous un jour moins odieux. J’ai voulu surtout montrer que ses prescriptions doivent être prises à la lettre, et repoussent toute interprétation subtile ou forcée.

§ XXVII. Valeur pratique des règles du droit romain sur les sources du droit.

Après avoir exposé les principes du droit romain sur les sources du droit (§ 22-26), il me reste à chercher quelle valeur pratique ces principes ont aujourd’hui pour nous. Cette question se représente pour chaque État où le droit romain a été adopté, et se subdivise ainsi : Faut-il soumettre à ces règles le développement du droit (§ 21) qui s’est accompli depuis la réception du droit romain jusqu’à nos jours ? Faut-il soumettre à ces règles le développement futur du droit ? La première question s’applique au contenu véritable du droit commun actuel, la seconde aux modifications possibles de ce droit. Ces deux questions, ou plutôt ces deux faces de la même question, auront nécessairement une solution identique. Au premier abord, rien ne paraît plus naturel que de résoudre la question d’une manière affirmative. En effet, là où le droit romain est adopté, pourquoi n’adopterait-on pas ses principes sur l’importante matière de la formation du droit ? Les auteurs modernes ne posent pas même la question, mais ils la résolvent implicitement d’une manière affirmative, et, partant de ce principe, ils citent le droit romain, en se réservant néanmoins d’éviter les applications trop délicates.

Je vais dire en peu de mots ce qui résulterait de la solution affirmative de la question.

Quant à la formation des lois proprement dites (§ 23), il faudrait bien renoncer à la coopération du sénat, car, dans aucun pays de l’Europe il n’existe d’assemblée délibérante semblable au sénat de l’ancien empire romain, mais il faudrait chercher les caractères essentiels de la loi dans l’ordonnance de Théodose II. — Les rescrits émanés du souverain, dans une affaire particulière (§ 24), et que chaque juge doit observer comme lois, même en les renfermant dans les bornes de la législation des Novelles, présentent une difficulté plus grave. Plusieurs auteurs modernes nient formellement leur autorité[139]. D’autres s’en tiennent aux règles du droit romain, mais ils donnent à ces règles une signification tacite bien différente de celle qu’elles ont réellement. Ainsi, ils passent sous silence le point principal, l’autorité législative pour le cas particulier, et donnent aux rescrits force de loi pour l’avenir[140], force que n’ont jamais eue les rescrits, d’après les règles même du droit romain, mais seulement les décrets (§ 2324).

Quant au droit coutumier (§ 25), l’application du droit romain en général n’a jamais fait la matière d’un doute ; seulement, on a vu des auteurs, pour repousser une application particulière du droit coutumier conforme au droit romain, critiquer l’autorité de ce droit[141].

Quant au droit scientifique (§ 26), on passe ordinairement sous silence la prohibition des livres de droit faite par Justinien, et jamais auteur moderne n’a prétendu qu’on dût détruire ses livres, en vertu de la loi romaine ; une telle indifférence pour son propre ouvrage n’aurait pas eu d’excuse, et néanmoins, pourquoi cette loi aurait-elle moins d’autorité que les autres lois romaines sur des matières analogues ? En résumé, on voit que les jurisconsultes modernes tantôt admettent, tantôt passent sous silence, et toujours arbitrairement, les prescriptions du droit romain sur les sources du droit. L’ensemble de ces prescriptions étant impossible à observer, deux objections s’élèvent contre l’observation de chacune d’elles. D’abord il y a inconséquence ; à moins de dire que certains points, celui, par exemple, de la destruction des livres, ont été abolis par un nouveau droit coutumier. Ensuite il faudrait considérer que les règles dont on maintient l’application, isolées de celle qu’on rejette, changent peut-être de nature, et devraient elles-mêmes être rejetées.

Si l’on cherche à pénétrer plus avant, et si l’on se demande pourquoi certaines règles, notamment celles sur les lois, n’ont évidemment plus d’application aujourd’hui, on voit qu’elles rentrent dans le droit public, qui généralement n’a pas été adopté (§ 117). Ce principe n’est pas restreint à la législation, il embrasse encore toutes les autres sources du droit ; et si l’on veut s’y tenir rigoureusement, on reconnaîtra que le droit romain est également inapplicable à toutes les sources du droit ; dès lors, plus d’une controverse : celle, par exemple, sur le sens de la L. 2, C., quæ sit longa consuet., deviendrait sans intérêt pour la pratique. Tout ce que j’ai dit contre l’usage du droit romain, touchant la matière des sources, est également vrai du droit canon.

Quant aux lois de l’empire dans les États germaniques, elles embrassent le droit public aussi bien que le droit privé, mais on n’y trouve rien. qui se rapporte aux sources du droit, sinon la reconnaissance du droit coutumier (§ 25) faite en termes généraux, et qui d’ailleurs était superflue.

§ XXVIII. Des idées modernes sur les sources du droit.

C’est ici le lieu d’indiquer les points principaux sur lesquels mes idées diffèrent de celles généralement adoptées. Je me contenterai presque d’énoncer les opinions contraires, sans citer les auteurs, ni établir de controverse.

On donne ordinairement à la législation une place bien différente de celle que je lui assigne. Le plus souvent on la regarde comme la seule base vraie et légitime du droit, et les autres sources comme des compléments secondaires dont on voudrait pouvoir se passer. Dans ce système, la science du droit travaille sur un sujet contingent et variable, sujet dont elle dépend ; les progrès de la législation doivent tous les jours diminuer son importance, et même son dernier but serait de l’anéantir tout à fait. — La valeur exclusive attribuée aux codes complets dans les temps modernes, et les brillantes espérances qu’on y attache, sont des conséquences éloignées du même système. Néanmoins plusieurs, sans adopter ces conséquences ou y mettre autant de prix, tiennent au système lui-même, et on peut le regarder comme l’opinion générale des praticiens les plus distingués.

De la législation je passe au droit scientifique. Les anciens auteurs sont traités de nos jours d’une manière très-arbitraire et inégale. Tantôt on invoque leur autorité, tantôt on la repousse, dans aucun cas, on cherche à s’appuyer sur un principe. Surtout, les opinions des anciens praticiens sont souvent représentées comme s’ils eussent posé des règles immuables, applicables à tous les temps, et comme si chaque siècle n’avait pas sa part d’influence à exercer sur la formation du droit. C’est accepter sans s’en apercevoir la position que le siècle de Valentinien III occupait vis-à-vis des siècles antérieurs. Mais l’ordonnance de Valentinien était un fait positif qui, à aucune époque, ne s’implique de lui-même ; il tenait à la décadence de la science et à la torpeur générale des esprits, tandis que l’activité intellectuelle ne saurait être refusée à notre temps, quel que soit d’ailleurs le jugement que l’on en porte. Je ne puis me borner à résumer aussi sommairement les opinions des auteurs modernes sur le droit coutumier. J’ai même différé jusqu’ici à développer mes propres idées sur notre droit coutumier pratique (§ 18), parce qu’elles ne pouvaient être bien comprises que dans leurs rapports avec d’autres opinions généralement adoptées.

On croit communément que le droit coutumier n’est pas une source naturelle du droit, et qu’ainsi sa reconnaissance a besoin d’une légitimation spéciale. Pour les républiques, on dit que le populus (§ 10) qui adopte la coutume étant lui-même investi de l’autorité législative, la coutume repose nécessairement sur le consentement implicite du législateur (consensus tacitus specialis), et dès lors n’est autre chose qu’une loi tacite. Mais il en est autrement dans les monarchies, où le peuple qui fonde la coutume n’a aucune part au pouvoir législatif, et où le législateur, c’est-à-dire le souverain, ne participe pas à l’établissement de la coutume. Il faut en dire autant des monarchies constitutionnelles ; car peut-être aucun membre des deux chambres n’aura-t-il contribué à établir la coutume, et d’ailleurs la loi ne se fait pas sans le concours du souverain. Ici le droit coutumier se présente comme une espèce d’opposition des sujets contre le gouvernement, comme une usurpation du pouvoir suprême, ce qui appelle une justification expresse, et on la trouve dans le consentement du législateur. Ce consentement qui, dans les républiques, résulte de l’adoption même de la coutume, vient ici s’y ajouter extérieurement. Cela ne présente aucune difficulté pour les pays où le droit romain est en vigueur, car le droit romain reconnaît formellement l’autorité de la coutume, qui dès lors repose sur le consensus generalis expressus du législateur. Mais si la coutume vient à abroger une loi, la L. 2, C. quœ sit longa consuetudo semble exiger une condition nouvelle, et on la trouve dans le consensus specialis tacitus du souverain ; mais les auteurs ne sont pas d’accord sur l’application de ce principe. Les uns pensent que la tolérance de la coutume implique le consentement du souverain ; les autres exigent la preuve que le souverain en ait eu connaissance[142].

Tout ce que je viens de dire s’applique à l’autorité du droit coutumier en général. Mais pour chaque cas particulier, la simple coutume, c’est-à-dire la répétition des mêmes actes, est représentée comme l’unique fondement de la règle du droit, d’où l’on conclut que l’origine de chaque règle se rapporte nécessairement à des actes particuliers, déterminés, susceptibles de vérification. Ce point de vue étroit pourrait tout au plus s’appliquer aux coutumes locales, les seules, il est vrai, dont on s’occupe ordinairement ; mais les principales règles du droit coutumier moderne, qui revêtent à la fois les caractères du droit scientifique (§ 1820), échappent à ce point de vue.

Ces idées fondamentales ont eu la plus grande influence sur la solution pratique des questions particulières que cette matière renferme, et qui se rangent sous ces trois chefs : conditions essentielles, — preuve, — effets du droit coutumier.

§ XXIX. Des idées modernes sur les sources du droit. Suite.

Les conditions essentielles pour l’établissement d’un droit coutumier tiennent, en général, à la nature des actes individuels sur lesquels on établit ce droit (§ 28). Ces conditions n’ont donc qu’une application partielle au droit coutumier local, et, pour celui-ci même, les actes individuels ne sont pas le fondement du droit, mais les signes, les manifestations d’une idée commune de droit. Ces restrictions posées, on doit admettre comme vraies ces conditions essentielles, qu’il s’agit maintenant d’énumérer et d’analyser. On dit, en effet, que les actes propres à servir de base pour l’établissement d’un droit coutumier doivent réunir les caractères suivants.

1o Ces actes doivent être en pluralité. On a longtemps disputé sur le nombre. D’abord un seul acte ne suffit pas ; deux ne suffisent pas ordinairement, mais quelquefois par exception. Enfin, la plupart des auteurs abandonnent, et avec raison, ce point à la décision du juge. Le juge exigera donc, suivant les cas, un plus ou moins grand nombre d’actes ; mais, fidèle au principe que la pluralité des actes doit exprimer une conviction commune, il repoussera les faits particuliers et accidentels qui simuleraient cette apparence[143].

2o Ces actes doivent être uniformes et constants, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de coutume là où on trouve d’autres actes fondés sur une règle contraire ; cela s’entend de soi-même[144].

3o Ces actes doivent s’être répétés pendant un long espace de temps. La question de sa durée a été fort débattue. Les uns exigent cent ans, parce qu’il existe un texte où le mot longævum est pris pour centenaire. Les autres, en se fondant sur le droit canon, pensent qu’il s’agit d’une prescription ordinaire, du longum tempus, c’est-à-dire dix ans ; car le peuple ou le prince auxquels on oppose la prescription étant toujours présents, il n’y a pas lieu à la prescription de vingt ans. Pour prescrire contre le droit canon, contre l’Église, on exige quarante ans ; contre le souverain un temps immémorial. Plus tard, on s’est accordé à ne fixer aucun délai, et à s’en rapporter à la prudence du juge. Ce parti était le plus raisonnable. Ici, de même que pour le nombre des actes, le seul danger dont on ait à se garantir est celui de prendre, comme signes d’une conviction commune, des faits individuels accidentels et passagers[145].

4o Ces actes peuvent être des décisions judiciaires : c’est un principe généralement admis. Quelques-uns même ont prétendu que les décisions judiciaires étaient indispensables pour l’établissement d’un droit coutumier[146] ; mais cette opinion est justement rejetée par la plupart des auteurs. Je vais plus loin encore, et je dis que les jugements mêmes ne servent pas toujours de base au droit coutumier, et qu’il faut leur appliquer, tout en ayant égard à leur caractère spécial, les principes posés plus haut (§ 20) sur les travaux pratiques des jurisconsultes. Si donc un jugement applique un droit coutumier, c’est un témoignage grave de l’existence de ce droit. Il en est de même s’il reconnaît comme vraie une règle de droit sans faire mention de son origine. Mais si un jugement emprunte unie règle à une théorie vicieuse, ce jugement reste dans le domaine de la théorie, et ne saurait être reçu comme témoignage d’une conviction commune de droit.

5o Les auteurs de ces actes doivent avoir conscience de leur nécessité comme droit (necessitatis opinio). Si donc plusieurs personnes répètent pendant un long temps des actes de pure libéralité, cela n’établit pas de droit coutumier, car le donateur et le donataire savaient qu’ils pouvaient, en vertu de leur libre arbitre, omettre ou modifier ces actes. Ce principe est le plus important de tous, et j’aurai bientôt occasion d’y revenir. J’ai déjà cité (§25, note d) les textes de droit romain qui l’expriment formellement. C’est par suite de ce principe que les jugements nous apparaissent comme des manifestations du droit coutumier, car le juge doit suivre le droit et non sa volonté. Les contrats sont moins propres à ce but, car il entre dans les contrats un élément d’arbitraire : néanmoins ils peuvent être des monuments du droit coutumier, s’ils supposent la reconnaissance d’une règle de droit, ou s’ils en font l’application directe[147].

6o Ces actes ne doivent pas reposer sur une erreur. Ce principe écrit dans le droit romain[148] a donné lieu à une confusion d’idées inextricable. En effet, si la règle devait être établie par la coutume, elle n’existait pas encore quand le premier acte a été fait. Si, d’un autre côté, ce premier acte devait être accompagné de la necessitatis opinio, il repose évidemment sur une erreur, et ne peut être compté parmi les actes établissant la coutume. Or, ce raisonnement s’applique aussi bien au second acte devenu le premier, au troisième et ainsi de suite ; d’où il résulte qu’à moins d’abandonner l’une ou l’autre de ces règles, l’établissement du droit coutumier est impossible. La contradiction est tellement évidente, que quelques-uns ont admis l’erreur comme nécessairement liée à l’origine du droit coutumier, sans réfléchir que cette idée est incompatible avec la doctrine de Celsus[149].

Dans mes principes, il n’y a aucune contradiction, puisque la règle de droit est, non pas engendrée, mais seulement manifestée par la coutume. Ainsi la necessitatis opinio, sans aucune erreur, pouvait et devait exister et devait exister quand le premier acte a été fait. Ce principe souffre cependant des restrictions. Si, par exemple, on rattache à une fausse théorie une conviction commune du peuple (§ 20), la règle fondée sur cette conviction commune subsiste indépendamment de la fausse théorie. De même encore un acte peut être tellement extérieur et si indifférent en lui-même, qu’il soit inutile de lui chercher pour base une conviction commune réfléchie. Ainsi on reconnaît aujourd’hui que, pour la signature et le sceau des témoins, il s’est introduit depuis le moyen âge une forme erronée étrangère au droit romain ; mais cette forme vicieuse, consacrée par une longue coutume, n’en est pas moins légale[150].

7o Ces actes doivent être raisonnables (rationabiles). J’ai cité (§25, note z) les textes de droit canon où ce principe est établi. Si on lui donne un sens positif, et que l’on permette au juge d’apprécier le mérite et la sagesse de la règle contenue dans la coutume, un pouvoir aussi illimité compromet beaucoup la certitude du droit. C’est pourquoi on donne ordinairement à ce principe un sens négatif ; alors il est uniquement dirigé contre les coutumes tout à fait déraisonnables et repoussées par le sens moral[151]. Cette interprétation, moins dangereuse pour la pratique, paraît se conformer à un texte de la Caroline, qui signale et condamne plusieurs coutumes « mauvaises et insensées[152] ». Mais il ne résulte pas de ce texte que les mauvaises coutumes soient nulles par elles-mêmes, et non susceptibles d’application : l’empereur, au contraire, en prenant soin de les abolir, reconnaît leur autorité antérieure, à moins qu’on ne veuille accuser la loi d’une grande impropriété de langage.

Si l’on combine ces trois derniers caractères que doit nécessairement réunir le droit coutumier, on obtient les résultats suivants. La règle est engendrée par une idée de droit dont le peuple a la conscience commune, ou par la conviction directe que la règle est vraie et obligatoire en elle-même, indépendamment de toute sanction extérieure. Cette conviction peut se manifester par la répétition des mêmes actes, en d’autres termes par la coutume. Ainsi, ces actes ne doivent pas être purement volontaires, des libéralités, par exemple, ou des délits souvent répétés, car les délinquants ont conscience de leur injustice et de leur libre arbitre. Ces actes ne doivent pas reposer sur une erreur constatée, car alors manquerait cette conviction directe qui est ici le point essentiel[153]. Un exemple va rendre la chose sensible. Si un juge applique une des Novelles non glosées, parce que dans son édition elles n’ont pas de signe distinctif apparent (§ 17), et que d’autres juges suivent son exemple, cela ne constitue pas une coutume.

Dire qu’un acte erroné ou déraisonnable ne peut servir de base à un droit coutumier, c’est rentrer dans la necessitatis opinio, c’est poser une règle qui n’est que la conséquence et le développement de ce principe général. Comme la juste appréciation de la nature du droit coutumier repose sur ce principe, il est bon de l’éclaircir par quelques exemples. Le droit romain défend l’anatocisme si ce genre d’usure s’établissait quelque part en se cachant habilement, cela ne constituerait pas un droit coutumier, car une semblable dissimulation est incompatible avec une conviction loyale. D’un autre côté, les commerçants sont dans l’usage, à la fin de chaque année, quelquefois même à une époque plus rapprochée, de balancer leurs comptes, et d’en passer le solde à nouveau compte, solde qui porte immédiatement intérêt, quoique les intérêts de la période précédente y figurent pour partie. Cet usage est contraire au droit romain ; mais partout cela se fait au grand jour, et ne pourrait se faire autrement sans nuire à la simplicité de la comptabilité commerciale ; d’ailleurs cet usage n’est pas contraire à l’esprit de la loi romaine. La prohibition du droit romain est donc abolie par l’usage général du commerce, et peu importe de savoir combien de commerçants s’en rendent un compte exact, car tous obéissent au sentiment de la nécessité et agissent avec une entière bonne foi.

Si l’on résume ces conditions essentielles du droit coutumier, on voit qu’elles s’appliquent non-seulement aux coutumes locales, mais à un sujet d’une plus haute importance, au droit coutumier général des temps modernes ; car la distinction posée plus haut entre les différentes parties de la pratique du droit, les unes reposant sur une fausse théorie, les autres sur une juste appréciation des circonstances et des nouveaux besoins (§ 20), cette distinction n’est autre que la réalisation des principes développés ici. La fausse théorie est une error, non ratione obtentus, et dès lors incapable de valoir et d’agir comme droit coutumier : la pratique créée par les besoins de la civilisation moderne se fonde sur la ratio, la necessitatis opinio, et dès lors a l’autorité d’un droit coutumier véritable, quand même la théorie aurait mêlé à son établissement plus d’une erreur historique.

8o Enfin, plusieurs auteurs donnent, comme condition essentielle du droit coutumier, la publicité des actes particuliers qui l’établissent. Le caractère apparent ou caché de certains actes a sans doute de l’influence sur le droit coutumier : j’en ai cité des exemples ; mais cela se réduit à dire que ces actes sont plus ou moins propres à manifester la conviction commune qui leur sert de base. Ceux qui attachent une importance spéciale à la publicité ont en vue le consensus populi ou le consensus principis, et partent d’une erreur fondamentale sur la nature du droit coutumier (§ 28), d’où je conclus que la publicité des actes n’est nullement une condition essentielle du droit coutumier[154].

§ XXX. Des idées modernes sur les sources du droit ; suite.

Quand on parle de la preuve d’un droit coutumier, relativement à la pratique, on se figure un procès où ce droit est invoqué par une des parties, et l’on demande comment le juge pourra avoir la preuve de son existence. Une réponse satisfaisante à cette question n’est possible qu’après avoir résolu la question plus générale de savoir comment, indépendamment de tout procès, la reconnaissance d’un droit coutumier vient à s’établir[155].

Si notre esprit se reporte aux membres de la communauté au sein de laquelle le droit coutumier prend naissance, se développe et agit (§ 78), la question se résout d’elle-même. La reconnaissance du droit est pour eux un fait immédiat, puisque le droit lui-même repose sur leur conscience commune, et en ce sens tout droit coutumier est un fait de notoriété[156]. Et qu’on ne dise pas que c’est trop prouver, car alors il n’y aurait jamais d’incertitude ou de débats possibles sur l’existence d’un droit coutumier ; toute la question est de savoir pour qui et dans quelles limites existe la notoriété. Rien de plus notoire que la langue d’un peuple, et néanmoins un voyageur étranger pourra n’en pas connaître un seul mot. Il en est de même du droit coutumier. Pour ceux placés en dehors du cercle de la communauté, sa connaissance ne peut être que médiate et artificiellement acquise. Mais il n’est pas besoin d’aller chercher un étranger : au sein même de la nation, les impubères, et, pour beaucoup de matières, les femmes, se trouvent précisément dans le même cas. Ainsi dans la communauté même où le droit coutumier prend naissance, nous devons distinguer deux classes de personnes, les unes initiées, les autres étrangères à la connaissance commune du droit, toutes soumises à l’empire de la coutume. Le nombre de ces initiés varie selon les matières, et aussi selon le caractère et le degré de civilisation de chaque peuple ; mais il ne faut pas voir en eux des jurisconsultes : ce sont des hommes ayant la connaissance immédiate du droit coutumier ; de même, sur cette connaissance immédiate du droit repose l’ancienne institution des échevins germaniques qui formaient un corps d’initiés.

Il s’agit maintenant de savoir comment les personnes hors du cercle des initiés, soit pour le besoin d’une affaire, soit dans le désir de s’instruire, parviennent à la connaissance médiate du droit coutumier, la seule accessible pour elles. D’abord, elles peuvent connaître le droit par son application réelle, et j’ai dit (§ 29) quels caractères devait alors réunir la pratique. Elles peuvent ensuite le connaître par le témoignage des initiés qui en ont la connaissance immédiate. Ce témoignage peut être demandé et obtenu pour la solution actuelle d’une question de droit particulière ; il peut encore être rendu sur des matières générales, rédigé par écrit, et devenir ainsi susceptible d’une application plus large et plus durable.

Les déclarations des anciens échevins (Weisthümer)[157] nous fournissent un exemple de semblables témoignages rendus pour un besoin spécial du temps présent. Cet usage n’était pas non plus étranger aux Romains, et nous en avons un monument remarquable. Justinien fut supplié de rendre une loi nouvelle sur le fœnus nauticum, le prêt à la grosse aventure. Il chargea un fonctionnaire public de faire une enquête sur les règles suivies pour ce genre de contrat, de recueillir les témoignages des commerçants, sous la foi du serment, et, d’après ces témoignages, il rendit une loi confirmative de la coutume[158]. Une semblable enquête sur le droit coutumier peut se faire encore aujourd’hui, à propos d’une espèce particulière ; j’en parlerai tout à heure, et je montrerai quelle marche le juge doit suivre si le droit coutumier est douteux.

Parmi les actes destinés à constater le droit coutumier d’une manière générale et pour l’avenir, il faut ranger d’abord un grand nombre de déclarations d’échevins, qui n’ont pas été faites à l’occasion d’une espèce particulière ; puis les anciennes lois populaires, et plus tard les livres de droit ; en Allemagne le droit municipal et territorial ; en Italie les statuts des villes, et en France les coutumes. Sans doute dans ces divers recueils plus d’une disposition législative vient compléter la coutume, et par la suite des temps on s’en servit comme de lois véritables, et ainsi tomba en oubli leur destination primitive, la constatation du droit coutumier.

Il serait à désirer, pour conserver et propager le droit coutumier moderne, que nous eussions de semblables recueils composés dans le même esprit. Tel est le véritable but des codes dits provinciaux ; ils se distinguent des codes généraux en ce qu’ils n’embrassent pas le système du droit dans son ensemble, mais se bornent à certaines matières dont le rédacteur de ces codes a une connaissance spéciale qui le rend maître absolu de son sujet. Mais ce ne serait pas l’œuvre d’un jour, un travail à achever comme une affaire ordinaire qui demande une prompte expédition ; ce serait une œuvre lente et progressive, dont la marche devrait se régler sur la jurisprudence des tribunaux supérieurs. Le succès tiendrait au choix des rédacteurs, qui auraient à se défendre d’une double préoccupation : un penchant exclusif pour la centralisation et l’uniformité du droit, qui, d’ailleurs fort commode pour le juge, facilite beaucoup l’inspection générale du mécanisme des affaires ; puis un amour trop vif de la couleur locale et de l’antiquité pour elle-même. Sans doute, l’amour de l’antiquité est une belle et bonne chose moins belle pourtant que la vérité pure, moins bonne la satisfaction que d’un besoin de l’humanité. Ce travail, pour réussir, devrait être exécuté dans le même esprit que les anciennes déclarations d’échevins : surtout il ne faudrait pas négliger le témoignage des personnes étrangères à la science du droit car souvent, malgré leur défaut de théorie, c’est chez elles que l’on trouverait l’intuition la plus vive de sa réalité (note c).

Après ces considérations générales sur les signes distinctifs du droit coutumier, voyons maintenant quelle est la position du juge chargé de l’appliquer. On regarde ordinairement le droit coutumier comme un fait, et on l’assimile à tous les faits susceptibles de constituer un droit, à un contrat, à un testament, par exemple. Si le juge ne peut admettre un fait qui ne soit allégué et prouvé par une des parties, le droit coutumier doit être, pour son allégation et sa preuve, soumis aux mêmes règles que tous les faits en général, que les contrats et les testaments. Ce principe, adouci, il est vrai, par quelques auteurs de manière à rendre son application moins choquante, doit être entièrement rejeté[159].

Tout rapport de droit se compose de deux éléments, l’un général, l’autre particulier ; l’un est la règle de droit, l’autre le fait qui donne lieu à l’application de la règle (§ 5). Le juge peut et doit connaître la règle (jus novit curia), mais il peut et doit ignorer le fait, tant que le fait ne lui a pas été déféré et prouvé par une des parties. Cette distinction subsiste, soit que la règle émane de la loi, du droit coutumier ou du droit scientifique. La doctrine que je combats confond ces deux éléments constitutifs du rapport de droit, elle applique à la règle ce qui n’est vrai que du fait, c’est le fait particulier seul dont les règles de la procédure exigent la preuve ; et c’est ce caractère spécial du fait particulier qu’exprime le mot fait pris dans son sens technique.

Mais ce mot, comme toute expression, technique qui restreint le sens primitif d’un mot, prête à l’équivoque, et voilà ce qui a causé ou du moins confirmé l’erreur. Ainsi, le mot fait, pris dans un sens plus général, peut s’appliquer à l’établissement d’un droit coutumier, et tel est le sens donné au mot fait par les partisans de l’opinion que je réfute. Mais, pour être conséquents, ils devraient étendre ce principe à la loi, car la loi aussi repose sur le fait de la promulgation, et dès lors le juge ne devrait appliquer aucune loi, si une des parties ne l’alléguait et n’en prouvait l’existence ainsi que le contenu. Voilà ce qu’on n’a jamais avancé, bien que, considérés sous ce point de vue général, la loi et le droit coutumier aient une nature identique. Si, laissant de côté la discussion des principes, on cherchait dans le droit romain la confirmation de cette doctrine[160], on ne réussirait pas davantage, car en fait le droit romain ne contient aucune disposition sur la preuve du droit coutumier.

Il y a néanmoins dans cette doctrine un élément de vérité. J’espère, en le reconnaissant et le réduisant à sa juste valeur, réfuter d’une manière complète l’erreur qui s’y mêle[161]. Le droit, dans les temps modernes, a revêtu un caractère artificiel ; on exige du juge des études scientifiques, on le soumet à diverses épreuves, qui lui donnent une position bien différente de celle des anciens échevins. Ceux-ci rendaient sur chaque procès témoignage du droit vivant, dont ils avaient, comme tous les membres de la nation, la conscience immédiate, seulement peut-être plus nette et plus distincte, par suite de l’habitude des affaires. Aujourd’hui, si d’un côté nous demandons au juge davantage, de l’autre nous devons demander moins. S’il a besoin, pour juger, d’une science péniblement acquise, nous ne pouvons prétendre qu’il ait, comme les anciens échevins, cette conscience immédiate du droit que donnent les communications de la vie réelle[162]. La position du juge vis-à-vis de la législation ou du droit scientifique n’est donc pas la même que vis-à-vis du droit coutumier. Le juge peut et doit connaître la législation et le droit scientifique ; s’il les viole par ignorance, il manque à son devoir ; mais en matière de droit coutumier ses obligations sont moins rigoureuses. Le plaideur, qui craint de voir omettre à son préjudice une règle du droit coutumier, doit produire cette règle et imposer sa conviction au juge ; autrement le juge n’est pas répréhensible, et le plaideur doit imputer à sa négligence ou à sa maladresse le préjudice qu’il éprouve.

Ici se révèle la ressemblance pratique du droit coutumier et du fait proprement dit, car le fait doit être allégué et prouvé. Mais il y a loin de cette ressemblance à une assimilation complète, et il existe entre ces deux ordres de faits des différences pratiques essentielles[163]. Le juge ne peut suppléer le fait qui ne lui est pas dénoncé par la partie, il doit suppléer le droit coutumier, quelle que soit la manière dont il en ait connaissance. Les faits du procès doivent être présentés dans de certains délais et suivant certaines formes déterminées par les règles de la procédure ; mais le droit coutumier peut, en tout état de cause, influer sur le jugement, et le juge peut, en cette matière, admettre toute espèce de preuves. Sous ce point de vue, le droit coutumier est absolument semblable aux lois étrangères, dont parfois dépend la décision d’un procès. La connaissance de ces lois n’est pas obligatoire pour le juge ; les parties doivent les rechercher et les produire comme le droit coutumier, ce qui, du reste, ne les assimile pas aux faits proprement dits. Si dans un procès se présente une question de droit coutumier, le juge, pour en prendre connaissance, peut se déterminer suivant les circonstances ; il peut chercher sa conviction dans la pratique, si elle réunit les caractères que j’ai exposés plus haut (§ 29) ; il peut consulter les personnes immédiatement initiées au droit coutumier : alors elles figurent comme experts, non comme témoins, car elles n’ont pas à déposer sur un fait matériel[164]. L’adoption de ce moyen ne saurait passer pour une application directe de la Novelle où il en est parlé (note d), car Justinien ne prescrit pas au juge la marche à suivre pour s’enquérir d’un droit coutumier ; seulement il expose comment lui-même s’y est pris, dans un cas particulier, pour rendre une loi conforme à la coutume. Mais le juge qui suit cet exemple entre dans l’esprit de nos lois, et, sous ce rapport, la Novelle de Justinien peut être regardée comme autorité. — Si la règle de droit coutumier, débattue au procès, avait déjà été appliquée dans une autre espèce, et que le même juge ou tout autre tribunal, après un mûr examen, eût reconnu la règle comme vraie, ce jugement antérieur serait une autorité grave, un témoignage officiel qui abrégerait ou même finirait les débats, car, dans la première affaire, l’opposition de la partie adverse a dû nécessairement éveiller l’attention du magistrat. Aussi Ulpien conseille-t-il au juge de rechercher tout d’abord si la coutume se trouve confirmée par une décision antérieure[165].

N’oublions pas néanmoins que cette différence, dans la mise en œuvre des sources, ne tient pas à la nature même du droit coutumier, mais à l’imperfection de notre jurisprudence, imperfection dont nous ne sommes pas responsables, et que nous devons corriger de notre mieux. Cette espèce de déviation, que la nécessité nous impose, doit donc être renfermée dans des bornes. aussi étroites que possible. D’abord elle est inapplicable aux coutumes faisant partie du droit commun. Toutes ces coutumes, sans aucune exception, sont reconnues par la science qui leur a servi d’intermédiaire, et n’ont pas ce caractère de popularité, le seul difficile à saisir. Ainsi, quand un plaideur soutient que le nudum pactum donne lieu à une action, que les leges restitutæ du Code et les prescriptions du droit public des Romains n’ont pas d’autorité pratique, ce sont là des principes du droit coutumier commun ; mais jamais juge n’en fera le sujet d’une enquête, jamais il n’exigera de preuves ou de témoins de leur application. — Le droit coutumier. local est donc le seul pour lequel il faille recourir à ces voies exceptionnelles, et encore en serat-on dispensé, si par bonheur il existe des recueils généraux réunissant les conditions que j’ai énumérées, où se trouvent consignées les règles de la coutume. De semblables recueils, composés de nos jours, lèveraient toutes les incertitudes, car, sans doute, leur autorité serait confirmée par l’autorité législative.

Enfin, quant à ses effets, le droit coutumier devait être mis sur la même ligne que les lois, car le droit romain, qu’on prend ici pour type, le dit expressément ; mais, dans ses applications particulières, le droit coutumier devait exercer son action de différentes manières, selon qu’il existait déjà une loi sur la question, ou qu’il n’en existait pas. Dans ce dernier cas point de difficulté, car, évidemment, le droit coutumier comblait une lacune de la loi. Dans le second cas, si la coutume était en opposition avec une loi, d’après le principe d’égalité établi entre la législation et le droit coutumier, la règle la plus récente devait l’emporter, quelle que fût son origine. La L. 2, C. quæ sit longa consuet., laissait des doutes sur ce point ; mais la plupart des auteurs ont reconnu au droit coutumier la puissance de modifier la législation, sauf de rares exceptions qu’ils fondent sur cette loi du Code[166].

Quelques auteurs modernes distinguent si la loi a été simplement abolie par le non-usage (desuetudo), ou remplacée par une disposition nouvelle (consuetudo abrogatoria) ; pour ce dernier cas, ils reconnaissent l’autorité de la coutume, et ils la nient formellement pour le premier[167]. Mais, dans le texte cité du Code, on ne trouve pas même l’apparence de cette distinction ; car, si on le prend à la lettre, il s’applique également aux deux cas. En effet, une coutume qui adoucit ou aggrave la peine prononcée par une loi ne subjugue (vincit) pas moins la loi que celle qui anéantit la pénalité tout entière et déclare licites des actes autrefois défendus. Cette distinction n’est pas fondée davantage sur la nature du droit coutumier. Sans doute, le mot desuetudo cache parfois un fait qui n’a rien de commun avec le droit coutumier, je veux dire la non-application d’une loi pendant un long espace de temps, faute de matière pour son application. Ce fait négatif ne manifeste aucune conviction de droit et n’établit aucun droit coutumier. Mais si les cas prévus par la loi se fussent présentés, et qu’on eût négligé de s’en servir, cet abandon de la loi passé en coutume serait aussi efficace pour l’abolir que si une coutume positive l’eût remplacée par une règle contraire. On peut même dire que toute desuetudo implique une règle inverse. Ainsi, par exemple, la prohibition de l’anatocisme, levée pour les comptes courants du commerce, est une desuetudo ; mais elle fait revivre la règle générale sur la validité des stipulations d’intérêts, qui ne sont pas formellement prohibés.

Si une coutume locale se trouve en opposition avec l’intérêt de l’État ou avec une loi générale absolue, cette coutume, quand même elle serait postérieure à la loi, n’a aucune autorité ; et ce principe ne dérive pas seulement du texte du Code, sainement interprété (L. 2, C. quæ sit longa consuet.), il tient à la nature même des rapports entre l’État et ses diverses parties[168]. Ainsi, par exemple, une nouvelle loi sur l’usure. serait une loi générale dont l’application ne pourrait être entravée par aucune coutume locale, antérieure ou postérieure à sa promulgation.

§ XXXI. Principes des législations modernes sur les sources du droit

Les doctrines des auteurs modernes, exposées précédemment, ne pouvaient demeurer sans influence sur les codes qui ont été faits de nos jours. Il s’agit maintenant de rechercher comment les auteurs de ces codes envisagent les sources du droit.

Le code prussien, le premier en date, abolit le droit commun antérieur, se pose comme source exclusive du droit, et, en effet, il devait renfermer tout ce qui était encore susceptible d’application[169]. — Puis il règle la formation des lois futures et le mode de leur publication[170] ; dispositions très-raisonnables, puisque le Code embrassait plusieurs matières du droit public ; mais ces dispositions furent bientôt trouvées insuffisantes et remplacées par d’autres. — Le droit coutumier général, jusque-là en vigueur, était compris dans l’abolition du droit commun quant aux coutumes locales, celles encore susceptibles d’application devaient être recueillies. dans un délai de deux ans, et, avec les lois provinciales, former des codes provinciaux. Les coutumes locales, exclues de ces recueils, ne devaient être admises que comme compléments du Code, et pour le petit nombre de cas où le Code y renvoie[171]. Le Code est muet sur la formation du droit coutumier pour l’avenir ; mais, d’après les dispositions précédentes, ce ne pouvait être qu’un droit coutumier local. — Enfin, relativement au droit scientifique, le Code s’exprime ainsi : « On ne doit avoir aucun égard, pour la décision d’un procès, aux opinions des jurisconsultes ni aux jugements antérieurs des tribunaux[172]. » Malgré la généralité de cette dernière expression, il faut sans doute entendre la jurisprudence (præjudicia), et non l’autorité de la chose jugée ; et quand le Code défend d’avoir égard aux opinions des jurisconsultes, cela veut dire qu’elles n’ont aucune force obligatoire comme lois ; mais l’influence morale qu’elles exercent sur la conviction du juge, quelquefois même à son insu, aucune loi ne saurait l’interdire.

Le droit public est en dehors du Code français ; aussi ne trouve-t-on dans ce Code aucune disposition directe sur le sujet qui nous occupe. L’abolition du droit antérieur sur les matières faisant l’objet du nouveau Code fut prononcée par une loi particulière[173]. Le Code se borne à cette disposition indirecte, fort importante, que le juge ne peut se dispenser de juger sous prétexte du silence ou de l’obscurité de la loi[174]. De cette disposition résulte que, dans de semblables cas, la loi s’en remet à la prudence du juge, et comme la cour de cassation réprime les abus de cette liberté, l’ensemble de ces dispositions forme un système bien lié. Pour certaines matières spéciales, les servitudes et le louage, le Code renvoie aux coutumes locales et aux règlements particuliers[175]. Le Code ne dit rien sur la formation du droit à l’avenir, mais son silence s’interprète aisément ; toute coutume générale est interdite, les coutumes locales sont permises pour les cas spéciaux prévus par le Code.

Le Code autrichien abolit le droit commun, et nommément les coutumes, par l’acte de promulgation de 1811. Ce Code, consacré exclusivement au droit privé, ne contient aucune disposition sur la législation. Les coutumes ne sont applicables que si la loi y renvoie expressément. Quant aux décisions judiciaires, on se borne à dire qu’elles n’ont pas force de loi, qu’elles n’ont d’effet que pour le cas où elles sont rendues, et entre les parties [176].

Dans tous ces Codes, les dispositions les moins importantes sont celles relatives à la législation et au droit coutumier ; à la législation, parce qu’il faut en chercher ailleurs le complément nécessaire ; au droit coutumier, parce que ce droit, sous sa forme populaire primitive, et dégagé du droit scientifique, ne se trouve presque plus dans les temps modernes. Le rapport des coutumes locales au droit général est très-remarquables, mais hors de mon sujet. Une chose plus remarquable encore, c’est le rapport établi entre les nouveaux Codes et la science, l’influence que conservent la littérature et la jurisprudence sur l’administration de la justice ; c’est le développement du nouveau droit d’après l’intelligence de son esprit, confié à la magistrature ; non que là-dessus les textes soient positifs, ils n’en disent rien ou presque rien, mais ce développement était désiré, attendu, préparé par le législateur, et il s’est effectivement accompli.


Ici nous voyons une différence notable (§ 21). En Prusse, la réforme n’avait aucun motif politique, le législateur agissait uniquement dans l’intention bienfaisante de corriger une législation défectueuse et de la remplacer par une meilleure. Le mal se faisait surtout sentir dans le domaine de la littérature. Sans doute on y trouvait de la science et des recherches, c’est-à-dire de bons éléments, mais elle était incohérente ; et la partie pratique de la science du droit, au-dessous du développement général intellectuel, avait perdu son autorité morale. Rompre complétement avec cette littérature semblait utile et même nécessaire ; ainsi donc une pensée semblable à celle de Justinien (§ 26) dominait l’entreprise, sauf les différences tenant à l’indépendance et aux lumières de la civilisation moderne. Aussi, loin de songer à proscrire la science, on voulait fonder sur le Code une science nouvelle, comme on le voit à ses développements et à ses formes didactiques. Le but négatif du législateur fut immédiatement atteint, par l’abandon presque total de l’ancienne littérature ; mais, pendant près de quarante ans, la science semblait se refuser à naître ; depuis quelques années seulement commence un mouvement intellectuel qui donne les meilleures espérances. L’objet direct du nouveau Code était de fonder l’uniformité de la pratique sur des règles exclusives et complètes. Pour juger si cet objet a été rempli, il faudrait comparer la jurisprudence des tribunaux ; les matériaux scientifiques de ce travail nous ont longtemps manqué ; des mains habiles commencent aujourd’hui à les recueillir[177].

En France, l’état des choses était bien différent (§ 21). Les imperfections de la jurisprudence ne paraissaient nullement intolérables ; mais le nouveau Code était un développement naturel de la révolution. La révolution voulait détruire les anciennes institutions, effacer la distinction des provinces, et le Code avait pour but d’abolir les différences locales et de fonder l’unité de la France dans le domaine du droit. La France, avant la révolution, était bien inférieure à l’Allemagne pour la théorie du droit, bien supérieure pour la pratique. L’éloquence du barreau, le contact des mœurs raffinées de la capitale, l’éclat et l’influence des parlements, tout contribuait à donner aux fonctions des juges et des avocats un caractère d’intelligence et de noblesse, et à entourer leur personne de considération.

Les rédacteurs du Code ne voulurent pas abolir l’ancienne jurisprudence, et, sans doute, ils comptaient sur la durée de son action quand ils traitaient si brièvement plusieurs matières très-importantes du droit. Leur attente n’a pas été trompée la littérature nouvelle se lie tellement à l’ancienne, que l’on a peine à croire qu’elles soient séparées par le grand événement de la promulgation d’un Code. De tous les éléments de la vie publique, le droit civil est peut-être celui que la révolution ait le moins ébranlé et le moins modifié.

Ici encore se révèlent l’esprit des différentes nations, leurs qualités et leurs défauts. C’est aux gouvernants à apprécier les besoins de chaque peuple, et la nature des facultés dont ils disposent pour accomplir de grandes choses. Ainsi, en Allemagne, il ne conviendrait pas de laisser au droit ce libre développement qu’il eut pendant le moyen âge, depuis, longtemps encore, et d’où est sortie la pratique moderne. D’un autre côté, il ne conviendrait pas non plus de confier ce développement du droit à une classe de fonctionnaires supérieurs, aux ministres de la justice, par exemple, qui traiteraient cet objet comme les affaires courantes demandant une prompte expédition. La science sans la pratique, ou la pratique sans la science, ne sauraient atteindre le but, il faut la réunion de toutes deux. On pourrait, dans chaque grand État, former une commission législative, composée de savants jurisconsultes et de praticiens expérimentés, qui entretiendraient des relations continuelles avec la haute magistrature, et recueilleraient les résultats de la jurisprudence. Une semblable institution réaliserait avec connaissance de cause, et dès lors plus sûrement, ce que les siècles antérieurs ont fait sans s’en rendre compte. Cette institution aurait, sous une forme bien-différente, précisément les mêmes effets que la révision annuelle du droit romain par l’édit du préteur. Je ne parle ici que des développements intérieurs du droit qui s’accomplissent en vertu de sa force organique (§ 7). Cette institution pourrait encore satisfaire avec réflexion et intelligence beaucoup de besoins qui, autrement, réclament l’intervention du législateur (§ 13). Pour prouver que la distinction ici établie n’est pas arbitraire, mais fondée sur l’expérience et généralement admise, sinon rigoureusement posée, je citerai les pays où plusieurs pouvoirs politiques concourent à la confection de la loi, la France et l’Angleterre. Malgré la jalousie avec laquelle chacun de ces pouvoirs veille au maintien de son autorité législative, ce développement intérieur et tacite du droit est tellement hors de controversé, qu’on le laisse s’accomplir de lui-même et sans obstacle. Néanmoins, si une institution touche à des intérêts politiques, elle exige une forme plus précise et rentre dans le domaine de la législation. Il faut en dire autant, et avec encore plus de raison, d’une recomposition générale et systématique du droit, telle que le Code Napoléon.


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Notes du traducteur
  1. Les mots allemands Observanz ou Herkommen, dont l’auteur donne ici l’explication, n’ont pas d’équivalents en français. (Note du trad.)
  2. Ici l’auteur fait allusion à la formula concordiæ, de 1577, établie comme loi pour l’Église luthérienne. (Note du trad.)
  1. L’histoire et la littérature de ces sources appartiennent à l’histoire du droit proprement dite ; je parle seulement ici de ce que l’on en peut regarder comme droit encore en vigueur.
  2. Recueil des 168 N., Julien, et liber Authenticorum. Biener Geschichte der Novellen Justininians. Berlin, 1824. 8.
  3. Biener, p. 258, 259. Quoique contesté par un petit nombre de jurisconsultes (Mühlenbruch, I, § 18), ce point ne saurait être douteux ; car, en abandonnant ce principe, on tombe dans un arbitraire sans limites.
  4. Savigny, Histoire du droit romain au moyen âge, III, § 195, 196. — Quand ici je nie l’autorité de la glose, et que plus bas je reconnais celle des Authentiques d’Irnerius, quoique ce fussent de simples gloses destinées à montrer la concordance du Code et des Novelles, il n’y a là aucune contradiction. En effet, on n’admettait les Authentiques que comme extraits du texte, dont on se servait pour faciliter les recherches et les citations. Ce serait donc méconnaître l’autorité qu’on leur accorde que de les opposer au texte des Novelles.
  5. On a prétendu, au contraire, que nous avions adopté bien moins le corpus juris fixé par les glossateurs que la pratique du droit italien, exposée dans leurs écrits (Seidensticker Juristische Fragmente, Th. 2, p. 188-194). Cette opinion ne saurait être admise, car les glossateurs étaient des interprètes qui n’avaient pas pour but d’exposer la pratique, mais de la réformer. Savigny, Histoire du droit au moyen âge, ch. XLI, Num. 1. — Cette opinion a néanmoins un côté de vérité : c’est que les doctrines des glossateurs ont exercé une influence notable sur la pratique du droit en Allemagne.
  6. Savigny, § 175, 176.
  7. Lauterbach, proleg. § V. N. 6, 7. Eckhard, Hermeneut. § 282. Brunnquell, Hist. j. II, 9, § 22. Zepernich, à la suite de Beck, de Novellis Leonis. Hal. 1779, p. 552 sq. Glück I, § 53, 56. Weber, Versuche über das Civilrecht, p. 47-49.
  8. Beck, de Novellis Leonis, ed. Zepernick. Hal, 1779.
  9. Beck, 1. c., § 48. Mühlenbruch, I, § 18. Dabelow Handbuch des Pandectenrechts, Th. I, § 50. Hal., 1816. Ce dernier prétend qu’autrefois on rejetait dans la pratique tous les textes non glosés ; que, depuis l’abandon des éditions glosées, on a continué de rejeter les Novelles sans gloses, mais que l’on a admis l’autorité des autres textes non glosés (pages 199, 200) ; puis il ajoute : « Quant aux leges restitutæ, elles n’ont aucune autorité (p. 201). » Ici l’auteur ne distingue pas l’usage des temps anciens de celui des temps modernes. Cette opinion a cela d’original que les textes restitués sont distingués des textes non glosés. Or, il y a entre ces textes autant de différence qu’entre le Digeste et les Pandectes.
  10. On en trouve un exemple dans une décision émanée, le 23 décembre 1615, de la chambre impériale, dans l’affaire Waldeck c. Paderborn et consorts, relativement au comté de Piermont. Ce document est imprimé en entier dans C. Mauritius, de judicio aulico, § 14 (Kilon. 1666, et dans ses dissert. et opusc. Argent. 1724, 4, p. 337). On y lit : « Nous vous citons pour vous entendre condamner, comme punition de votre désobéissance, à la peine prononcée par la L. ult., § ult., Cod. de in jus vocando. » — Plusieurs auteurs semblent croire que la chambre impériale a rendu une foule de décisions semblables ; par ex. : Andler, jurisprud. qua publ. qua privata. Solisbaci, 1672, 4, p. 434. Pütter, de præventione, § 19, 90, 135. Mais, en fait, la décision de 1650 est la seule de ce genre.
  11. On serait tenté de le croire, à la manière dont s’exprime là-dessus Uffenbach, de consilio aulico, c. 12, p. 155 « additur interdum citatio ad videndum se incidisse in pœnam, L. ult. C. de inj. voc. … Et quamvis, quod pauci hactenus observarunt, prædicta lege ult. non authentica, șed a Cujacio restituta, consequenter spuria sit, et hine adeo secure cum illa neutiquam navigari videatur, hoc tamen non obstante Dn. ab Andler quotidianam prædictæ leg. ult. praxin confirmat, etc. » La seule preuve que l’on en donne est la décision de 1650 (note k). On peut bien admettre, avec Dabelow (note i), que l’usage d’éditions plus complètes a donné lieu à ce genre de méprise, auparavant impossible ; mais cela ne fonde aucune pratique judiciaire constante, et, par conséquent, aucun droit commun.
  12. F. W. Textor, Decisiones electorales Palatinæ. Francof. 1693, 4, Decisio XX. Le demandeur avait invoqué cette lex restituta (p. 78) ; mais la cour dénie formellement toute autorité aux lois restituées (p. 81, 82), à moins que leurs dispositions n’aient passé dans le droit coutumier ; et peut-être est-ce le motif de la décision de la chambre impériale, dans l’affaire Waldeck c. Paderborn (note k). — On ne conçoit pas que Beck, de Novellis Leonis, § 48, après avoir cité le jugement de la cour palatine, dise, au sujet de la L. 12, C. cit. : « excitatam tamen pariter ad causa definitionem in supremo appellationis judicio Palatino… docet F. W Textor. » Cela signifie évidemment que la cour a fondé sa décision sur la loi cițée. Or, elle a fait précisément le contraire.
  13. Par exemple, la Nov. 162 non glosée. Voy. § 164. — L’autorité purement scientifique des sources du droit antérieures et postérieures à Justinien s’explique par deux analogies parfaitement semblables. Ainsi, telle est l’autorité des anciennes sources du droit germanique dans les pays de droit commun, et celle du droit romain en Prusse, on Autriche et en France.
  14. Eichhorn, Kirchenrecht, 1, p. 349-360. On a contesté l’adoption des deux recueils d’extravagantes ; mais comme elles apportent très-peu de modifications au droit privé des Romains,. le seul dont je m’occupe ici, cette question est pour nous sans intérêt.
  15. On peut citer comme exemples le peculium adventitium et la donatio propter nuptias.
  16. Savigny, Histoire du droit romain au moyen âge, vol. III, § 33.
  17. On trouve d’excellentes remarques sur ce sujet dans Götze, Provincialrecht der Altmark. Motive, I, p. 11-13.
  18. On verra le sens et l’importance de ce principe, que je pose ici comme une abstraction, lorsque je réfuterai les opinions contraires à la mienne (§ 28 sq.). Je me réserve d’exposer alors les conditions indispensables à l’existence d’un véritable droit coutumier ; exposition qui trouverait ici sa place sans les erreurs nombreuses et fort accréditées auxquelles ce sujet a donné lieu ; j’ai donc jugé plus convenable d’établir les principes d’une manière critique, en y joignant la réfutation de ces erreurs.
  19. Savigny, Histoire du droit romain au moyen âge, volume III, § 32.
  20. Savigny, passim et ch. XLI.
  21. Savigny, passim et ch. XLVII.
  22. Sur la nature et l’importance de l’autorité doctrinale pour la juridiction, voy. un excellent morceau de Möser, Patriotische Fantasien, I, N. 22.
  23. On peut en donner pour exemple le Summariissimum, tel qu’on le voit souvent dans la pratique moderne. Cf. Savigny, Recht des Besitzes, § 51, 6e éd.
  24. Thibaut, § 16, et avant lui plusieurs autres auteurs. — Ce sujet est très-bien traité dans Puchta, Gerwohnheitsrecht. II, p. 111.
  25. Voy.,  sur l’accord des auteurs, § 19, et sur les conditions que doivent réunir les jugements pour fonder un droit coutumier, § 19, num. 4. On doit donc être en garde contre la formule si souvent répétée : Praxin testantur, etc.
  26. Pütter, Inst. jur. publ., § 44.
  27. Hofacker, § 127. Thibaut, § 16. On trouve le même langage dans plusieurs textes des sources du droit, § 7, J. de satisd. (IV 11), « cum necesse est omnes provincias… regiam urbem ejusque observantiam sequi. » — L. 2, § 24 de O. J. (I, 2), « vetustissima juris observantia. » — Clem. 2 de appell. (II, 12), « antiquam et communem observantiam litigantium sequi. » Dans d’autres textes, observantia veut dire adoption constante d’une coutume ; dans les auteurs classiques, respect pour la personne. Cicero, de invent., II, 22, 53. Je ne parle pas ici de ces diverses significations.
  28. Eichhorn, Deutsches Privatrecht, § 35. Le caractère distinctif de ce mot est de s’appliquer aux personnes, et non aux localités. Ainsi, on l’emploie en parlant de la noblesse ou d’une classe de la noblesse, d’un chapitre, d’une corporation, etc., mais non en parlant d’une province ou d’une. ville.
  29. Eichhorn, Kirchenrecht, vol. II, p. 39-44. Puchta, Gewohnheitsrecht, II, p. 105, qui a déterminé avec plus de précision que tout autre le sens de ce mot et de ses synonymes, prétend qu’on ne doit l’employer que dans ce cas seulement, application de l’autonomie. En effet, la phraséologie de Puchta, si elle était adoptée, lèverait toutes les incertitudes.
  30. Maurer, Abhandlungen, N. 6. Hofacker, § 127. Thibaut, § 16. — D’un autre côté, voy. Eichhorn, p. 41.
  31. Puchta, Gewohnheitsrecht, I, p. 163.
  32. Puchta, Gewohnheitsrecht, L. I, ch. 4, 5, 6.
  33. § 3, 9, 10, J. de jure nat. (I, 2) ; L. 6, § 1, de J. et J. (I, 1) ; L. 2, § 5, 12, de orig. jur. (I, 2). Voici un passage de Cicéron, qui résiste à toutes les subtilités, de partit. orat., C. 37 ; « sed propria legis et ea quæ scripta sunt, el ea quæ sine litteris, aut gentium jure aut majorum more, retinentur. »
  34. Ainsi l’édit prétorien appartenait au jus scriptum, quand même il s’appuyait sur le droit coutumier. Le préteur, en adoptant le droit coutumier, le recomposait, lui donnait un caractère de certitude, qui, pour la pratique, le rendait chose nouvelle. Les responsa des jurisconsultes rentraient également dans le jus scriptum, parce que l’écriture servait à en fixer l’autorité. Mais un principe du droit coutumier ne devenait pas jus scriptum quand un jurisconsulte l’insérait dans ses ouvrages et l’adoptait comme vrai, car cela ne touchait en rien à l’origine du droit. — Cf. Thibaut, § 10. L’explication que donne Zimmern, I, S-14, est beaucoup trop subtile et très-loin de la vérité.
  35. Hübner, Berichtigungen und Zusätze zu Höpfner, p. 152.
  36. Glück, I, § 82, s’étend longuement sur ce sujet, et indique les auteurs qui l’ont traité avant lui. Cette erreur a sa source, mais non sa justification, dans les L. 35, 36, de legibus (I, 3). L’opinion que je combats a néanmoins cela de vrai, c’est que le droit écrit, fixé par une lettre invariable, a un plus haut degré de certitude que le droit coutumier. Mais l’autorité législative n’est nullement une condition indispensable, car le préteur faisait du droit écrit sans être législateur.
  37. Gaius, I, § 2-7.
  38. § 3, J. de j. nat. (I, 2).
  39. L. 2, § 12, de orig. jur. (I, 2).
  40. L. 7, de J. et J. (I, 1).
  41. Cicero, Top., ch. 5 : « ut si quis jus civile dicat id esse quod in legibus, senatus-consultis, rebus judicatis, jurisperitorum auctoritate, edictis magistratuum, more, æquitate consistat.  »
  42. Cicero, de invent., II, ch. 22, 53, 54 ; de part. orat., ch. 37 ; auctor ad Herennium, II, ch. 13.
  43. Par ex. Cicero, de part. orat., C. 37. Le droit dérive de la nature ou de la loi. Celle-ci est écrite ou non écrite. La loi écrite est faite par l’autorité publique, lex, senatus-consullum, fœdus, ou par les particuliers, tabulæ, pactum conventum, stipulatio. Les contrats figurent aussi dans la définition de la loi non écrite. Les passages cités plus haut ont tous le même sens.
  44. Cf. Dirksen, Eigenthümlichkeit des Jus Gentium, Rhein. Museum, vol. I, p. 1-50. Puchta, Gewohnheitsrecht, I, p. 32, 40.
  45. « Omnes homines, » « omnes gentes, » « gentes humanæ. » Gaius, I, § 1. L. 9, L. 1. § 4, de J. et J. (I, 1).
  46. Gaius, I, § 1, 189 ; II, § 66, 69, 79, L. 9, de J. et. J. (I, 1) ; L. 1, pr. de adq. rer. dom. (XLI, 1). Dans les ouvrages de rhétorique, on l’appelle ordinairement natura (note l). J’ai indiqué la source de cette opinion à la fin du § 8.
  47. L. 11, de J. et J. (I, 1) ; § 11, J. de j. nat. (I, 2).
  48. Considéré sous ce point de vue, ce contraste a de l’analogie avec celui de jus scriptum et æquitas, jus (ou juris ratio) et utilitas. Les considérations générales que j’ai présentées sur ce sujet (§ 15) trouvent ici une application historique spéciale.
  49. Cette terminologie peut être regardée comme celle adoptée par les jurisconsultes romains. Néanmoins, ils en avaient encore une autre qui avait un membre de plus, jus naturale, gentium, civile. J’en parlerai dans l’appendice de ce vol., N. 1.
  50. Cicero, de part. orat., ch. 37. Voy. plus haut note b.
  51. § 12, J. de nupt. (I, 10.) Cf., § 65, note b. — Le jus gentium peut alors, en quelque sorte, être examiné sous un double point de vue, l’un théorique, l’autre pratique, selon que l’on étudie l’origine du droit lui-même, ou son application chez les Romains.
  52. L. 7, pr. de J. et J. (I, 1) ; L. 2, § 10, de orig. jur. (1, 2) ; § 7, J. de j. nat (I, 2.) — Ainsi donc, Jus civile a plusieurs significations très-différentes : 1o droit privé (§ 1) ; 2o droit positif d’un peuple quelconque ; 3o droit privé des Romains ; § 1, 2, 3, J. de j. nat. (I, 2) ; L. 6, pr. L. 9, de J. et J. (I, 1) ; 4o le droit romain à l’exclusion du jus honorarium, L. 7 de J. et J. (I, 1) ; 5o enfin, tout droit auquel on ne peut donner une désignation plus spéciale, L. 2, § 5, 6, 8, 12, de orig. j. (I, 2.)
  53. Je ne dis pas que leur autorité fût générale, mais seulement qu’elle pouvait l’être. Ainsi, par exemple, les édits des empereurs avaient régulièrement force de loi dans tout l’empire, quoique souvent ils ne fussent rendus que pour une province ou pour une ville. Les responsa, et, dans l’origine, les rescrits, ne s’appliquaient qu’à une seule affaire, et, en ce sens, leur autorité était fort restreinte ; mais ils allaient dans tout l’empire : les édits d’un magistrat ne dépassaient pas les bornes de sa juridiction.
  54. Gaius, IV, § 118 : « Exceptiones… omnes vel ex legibus, vel ex his quæ legis vicem obtinent substantiam capiunt, vel ex jurisdictione Prætoris proditæ sunt. » L. 14 de condit. inst. (XXVIII, 7). Ce que Gaius dit en passant des exceptions s’applique également aux actions.
  55. Ont legis vicem : 1o les sénatus-consultes, Gaius, 1, 4 ; 2o les constitutions des empereurs, Gaius, I, § 5 ; L. 1, pr. de const. (I, 4) (même les imperiales contractus ; L. 26, C. de don. int. vir., V, 16) ; 3o les responsa, Gaius, I, § 7 ; 4o le droit coutumier, L. 32, § 1 ; L. 33, de leg. (I, 3) pro lege ; » L. 38, cod. « vim legis ; » L. 3, C. quæ sit longa cousu. VIII, 53) « legis vicem ; » § 9, J. de j. nat. (I, 2) « legem imitantur. »
  56. Duroi, Archiv., vol. VI, p. 308, 309, 393, donne des exemples de semblables conflits entre l’édit et le jus gentium.
  57. Certains textes nous représentent l’édit comme fondé sur le droit coutumier (§ 25, t) ; d’autres opposent le droit coutumier à l’édit, par ex. Gaius, III, § 82 : « neque lege XII Tabul., neque prætoris edicto, sed co jure quod consensu receptum est ; » et § 3-9, J. de j. nat. (I, 2). Cette contradiction apparente est facile à expliquer. Ces derniers textes parlent du droit coutumier, qui a conservé sa forme primitive et qui n’a pas passé dans l’édit.
  58. L. 3-6, 8, 10-12, de leg. (I, 2).
  59. Le texte mutilé d’Ulpien, tit. de leg., § 3, confirme cette supposition. Cf. Blume Zeitssch. f. gesch. Rechtsw., IV, 367.
  60. Gaius, I, § 5. — L. 1, de const. princ. (I, 4) d’Ulpien, reproduite § 6, J. de j. nat. (I, 2). Ce n’est pas ici le lieu d’examiner pourquoi, dans le Digeste et dans les Institutes, lex regia n’a pas conservé son sens primitif. — Ordinairement le mot constitutio désigne le genre entier ; quelquefois aussi les édits, par opposition aux rescrits. L. 3, C. si minor (II, 43).
  61. Je vais indiquer plusieurs édits non douteux, et il serait facile de grossir cette liste. Quatre d’Auguste, L. 2, pr. ad Sc. Vell. (XVI, 1) ; L. 26, de lib. (XXVIII, 2) ; L. 8, pr. de quæst. (XLVIII, 18) ; Auct. de j. fisci, § 8. — Quatre de Claude, L. 2, pr. ad Sc. Vell. (XVI, 1) ; L. 15, pr. ad L. Corn., de falsis (XLVIII, 10) ; L. 2, qui sine man. (XL, 8) ; L. un., § 3 ; C. de lat. lib. (VII, 6) ; Ulpien, III, § 6. — Deux de Vespasien, L. 4, § 6, de leg. (L. 7) ; L. 2, C. de æd. priv. (VIII, 10). — Un de Domitien, L. 2, § 1, de cust. (XLVIII, 3). — Un de Nerva, L. 4, pr. ne de statu (XL, 15). — Quatre de Trajan, L. 6, § 1, de extr. crim. (XLVII, 11) ; Gaius, III, § 172 ; § 4, J. de suce. lib. (III, 7) ; L. 13, pr., § 1, de j. fisci (XLIX, 14) ; Auct. de j. fisci, § 6. — Deux d’Hadrien, Gaius, 1, § 55, 93 ; L. 3, C. de ed. D. Hadr. (VI, 33). — Un de Pius, L. 11, de mun. (L. 4). — Trois de Marc-Aurèle, § 14, J. de usuc. (II, 6) ; L. 24, § 1, de reb. auct. jud. (XLII, 5) ; L. 3, C. si adv. fiscum (II, 37). — Un de Sévère, L. 3, § 4, de sep. viol. (XLVII, 12). Il faut encore ranger parmi les édits les manifestes étrangers au droit, par ex. ceux de Nerva dont parle Pline, epist. X, 66.
  62. L. 3, C. de leg. (I, 14).
  63. C’est ce que nos jurisconsultes appellent un jus singulare. Ainsi, par ex., les édits d’Auguste et de Claude, relatifs aux cautions des femmes, et l’édit d’Auguste, qui défend de déshériter les soldats, L. 2, pr. ad Sc. Vell. (XVI, 1) ; L. 26, de lib. (XXVIII, 2), eussent été regardés par les jurisconsultes des temps postérieurs comme leges generales. Guyet, Abhandlungen, p. 42, s’est mépris à ce sujet.
  64. La plupart des lois impériales, notamment celles de Justinien, étaient adressées à un fonctionnaire, par ex. à un præfectus prætorio, et ainsi avaient la forme de rescrits ; mais comme personne ne doutait que ce ne fussent de véritables edicta, generales leges, leges edictales, on ne les appelait pas des rescrits. Un exemple emprunté à nos institutions rendra la chose sensible. Tout ce que renferme le recueil des lois prussiennes, lois ou ordonnances, est également obligatoire, et cependant les unes sont adressées directement à tous les sujets et à tous les fonctionnaires, les autres sont des ordres du cabinet adressés au ministère d’État ou à un ministre spécial. Cf. § 24, note e.
  65. L. 8, C. de leg. (I, 14).
  66. L. 9, C. de leg. (I, 14).
  67. L. 1, § 1, de const. princ. (I, 14) : « Quodcumque igitur Imp… vel cognoscens decrevit, vel de plano interlocutus est… legem esse constat. »
  68. Pauli libri tres decretorum. Je citerai encore le recueil des édits d’Hadrien, par Dositheus.
  69. Par ex., le decretum D. Marci, sur ceux qui se font justice eux-mêmes. L. 13, quod metus (IV, 2) ; L. 7, ad L. J. de vi priv. (XLVIII, 7).
  70. L. 3, C. de leg. (I, 14), « … interlocutionibus, quas in uno negotio judicantes protulimus vel postea proferemus, non in commune præjudicantibus, » par opposition aux édits qui avaient force de loi.
  71. L. 12, pr. C. de leg. (I, 14) : « Si imperialis majestas causam cognitionaliter examinaverit, et partibus cominus constitutis sententiam dixerit : omnes omnino judices… sciant hanc esse legem non solum illi causæ, pro qua producta est, sed et omnibus similibus. » On a coutume de regarder ce texte comme en contradiction avec celui cité note précédente. Néanmoins, il distingue les deux espèces de décrets précisément comme le fait Ulpien (note k).
  72. L. 12, cit. « … cum et veteris juris conditores, constitutiones quæ ex imperiali decreto processerunt, legis vim obtinere, aperte dilucideque definiant. » Ce qui paraît se rapporter à Gaius, I, § 5.
  73. On peut comparer ces décrets aux arrêts de nos cours d’appel.
  74. Schulting, Diss. pro rescriptis Imp. Rom. (Comm. acad., vol. I, N. 3) ; Guyet, Abhandlungen, N. 4.
  75. Cette forme ne devait être employée que dans les occasions importantes, notamment pour les rescrits sur des matières de droit public intéressant des corporations. L. 7, C. de div. rescr. (I, 23). Mais on voit que cela ne s’observait pas toujours d’après la const. Summa, § 4 : « Si… pragmaticæ sanctiones… alicui personæ impertitæ sunt…  » On trouve d’importants matériaux pour cette recherche dans J. H. Böhmer, exerc. ad Pand., I, exerc. 12, C. I. Néanmoins Böhmer se trompe en ce qu’il donne comme caractère distinctif des pragmatiques sanctions cette restriction légale mise à leur application.
  76. Elles s’appellent personales constitutiones, L. 1, § 2, de const. (I, 4) ; L. 6, J. de J. nat. (I, 2). Quelques auteurs modernes les nomment rescrits de grâce, définition beaucoup trop restreinte, et tout à fait inexacte quand il s’agit de réprimandes ou de peines.
  77. L. 1, § 2, de fugit. (XI, 14) : « Est etiam generalis epistola, D. Marci et Commodi, qua declaratur, et præsides et magistratus, et milites stationarios dominum adjuvare debere in inquirendis fugitivis, etc. » — L. 3, § 5, de sepulcro viol. (XLVII, 12) : « D. Hadrianus rescripto pœnam statuit quadraginta aureorum in eos qui in civitate sepeliunt, quam fisco inferri jussit, et in magistratus eadem qui passi sunt… quia generalia sunt rescripta, et oportet Imperialia statuta suam vim obtinere et in omni loco valere. » Peut-être doit-on ajouter ici l’epistola D. Hadriani sur les cautions, 4, J. de fidej. (III, 20) ; Gaius, III, § 121, 122. — Dans les deux premiers cas cités, ces rescrits avaient le caractère d’ordonnances de police ; c’étaient des circulaires adressées à une classe de fonctionnaires.
  78. Ainsi, par ex., Justinien, L. 5, pr. C. de receptis (II, 56), appelle lex une de ses ordonnances (L. 4, cod.), quoiqu’elle fût adressée au præfectus prætorio. Le Code Théodosien, composé presque entièrement de pièces du même genre, est encore plus décisif, car il les appelle constitutionesedictorum viribus aut sacra generalitate subnixæ, et edictales generalesque constitutiones, L. 5, 6, C. Th. de const (I, 1), ed. Hänel. — Guyet, p. 84, trompé par la forme extérieure de ces ordonnances, les regarde comme des rescrits et les oppose aux édits ; puis il tire de là de fausses conséquences sur la nature des rescrits. Cf. § 23, note g.
  79. Par ex. : L. un., de grege domin. (XI, 75). Guyet, p. 74, cite encore d’autres textes.
  80. Par ex : la Sanctio pragmatica de Justinien, pro Petitione Vigilii, sur l’organisation de l’Italie, dont il venait d’achever la conquête.
  81. L. 7, pr. C. de div. rescr. (I, 23).
  82. Sur les consultations, voy. surtout Holweg, Civilprozesz, I, § 10. — Elles furent, interdites par la novelle 125 de l’an 544. On verra que cette interdiction n’était pas absolue, quand je traiterai de l’interprétation des lois, § 48. Au reste, il est évident que si, malgré la défense de la novelle, un juge consultait l’empereur, et que l’empereur lui fit réponse, le juge devait s’y conformer comme avant la novelle. Il en était de même si l’empereur, de son propre mouvement, ou sur la demande d’une des parties, adressait au juge un rescrit. L’usage des rescrits, à l’occasion d’un procès, était alors beaucoup plus rare, mais non tout à fait abandonné.
  83. L. 89, § 1, ad L. Fale. (XXXV, 2), « generaliter rescripserunt ; » L. 1, § 3, de leg. tut. (XXVI, 4), « generaliter rescripsit ; » L. 9, § 2, de her. inst. (XXVIII, 5), «  rescripta generalia ; » L. 9, § 5, de jur. et facti ign. (XXII, 6), « initium constitutionis generale est. » — Les rescrits dont parlent ces textes avaient été rendus à l’occasion de procès, et c’est en cela qu’ils diffèrent des rescrits généraux dont il est question dans la note d. D’un autre côté, l’expression generale rescriptum exprime plus qu’une simple opposition à personalis constitutio (note c).
  84. Ces considérations expliquent pourquoi on trouve tant de simples rescrits sur les excuses. Fragm. Vat., § 191, 208, 247. — § 159, 206, 211, 215, 246. Le § 236 est surtout remarquable, comme établissant un nouveau droit : « quo rescripto declaratur ante cos non habuisse immunitatem. »
  85. L. 4, 12 (al. 2, 10), C. Th. de div. resc. (I, 2) ; L. 1 2, C. de div. resc. (I, 23).
  86. L. 3, 4, 6, C. de div. resc. (I, 23) ; L. 1, C. Th. cod. (I, 2).
  87. L. 7, C. de div. resc. (I, 23) ; L. 2, 3, 4, 5, C. si contra jus (I, 22). À cela se rapporte l’appel contre les rescrits, c’est-à-dire contre les jugements fondés sur des rescrits. L. 1, § 1, de appell. (XLIX, 1).
  88. L. 2 (al. 1), C. Th. de div. resc. (I, 2) ; L. 6, C. si contra jus (I, 22) ; L. 3, 7, C. de precibus (I, 19) ; Nov. 82, C. 13.
  89. Capitolini Macrinus, C. 13 : « quum Trajanus nunquam libellis responderit. » Cela veut dire qu’il adressait ses rescrits aux magistrats, et non aux parties. On trouve plusieurs rescrits de Trajan, cités dans Schulting. Diss. pro rescript., § 15. — Justinien défend d’avoir égard aux rescrits privés, Nov. 113, C. I, de l’an 541.
  90. L. 11 (al. 9), C. Th. de div. resc. (I, 2) ; L. 2, C. de leg. (I, 14) : « Quæ ex relationibus… vel consultatione… statuimus… nec generalia jura sint, sed leges faciant his duntaxat negotiis atque personis, pro quibus fuerint promulgata. » L. 13, C. de sentent. et interloc. (VII}, 45) : « Nemo judex vel arbiter existimet, neque consultationes, quas non rite judicatas esse putaverit, sequendum… cum non exemplis sed legibus judicandum sit.  » Ce dernier texte est doublement remarquable. D’abord, il exprime formellement ce dont il est ici question, l’application des règles une fois admises aux autres cas semblables. Ensuite, il met sur la même ligne les rescrits en réponse aux consultations et les jugements de plusieurs autres tribunaux ; mais il ne parle pas des jugements émanés de l’empereur lui-même. Par là se trouve évitée fort habilement toute contradiction avec la L. 12, pr. C. de leg. (I, 14) (§ 23, note o). Ainsi, l’on distingue entre les jugements rendus par l’empereur en personne, et ceux rendus par un magistrat, d’après un rescrit de l’empereur. En effet, ces derniers n’avaient ni la même publicité, ni le même degré de certitude que les premiers, car il se pouvait toujours que le rescrit eût été mal entendu. Plusieurs auteurs reconnaissent, par exception, une autorité générale aux rescrits, quand ils renferment une interprétation authentique, en se fondant sur la L. 12, § 1, C. eod. : « interpretationem, sive in precibus, sive in judiciis, sive alio quocunque modo factam, ratam et indubitatam haberi. » (Glück, I, § 96, N. III.) Mais je ne nie pas l’autorité des rescrits, et même leur autorité législative, restreinte à un cas déterminé. Si, contrairement aux textes cités, Justinien eût voulu leur donner force de loi générale, il se fût exprimé en termes formels, comme il l’a fait pour les décrets, et il n’eût pas dit en passant : sive in precibus.
  91. Ces mots, legis vis, employés par Gaius et Ulpien, sont entendus par plusieurs auteurs dans le seul sens d’autorité, mais certainement à tort. Les jurisconsultes romains s’exprimaient avec plus de précision. S’ils eussent pris ces mots, vis legis, dans le sens vague et général d’influence, d’autorité, Gaius n’eût pas oublié d’attribuer le vis legis au jus honorarium, et § 7, au lieu de ne parler que des responsa prudentium, il eût ajouté l’auctoritas prudentium, qui était bien plus étendue. D’un autre côté, il ne faudrait pas, d’après le texte de Gaius (I, § 5), mettre sur la même ligne les rescrits et les édits. Gaius, § 7, donne aussi la vis legis aux responsa ; mais la suite montre clairement que les responsa n’ont force de loi que pour le cas auquel ils s’appliquent.
  92. Capitolini Macrinus, C. 13 : « Fuit in jure non incallidus, adeo ut statuisset omnia rescripta veterum principum tollere, ut jure non rescriptis ageretur, nefas esse dicens leges videri Commodi et Caracalli et hominum imperitorum voluntates, quum Trajanus nunquam libellis responderit, ne ad alias causas facta præferrentur, quæ ad gratiam composita viderentur. » Cela ne peut s’entendre que de l’autorité permanente des rescrits, car les procès à l’occasion desquels les veteres principes avaient rendu les rescrits étaient des faits depuis longtemps accomplis.
  93. Ainsi donc, cette connaissance des rescrits n’implique pas une publication spéciale des rescrits, comme le prétend Guyet, p. 74.
  94. Ainsi, par ex., Papiri Justi libri XX constitutionum, qui, d’après les fragments qui s’en sont conservés, se composaient de rescrits ; et, plus tard, les codes Grégorien et Hermogénien, du moins en grande partie. Il faut sans doute ranger dans la même classe les semestria de D. Marcus, recueil semestriel des rescrits (peut-être aussi des décrets) les plus importants, composé par des personnes privées, peut-être par l’empereur lui-même, et alors ce serait une espèce de publication légale. Cf. Brissonius, v. Semestria, Cujacius in Papin., L. 72, de cond. Opp., IV, 489, dont je n’admets pas l’explication.
  95. On trouve des passages semblables cités dans Guyet, p. 55 sq.
  96. Brissonius, de formulis, lib. 3., C. 84.
  97. L. 1, pr. de test. mil. (XXIX, 1), « et exinde mandatis inseri cæpit caput tale : Cum in notitiam, etc. ».
  98. L. 2, § 1, de his quæ ut ind. (XXXIV, 9) ; L. 6, C. de nupt. (V, 4).
  99. Const. Summa, § 3. Mais cela n’abolissait pas les privilèges conférés par des rescrits à une corporation ou à une personne privée. Ibid., § 4.
  100. L. 2, C. de off. præf. præt. Or. et Ill. (I, 26). Cela s’appliquait alors à tout l’empire, depuis Constantin, à chaque préfecture, semblablement à ce qui se pratiquait autrefois pour les édits provinciaux des proconsuls.
  101. L. 16, C. de jud. (III, 1) ; L. 27, C. de fidejuss. (VIII, 41).
  102. Nov. 165, 166, 167, 168. Cf. Biener, Gesch. der Novellen, p. 98, 118.
  103. Cassiodor. Var., VI, 3, formula Præf. Præt. : « Pene est ut leges possit condere, etc. »
  104. Cicero, de inventione, II, 53, 54 : « Natura jus est, quod non opinio genuit, sed quædam innata vis inseruit, ut religionem, pietatem… Consuetudine jus est, quod aut leviter a natura tractum aluit et majus fecit usus, ut religionem : aut si quid eorum quæ ante diximus, ab natura profectum, majus factum propter consuetudinem videmus, aut quod in morem vetustas vulgi approbatione perduxit. »
  105. Puchta, Gewohnheitsrecht, I, p. 71 sq.
  106. Gaius, III, § 82 ; Ulpian., tit. de leg., § 4 ; L. 32-40, de leg. (I, 3) ; § 9, 11, J. de j. nat. (I, 2).
  107. L. 39 de leg. (1, 3) : « Quod non ratione introductum, sed errore primum, deinde consuetudine obtentum est, in aliis similibus non obtinet. » (Alia similia, les cas semblables qui se présenteraient à l’avenir.) L. 1, C. quæ sit l. c. (VIII, 53) : « Nam et consuetudo præcedens, et ratio quæ consuetudinem suasit, custodienda est. » Cf. Puchta, p. 61, 81.
  108. On peut m’opposer, avec grande apparence de raison, la L. 32, § 1, de leg. (I, 3), où l’on conclut de l’expressus populi consensus pour la loi au tacitus consensus pour la coutume. Mais d’abord il s’agit moins de l’autorité de la coutume que de la nature de cette autorité (legis vice). Voy. Puchta, p. 84. Ensuite, je ne prétends pas que les anciens jurisconsultes aient eu toujours présent à l’esprit le sens propre du mot populus. Pour combattre mon opinion, il faudrait établir, par des textes positifs, que les anciens jurisconsultes regardaient la réunion des cives, et non la nation idéale, comme le sujet du droit coutumier.
  109. L. 36, de leg. (I, 3) : « quod in tantum probatum est ut non fuerit necesse scripto id comprehendere. ».
  110. L. 2, § 5, 6, 8, 12, de orig. jur. (I, 2).
  111. L. 38, de leg. (I, 3) ; L. 1, C. quæ sit l. consu. (VIII, 53). Pour le droit coutumier particulier voy. surtout L. 34, de leg. (I, 3) (Puchta, I, p. 96). — Chose remarquable, les auteurs qui ont écrit sur la rhétorique énumèrent toujours, parmi les sources du droit, les res judicatæ, et les anciens jurisconsultes n’en parlent pas. Au reste, leur autorité a été reconnue de tout temps (§ 12, note b).
  112. L. 13, C. de sent. et interloc. (VII, 45). V. § 24, note r.
  113. L. 39, de leg. (I, 3). Voy. note d. Puchta, I, p. 99. — En voici le motif tout naturel. Ici la coutume est le résultat d’une erreur, et par conséquent n’exprime pas la conscience commune du droit, qui fait toute sa force.
  114. L. 11, C. de leg., I, 14.
  115. Puchta, I, p. 110.
  116. Voy. § 22, note x.
  117. L. 38, de leg. (I, 3).
  118. L. 32, pr. L. 33, de leg. (I, 3). Cf. Puchta, I, p. 87.
  119. L. 32, pr. de leg. (I, 3) : « si qua in re hoc defecerit… tune jus, quo urbs Roma utitur, servari oportet. »
  120. L. 1, § 10, C. de vet. j. enucl. (I, 17) ; § 7, J. de satisd. (IV, 11).
  121. L. 1, pr. de curat. (XXVII, 10) ; L. 1, de don. int. v. et ux. (XXIV, 1) ; L. 2, pr. de vulg. et pup. subst. (XXVIII, 6).
  122. L. 32, § 1, de leg. (1, 3) : « … Quare rectissime etiam illud receptum est, ut leges non solum suffragio legislatoris, sed etiam tacito consensu omnium per desuetudinem abrogentur. » Cf. Puchta, p. 86, 90.
  123. Cicero, de invent., II, 22 : « Consuetudinis autem jus esse putatur id, quod voluntate omnium sine lege vetustas comprobavit. In ea auten… sunt… corum multo maxima pars, quæ prætores edicere consueverunt. » Les erreurs où sont tombés à ce sujet les premiers historiens du droit n’ont plus besoin d’être réfutées.
  124. Gaius, I, § 111 ; L. 27, § 4, ad L. Aquil. (IX, 2) ; L. 1, § 1, de interrog. act. (XI, 1).
  125. § 11, J. de j. pat. (I, 2) ; § 7, J. de injur. (IV, 4). L. 1, pr. C. de cad. toll. (VI, 51) ; L. 1, § 10, C. de vet. j. enuel. (I, 17) ; Const. hæc quæ necess., § 2. — Nov. 89, C. 15 ; Nov. 106.
  126. L. 32, pr. L. 33, de leg. (I, 3). Cf. Puchta, I, p. 88. — On ne saurait fonder sur le premier de ces textes un semblable argument a contrario, car, immédiatement après (§ 1), l’auteur dit expressément le contraire.
  127. L. 2, C. quæ sit 1. consu. (VIII, 53). Voy. l’appendice de ce vol., N. II.
  128. C. 4, D. XI, = L. 2, C. quæ sit l. consu. (VIII, 53), C. 6 ; D. XII, = § 9, J. de j. nat. (I, 2). — C. 7, D. XII, = L. 1, C. quæ sit. I. cons. (VIII, 53.)
  129. C. 11, X, de consuet. (I, 4) ; C. 1. de const. in VI (I, 2.). Je reviendrai sur le sens de ces passages, dans l’appendice de ce vol., N. II.
  130. C. 11, X, de consuet. (I, 4) ; C. 4, de consuet. in VI (I, 4) ; C. 9, de offic. ord. in VI (I, 16) ; C. 50, X, de elect. (I, 6). — Meurer, Juristische Abhandlungen. Leipzig, 1780, N. V, a fait une recherche sur le sens de ces passages, et il prétend qu’il s’agit ici de droits particuliers à conférer à des tiers, et non de coutume à établir par la prescription. Cependant il revient à l’explication que je donne, du moins pour le C. 11, X, de consuet. Glück, 1, § 86, N. V, a adopté la première opinion de Meurer. — Eichhorn, Kirchenrecht, p. 42, 43 ; rapporte ces passages, non à un droit coutumier proprement dit, mais à une observance, c’est-à-dire à un statut tacite, établissant des droits pour les tiers (§ 20 f.). Ces textes peuvent avoir été faits pour des cas semblables ; mais Eichhorn lui-même reconnaît leur généralité, et peut-être le vague de l’expression répond à l’obscurité de la pensée.
  131. C. C. C., art. 104. — Conc. ord. cam., tit. 19, proœm., tit. 71, Rec. imp. nov., § 105.
  132. L. 2, 5, de orig. j. (I, 2).
  133. Gaius, I, § 7 ; § 8, J. de j. nat. (I, 2). — L. 2, § 47, de orig. jur. (I, 2). — Ainsi je distingue les responsa, les consultations données, sur un cas déterminé, par un jurisconsulte autorisé à cet effet, des doctrines professées par les auteurs en général, c’est-à-dire la littérature du droit. L’autorité des responsa, obligatoires pour le juge, était une chose toute positive, et c’est à quoi se rapportent les textes cités. L’influence de la littérature était fort naturelle, mais son caractère était indéterminé, et elle ne liait aucun juge. Gaius parle de l’autorité des responsa, sans exclure l’influence de la littérature. Hugo, Rechtsgesch., p. 811, 11e éd., repousse, ou du moins met en doute l’autorité des responsa, et n’admet que l’influence de la littérature. Cette opinion me paraît inconciliable avec l’emploi du mot responsa ; mais cette discussion est hors de mon sujet.
  134. L. 1, 2, C. Th., de resp. prud. (I, 4), textes nouvellement découverts.
  135. L. 3 (al. un.), C. Th. de resp. prud. (I, 4), de l’an 426.
  136. Savigny, Histoire du droit romain au moyen âge, I, § 3.
  137. L. 1, § 12 ; L. 2, § 21 ; L. 3, § 21, C. de vet. j. enucl. (I, 17).
  138. Const. Omnem.
  139. Mühlenbruch, I, § 35.
  140. Glück, I, § 96, qui cite les auteurs pour et contre son opinion.
  141. Par ex., Schweitzer, de desuetudine, p. 52, 53, 84. Tout son ouvrage est dirigé contre l’effet de la désuétude pure : aussi dit-il que le droit romain est inapplicable à cette question. Mais Schweitzer doit être consulté pour toutes les autres questions de la matière, et notamment pour celle de l’abrogatio par la coutume.
  142. Glück, I, § 85 ; Guilleaume, Rechtslehre von der Gewohnheit ; Osnabrück, 1801, § 24-27.
  143. Lauterbach, I, 3. § 36 ; Müller ad Struv., I, 3, § 20 ; Glück, I, § 86, N. 1, et surtout Puchta, Gewohnheitsrecht, II, p. 79 sq., p. 85.
  144. Puchta, II, p. §9 sq.
  145. Puchta, II, p. 93 sq.
  146. Lauterbach, I, 3, § 35 ; Müller ad Struv., I, 3, § 20 ; Glück, I, § 86, N. 5 ; Guilleaume, 531 ; Puchta, II, p. 31 sq.
  147. Puchta, II, p. 33 sq.
  148. Voy. plus bas, note l.
  149. Schweitzer, de desuetudine, p. 78 ; Hübner, Berichtigungen und Zusätze zu Höpfner, p. 164. Ce dernier, pour échapper à la L. 39, de leg., prétend qu’elle ne s’applique qu’aux fausses interprétations des lois. Mais, d’abord, cette restriction est purement arbitraire ; et, ensuite, si l’erreur peut fonder un droit coutumier, pourquoi pas l’erreur sur l’interprétation d’une loi ?
  150. Sur l’erreur relativement aux coutumes, voy. Puchta, II, p. 62 sq.
  151. Glück, I, § 86, N. 3. Cf. Puchta, II, p. 49 sq.
  152. C. C. C., art. 218 : « … De notre pouvoir impérial nous les abolissons, et annulons et anéantissons, et défendons de les citer à l’avenir. » — Ce passage ne doit pas s’entendre comme disposition générale sur la nature du droit coutumier ; car les coutumes ne sont mentionnées ici qu’accidentellement. En effet, plusieurs des principes abolis reposaient, non sur des coutumes, mais sur des lois locales. Le texte cité a donc pour objet d’établir le rapport, en matière de pénalité, du droit général aux droits particuliers, et nullement celui du droit écrit au droit non écrit, chose toute différente.
  153. L. 39, de leg. (I, 3) : « Quod non ratione introductum, sed errore primum, deinde consuctudine obtentum est in aliis similibus non obtinet. » C’est-à-dire, quand une coutume repose, non sur une idée de droit commune à toute la nation, mais sur une erreur (ce qui exclut nécessairement la conviction universelle), cette coutume ne fonde pas un véritable droit coutumier, et il n’y a aucune raison de l’appliquer à l’avenir.
  154. Puchta, II, p. 40 sq.
  155. Cf. Puchta, Gewohnheitsrecht, II, liv. III, ch. 3, 4.
  156. L. 36, de leg. (I, 3) : « Immo magnæ auctoritatis hoc jus habetur, quod in tantum probatum est, ut non fuerit necesse scripto id comprehendere. »
  157. Heichhorn, Deutsches Privatrecht, § 5, 14, 26. — Peut-être croira-t-on que, semblable à l’institution des anciens échevins, cet usage, bon pour des temps peu civilisés, n’est plus applicable de nos jours. Mais en Angleterre, par exemple, on constate parfaitement les besoins de la société au moyen d’enquêtes, où l’on entend des personnes de toutes les classes. Les mêmes formes pourraient être en partie adoptées parmi nous, quand il s’agit d’établir l’existence d’un droit coutumier.
  158. Nov. 106. Cf. Puchta, I, p. 116 ; II, p. 133.
  159. Puchta, I, p. 105 ; II, p. 151 sq. Cf. Lange Begründungslehre des Rechts. Erlangen, 1821, § 16.
  160. Telle paraît être l’opinion de Heichhorn, Deutsches Privatrecht, § 26.
  161. Cf. Puchta, Gewohnlicitsrecht, II, p. 165 sq.
  162. Sans doute cela vien en partie de ce que nous avons adopté un droit étranger, qui, de sa nature, exige une étude savante ; mais on ne doit pas croire que ce soit là le motif principal. Les Anglais n’ont pas de droit étranger, mais une masse énorme d’actes du parlement et de décisions judiciaires, dont l’étude, comme chez nous celle du droit romain, donne aux juges anglais un caractère tout à fait différent de celui des anciens échevins. »
  163. Puchta, Gewohnheitsrecht, II, p. 169, 176, 187 sq.
  164. Puchta, II, p. 125 sq., p. 135 sq., Il cite également les auteurs qui approuvent cette méthode. Cf. note c.
  165. L. 34, de leg. (I, 3) : « Cum de consuetudine civitatis vel provinciæ confidere quis videtur : primum quidem illud explorandum arbitror, an etiam contradicto aliquando judicio consuetudo firmata sit. » Cf. Puchta, I, p. 96 ; II, p. 129 sq. On a souvent conclu de ce texte, mais à tort, qu’il fallait absolument des décisions judiciaires pour établir un droit coutumier (§ 29).
  166. Voyez l’appendice, N. II.
  167. C’est cette opinion que s’est proposé d’établir Schweitzer, de desuetudine. Lips., 1801. Elle est également adoptée par Hübner, Berichtigungen und Zusätze zu Höpfner, p. 159. — Les véritables principes sur la matière sont très-bien exposés dans Puchta, Gewohiheitsrecht, II, p. 199 sq.
  168. Voy. l’appendice, N. II.
  169. Publikationspatent, § 1.
  170. L. R. Einleitung, § 7-11.
  171. Publikationspatent, § 7. — L. R. Lipleitung, § 3, 4.
  172. L. R. Einleit, § 6.
  173. Loi du 21 mars 1804. « À compter du jour où les lois composant le Code civil sont exécutoires, les lois romaines, les ordonnances, les coutumes générales ou locales, les statuts et règlements, ont cessé d’avoir force de loi générale ou particulière dans les matières qui font l’objet de ces lois. » Coutumes générales ou locales ne veut pas dire droit coutumier général ou particulier, mais droit particulier à une province ou à une localité (écrit ou non écrit). Le droit coutumier s’appelle usage.
  174. Code civil, art. 4.
  175. Code civil, art. 645, 650, 663, 671, 674, 1736, 1754, 1758, 1777. — Les art. 1135, 1159, 1160, n’ont avec le sujet qui nous occupe qu’un rapport apparent.
  176. Œsterreich. Gesetzbuch, § 10, 12.
  177. Simon und Strampf, Rechtssprüche Preussischer Gerichtshöfe. Berlin, 1828.