Traité de la pesanteur de la masse de l’air/Chapitre VII

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Traités de l’équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l’air
Texte établi par Léon Brunschvicg et Pierre BoutrouxHachette (p. 242-247).
Traité de la pesanteur de la masse de l’air


Chapitre VII.Combien l’eau s’éleve dans les Pompes en chaque lieu du monde.


De toutes les connoissances que nous avons, il s’ensuit qu’il y a autant de differentes mesures de la hauteur où l’eau s’éleve dans les Pompes, qu’il y a de differents lieux et de differents temps où on l’éprouve ; et qu’ainsi si on demande à quelle hauteur les Pompes aspirantes élevent l’eau en general, on ne sçauroit répondre precisément à cette question, ny mesme à celle cy : à quelle hauteur les Pompes élevent l’eau à Paris, si l’on ne détermine aussi le temperamment de l’Air, puisqu’elles l’élevent plus haut, quand il est plus chargé : mais on peut bien dire à quelle hauteur les Pompes élevent l’eau à Paris quand l’air est le plus chargé ; car tout est specifié. Mais sans nous arrester aux differentes hauteurs où l’eau s’éleve en chaque lieu, suivant que l’Air est plus ou moins chargé, nous prendrons la hauteur où elle se trouve, quand il l’est mediocrement, pour la hauteur naturelle de ce lieu là ; parce qu’elle tient le milieu entre les deux extremitez, et qu’en connoissant cette mesure, on aura la connoissance des deux autres, parce qu’il ne faudra qu’ajoûter ou diminuer dix poulces. Ainsi nous donnerons la hauteur où l’eau s’éleve en tous les lieux du monde[1], quelques hauts et quelques profonds qu’ils soient, quand l’Air y est mediocrement chargé.

Mais auparavant, il faut entendre qu’en toutes les Pompes qui sont à mesme niveau, l’eau s’éleve precisément à la mesme hauteur (j’entends toujours en un mesme temperamment d’Air) ; car l’Air y ayant une mesme hauteur, et partant un mesme poids, le poids y produit de semblables effets.

Et c’est pourquoy nous donnerons d’abord la hauteur où l’eau s’éleve aux lieux qui sont[2] à niveau de la mer, parce que toute la mer est precisément du mesme niveau, c’est à dire également distante du centre de la terre en tous ses points : car les liquides ne peuvent reposer autrement, puisque les points qui seroient plus hauts couleroient en bas ; et ainsi la hauteur où nous trouverons que l’eau s’éleve dans les Pompes en quelque lieu que ce soit, qui soit au bord de la mer, sera commune à tous les lieux du monde qui sont au bord de la mer : et il sera aisé d’inférer de là à quelle hauteur l’eau s’élevera dans les lieux plus ou moins élevez de 10. ou 20. 100. 200. ou 500. toises, puisque nous avons donné la difference qu’elles apportent.

Au niveau de la mer, les Pompes aspirantes élevent l’eau à la hauteur de 31. pieds deux poulces à peu pres ; il faut entendre quand l’Air y est chargé mediocrement.

Voilà la mesure commune à tous les points de la mer du monde : d’où il s’ensuit qu’un Siphon éleve l’eau en ces lieux là, tant que sa jambe la plus courte a une hauteur au dessous de celle là ; et qu’un soufflet bouché s’ouvre avec le poids de l’eau de cette hauteur là, et de la largeur de ses aîles ; ce qui est toûjours conforme. Il est aisé de passer de là à la connoissance de la hauteur où l’eau s’éleve dans les Pompes aux lieux plus élevez de dix toises : car, puisque nous avons dit que dix toises d’élevation causent un poulce de diminution à la hauteur où l’eau s’éleve ; il s’ensuit qu’en ces lieux là l’eau s’éleve seulement à 31. pieds un poulce.

Et par[3] mesme moyen, on trouve qu’aux lieux plus élevez que le niveau de la mer, de vingt toises, l’eau s’éleve à 31. pieds seulement.

Dans ceux qui sont élevez au dessus de la mer de 100. toises, l’eau monte seulement à 30. pieds quatre poulces.

Dans ceux qui sont élevez de 200. toises, l’eau monte à 29. pieds six poulces.

Dans ceux qui sont élevez d’environ 500. toises, l’eau monte à peu prés à 27. pieds.

Ainsi on pourroit éprouver le reste. Et pour les lieux plus enfoncez que le niveau de la mer, on trouvera de mesme les hauteurs où l’eau s’éleve, en ajoutant, au lieu de soustraire, les differences que ces differentes hauteurs donnent.


CONSEQUENCES.


I. De toutes ces choses, il est aisé de voir qu’une Pompe n’éleve jamais l’eau à Paris à 32. pieds, et qu’elle ne l’éleve jamais moins de 29. pieds et demy.

II. On voit aussi qu’un Siphon, dont la courte jambe a 32. pieds, ne fait jamais son effet à Paris.

III. Qu’un Siphon, dont la jambe la plus courte a 29. pieds et au dessous, fait toûjours son effet à Paris.

IV. Qu’un Siphon dont la courte jambe a 31. pieds precisément à Paris, fait son effet quelquefois, et quelquefois ne le fait pas, selon que l’air est chargé.

V. Qu’un Siphon qui a 29. pieds pour sa courte jambe, fait toûjours son effet à Paris, et jamais à un lieu plus élevé, comme à Clermont en Auvergne.

VI. Qu’un Siphon qui a dix pieds de haut, fait son effet en tous les lieux du monde ; car il n’y a point de montagne assez haute pour l’en empescher ; et qu’un Siphon qui a 50. pieds de haut ne fait son effet en aucun lieu du monde ; car il n’y a point de caverne assez creuse pour faire que l’Air pese assez pour soulever l’eau à cette hauteur.

VII. Que l’eau s’éleve dans les pompes à Dieppe, quand l’Air est mediocrement chargé, à 31. pieds deux poulces, comme nous avons dit, et quand l’air est le plus chargé à 32. pieds ; qu’elle s’éleve dans les Pompes sur les montagnes hautes de 500. toises au dessus de la mer, quand l’Air est mediocrement chargé, à 26. pieds onze poulces ; et quand il est le moins chargé, à 26. pieds un poulce : de sorte qu’il y a difference entre cette hauteur et celle qui se trouve à Dieppe, quand l’Air y est le plus chargé, de cinq pieds onze poulces, qui est presque le quart de la hauteur qui se trouve sur les montagnes.

VIII. Comme nous voyons qu’en tous les lieux qui sont à mesme niveau, l’eau s’éleve à pareille hauteur, et qu’elle s’éleve moins en ceux qui sont plus élevez ; aussi, par le contraire, si nous voyons que l’eau s’éleve à pareille hauteur en deux lieux differents, on peut conclure qu’ils sont à mesme niveau ; et si elle ne s’y éleve pas à mesme hauteur, on peut juger, par cette difference, combien l’un est plus élevé que l’autre : ce qui est un moyen de niveler les lieux,[4]quelques esloignez qu’ils soient, assez exactement et bien facilement ; puis qu’au lieu de se servir d’une Pompe aspirante qui seroit difficile à faire de cette hauteur, il ne faut que prendre un tuyau de trois ou quatre pieds plein de vif argent, et bouché par en haut, dont nous avons souvent parlé, et voir à quelle hauteur il demeure suspendu ; car sa hauteur correspond parfaitement à la hauteur où l’eau s’éleve dans les Pompes.

IX. On voit aussi de là que les degrez de chaleur ne sont pas marquez exactement dans les meilleurs thermometres ; puisqu’on attribuoit toutes les differentes hauteurs où l’eau demeure suspenduë à la rarefaction ou condensation de l’air interieur du tuyau, et que nous apprenons de ces experiences, que les changemens qui arrivent à l’Air exterieur, c’est à dire à la masse de l’Air, y contribuënt beaucoup.

Je laisse un grand nombre d’autres consequences qui s’ensuivent de ces nouvelles connoissances, comme, par exemple, la voye qu’elles ouvrent pour connoistre l’étenduë precise de la Sphere de l’Air, et des vapeurs qu’on appelle l’Athmosphere ; puis qu’en observant exactement de cent en cent toises, combien les premieres, combien les secondes et combien toutes les autres donnent de differences, on arriveroit à conclure exactement la hauteur entiere de l’Air. Mais je laisse tout cela pour m’attacher à ce qui est propre au sujet.

  1. Bossut corrige l’orthographe de 1663 : quelques hauts et quelques profonds.
  2. Bossut imprime au.
  3. Bossut imprime : le.
  4. Bossut corrige quelque.