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Traité populaire d’agriculture/Durée de la prairie

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SECTION QUATRIÈME.

Durée de la prairie.

Deux circonstances principales déterminent quelle doit être la durée d’une prairie :

1osa nature,

2oson rendement.

I
NATURE DE LA PRAIRIE.

Nous n’avons rien dit jusqu’à présent des caractères qui distinguent la prairie artificielle de la naturelle. Mais, après l’étude que nous venons de faire des prairies, il nous sera facile de tracer à l’une et à l’autre leurs limites respectives, de signaler la ligne de démarcation qui les sépare, leurs caractères distinctifs.

Le moment est d’autant plus opportun que nous sommes rendu à parler de la durée des prairies. Or, c’est leur durée qui constitue une de leurs plus grandes différences.

1oDes prairies artificielles.

Nous définirons la prairie artificielle une surface couverte de plantes particulières qu’on y a semées, cultivées, soit isolément, soit plusieurs ensemble et qui n’occupent le sol que pendant un petit nombre d’années, pour y être semées de nouveau après un intervalle de temps plus ou moins long.

I.« C’est une surface couverte de plantes particulières. »

Les plantes que l’on fait entrer dans la formation des prairies artificielles peuvent être partagées en deux groupes : les espèces légumineuses et les espèces non légumineuses.

1oLes plantes légumineuses se distinguent de celles qui ne le sont pas par cet incontestable avantage de puiser dans l’atmosphère la plus grande partie de leurs éléments nutritifs, et d’abandonner au sol, après la récolte, de nombreuses racines et une quantité notable de débris végétaux. La terre, loin d’être épuisée, se trouve donc plus riche qu’elle ne l’était auparavant. Grâce à ce résultat, les plantes légumineuses qui le donnent ont reçu le nom de récoltes améliorantes.

Ce premier groupe renferme entre autres les espèces suivantes : trèfle rouge, trèfle blanc, trèfle incarnat, luzerne, sainfoin, pois, vesces, lentilles, etc.

2oLes plantes non légumineuses puisent dans le sol et non dans l’air la plus grande partie de leurs éléments nutritifs. Ajoutons qu’elles n’augmentent pas, comme les légumineuses, la fertilité du sol par leurs débris. Bien au contraire, quelques-unes de ces plantes sont de véritables récoltes épuisantes, d’autres laissent le sol à peu près dans le même état qu’il était avant leur culture.

On adopte ces fourrages dans les circonstances, suivantes :

Lorsque l’on veut obtenir des produits dans un temps où on ne peut compter sur ceux des autres fourrages ;

Lorsque le sol leur convient mieux qu’aux légumineuses ; il est préférable alors d’y cultiver les espèces non légumineuses ; on obtient, en effet, des produits excellents là où les légumineuses n’auraient offert qu’une végétation chétive ;

Enfin, lorsque le sol s’est dépouillé de ses éléments de fertilité au profit des plantes légumineuses.

Les plantes non légumineuses, en effet, s’enfoncent beaucoup moins profondément dans le sol que les trèfles, les luzernes et les sainfoins ; leurs racines peuvent donc trouver dans la couche superficielle du sol les éléments nutritifs nécessaires à la plante et les couches inférieures du sol ont le temps de reprendre les éléments de fertilité dont la végétation des légumineuses les avait privées.

Ce deuxième groupe, entre autres espèces, renferme les suivantes : le maïs, le seigle, l’orge, l’avoine (cultivés comme fourrages), le chou, la spergule, le millet, le sorgho, etc.

II.« C’est (la prairie artificielle) une surface couverte de plantes particulières qu’on y a semées. »

La prairie artificielle s’est longtemps distinguée de la naturelle par son origine. La première avait pour point de départ le semis ; la dernière, abandonnée à elle-même, naissait de ce que nous avons appelé la croissance spontanée. Aujourd’hui, cette distinction d’origine n’a plus la même importance, puisqu’on crée la prairie naturelle, qu’on lui donne à elle aussi une origine artificielle.

Cependant, si le semis est maintenant commun aux deux espèces de prairies, la prairie naturelle se distinguera toujours de l’artificielle par la propriété de pouvoir être formée par transplantation ou par croissance spontanée ; c’est là une propriété caractéristique.

III.« Par des plantes cultivées isolément ou plusieurs ensemble. »

Une prairie artificielle se distingue en effet d’une prairie naturelle par le petit nombre de ses plantes, qui peuvent même être cultivées séparément, ce qui n’a pas lieu dans la prairie naturelle.

C’est ainsi que dans la prairie artificielle, on cultive souvent le trèfle rouge seul ; à dire le vrai, la plupart des plantes légumineuses que nous avons nommées sont cultivées isolément : il en est de même des plantes non légumineuses.

Parfois aussi, on associe plusieurs des légumineuses ; mais autant que possible, on mélange entre elles des plantes de même durée, les plantes vivaces avec les plantes vivaces, les plantes annuelles avec les plantes annuelles.

Le mélange de plusieurs plantes vivaces sur le même terrain ne peut être tenté avec succès qu’autant que celui-ci convient à peu près également aux espèces que l’on veut associer ; à ce point de vue, le mélange en question présente toujours quelques difficultés.

Le mélange de plantes annuelles présente moins d’inconvénients, puisque par leur durée (elles sont annuelles), ces plantes donnent immédiatement tout le produit que leur permettent les circonstances. Ce mélange même est avantageux en ce que le fourrage obtenu est plus abondant, de meilleure qualité, et que d’ailleurs son produit est plus assuré contre les intempéries de la saison.

IV.« Enfin, les plantes de la prairie artificielle n’occupent le sol que pendant un petit nombre d’années. »

Ceci nous ramène à la question ; il s’agit en effet de la durée de la prairie.

Elle est le véritable caractère distinctif des prairies artificielles et naturelles. Si toutes deux peuvent réclamer, le plus souvent, une semblable origine, leur durée est loin d’être la même.

La prairie naturelle a une durée pour ainsi dire illimitée ; la prairie artificielle n’occupe le sol que pendant un petit nombre d’années.

Il est bien facile d’en trouver la raison.

La prairie artificielle, nous l’avons dit, ne se compose que de quelques plantes, annuelles ou vivaces, et encore, si les plantes sont vivaces, la prairie n’est-elle le plus souvent formée que d’une seule espèce. Seules ou en petit nombre, ces espèces sont toujours coupées avant la maturité de leurs semences, elles ne peuvent par conséquent se régénérer. Et, si l’on ajoute qu’elles ont bientôt épuisé les matières salines que leur offre le sol, on comprendra aisément que, même dans les conditions les plus favorables, la prairie artificielle doit avoir une courte durée.

Dans la prairie naturelle, les choses se passent tout autrement : formée d’un grand nombre de plantes mûrissant à des époques différentes, elle reçoit, avant d’être fauchée, les graines que les espèces hâtives laissent tomber sur le sol : c’est une véritable semence, annuellement reçue, qui, en reproduisant les espèces, prolonge la durée de la prairie. Les débris des feuilles, des tiges et des racines de toutes ces plantes, dont beaucoup vivent plus aux dépens de l’atmosphère que du sol, rendent à la terre plus d’éléments qu’elles n’y en ont puisé. Et d’ailleurs, un phénomène bien propre à faire durer les prairies naturelles, c’est que les plantes qui la composent y subissent une véritable rotation. Celles qui ne trouvent plus dans le sol les substances minérales propres à leur continuer la vie, disparaissent et donnent leur place à des espèces n’ayant pas les mêmes besoins, les mêmes exigences, pour reparaître plus tard lorsque le sol a retrouvé ces mêmes substances minérales dont elles ont besoin, et le sol les retrouve soit dans les débris laissés par les autres plantes, soit dans les engrais répandus à la surface, soit enfin dans cette action continue exercée par les agents atmosphériques.

La durée d’une prairie quelconque dépend donc de sa nature, celle des prairies artificielles est sujette à beaucoup de circonstances ; nous en avons entrevu les principales dans l’étude que nous venons de faire de leur constitution.

S’il nous faut toutefois préciser davantage, nous pouvons ajouter qu’ordinairement une prairie artificielle ne dure que deux, trois et quatre ans ; dans quelques circonstances, elle peut dépasser ces limites d’un très petit nombre d’années.

2oDes prairies naturelles.

L’étude comparée que nous venons de faire des prairies artificielles nous permet de comprendre de suite la définition suivante, que nous donnons des prairies naturelles.

Ce sont des surfaces gazonnées, composées d’un grand nombre d’espèces de familles différentes, formées naturellement, par semis ou par transplantation, et pouvant avoir une durée illimitée.

Puisque cette question de la durée des prairies nous a amené à traiter des prairies artificielles et des prairies naturelles, nous en profiterons pour pousser un peu plus loin notre étude, en faisant connaître les avantages des unes et des autres.

Les prairies artificielles offrent sur les prairies naturelles les avantages suivants. Sur une même étendue de terrain, elles donnent une plus grande quantité de nourriture. On obtient de suite un maximum de produits que les prairies naturelles ne peuvent donner qu’au bout d’un certain nombre d’années.

Un autre avantage important, c’est que l’excédent d’engrais prélevé par les fourrages dans l’atmosphère et accumulé dans le sol est utilisé au moyen des récoltes qui succèdent aux prairies, et cette succession est rapide puisque la prairie artificielle n’occupe le sol que pendant un petit nombre d’années. Dans la prairie naturelle, au contraire, cette accumulation d’éléments de fertilité reste improductive sous un gazon dont la durée est illimitée.

D’un autre côté, si les prairies naturelles donnent moins de fourrage, elles exigent un capital d’exploitation bien moins élevé. Une fois formées, d’ailleurs, elles donnent un produit annuel plus régulier, plus facilement calculable, qui permet, par conséquent, d’asseoir la spéculation sur une base à peu près certaine.

À part ces considérations, on doit transformer en prairies naturelles, à l’exclusion de toute culture annuelle, les terrains placés dans les conditions suivantes, quelles que soient d’ailleurs les circonstances locales, hormis toutefois qu’on ne préfère les consacrer au pâturage.

1oLes surfaces à pente rapide, où la culture est difficile, peu productive, et dont la terre, ameublie par les labours, est facilement entraînée vers les parties plus basses ;

2oles terrains exposés aux inondations périodiques, surtout ceux qui avoisinent les fleuves et les rivières. Ces terrains, s’ils n’étaient recouverts d’une couche de gazon, seraient ravinés, mangés par l’eau, comme disent nos cultivateurs ; leurs récoltes souvent compromises par l’eau. Et d’ailleurs, annuellement engraissés par le limon des eaux, ces terrains donnent en foin un produit souvent supérieur à celui que l’on pourrait espérer obtenir de prairies artificielles créées dans les mêmes terrains ;

3oles sols bas, humides, que l’on n’a pu suffisamment égoutter pour que les récoltes annuelles puissent s’y développer convenablement ;

4oenfin, certains terrains qui par leur composition élémentaire et la fraîcheur modérée qui y règne, même en été, donnent un fourrage qui dépasse en quantité et en qualité, celui des meilleures prairies artificielles.

Les prairies naturelles, avons-nous dit, ont une durée illimitée ; mais il faut, pour cela, qu’elles soient établies et entretenues avec soin, purgées de mauvaises herbes et suffisamment fumées.

Ces conditions observées, les prairies naturelles, en vieillissant, ne font que s’attacher davantage au sol, car, la couche superficielle devenant de plus en plus fertile, le gazon acquiert la propriété de résister plus facilement aux causes de destruction.

Il n’y a donc pas nécessité de rompre ces prairies pour les rétablir de nouveau après un certain temps, comme cela doit avoir lieu pour les prairies artificielles.

Cependant, dans diverses circonstances, il peut devenir avantageux de rompre de temps en temps les prairies naturelles.

En effet, les principes fertilisants, accumulés dans le sol, finissent par former un capital d’engrais dont l’intérêt n’est plus suffisamment payé par l’herbe qu’il fait croître. Le meilleur moyen d’utiliser cet engrais, c’est de le consacrer à la production d’un certain nombre de récoltes annuelles.

C’est alors le temps de rompre les prairies.

Mais quand arrive cette époque ? Il est assez difficile de la préciser, parce que l’accumulation de l’engrais dont nous venons de parler est loin de se faire avec la même rapidité dans toutes les prairies. Il faut aussi faire la part des circonstances, qui ne sont pas toujours les mêmes. Enfin il en dépend de la fertilité naturelle du sol, de l’abondance des engrais qu’on y répand, de la nature des espèces de plantes qui y croissent.

En somme, on peut dire, prenant en considération toutes ces circonstances, que cette richesse en principes actifs ne commence guère à se montrer avant la douzième année qui suit la création de la prairie, en supposant aussi que le sol ait été maintenu dans un état moyen de fertilité.

II
RENDEMENT DE LA PRAIRIE.

Le rendement d’une prairie est chose extrêmement variable : le climat, la nature et le degré habituel d’humidité du sol, la quantité d’engrais qu’il reçoit, l’état de sécheresse ou d’humidité de l’atmosphère : voilà autant de causes qui agissent puissamment sur l’abondance des produits.

On considère en général 250 à 300 bottes de foin par arpent comme un très beau produit, et 75 bottes comme un rendement très faible.

Aussi, lorsqu’une prairie naturelle ne donne pas en moyenne au moins 75 bottes par arpent, son sort est fixé et sa transformation en pâturage ou en culture est par là même indiquée, quel que soit d’ailleurs son âge.