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Traité populaire d’agriculture/Fenaison

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SECTION TROISIÈME.

Fenaison.

Nous entendons ici par fenaison la série des opérations culturales auxquelles on a recours pour couper les plantes des prairies, hâter leur dessiccation, leur conversion en foin et leur conservation ultérieure.

Nous avons donc : 1o le fauchage ; 2o le fanage ; 3o la conservation du foin.

I
FAUCHAGE.

On peut considérer dans le fauchage : 1o l’époque à laquelle on l’exécute ; 2o le mode d’exécution.

1oÉpoque.

Elle dépend du climat et de la nature des plantes qui entrent dans la composition de la prairie ; il n’est donc point facile de donner une date précise. On peut dire toutefois, et tous les auteurs sont d’accord sur ce point, qu’il est temps de faucher la prairie lorsque les plantes qui y dominent sont en pleine fleur.

Retarder le fauchage sous prétexte que l’herbe est encore tendre et qu’elle diminuerait trop de volume par la dessiccation, c’est vouloir souvent récolter de la paille au lieu de récolter du foin. Combien de cultivateurs commettent obstinément cette faute, sacrifiant ainsi la qualité à une quantité qu’on peut bien appeler illusoire.

En effet, si on laisse passer l’époque favorable, la plus grande partie du fourrage serait alors composée de tiges sèches, épuisées, n’ayant d’autres propriétés nutritives que celles de la paille.

Il ne faut pas d’un autre côté tomber dans l’excès contraire et commencer trop tôt le fauchage de la prairie ; il y aurait alors perte sur la quantité, car les plantes n’auraient pas acquis tout leur développement.

Une circonstance incontrôlable retarde souvent, non pas le commencement des foins, mais pour une prairie déterminée l’époque de son fauchage, et cette circonstance assez fréquente dans notre pays, c’est la grande étendue de nos prairies.

On ne peut les faucher toutes en un jour, au moment de la floraison. Il faut bien alors que le travail du fauchage, exécuté à une époque favorable dans telle prairie, soit quelque peu en retard dans le champ voisin. Et quand même il serait possible, grâce à l’emploi des machines, de faucher, en quelques jours, nos grandes prairies, une autre circonstance défendrait l’exécution d’un tel ouvrage, c’est le manque de bras, la rareté de la main-d’œuvre. Il est facile de comprendre, en effet, que si l’emploi des machines perfectionnées permet de couper en peu de jours une grande quantité de foin, il faut de toute nécessité avoir recours aux bras de l’homme et au travail des animaux, pour les différentes opérations du fanage et surtout de l’engrangement des produits.

On peut tout de même tirer parti de ce retard inévitable, en ayant en vue dans l’ordre du fauchage la destination même du foin.

Ainsi, si le foin est destiné aux bêtes bovines, il faudra le couper plus tôt et réserver aux chevaux et aux moutons le foin fauché en dernier lieu.

L’époque du fauchage exerce sur la constitution de la prairie, la quantité et la qualité de ses produits, une influence très marquée et dont il est facile de se rendre compte.

On conçoit, en effet, que si une prairie est formée par des plantes qui toutes ou presque toutes fleurissent à la même époque, et que l’on coupe chaque année ces espèces au moment de leur floraison, elles ne se reproduiront que très difficilement.

Voici alors ce qui arrive. Leur proportion diminue, celle des espèces précoces augmente. Il en résulte donc, au bout d’un certain temps, un changement complet dans la composition de la prairie, qui de bonne qu’elle était, peut devenir de médiocre qualité. On prévient ce changement, en changeant, tous les quatre ou cinq ans, l’époque du fauchage ; on la retarde, afin de donner aux espèces que l’on a intérêt à conserver, le temps de répandre leurs semences.

2oMode.

Avons-nous besoin de dire ici que l’opération du fauchage s’exécute à l’aide de la faux et de la faucheuse ?

a]À la faux. — La faux décrit un arc de cercle dont le faucheur est le centre. La pointe de la faux entre dans l’herbe vis-à-vis de son pied droit. Il ne faut pas commencer plus à droite, ce serait se donner une fatigue inutile. Le poids de la lame tendant toujours à l’entraîner vers la terre, le faucheur doit tenir la pointe un peu élevée et ne raser le sol qu’avec la partie inférieure de la lame.

Dans le mouvement de retour, la faux doit glisser légèrement sur le sol, afin que le coup suivant n’attaque pas l’herbe trop haut. En outre, le coup de faux doit se soutenir jusqu’à la fin, sans quoi la pointe se relève et l’herbe n’est pas coupée assez près de terre.

Il importe de couper le foin le plus bas possible ; il ne faut pas perdre de vue en effet, qu’à partir du sol les trois premiers pouces d’herbe dans lesquels se trouvent toutes les feuilles avec les tiges, fournissent le double de fourrage de ce qui se trouve dans les six derniers pouces de l’extrémité des mêmes tiges, et que ce fourrage du bas est d’une qualité bien supérieure.

La coupe du foin s’exécute avec plus de facilité et de perfection lorsque les plantes sont mouillées, et encore toutes couvertes de rosée ; aussi plus d’un cultivateur a l’habitude de se mettre à l’ouvrage dès la pointe du jour. Mais alors les andains formés par le travail de la faux, demandent à être défaits promptement, parce que, ainsi mouillés, ils ne tardent pas à s’échauffer au soleil ; les parties inférieures jaunissent et le fourrage perd de sa qualité. On diminue cet inconvénient en fauchant dès le matin les parties élevées du champ, réservant pour le milieu du jour les bas-fonds et autres endroits humides où la dessiccation est plus longue et plus difficile.

b]À la faucheuse. — Le manque de bras a fait rechercher avec raison les moyens de substituer à la faux l’emploi de machines mues par des chevaux, pouvant couper, en peu de temps, une quantité considérable de fourrage à peu de frais, et ne demandant pour ainsi dire, qu’un seul homme pour les faire fonctionner.

La faucheuse fut inventée.

Le problème est maintenant résolu, et la faucheuse déclarée l’instrument le plus indispensable à notre culture. Avec nos grandes exploitations, avec notre système de culture fourragère, il nous faut la faucheuse qui supplée si avantageusement à cette rareté de la main-d’œuvre dont nous souffrons tant depuis quelques années.

Disons-le avec plaisir, nos cultivateurs ont compris leurs véritables intérêts, et la plupart d’entre eux possèdent maintenant une faucheuse.

Nous n’entrerons pas dans les détails de son fonctionnement, les brochures qui accompagnent les faucheuses indiquent la manière de s’en servir dans les différentes occasions, suivant la nature plus ou moins accidentée du terrain.

Un mot seulement sur le choix à faire.

Une bonne machine à faucher ne doit pas être d’une construction compliquée ; les mouvements les plus simples sont certainement ceux qui fonctionnent le mieux ; ils ont d’ailleurs l’énorme avantage de pouvoir être aisément réparés par les forgerons de nos campagnes, lorsque leur mécanisme se brise ou se dérange en quelque chose.

Toutes choses égales d’ailleurs, on devra choisir de préférence une faucheuse qui n’ait point un système d’engrenage appliqué aux deux grandes roues motrices. La transmission du mouvement s’opère facilement au moyen d’un ressort muni d’une guette, qui met en marche l’essieu de la machine. Avec de grandes roues à engrenage, la faucheuse présente un grave inconvénient : la terre pénètre, s’amasse dans les roues d’engrenage et arrête la marche de la machine.

II
FANAGE.

Après le fauchage vient naturellement le fanage, opération qui varie beaucoup plus qu’on ne se l’imagine d’une localité à l’autre.

Les uns veulent que l’herbe soit retournée derrière les faucheurs, les autres préfèrent la laisser vingt-quatre heures s’amortir sur l’andin ; il y en a qui forment des rangs avec trois, quatre ou cinq andins ; d’autres éparpillent l’herbe sur tout le champ et ne la réunissent en rangs qu’au moment d’en former des meulons appelés villottes, mulloches.

Ce qui est partout de principe général, ce dont on doit s’écarter le moins possible sous peine de compromettre sa récolte, c’est ceci :

Tant que l’herbe est en andins, telle qu’elle a été jetée par la faux, elle souffre peu d’une pluie, même prolongée, et, bien que la surface de l’andin blanchisse, l’intérieur reste vert. Il vaut mieux, quand même cet état devrait se soutenir pendant quelques jours, n’y pas toucher et réserver ses soins pour le foin qui a déjà été secoué, mais n’est pas arrivé à une dessiccation complète. Une fois que l’herbe a été remuée, elle ne doit plus rester éparse pendant la nuit, parce que, même par un beau temps, avec les rosées abondantes de juillet et d’août, elle ne fournirait qu’un foin léger, sans couleur, sans odeur, sans saveur, quelque chose enfin se rapprochant souvent de la paille. Il faut donc, avant le soir, mettre en moyens tas l’herbe qui a été secouée à la fourche et répandue le matin. Le lendemain, après que la rosée s’est dissipée, ces tas sont répandus de nouveau ; le foin qui en provient est retourné dans la journée ; le soir on le réunit en mulloches de sept à huit bottes, pour être charrié le lendemain dans les fenils.

Mais, tout dépend de la température.

Lorsque le soleil est couvert, que le temps est frais, qu’il ne fait pas de vent, que l’air est humide, le temps orageux, la dessiccation ne marche pas aussi vite, et le foin n’est souvent bon à être rentré qu’au bout de quatre, quelquefois huit jours. D’autres fois, lorsque le temps est sec et chaud, le foin fauché tel jour est bon à être rentré le lendemain.

Les diverses opérations du fanage sont exécutées à l’aide de la fourche et du râteau, et mieux encore avec le râteau à cheval et la machine à faner.

Ces deux instruments n’exigent chacun qu’un cheval et un conducteur et procurent aux cultivateurs qui les adoptent l’économie de vingt faneuses pendant la fenaison. Après que l’herbe a été fauchée, elle est éparpillée si régulièrement par la machine à faner, que l’on peut se dispenser de faire repasser l’instrument dans la journée pour remplacer l’opération qu’on appelle retourner le foin. Pour ramasser celui-ci, on fait passer le râteau à cheval qui le dépose en gros rouleaux réguliers sur toute la largeur du champ. Il est à remarquer que si ces rouleaux ne sont pas assez secs et ont besoin d’être répandus le lendemain, d’après les principes exposés plus haut, la machine à faner, en les prenant en long, peut faire ce travail beaucoup plus parfaitement qu’on ne l’exécute à la fourche, et en dix fois moins de temps. En outre, le foin peut rester plus longtemps répandu pour recevoir l’action de l’air et du soleil, puisque sa mise en rouleaux, au moyen du râteau à cheval, est loin de prendre une partie de l’après-midi, comme la confection des mulloches à l’aide du râteau à main. Ces mulloches, d’ailleurs, deviennent inutiles lorsque le foin est bien serré en gros rouleaux.

Le temps n’est pas toujours beau pendant la fenaison, mais dans cette saison, les pluies n’ont généralement pas de durée comme en automne et il ne faut jamais s’effrayer. S’il survient des ondées, les opérations de fanage ne peuvent pas toujours se succéder aussi régulièrement qu’il vient d’être indiqué. Si le temps reste à la pluie pendant quelques jours, on ne touche pas aux andins et on arrête le fauchage si l’on a beaucoup d’avance. Il faut surtout tâcher d’enlever tout ce qui est sec ; on met en petits tas ou en rangs tout ce qui n’est fané qu’à moitié. Dès que le soleil se montre on ouvre ces tas ou ces rangs pour les laisser ressuyer, ayant bien soin de les reformer avant la nuit.

L’emploi de la faucheuse simplifie les opérations du fanage et favorise la plus rapide conversion de l’herbe en foin. Et, en effet, les plantes sont coupées de manière à tomber très régulièrement sur le sol, où elles forment une couche uniforme, n’ayant que peu d’épaisseur. Elles reçoivent plus promptement l’action de l’air et du soleil, leur dessiccation est plus rapide. Le râteau à cheval, dont on se sert ensuite pour ramasser le foin en rangs avant la tombée du serein, exécute un travail très facile et très régulier, lorsque l’herbe a été ainsi coupée et disposée par la faucheuse.

La transformation des plantes fourragères en foin est une opération tellement importante que nous croyons devoir décrire ici la méthode suivie en Angleterre.

Elle peut, dans plus d’une occasion, être imitée par plus d’un de nos cultivateurs.

Le principe de cette méthode consiste à faner aussi vite que possible sous un climat humide comme l’est celui de l’Angleterre.

Le fauchage commence dès que les plantes dominantes sont en fleur et avant l’apparition des graines des principales graminées. De cette manière on parvient à récolter des foins qui se distinguent par la douceur, la souplesse et la finesse des tiges et des feuilles qui les composent.

Les faucheurs font leur travail sans l’interrompre un seul instant pour le fanage, qui s’opère de la manière suivante :

Premier jour. — Le premier jour, vers dix heures du matin, on éparpille et on secoue l’herbe fauchée dans la matinée. Le soir on la met en mulloches et on râtelle grossièrement le gazon sur lequel ce premier fanage a été exécuté.

Deuxième jour. — Lorsque la rosée a disparu, vers neuf heures du matin, on fane l’herbe coupée la veille depuis onze heures jusqu’au soir ; on éparpille les mulloches formées la veille et on disperse les andins faits par les faucheurs, depuis cinq heures jusqu’à dix heures dans la matinée. Pendant le milieu du jour on retourne l’herbe de nouveau, et le soir, avant l’apparition du serein, on la met toute en mulloches dont le volume varie suivant l’état de dessiccation des plantes. L’herbe qu’on a éparpillée le premier jour et qui a déjà l’aspect du foin, est disposée en tas plus volumineux que celle qui n’a encore été fanée que pendant une journée. Les mulloches, quelle que soit leur grosseur, sont disposées en lignes très régulières, afin qu’on puisse, avant la fin de la journée, râteler aisément la surface de la prairie à l’aide d’un râteau à cheval. Celui qui dirige le cheval doit suivre à chaque rayage des lignes bien parallèles et soulever les dents du râteau à des intervalles bien réguliers, afin que l’herbe ramassée forme, après l’opération, des lignes équidistantes perpendiculaires à la direction du rayage. On rassemble l’herbe ainsi disposée en lignes pour en faire de petits tas, en reprenant les mêmes lignes avec le râteau dans le sens de leur longueur.

Troisième jour. — Le matin du troisième jour, après la disparition de la rosée, on fane l’herbe que les faucheurs ont coupée le deuxième jour depuis dix heures du matin jusqu’au soir ; on éparpille les petites mulloches formées avec l’herbe fauchée ce même deuxième jour dans la matinée ; puis on démonte les grosses mulloches qui proviennent de l’herbe qu’on a fanée le premier jour. Vers midi ou une heure, on remue de nouveau toute l’herbe et à deux ou trois heures on relève en gros andins la partie qui a été coupée et fanée au début de la fenaison. Cette opération qu’on exécute avec des fourches ou au moyen d’un râteau à cheval, a pour but d’empêcher le soleil de décolorer le foin. Si l’on trouve que le foin est suffisamment sec, on l’entre ; sinon, on dispose, comme la veille, l’herbe en mulloches plus ou moins grosses selon l’état de dessiccation des plantes.

Quatrième jour. — On opère comme la veille. Lorsque, par suite d’une dessiccation incomplète, on a été forcé, le jour précédent, de mettre de nouveau en tas l’herbe fanée pendant la première journée, on l’éparpille un peu dans la matinée, pour l’enlever de la prairie pendant l’après-midi.

Le fanage en Angleterre est maintenant exécuté non plus avec des fourches, mais à l’aide de la machine à faner, qui remplace avantageusement les ouvriers.

Un autre moyen auquel on peut avoir recours et qui donne un résultat très avantageux, est celui connu sous le nom de méthode de Klappmeyer, parce que c’est l’agronome de ce nom qui l’a indiqué le premier.

On a recours à cette méthode si le trop mauvais temps ne laisse pas d’espoir de sécher le foin par le fanage ordinaire, ou si l’humidité du sol, dans les prés humides et marécageux, vient sans cesse rendre aux fourrages qui y sont étendus celle qu’ils perdent par l’évaporation.

« Cette méthode consiste à mettre l’herbe en très grosses meules dès le lendemain du jour où elle a été fauchée, en la pressant et foulant fortement avec le plus de régularité possible dans toutes ses parties. Ordinairement, la fermentation commence à s’y établir peu d’heures après que les tas ont été formés et elle augmente rapidement. On doit en suivre les progrès avec soin et lorsqu’elle est parvenue à ce point que la chaleur ne permet plus de tenir la main dans la meule, on démonte cette dernière promptement et on étend le fourrage. Quelques heures de soleil ou même de vent suffisent pour dessécher complètement l’herbe qui a subi cette fermentation et pour mettre le foin en état d’être rentré. Les feuilles et les fleurs, qui sont les parties les plus savoureuses, ne s’en détachent pas comme dans les foins qui ont été tourmentés par le mode ordinaire de fanage. À la vérité, le foin préparé par la méthode de Klappmeyer acquiert une couleur brune, mais il est sucré, savoureux, il a une odeur miellée et plaît beaucoup aux animaux.

« L’important, dans cette méthode, c’est de démonter les meules aussitôt que l’herbe est parvenue au degré de fermentation convenable. La pluie ne doit pas même faire retarder cette opération, sans laquelle tout se gâterait. Mais, dès que le fourrage est refroidi, on peut le remettre en meule ou le rentrer sans craindre qu’il s’échauffe de nouveau.

« Ce procédé, ajoute Dubreuil, auquel nous empruntons ces détails, est surtout convenable dans les climats septentrionaux, où les pluies sont souvent très abondantes au moment de la récolte des foins ; dans ces saisons pluvieuses, ceux-ci sont toujours mal récoltés, le plus souvent gâtés et pourris, après avoir toutefois coûté aux cultivateurs beaucoup de soins et de frais de main-d’œuvre, pour les faire tourner et retourner pendant plusieurs jours dans le champ, dans les intervalles des averses.

« En Russie, on conserve aux foins leur verdure naturelle, en modifiant, ainsi qu’il suit la méthode de Klappmeyer. Aussitôt que l’herbe est coupée, et sans la laisser aucunement faner, on la met en meule, mais au milieu de celle-ci on a placé d’avance une cheminée faite avec quatre planches brutes. Il paraît que la chaleur développée par la fermentation, se dissipe par cette cheminée centrale, entraînant avec elle la presque totalité de l’eau de végétation, et que le foin conserve ainsi toutes ses feuilles, sa couleur et son goût primitifs. »

Quelle que soit la méthode adoptée, le foin, aussitôt qu’il est sec, doit être mis à l’abri de l’humidité, mis en meule ou rentré.

III
CONSERVATION DU FOIN.

Il ne faut pas l’oublier, le fanage est une des opérations les plus importantes, car c’est de la manière dont elle est pratiquée que dépend la bonne conservation des fourrages et par conséquent la bonne nourriture des bestiaux.

Aussitôt que le foin a acquis ce degré de dessiccation que l’expérience nous fait connaître comme le plus convenable à sa conservation, on procède immédiatement à l’engrangement du fourrage ou à sa mise en meule. Ce sont en effet les deux modes de conservation auxquels on a recours.

En Canada, notre hiver rigoureux commande la construction de bâtisses spéciales destinées à loger les animaux de la ferme pendant les six ou sept mois que la neige couvre les pâturages. Les écuries et les étables qu’il nous faut édifier ne sont néanmoins qu’une partie de tout un système de constructions auxquelles nous donnons le nom de grange. Nos granges, et il y en a sur toutes les fermes, contiennent, à part le logement destiné aux animaux, l’espace nécessaire au logement du grain et du fourrage.

Toutes les granges sont ainsi construites, et généralement elles sont assez spacieuses pour recevoir toutes les récoltes, les racines exceptées.

La conservation du foin en grange est donc le mode le plus généralement adopté et il n’y a, à proprement parler, que dans les années d’abondance où il faille et par nécessité, recourir à la construction des meules pour y conserver le fourrage.

Nous traiterons donc dans cet article de la conservation du foin en grange et en meules, chacun pouvant se trouver dans la nécessité de recourir à ce dernier moyen, lorsque le premier ne peut plus, après avoir été épuisé, lui donner davantage.

1oEn grange.

On y conserve le foin sous trois formes différentes.

Avant d’en parler et de choisir celle qui convient le mieux, faisons connaître tout d’abord à quoi tient la bonne conservation du foin.

Le point important, c’est que le foin soit bien tassé partout également, qu’on ne laisse aucun vide, et surtout qu’il n’y ait pas de courant d’air.

S’il n’y a pas de vides dans la masse, si l’air ne peut y pénétrer, le foin pourra peut-être fermenter, suer, s’échauffer à devenir brun, mais il ne s’enflammera pas, ni ne moisira.

On trouve quelquefois dans les fenils du foin moisi, mais la plus simple observation nous prouve que c’est seulement dans les endroits où le tassement n’a pu avoir lieu, comme dans les angles des murs ou sous les pièces de charpente, que le foin perd de sa couleur et de ses propriétés. Ajoutons que dans les fenils, la surface du tas de foin est généralement plus ou moins gâtée ; cette circonstance s’explique aisément et tient à ce que les vapeurs qui sortent de la masse, se condensant au contact de l’air, restent à la partie supérieure, qui alors se détériore.

Le moyen le plus simple de prévenir cette détérioration de la surface, c’est de recouvrir le tas de foin d’une couche de paille qui absorbe l’humidité et en préserve ainsi le foin placé au-dessous. On peut enlever cette paille qu’on donne en litière, dès qu’on n’a plus à craindre de la fermentation.

La toiture de la grange exerce aussi sur la conservation du foin immédiatement placé au-dessous, une influence qu’on ne saurait nier et qui dépend du matériel de construction. C’est ainsi qu’un toit en chaume est préférable à un toit en bardeaux pour la conservation du fourrage : cela tient à ce que la paille est bien plus mauvais conducteur de la chaleur que les autres matériaux.

En donnant ces quelques explications nous avons en même temps laissé entrevoir la première forme sous laquelle on conserve le foin : en tas.

C’est la forme la plus générale, celle que l’on retrouve presque partout. Elle a pour la recommander sinon la perfection de l’ouvrage, du moins sa grande promptitude ; son emploi économise sur le temps, ce qui est d’un incontestable avantage à l’époque si précieuse de la fenaison.

Lorsqu’on a une récolte considérable et que le temps est incertain, on ne doit pas craindre de rentrer du foin qui n’est pas parfaitement sec ; mais il faut alors avoir la précaution de saler ce fourrage.

C’est une pratique adoptée presque universellement en Angleterre.

On y répand le sel en poudre, au moyen d’un tamis, dans la proportion de quinze livres par cent bottes de foin. Ce sel se dissout peu à peu dans l’eau qu’exhale le foin pendant qu’il s’échauffe en tas, et il se trouve, de cette manière, réparti très également dans la masse du fourrage. L’emploi du sel empêche la moisissure, modère la fermentation et assure la bonne conservation du foin. La petite dépense de sel est donc plus que compensée par ce que le fourrage gagne en poids et en valeur.

Et d’ailleurs, le sel étant nécessaire dans l’alimentation animale, cette méthode est sans contredit une excellente manière de l’administrer aux bestiaux.

Quelques cultivateurs ont l’habitude de botteler le foin et de le conserver dans cet état : c’est la seconde forme, adoptée surtout dans les environs des villes. Elle a ses avantages et ses inconvénients. Botteler le foin sur le champ, avant de le rentrer, fait perdre un temps précieux, exige un surcroît de travail et d’ouvriers ; en outre, beaucoup de petites feuilles, les fleurs et les parties les plus délicates se détachent et restent sur le pré.

Il faut de plus, pour avoir recours à cette méthode, que le foin soit parfaitement sec, autrement il est exposé à moisir, parce qu’on ne peut pas le tasser régulièrement dans les fenils.

Enfin le foin bottelé occupant un volume plus considérable, nécessite un local plus spacieux.

D’un autre côté, le foin bottelé est d’un transport plus facile, d’une distribution plus régulière : il y a moins de gaspillage.

On peut obtenir ces avantages du bottelage, en éviter les inconvénients en adoptant la méthode suivante.

On ne met le foin en bottes que lorsqu’il est engrangé ; le bottelage se fait alors successivement, au fur et à mesure du besoin ; on y consacre les journées pluvieuses où l’on ne peut travailler dehors.

Enfin, la troisième manière de conserver le foin est le pressage ; c’est sans contredit le mode de conservation le plus parfait.

La compression du foin s’obtient au moyen de fortes presses qui réduisent le fourrage en masses compactes et serrées.

Il est essentiel que le foin soit parfaitement sec, avant de le presser, c’est le seul moyen d’éviter la fermentation.

Cette méthode, adoptée en Angleterre depuis longtemps, pratiquée sur une vaste échelle aux États-Unis, offre les principaux avantages suivants :

1ole foin conserve tout son arôme et toute sa force nutritive ;

2oil ne perd pas ses graines, ne se charge pas de poussière ;

3ola pluie à laquelle il est quelquefois exposé ne le mouille qu’à l’extérieur ;

4ola grande densité qu’il acquiert le rend plus difficilement inflammable ;

5ola réduction de son volume au septième de celui qu’il occupe ordinairement dans les granges, fait qu’il faut beaucoup moins d’espace pour le loger et apporte en outre une plus grande facilité et une plus grande économie dans les transports ;

6oenfin le foin se conserve sans altération pendant des années entières.

Malgré tous ces avantages, les cultivateurs n’adoptent pas ce moyen de conserver les produits de leurs prairies : on ne peut les en blâmer, parce que, au point de vue économique, le seul autorisé par une pratique intelligente, les frais d’établissement d’une machine à presser absorbent et au delà les bénéfices qu’on peut se promettre de son emploi, dans les circonstances ordinaires.

Il y a toutefois une circonstance où de toute nécessité le foin doit être pressé, c’est lorsque la facilité des débouchés permet de profiter du haut prix du marché ; il faut alors aussi faciliter le transport du fourrage, si l’on veut réaliser des profits considérables.

On peut dans ce cas louer une machine à presser, et même en supporter les frais d’achat, si l’on veut se livrer à une spéculation qui doive durer quelques années. C’est affaire de calcul : les circonstances particulières en donnent la solution.

Le foin pressé ne doit pas être donné aux animaux dans cet état de dureté que lui donne le pressage. Il faut préalablement lui rendre son élasticité première, soit en l’exposant à l’air, soit en le soumettant à une manipulation quelconque.

2oEn meules.

Il y a deux espèces de meules : les temporaires et les permanentes.

Les meules temporaires sont celles qu’on élève pour un temps très court, jusqu’à ce que le foin ait fermenté et perdu la plus grande partie de son eau de végétation, que le fanage n’a pu dissiper. Elles sont établies dans la prairie même, dans sa partie la plus élevée et aussi près du chemin que possible, afin de faciliter plus tard le chargement des charrettes. On leur donne ordinairement une forme ronde et quelque peu conique, ayant soin d’y tasser le foin aussi également que possible. On râtelle les parois de la meule pour en faire tomber les brins qui ne tiennent pas.

Les meules permanentes servent à conserver le foin jusqu’à l’époque de sa consommation par le bétail. On les construit ordinairement près des granges.

Elles doivent être élevées avec beaucoup de soin, isolées du sol par un bon lit de paille qui les préserve de l’humidité de la terre. Elles sont généralement de forme carrée, oblongue, présentant leur paroi la moins large au nord-est d’où nous viennent les vents pluvieux.

Leur sommet se termine en pointe, le milieu est renflé et la base va en se rétrécissant légèrement.

Si l’on préfère une meule ronde, on la monte contre une forte perche de bois, placée perpendiculairement et fortement fichée en terre, au centre même de l’emplacement. Cette perche doit excéder d’un pied au moins la hauteur de la meule, afin qu’à son sommet on puisse attacher la paille qui doit servir de couverture à la meule.

Le foin est mis par couches bien régulières et fortement tassé ; on peigne la meule avec un râteau ; bien plus, on coupe tous les brins qui dépassent, on lui donne une forme régulière, une surface bien égale, afin que l’humidité n’y pénètre pas. On creuse tout autour de la meule un petit fossé destiné à recevoir les eaux pluviales et à les porter au loin, et, pour empêcher l’infiltration de l’eau dans le corps même de la meule, on recouvre cette dernière d’un chapeau en paille, formé par de petites gerbes de paille que l’on pose en recouvrement les unes sur les autres, comme le bardeau de nos toits.

Le foin en meules se conserve très longtemps : il y acquiert de la qualité. Il se tasse tellement que lorsqu’on en a besoin pour la consommation, il devient quelquefois trop long et trop difficile de l’en arracher avec la fourche. On se sert de préférence d’un instrument tranchant appelé coupe-foin, qui, en effet, le coupe perpendiculairement d’une manière très uniforme.

En grange ou en meule, le foin diminue, perd de son poids à mesure qu’il vieillit. Il faut bien tenir compte de cette diminution, si l’on ne veut pas être trompé dans ses calculs. Le fourrage vert se réduit au quart de son poids par sa conversion en foin. Le foin lui-même, bien fané, bien sec, subit encore une diminution sensible : ainsi 100 livres de foin ne pèsent plus guère que 95 livres après un mois, 90 livres dans le cours de l’hiver, 80 livres dans le cours de l’été suivant. La diminution s’arrête pour ainsi dire à ce dernier chiffre, du moins il n’y a plus de perte assez sensible.