Traité populaire d’agriculture/Introduction

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INTRODUCTION



En demandant un Traité populaire d’Agriculture, le Conseil d’Agriculture de la province de Québec donne une nouvelle preuve de cette vive sollicitude vouée au succès de la plus belle des causes, le progrès agricole ; — en ouvrant un concours général où la compétition aura ses coudées franches, d’où le mérite sortira triomphant avec cette sanction de la victoire qui commande le respect et réveille la confiance, le Conseil d’Agriculture établit nettement, aux yeux de tous, que sa sollicitude est éclairée et que chacun de ses pas est fait dans les sentiers de la justice et du devoir.

C’est être fidèle à sa mission, c’est prouver, en même temps, que l’intelligence, alliée au devoir, sait produire des résultats pratiques que tout le monde accepte, parce que, nés sous ce souffle fécondant, ils se présentent avec des éléments qui en assurent la vitalité.

Le travail que nous offrons aujourd’hui au public doit la vie à cette inspiration généreuse. Il est donc de notre devoir de le dédier aux membres du Conseil d’Agriculture ; c’est avec bonheur que nous nous en acquittons, persuadé que ce travail trouvera dans ceux-là mêmes qui ont présidé à sa naissance heureux appui, intelligente et forte protection. Ces gages assurés de stabilité, ces éléments nécessaires d’une vie durable, nous les désirons pour cette œuvre à laquelle nous avons consacré des veilles que nous ne regrettons pas, parce que répondre à la voix du Conseil d’Agriculture, c’est répondre à celle de la patrie, travailler à l’avancement de l’agriculture, c’est se dévouer à son pays.

Nous ne l’ignorons point, pour mener à bonne fin une si importante entreprise, il nous faut suivre le chemin indiqué, être pénétré de l’idée qui a présidé à la décision rendue par notre Conseil d’Agriculture.

Quelle est cette idée ? En deux mots nous allons la préciser et prouver que notre travail en est le fidèle développement.

Un traité populaire d’agriculture doit tenir le milieu entre un cours complet et un manuel élémentaire. Le traité ou cours complet ne convient qu’aux hommes qui font de l’agriculture une étude spéciale et qui ont déjà des notions assez étendues sur les sciences naturelles ; le manuel élémentaire convient à nos écoles élémentaires. C’est une étude trop superficielle, qui peut satisfaire de jeunes intelligences, mais qui ne répond nullement aux exigences d’un esprit plus cultivé ou qui désire approfondir davantage les nombreux secrets du plus beau des arts. Entre ces deux extrêmes se trouve le juste milieu où vient naturellement se placer le livre que demande notre Conseil d’Agriculture.

C’est un traité et non un manuel, c’est un traité populaire et non un cours complet ; en d’autres termes, et telle est l’idée que nous en avons, le livre que l’on veut avoir doit contenir assez pour autoriser son introduction dans nos séminaires, collèges, écoles normales ; l’enseignement universitaire pourrait même faire bon accueil à notre ouvrage et le placer entre les mains des élèves. D’un autre côté, le traité en question doit répondre au titre qu’on lui donne, être populaire, contenir par conséquent assez peu pour que la plus grande partie de nos cultivateurs puissent se l’approprier, y puiser ces renseignements positifs que professe la saine théorie et que consacre une pratique intelligente.

Composer un ouvrage qui réunisse ces deux conditions, qui tende vers ce double but n’est pas chose facile. La tâche est ardue et tout indiqué que soit le chemin que nous devons parcourir, nous voyons, de suite, les obstacles qu’il nous faudra surmonter.

Mais ces difficultés ne nous ont point effrayé ; nous avons entrepris de les vaincre, fermement convaincu que si la victoire venait couronner nos efforts, nous aurions fait un ouvrage digne du Conseil d’Agriculture qui nous le demande, digne d’un pays dont la population est, avant tout, une population de cultivateurs.

Cette noble ambition nous a soutenu ; notre œuvre est finie. Nous la soumettons au jugement éclairé d’un tribunal compétent, avec le ferme espoir d’en obtenir cette solennelle approbation qui doit lui assurer une vie durable.

Prouver maintenant que notre travail est le fidèle développement de l’idée qui a présidé à la décision rendue par le Conseil d’Agriculture, exige naturellement les explications que nous allons donner.

Elles seront elles-mêmes une réponse aux objections qui peuvent surgir, se dresser en face de notre travail.

C’est sous l’empire de cette idée que notre livre doit être mis entre les mains de tous, du cultivateur de nos campagnes et de l’élève de nos maisons d’éducation, que nous avons groupé dans ces quelques pages, les diverses notions indispensables à l’étude de l’agriculture.

Nous avons donc parlé science et pratique.

Les principes scientifiques, il est facile de s’en convaincre par la simple lecture du premier livre de ce traité, sont présentés de manière à pouvoir être compris du cultivateur.

Il faut qu’il en soit ainsi, nous le savons.

Aussi, n’avons-nous rien négligé pour arriver à ce résultat. Nous avons lu nous-même cette partie de notre ouvrage à quelques cultivateurs et cette lecture, en nous montrant les points les plus difficiles et les moins clairs, nous a permis de retoucher notre œuvre, d’en faire disparaître les principales difficultés en y apportant des éclaircissements jugés nécessaires.

Ce travail nous a été agréable ; il nous donnait en effet la certitude d’être compris de nos lecteurs et c’est, avant tout, notre plus légitime ambition.

Parler science à nos cultivateurs ! nous avait dit quelqu’un, mais vous ne serez pas compris.

Nous avons tenté l’épreuve : elle a parfaitement réussi. Et d’ailleurs, qu’on en soit bien convaincu, si jamais on ne fait connaître aux cultivateurs les principes scientifiques de l’agriculture, jamais ils ne les sauront.

Pour savoir, il faut apprendre.

Apprendre aux autres, c’est enseigner.

Or, dans toute science, le point le plus difficile, à notre avis, n’est point la science elle-même, mais bien son enseignement.

Un enseignement clair, méthodique, approprié à l’intelligence de ceux à qui il s’adresse, rendra toujours facile l’étude de la science elle-même.

C’est pour avoir la certitude que l’étude de l’agronomie fût facile à tous que nous l’avons, pour ainsi dire, fait passer par cette filière de l’intelligence dont nous avons parlé. C’est aussi pour faciliter l’étude de la science agricole que nous en avons résumé les différentes divisions et subdivisions dans quelques tableaux dont la clarté frappe autant les yeux qu’elle parle à l’intelligence.

Placés au commencement de chaque livre, ces tableaux donnent la marche suivie ; c’est le plan même de l’ouvrage. D’un coup d’œil, on voit le tout, on se rend compte de l’ensemble ; il ne reste plus qu’à étudier le livre lui-même pour y trouver tous les détails que laisse deviner chacune des dernières subdivisions des tableaux.

L’enseignement est donc méthodique, la science plus facilement acquise.

Les difficultés qu’il a fallu vaincre en traitant de la science agricole, se sont présentées, mais moins fortes, lorsqu’il s’est agi d’aborder les questions de pratique.

Pour les surmonter nous avons, adoptant le même système, soumis cette autre partie de notre livre aux mêmes épreuves, et la faisant aussi précéder d’un tableau, nous avons facilité ainsi et de beaucoup l’étude de l’art agricole.

Et maintenant si l’on nous demande quels sont nos titres à la confiance du lecteur, sans crainte nous dirons :

Lisez notre travail et prononcez.

Ayant fait des études spéciales, cultivant nous-même une ferme d’une grande étendue, nous nous sommes cru autorisé à parler science et pratique.

La science ! nous l’avons puisée aux sources les plus fécondes et dans ce travail que nous livrons à la publicité, nous avons, plus d’une fois, mis à contribution ce que les auteurs ont écrit de mieux sur certains sujets particuliers.

L’exploitation d’une ferme comptant au delà de trois cent soixante arpents en état de culture, nous permet de revendiquer le titre de cultivateur et nous autorise à parler sciemment des différentes opérations culturales qui rentrent dans le domaine de la pratique.

Ce sont là nos titres.

Le succès, s’il couronne nos efforts, nous en donnera d’autres que le public saura apprécier.

Ce sera en même temps un encouragement pour nous.

Nous voulons, en effet, marcher dans la voie qui s’ouvre aujourd’hui devant nous et dans laquelle nous venons de tenter nos premiers pas.

Cette détermination peut expliquer pourquoi dans ce traité d’agriculture, nous avons gardé un profond silence sur une science importante entre toutes, celle de l’économie rurale.

Plus d’une raison nous faisait d’ailleurs un devoir d’agir de la sorte.

L’économie rurale, en effet, est d’une étude tellement importante que nous avons cru devoir, avant de rien publier sur le sujet, attendre que le temps et une expérience personnelle nous aient fourni les matériaux nécessaires à ce nouveau volume.

Le temps peut faire beaucoup.

Notre agriculture, de l’aveu général, est dans une époque de transition. Ce grand essor que prend notre industrie naissante influera, nous le croyons, sur notre système de culture ; la création d’industries nouvelles, intimement liées à la production agricole, peut changer du jour au lendemain les conditions de cette dernière.

Attendons.

Étudions le mouvement commencé, le changement qui s’opère.

Lorsque notre agriculture sera assise sur une base nouvelle, lorsque toutes les industries auront produit sur elle la réaction qu’on en attend, nous reprendrons la plume et dans un volume spécial nous traiterons de l’économie rurale.

Le temps qui aura opéré les changements auxquels nous faisons allusion, nous aura donné plus d’expérience personnelle, une plus parfaite connaissance du sujet à traiter.

Nous sommes donc parfaitement justifiable de remettre à plus tard ce qui, dans les circonstances actuelles, serait une œuvre incomplète ou du moins incapable de répondre aux exigences d’une situation changeante, qui demain ne sera pas ce qu’elle est aujourd’hui.


Saint-Pierre, Rivière du Sud, mars 1873.