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Traité sur les apparitions des esprits/II/55

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CHAPITRE LV.

Exemples de Chrétiens reſſuſcités renvoyés
au monde. Viſion de Vetin
Moine d’Augie.

ON lit dans un ancien ouvrage écrit du tems de ſaint Auguſtin[1], qu’un homme ayant été écraſé dans la ville d’Upzal en Afrique ſous une muraille qui tomba ſur lui, ſa femme courut à l’Egliſe pour invoquer S. Etienne, pendant qu’on diſpoſoit tout pour enterrer l’homme qui paſſoit pour mort. Tout d’un coup on le vit qui ouvroit les yeux, & faiſoit quelque mouvement du corps ; & après un certain tems il ſe leva en ſon ſéant, & raconta que ſon ame ayant quitté ſon corps, avoit rencontré une foule d’autres Ames de morts, dont il connoiſſoit les uns, & non pas les autres ; qu’un jeune homme en habit de Diacre étant entré dans la chambre où il étoit, avoit écarté tous ces morts, & lui avoit dit juſqu’à trois fois : Rendez ce que vous avez reçû. Il comprit enfin qu’il vouloit parler du Symbole, qu’il récita ſur le champ : il récita encore l’oraiſon Dominicale ; puis le Diacre (ſaint Etienne) lui fit le ſigne de la croix ſur le cœur, & lui dit de ſe lever en pleine ſanté.

Un jeune homme[2] Cathécumene, qui étoit mort depuis trois jours, ayant été reſſuſcité par les prieres de S. Martin, racontoit qu’après ſa mort il avoit été préſenté devant le Tribunal du Souverain Juge qui l’avoit condamné, & envoyé avec une grande troupe dans des lieux ténébreux ; qu’alors deux Anges ayant repréſenté au Juge que c’étoit un homme pour qui ſaint Martin avoit intercédé, le Juge ordonna aux Anges de le renvoyer au monde, & de le rendre à Martin ; ce qui fut exécuté. Il fut baptiſé, & vécut depuis aſſez long-tems.

Saint Salvi Evêque d’Albi[3] ayant été attaqué d’une groſſe fiévre, paſſa pour mort. On le lava, on le revêtit, on le mit ſur un brancard, & l’on paſſa la nuit en prieres auprès de lui : le lendemain matin on le vit remuer ; il parut s’éveiller d’un profond ſommeil ; il ouvrit les yeux, & levant la main au Ciel, il dit : Ah Seigneur, pourquoi m’avez-vous renvoyé en ce ſéjour ténébreux ? Il ſe leva entierement guéri, mais ſans vouloi parler.

Quelques jours après il raconta comme deux Anges l’avoient enlevé au Ciel, où il avoit vû la gloire du Paradis, & avoit été renvoyé malgré lui, pour vivre encore ſur la terre. Saint Grégoire de Tours prend Dieu à témoin, qu’il avoit appris cette Hiſtoire de la propre bouche de ſaint Salvi.

Un Moine d’Augie la Riche, nommé Vetin ou Guetin, qui vivoit en 824. étant tombé malade, étoit couché ſur ſon lit les yeux fermés ; mais n’étant pas encore endormi, il vit entrer un Démon ſous la forme d’un Clerc d’une horrible difformité, qui lui montrant des inſtrumens de ſupplice qu’il tenoit en main, le menaçoit de lui en faire bientôt reſſentir les rigoureux effets. En même tems il vit entrer dans ſa chambre une multitude de mauvais Eſprits, portant des inſtrumens comme pour lui bâtir un tombeau, ou un cercueil, & l’y enfermer.

Auſſitôt il parut des perſonnages ſérieux & d’un air grave en habit Religieux, qui firent ſortir ces Démons. Puis Vetin vit un Ange environné de lumiere, qui vint ſe préſenter au pied de ſon lit, & le conduiſit par un chemin très-agréable entre des montagnes d’une hauteur extraordinaire, au pied deſquelles couloit un grand fleuve, dans lequel étoit une grande multitude de damnés, qui ſouffroient des tourmens divers, ſelon la qualité & l’énormité de leurs crimes. Il y en vit pluſieurs de ſa connoiſſance, entr’autres des Prélats, des Prêtres coupables d’incontinence, qui étoient attachés par le dos à des pieux, & brûlés par un feu allumé au deſſous d’eux ; les femmes leurs complices ſouffroient le même tourment vis-à-vis d’eux.

Il y vit auſſi un Moine qui s’étoit laiſſé aller à l’avarice, & qui avoit poſſédé de l’argent en propre, qui devoit expier ſon crime dans un cercueil de plomb juſqu’au jour du jugement. Il y remarqua des Abbés, des Evêques & même l’Empereur Charlemagne, qui expioient leurs fautes par le feu ; mais qui en devoient être délivrés dans un certains tems. Il y remarqua auſſi la demeure des bien-heureux dans le Ciel, chacun dans ſon rang & ſelon ſes mérites, L’Ange du Seigneur lui déclara enſuite les crimes qui étoient ſes plus communs, & les plus odieux aux yeux de Dieu. II nomma en particulier la Sodomie comme le crime le plus abominable.

Après l’office de la nuit, l’Abbé vint viſiter le malade, qui lui raconta tout au long toute cette viſion, & l’Abbé la fit écrire aussi-tôt. Vetin vêcut encore deux jours, & ayant prédit qu’il n’avoit plus que le troiſiéme jour à vivre, il ſe recommanda aux priéres des Réligieux, reçut le ſaint Viatique, & mourut en paix le 31 d’Octobre 824.


  1. Lib. I. de miracul. ſancti Stephani, cap. 4. pag. 28. lib. 7. oper. S. Aug. in appendice.
  2. Sulpit. Sever. in vitâ S. Martini, n. 3.
  3. Gregor, Turon. lib. 7. c. I.