Trois mois dans les Pyrénées et dans le midi en 1858/Course de l’Entécade

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Luchon, mercredi, 14 juillet.


COURSE DE L’ENTÉCADE.


Temps splendide. — La grande expédition : est arrangée et préparée pour demain. — P... et G... viennent déjeuner avec moi. Nous partons tous trois à onze heures pour l’Entécade avec le père de Ribis. Ciel d’un superbe azur foncé comme il n’est guère dans les Alpes ; montagnes aux flancs ruisselants de lumière, aux contours arrêtés, purs, rapprochés ; ombres vigoureuses ; la verdure d’un vert plus intense, plus riche. Même la vallée de Luchon est transformée ; les tons chauds donnent un relief nouveau et un charme à toutes choses, qui revêt et fait oublier l’insuffisance de la forme. Le chemin de l’hospice est charmant par cette lumière ; fraîcheur de la jolie forêt de hêtres qu’on traverse. Devant nous se dessine la pointe aiguë de la Pique, un des sommets les plus inaccessibles, et gravi àgrande peine par M. Lezat. Pour aller à L’Entécade, on tourne à gauche au-dessus de l’hospice ; sentier d’abord sous les arbres, bientôt à travers des pâturages à pente rapide, où je trouve de beaux iris en fleur. À mesure qu’on n monte, la Pique se dresse comme une aiguille effilée, menaçante, et renversée en arrière. Nous montons à pied les dernières pentes ; trouvé des myosotis d’une grande vivacité de nuance sur l’herbe sèche et glissante ; l’air des montagnes leur donne plus de fraîcheur que les- eaux d’e nos plaines.

Du haut de l’Entécade, très-belle vue de sommets et panorama de montagnes ; une sorte de plan en relief des vallées et des différentes branches de la chaîne permettant de s’orienter dans toutes les directions. Au sud, au-dessus de la Pique et des montagnes hardiment découpées et dentelées de Vénasque, la grande masse à large base de la Maladetta attire tous nos regards. Le sommet est comme éventré, et étale larges glaciers en pente douce. Ils sont divisés en deux par une haute crête de roc qui sépare ceux de la Maladetta de ceux du Néthou ; le pic est couvert de neige jusqu’à sa pointe. Au-dessus du port de la Picade, d’autres glaciers espagnols ; la Forcanade avec de grandes masses de neige ; une raie qui descend le long de ses flancs ; au delà d’autres pics élevés. Immédiatement au-dessous de soi la vallée d'Artigue, belle, charmante et sauvage ; fraîches prairies et sombre forêt de sapins, repaire des ours. Au nord-est, on domine toute la vallée d’Aran, depuis Bosost jusqu'au pied de Viella. Plus au nord, Bacanère ; puis Superbagnères et Céciré ; au delà, aperçu le pic du Midi, le Vignemale, etc. ; enfin, à l’ouest, au-dessus des pentes de l’Entécade, le pâté des beaux et grands sommets qui forment l’arête centrale et culminante de la chaîne, et qui couronnent la vallée du Lys et le lac d’Oo. — Nous restons longtemps assis sur le pic. Les nuages arrivent. et nous donnent de l’inquiétude pour demain. Nous descendons par les pâturages de Campsaure, charmante descente, fraîche, riante, agreste. Nous rentrons à six heures. À la belle lumière du soir, la vallée de Luchon, vue de Castel-Viel, a un joli aspect. Après le diner, encore de gros nuages. Craintes et espérances tour à tour. Quand je rentre, la nuit est d’une pureté magnifique.