Un pari de milliardaires, et autres nouvelles/Un pari de milliardaires (v2)/Chapitre 15

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Traduction par François de Gaïl.
Société du Mercure de France (p. 42-44).

— Dites-moi comment, mon cher ; parlez vite.

— Donnez-moi un million et mon passage pour l’Amérique ; en échange je vous abandonne toutes les actions de la mine. Voyons, acceptez-vous ?

À cette proposition, je sentis mon sang se glacer dans mes veines ; j’avais envie de lui crier :

— Mais, mon pauvre Lloyd, vous oubliez que je suis moi-même un panné, un pauvre diable sans un sou vaillant et pourri de dettes !

Pourtant, je fis bonne contenance et j’essayai de maîtriser mon émotion en serrant fortement la mâchoire ; tel un capitaliste sûr de lui-même, je lui répondis avec un aplomb imperturbable :

— Eh bien oui, Lloyd, je vous sauverai.

— Oh ! merci mille fois, mon cher ami ; mon bonheur est désormais assuré. Si seulement je pouvais…

— Laissez-moi achever, Lloyd. Je vous sauverai, mais à ma façon ; car je veux que maintenant vous n’ayez plus à courir le moindre risque. Je n’ai pas besoin d’acheter des mines ; je préfère au contraire laisser en circulation mes capitaux ; mon crédit n’en sera que plus grand à Londres. Voici donc ce que je vais faire : je connais la mine dont vous parlez et suis édifié sur son immense valeur ; je peux donc en répondre les yeux fermés. Vous allez vendre dans la quinzaine pour trois millions d’actions comptant en vous servant de mon nom ; après cela nous ferons la répartition des actions.

Mon idée lui sourit tellement qu’il se mit à danser une sarabande folle ; dans sa joie, il aurait tout brisé autour de lui si je n’avais apporté bon ordre à son délire en le ligotant.

Il se calma enfin, disant d’un air béat :

— Moi, me servir de votre nom ! mais est-ce bien possible ? Ces riches Londoniens vont se précipiter chez moi pour attraper des actions ; ce sera une vraie course au clocher. Ma fortune est faite maintenant et assurée ; mais soyez tranquille, je n’oublierai jamais que je vous dois mon bonheur, ça, je vous le jure.

En moins de vingt-quatre heures tous les richards de Londres furent sur pied et vinrent chez moi : je les reçus en leur disant tout bonnement : « C’est vrai, je lui ai permis de se recommander de moi. Je le connais, et j’estime sa mine à sa juste valeur ; lui, est un homme de tout repos ; quant à sa mine, elle vaut dix fois ce qu’il en demande. »

Pendant tout ce joyeux temps, je passais mes soirées chez le ministre auprès de ma chère Portia ; je ne lui parlai pas de la mine, voulant lui ménager une surprise. Nous filions le parfait amour, causant avenir, bonheur, carrière, appointements, amour ; bref forgeant mille projets. Vous ne vous figurez-pas, mon cher, combien tout cela intéressait la femme du ministre et sa fille ; toutes deux s’ingéniaient à détourner l’attention du ministre pour l’empêcher d’interrompre mon récit.

Les deux dames étaient délicieuses de finesse.