Un pari de milliardaires, et autres nouvelles/Un pari de milliardaires (v2)/Chapitre 16

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Traduction par François de Gaïl.
Société du Mercure de France (p. 44-46).

À la fin du mois, j’avais un million de dollars à mon crédit, réparti entre les banques de Londres et celles du Comté. Hastings comme moi était ravi. Correctement vêtu, je me fis conduire en voiture à la maison de Portland Place et m’assurai par une inspection rapide de l’extérieur de l’hôtel que mes deux individus étaient de retour ; de là, je retournai chez le ministre pour chercher ma chère Portia ; nous repartîmes en voiture pour Portland Place et causâmes appointements tout le long de la route. Cette question brûlante donnait à sa beauté un caractère particulier ; la voyant si fiévreuse et en même temps si irrésistible, je ne pus m’empêcher de le lui dire.

— Ma chérie, vous êtes si ravissante qu’on n’osera jamais m’offrir moins de trois mille dollars par an.

— Henri, Henri, reprit-elle, vous n’y songez pas.

— Laissez-moi faire et fiez-vous à moi ; avec des yeux comme les vôtres, tout ira pour le mieux, j’en réponds.

Malgré mon affirmation, elle n’était pas convaincue et je dus remonter son courage tout le long de la route. — Elle ne cessa de me dire :

— Henri, n’oublions pas que si vous demandez trop, on ne vous accordera pas d’appointements. Que deviendrons-nous alors, sans aucune ressource, sans possibilité de gagner notre vie ?

Nous fûmes reçus par le même domestique qui m’avait ouvert la porte il y a un mois, et je me trouvai en face des deux mêmes individus. Ils regardèrent avec surprise la ravissante créature qui m’escortait, mais je leur dis sans hésiter :

— Cette jeune fille, Messieurs, est mon futur soutien, mon compagnon dans la vie.

Puis je présentai ces messieurs à Portia en déclinant leurs noms et qualités. Ils n’en parurent même pas surpris ; ils me croyaient sans doute capable de consulter le « Bottin de Londres ».

Ils nous firent très aimablement asseoir et redoublèrent d’empressement autour de Portia pour la mettre à l’aise.

Je pris la parole et dis :

— Messieurs, je viens vous rendre compte de mon mandat.

— Nous serons enchantés de vous entendre, reprit mon bienfaiteur, car il nous tarde de savoir qui de nous deux, mon frère Abel ou moi, a gagné son pari. Si vous me faites gagner, vous aurez tout ce qu’il est en mon pouvoir de vous donner. — Avez-vous le billet d’un million de livres ?

— Le voici, Monsieur, répondis-je en le lui tendant.

— J’ai gagné, hurla-t-il, en tapant dans le dos d’Abel. Qu’en dites-vous, mon frère ?

— Je dis que c’est bien le même billet, et que je perds bel et bien vingt mille livres. Je ne l’aurais jamais cru.

— Ce n’est pas tout, Messieurs, ajoutai-je : j’ai encore une très longue histoire à vous raconter. Il faut que vous me laissiez revenir pour vous narrer mes hauts faits pendant ce mois ; cela en vaut la peine, je vous assure. En attendant, regardez ceci :