Un philosophe sous les toits/Chapitre 5

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Michel Lévy Frères, libraires-éditeurs (p. 73-91).

CHAPITRE V.
COMPENSATION.
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Dimanche 27 mai. Les capitales ont cela de particulier que les jours de repos semblent le signal d’un sauve-qui-peut universel. Comme des oiseaux auxquels la liberté vient d’être rendue, les populations sortent de leurs cages de pierre et s’envolent joyeusement vers la campagne. C’est à qui trouvera une motte verdoyante pour s’asseoir ; l’ombre d’un buisson pour s’abriter ; on cueille les marguerites de mai, on court dans les champs ; la ville est oubliée jusqu’au soir où l’on revient le chapeau fleuri d’une branche d’aubépine et le cœur égayé d’un doux souvenir ; on reprendra le lendemain le joug du travail.

Ces velléités champêtres sont surtout remarquables à Paris. Les beaux jours venus, employés, bourgeois, ouvriers attendent avec impatience chaque dimanche pour aller essayer quelques heures de cette vie pastorale ; on fait deux lieues entre les boutiques d’épiciers et de marchands de vin des faubourgs, dans le seul espoir de découvrir un vrai champ de navets. Le père de famille commence l’instruction pratique de son fils en lui montrant du blé qui n’a pas la forme de petits pains et des choux « à l’état sauvage. » Dieu sait que de rencontres, de découvertes, d’aventures ! Quel Parisien n’a point eu son Odyssée en parcourant la banlieue et ne pourrait écrire le pendant du fameux Voyage par terre et par mer de Paris à Saint-Cloud !

Nous ne parlerons point ici de cette population flottante venue de partout, pour qui notre Babylone française n’est que le caravansérail de l’Europe ; phalange de penseurs, d’artistes, d’industriels, de voyageurs qui, comme le héros d’Homère, ont abordé leur patrie intellectuelle après avoir vu « beaucoup de peuples et de cités ; » mais du Parisien sédentaire, rangé, vivant à son étage comme le mollusque sur son rocher, curieux vestige de la crédulité, de la lenteur et de la bonhomie des siècles passés.

Car une des singularités de Paris est de réunir vingt populations complétement différentes de mœurs et de caractère. À côté des bohémiens du commerce et de l’art, qui traversent successivement tous les degrés de la fortune ou du caprice, vit une paisible tribu de rentiers et de travailleurs établis, dont l’existence ressemble au cadran d’une horloge sur laquelle la même aiguille ramène successivement les mêmes heures. Si aucune autre ville n’offre des vies plus éclatantes, plus agitées, aucune autre ne peut en offrir de plus obscures et de plus calmes. Il en est des grandes cités comme de la mer ; l’orage ne trouble que la surface ; en descendant jusqu’au fond, vous trouvez une région inaccessible au mouvement et au bruit.

Pour ma part je campais au bord de cette région sans l’habiter véritablement. Placé en dehors des turbulences publiques, je vivais réfugié dans mon isolement, mais sans pouvoir détacher ma pensée de la lutte. J’en suivais de loin tous les incidents avec bonheur, ou avec angoisse ; je m’associais aux triomphes ou aux funérailles ! pour qui regarde et qui sait, le moyen de ne pas prendre part ! Il n’y a que l’ignorance qui peut rendre étranger à la vie extérieure ; l’égoïsme même ne suffit point pour cela.

Ces réflexions que je faisais à part moi, dans ma mansarde, étaient entrecoupées par tous les « actes domestiques » auxquels se livre forcément un célibataire qui n’a d’autre serviteur que sa bonne volonté. En poursuivant mes déductions, j’avais ciré mes bottes, brossé mon habit, noué ma cravate ; j’étais enfin arrivé à ce moment solennel où l’on se demande, comme Dieu après la création du monde, si l’on trouve cela bien.

Une grande résolution venait de m’arracher à mes habitudes : la veille, des affiches m’avaient appris que c’était fête à Sèvres, que la manufacture de porcelaine serait ouverte au public. Séduit, le matin même, par la beauté du ciel, je m’étais subitement décidé à y aller.

En arrivant au débarcadère de la rive gauche, j’aperçus la foule qui se hâtait, attentive à ne point manquer l’heure. Outre beaucoup d’autres avantages, les chemins de fer auront celui d’accoutumer les Français à l’exactitude. Certains d’être commandés par l’heure, ils se résigneront à lui obéir ; ils apprendront à attendre quand ils ne pourront plus être attendus. Les vertus sociales sont surtout de bonnes habitudes. Que de grandes qualités inoculées à certains peuples par la position géographique, par la nécessité politique, par les institutions ! La création d’une monnaie d’airain trop lourde et trop volumineuse pour être entassée tua, pour un temps, l’avarice chez les Lacédémoniens.

Je me suis trouvé dans un wagon près de deux sœurs déjà sur le retour, appartenant à la classe des Parisiens casaniers et paisibles dont j’ai parlé plus haut. Quelques complaisances de bon voisinage ont suffi pour m’attirer leur confiance ; au bout de quelques minutes je savais toute leur histoire.

Ce sont deux pauvres filles restées orphelines à quinze ans et qui, depuis, ont vécu comme vivent les femmes qui travaillent, d’économie et de privations. Fabriquant depuis vingt ou trente ans des agrafes pour la même maison, elles ont vu dix maîtres s’y succéder et s’enrichir, sans que rien ait changé dans leur sort. Elles habitent toujours la même chambre, au fond d’une de ces impasses de la rue Saint-Denis où l’air et le soleil sont inconnus. Elles se mettent au travail avant le jour, le prolongent après la nuit, et voient les années se joindre aux années sans que leur vie ait été marquée par aucun autre événement que l’office du dimanche, une promenade ou une maladie.

La plus jeune de ces dignes ouvrières a quarante ans et obéit à sa sœur comme elle le faisait toute petite. L’aînée la surveille, la soigne et la gronde une tendresse maternelle. Au premier instant on rit, puis on ne peut s’empêcher de trouver quelque chose de touchant dans ces deux enfants en cheveux gris dont l’une n’a pu se désaccoutumer d’obéir, l’autre de protéger.

Et ce n’est point en cela seulement que mes deux compagnes sont plus jeunes que leur âge : ignorantes de tout, elles s’étonnent sans cesse. Nous ne sommes point arrivés à Clamart qu’elles s’écrieraient volontiers, comme le roi de la ronde enfantine, qu’elles ne croyaient pas le monde si grand !

C’est la première fois qu’elles se hasardent sur un chemin de fer, et il faut voir les saisissements, les frayeurs, les résolutions courageuses ! Tout les émerveille ! Elles ont dans leur âme un arriéré de jeunesse qui les rend sensibles à ce qui ne nous frappe ordinairement que dans les premières années. Pauvres créatures qui, en ayant gardé les sensations d’un autre âge, en ont perdu la grâce ! Mais n’y a-t-il pas quelque chose de saint dans cette ingénuité que leur a conservée le jeûne de toutes les joies ? Ah ! maudit soit le premier qui a eu le triste courage d’enchaîner le ridicule à ce nom de vieille fille qui rappelle tant de déceptions douloureuses, tant d’ennuis, tant de délaissement ! Maudit celui qui a pu trouver un sujet de sarcasme dans un malheur involontaire ; et qui a couronné d’épines des cheveux blanchis !

Les deux sœurs s’appellent Françoise et Madeleine ; leur voyage d’aujourd’hui est un coup d’audace sans exemple dans leur vie. La fièvre du siècle les a gagnées à leur insu. Hier Madeleine a subitement jeté cette idée de promenade, Françoise l’a accueillie sur-le-champ. Peut-être eût-il mieux valu ne point céder à la tentation offerte par la jeune sœur ; mais « on fait des folies à tout âge, » comme le remarque philosophiquement la prudente Françoise. Quant à Madeleine, elle ne regrette rien ; c’est le mousquetaire du ménage.

— Il faut bien s’amuser, dit-elle, « on ne vit qu’une fois. »

Et la sœur aînée sourit à cette maxime épicurienne. Il est évident que toutes deux sont dans une crise d’indépendance.

Du reste, ce serait grand dommage que le regret vînt déranger leur joie ! elle est si franche, si expansive ! La vue des arbres qui semblent courir des deux côtés de la route leur cause une incessante admiration. La rencontre d’un train qui passe en sens inverse, avec le bruit et la rapidité de la foudre, leur fait fermer les yeux et jeter un cri ; mais tout a déjà disparu ! Elles regardent, se rassurent, s’émerveillent. Madeleine déclare qu’un pareil spectacle vaut le prix du voyage, et Françoise en tomberait d’accord si elle ne songeait, avec un peu d’effroi, au déficit dont une pareille dépense doit charger leur budget. Ces trois francs consacrés à une seule promenade, c’est l’économie d’une semaine entière de travail. Aussi la joie de l’aînée des deux sœurs est-elle entrecoupée de remords ; l’enfant prodigue retourne par instants les yeux vers la ruelle du quartier Saint-Denis.

Mais le mouvement et la succession des objets viennent la distraire. Voici le pont du Val encadré dans son merveilleux paysage : à droite, Paris avec ses grands monuments qui découpent la brume ou étincellent au soleil ; à gauche, Meudon avec ses villas, ses bois, ses vignes et son château royal ! Les deux ouvrières vont d’une portière à l’autre en jetant des cris d’admiration. Nos compagnons de voyage rient de cette surprise enfantine ; moi je me sens attendri, car j’y vois le témoignage d’une longue et monotone réclusion ; ce sont des prisonnières du travail qui ont retrouvé, pour quelques heures, l’air et la liberté.

Enfin, le train s’arrête ; nous descendons. Je montre aux deux sœurs le sentier qui conduit jusqu’à Sèvres, entre le chemin de fer et les jardins ; elles partent en avant tandis que je m’informe des heures de retour.

Je les retrouve bientôt à la station suivante où elles se sont arrêtées devant le petit jardin du garde-barrière ; toutes deux sont déjà en conversation réglée avec l’employé qui bine ses plates-bandes et y trace des rayons pour les semis de fleurs. Il leur apprend que c’est l’époque où les herbes parasites sont le plus utilement sarclées, où l’on fait les boutures et les marcottes, où l’on sème les plantes annuelles, où l’on enlève les pucerons des rosiers. Madeleine a sur le rebord de sa croisée deux caisses où, faute d’air et de soleil, elle n’a jamais pu faire pousser que du cresson ; mais elle se persuade que, grâce à ces instructions, tout va prospérer désormais. Enfin le garde-barrière, qui sème une bordure de réséda, lui donne un reste de graines qu’il n’a pu employer, et la vieille fille s’en va ravie, recommençant, à propos de ces fleurs en espérance, le rêve de Perrette à propos du pot au lait.

Arrivé au quinconce d’acacias où se célèbre la fête, je perds de vue les deux sœurs. Je parcours seul cette exhibition de loteries en plein vent, de parades de saltimbanques, de carrousels et de tirs à l’arbalète. J’ai toujours été frappé de l’entrain des fêtes champêtres. Dans les salons, on est froid, sérieux, souvent ennuyé: la plupart de ceux qui viennent là sont amenés par l’habitude ou par des obligations de société; dans les réunions villageoises, au contraire, vous ne trouvez que des assistants qu’attire l’espoir du plaisir. Là-bas, c’est une conscription forcée ; ici ce sont les volontaires de la gaieté! Puis, quelle facilité à la joie ! Comme cette foule est encore loin de savoir que ne se plaire à rien et railler tout est le suprême bon ton ! Sans doute ces amusements sont souvent grossiers ; la délicatesse et l’idéalité leur manquent ; mais ils ont du moins la sincérité. Ah ! si l’on pouvait garder à ces fêtes leur vivacité joyeuse en y mêlant un sentiment moins vulgaire ! Autrefois la religion imprimait aux solennités champêtres son grand caractère, et purifiait le plaisir sans lui ôter sa naïveté!

C’est l’heure où les portes de la manufacture de porcelaine et du musée céramique s’ouvrent au public ; je retrouve dans la première salle Françoise et Madeleine. Saisies de se voir au milieu de ce luxe royal, elle osent à peine marcher ; elles parlent bas comme dans une église.

— Nous sommes chez le roi ! dit l’aînée des sœurs, qui oublie toujours que la France n’en a plus.

Je les encourage à avancer ; je marche devant et elles se décident à me suivre.

Que de merveilles réunies dans cette collection où l’on voit l’argile prendre toutes les formes, se teindre de toutes les couleurs, s’associer à toutes les substances !

La terre et le bois sont les premières matières travaillées par l’homme, celles qui semblaient plus particulièrement destinées à son usage. Ce sont, comme les animaux domestiques, des accessoires obligés de sa vie : aussi y a-t-il entre eux et nous des rapports plus intimes. La pierre, les métaux demandent de longues préparations ; ils résistent à notre action immédiate, et appartiennent moins à l’homme qu’aux sociétés ; le bois et la terre sont, au contraire, les instruments premiers de l’être isolé qui veut se nourrir ou s’abriter.

C’est là sans doute ce qui me fait trouver tant de charmes à la collection que j’examine. Ces tasses grossièrement modelées par le sauvage m’initient à une partie de ses habitudes ; ces vases d’une élégance confuse qu’a pétris l’Indien, me révèlent l’intelligence amoindrie dans laquelle brille encore le crépuscule d’un soleil autrefois étincelant ; ces cruches surchargées d’arabesques montrent la fantaisie arabe grossièrement traduite par l’ignorance espagnole ! On trouve ici le cachet de chaque race, de chaque pays et de chaque siècle.

Mes compagnes paraissent peu préoccupées de ces rapprochements historiques ; elles regardent tout avec l’admiration crédule qui n’examine, ni ne discute. Madeleine lit l’inscription placée sous chaque œuvre, et sa sœur répond par une exclamation de surprise.

Nous arrivons ainsi à une petite cour où l’on a jeté les fragments de quelques tasses brisées. Françoise aperçoit une soucoupe presque entière et à ornements coloriés dont elle s’empare ; ce sera pour elle un souvenir de la visite qu’elle vient de faire ; elle aura désormais, dans son ménage, un échantillon de cette porcelaine de Sèvres, qui ne se fabrique que pour les rois ! Je ne veux pas la détromper en lui disant que les produits de la manufacture se vendent à tout le monde, que sa soucoupe avant d’être écornée, ressemblait à celles des boutiques à douze sous ! Pourquoi détruire les illusions de cette humble existence ? Faut-il donc briser sur la haie toutes les fleurs qui embaument nos chemins ? Le plus souvent les choses ne sont rien en elles-mêmes ; l’idée que nous y attachons leur donne seule du prix. Rectifier les innocentes erreurs pour ramener à une réalité inutile, c’est imiter le savant qui ne veut voir dans une plante que les éléments chimiques dont elle se compose.

En quittant la manufacture, les deux sœurs, qui se sont emparées de moi avec la liberté des bons cœurs, m’invitent à partager la collation qu’elles ont apportée. Je m’excuse d’abord ; mais leur insistance a tant de bonhomie que je crains de les affliger, et je cède avec quelque embarras.

Il faut seulement chercher un lieu favorable. Je leur fais gravir le coteau, et nous trouvons une pelouse émaillée de marguerites qu’ombragent deux noyers.

Madeleine ne se possède point de joie. Toute sa vie elle a rêvé un dîner sur l’herbe ! En aidant sa sœur à retirer du panier les provisions, elle me raconte toutes les parties de campagnes projetées et remises. Françoise, au contraire, a été élevée à Montmorency ; avant de rester orpheline, elle est plusieurs fois retournée chez sa nourrice. Ce qui a, pour sa sœur, l’attrait de la nouveauté, a pour elle le charme du souvenir. Elle raconte les vendanges auxquelles ses parents l’ont conduite ; les promenades sur l’âne de la mère Luret, qu’on ne pouvait faire aller à droite qu’en le poussant à gauche ; la cueillette des cerises et les navigations sur le lac, dans la barque du traiteur.

Ces souvenirs ont toute la grâce, toute la fraîcheur de l’enfance. Françoise se rappelle moins ce qu’elle a vu que ce qu’elle a senti. Pendant qu’elle raconte, le couvert a été mis ; nous nous asseyons au pied d’un arbre. Devant nous serpente la vallée de Sèvres, dont les maisons étagées s’appuient aux jardins et aux carrières du coteau ; de l’autre côté s’étend le parc de Saint-Cloud, avec ses magnifiques ombrages entrecoupés de prairies ; au-dessus s’ouvre le ciel comme un océan immense dans lequel naviguent les nuées ! Je regarde cette belle nature, et j’écoute ces bonnes vieilles filles ; j’admire et je m’intéresse ; le temps passe doucement sans que je m’en aperçoive.

Enfin le soleil baisse ; il faut songer au retour. Pendant que Madeleine et Françoise enlèvent le couvert, je descends à la manufacture pour savoir l’heure.

La fête est encore plus animée ; l’orchestre fait retentir ses éclats de trombone sous les acacias, je m’oublie quelques instants à regarder ; mais j’ai promis aux deux sœurs de les reconduire à la station de Bellevue : le convoi ne peut tarder ; je me hâte de remonter le sentier qui mène aux noyers.

Près d’arriver, j’entends des voix de l’autre côté de la haie ; Madeleine et Françoise parlent à une pauvre fille dont les vêtements sont brûlés, les mains noires et le visage enveloppé de linges sanglants. Je comprends que c’est une des jeunes ouvrières employées à la fabrique de poudre fulminante établie plus haut, sur les bruyères. Une explosion a eu lieu quelques jours auparavant ; la mère et la sœur aînée de la jeune fille ont péri ; elle-même a échappé par miracle et se trouve aujourd’hui sans ressource. Elle raconte tout cela avec l’espèce de langueur résignée de ceux qui ont toujours souffert. Les deux sœurs sont émues ; je les vois se consulter tout bas, puis Françoise tirer d’une petite bourse de filoselle trente sous qui leur restent, et les donner à la pauvre fille.

Je presse le pas pour faire le tour de la haie ; mais, près d’en atteindre le bout, je rencontre les vieilles sœurs qui me crient qu’elles ne prennent plus le chemin de fer, qu’elles s’en retournent à pied !

Je comprends alors que l’argent destiné au voyage vient d’être donné à la mendiante !

Le bien a, comme le mal, sa contagion : je cours à la jeune fille blessée ; je lui remets le prix de ma place, et je retourne vers Françoise et Madeleine, en leur déclarant que nous ferons route ensemble.


Je viens de les reconduire jusque chez elles ; je les ai laissées enivrées de leur journée, dont le souvenir les rendra longtemps heureuses !

Ce matin, je plaignais ces destinées obscures et sans plaisirs ; maintenant je comprends que Dieu a mis des compensations à toutes les épreuves. La rareté des distractions donne à la moindre joie une saveur inconnue. La jouissance est seulement dans ce qu’on sent, et les hommes blasés ne sentent plus ; la satiété a ôté à leur âme l’appétit, tandis que la privation conserve ce premier des dons humains, la facilité du bonheur !

Ah ! voilà ce que je voudrais persuader à tous ; aux riches pour qu’ils n’abusent point, aux pauvres pour qu’ils aient patience.

Si la joie est le plus rare des biens, c’est que l’acceptation est la plus rare des vertus.

Madeleine et Françoise ! pauvres vieilles filles déshéritées de tout, sauf de courage, de résignation et de bon cœur, priez pour les désespérés qui s’abandonnent eux-mêmes, pour les malheureux qui haïssent et envient, pour les insensibles qui jouissent et n’ont point de pitié !