Une Mission internationale dans la Lune/10

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Éditions Jules Tallandier (p. 85-88).

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LE LEVER DU SOLEIL

Debout, face à l’ouest, qui, pour la lune, selon les conventions des astronomes, correspond au levant, Galston et ses quatre compagnons regardaient. D’après l’heure et les calculs de Lang et de Kito, le soleil devait paraître dans quelques minutes, et rien, pas la moindre lueur, n’annonçait son approche.

— Si la lumière zodiacale était due, comme certains l’ont soutenu, à la persistance d’une zone nébuleuse autour du soleil, il y a longtemps qu’elle nous serait apparue, dit Espronceda. Ce n’est donc qu’un phénomène de réfraction sur les hautes couches de l’atmosphère terrestre.

« Le crépuscule, tel que nous l’observons sur notre globe et qui résulte de la diffusion de la lumière par l’atmosphère, n’existe pas sur la lune. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait aucune transition entre la nuit et le plein jour : car, étant donné la lenteur du mouvement de la lune, qui tourne sur elle-même vingt-neuf fois moins vite que la terre, le lever du soleil dure très longtemps. Entre l’instant où le bord supérieur du disque apparaît et celui où le bord inférieur monte à son tour au-dessus de l’horizon, il s’écoule une heure. Il s’ensuit que, pendant une heure, un point pour lequel le soleil se lève reçoit de plus en plus de lumière et passe, par conséquent, d’une façon progressive, de l’obscurité absolue à la pleine clarté.

Les explorateurs allaient avoir l’occasion d’observer ce phénomène.

Un point lumineux parut à l’ouest, dans une échancrure de la crête montagneuse qui barrait l’horizon. Il se développa, comme une flamme violette d’une intensité extraordinaire, qui fit aussitôt pâlir la lueur, pourtant vive, de la terre.

— Vos écrans plombés ! conseilla Galston par le téléphone.

Les ascensionnistes glissèrent, dans les rainures ménagées à cet effet derrière les hublots de leurs casques, les verres destinés à arrêter les rayons ultra-violets, par lesquels ils auraient couru le risque d’être aveuglés. Ils avaient retiré les bras des manches de leurs scaphandres et pouvaient manipuler librement à l’intérieur de leurs appareils tel ou tel objet dont ils avaient à se servir.

Brifaut s’était assis sur un roc pour contempler ce lever de soleil comme il n’en avait jamais vu.

— Comme le soleil paraît déformé ! dit-il.

La flamme se projetait en panache sur le fond noir du ciel.

— Il n’est pas déformé, repartit Kito, vous le voyez, au contraire, sous son aspect véritable, quand les rayons de ses protubérances ne sont pas absorbés par une enveloppe atmosphérique. Ce panache que vous apercevez est une de ces gigantesques éruptions de gaz incandescents dont la surface du soleil est constamment hérissée et que l’air nous empêche de distinguer sur la terre. Nos astronomes n’ont pu les découvrir que pendant les éclipses ou au moyen du spectroscope. Ici, pour nous, le soleil n’aura pas de rayons ; en revanche il ne nous apparaîtra pas rond, mais couronné de flammes irrégulières.

La tache lumineuse grandissait lentement et, tandis que le fond du cirque et la base du mont restaient plongés dans l’ombre, les explorateurs voyaient les rochers s’illuminer autour d’eux sur la cime. Si petite que fût la partie du soleil qui poignait à l’horizon, les objets qu’elle frappait de sa lumière resplendissaient déjà, dans le morne désert lunaire, comme s’ils avaient appartenu à un autre monde.

Lentement, la flamme grandit, d’autres langues de feu jaillirent dans la noirceur du firmament, un trait violacé et fulgurant les souligna. Sur le flanc du mont qui servait d’observatoire aux voyageurs, les ténèbres descendaient peu à peu. Dans la teinte bleuâtre dominante, les terriens distinguaient sur les roches des traînées brunes ou ocrées qui trahissaient la présence d’oxydes métalliques. Dans l’ensemble, l’aspect de ces roches rappelait celui du marbre, mais elles étaient d’une texture moins compacte.

En dépit de son éclat, le soleil n’éteignait pourtant pas les lumières du ciel. On apercevait toujours les étoiles et la terre ; et le jour levant ne faisait pas renaître cet azur si cher aux habitants de notre monde.

Une heure durant, les explorateurs assistèrent à la lente ascension de l’astre. En dépit de leurs écrans plombés, ils étaient souvent obligés de détourner les yeux pour ne pas être éblouis. Le jour descendit graduellement sur les pentes orientales de l’enceinte et toucha le fond du cirque.

— Voyez, fit remarquer Espronceda, le bord de la plaine circulaire au pied du rempart, juste au-dessous de nous, est encore dans l’ombre, alors qu’une tache lumineuse se forme à quelque distance sur le fond. Cela prouve que la partie centrale est bombée et que les bords sont affaissés, comme dans presque tous les cirques lunaires. En somme, ce n’est pas une plaine qu’enferme cette enceinte, mais un dôme surbaissé, quelque chose comme l’une des faces d’une énorme lentille.

— Je ne suis pas de votre avis, repartit Lang. La forte courbure du sol lunaire suffit à expliquer le phénomène que vous signalez et auquel beaucoup d’astronomes donnent, à mon sens, une fausse interprétation. Pour la crête derrière laquelle le soleil se lève, la limite de l’horizon d’une plaine parfaitement horizontale se trouve précisément sur la zone qui s’éclaire la première ; au delà, le fond est normalement au-dessous de l’horizon, de même que l’est pour nous la zone de 3 kilomètres qui borde le pied de l’enceinte de l’autre côté du cirque.