Une Révolte au pays des fées/11

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Éditions Albert Lévesque (p. 75-82).

XI

LA LETTRE DU FILLEUL DU ROI GROLO



MADAME Poucette, ne vous gênez pas à cause de moi, dit Don Quichotte. Prenez connaissance de ce surprenant courrier. Je ne verrai, ni n’entendrai rien. Et voyez, Sancho, mon écuyer, dort comme un loir dans son angle.

— Non, monseigneur, je désire au contraire, que nous prenions ensemble connaissance de ces lettres. Un mauvais sort, nous lie en ce moment. Et puis, les conseils de votre cœur si noble, me seront précieux.

— Bien, Poucette, bonne petite fille, lisez.

— Monseigneur, ces deux messages me viennent du duc de Clairevaillance.

— Oui ? Du filleul de l’infortuné Grolo-le-Bon ? Je l’ai entrevu au camp, n’est-ce pas ?

— Tout juste. Voici ce que m’écrit le duc :

« Petite Poucette,

Tu es une fidèle amie de la princesse Aube, je l’ai appris. Je réclame donc ton aide, enfant, en mon malheur.

Sais-tu que ma femme bien-aimée a été enlevée du camp avec nos deux petits amis canadiens, Louison et Cloclo. Sais-tu que ce chagrin m’attendait dès mon retour auprès d’elle ? Je m’étais hâté pour arriver un peu plus tôt que la date fixée. Hélas ! quelle misère ! Aube était disparue, tombée entre les mains de nos ennemis. Que ne lui feront-ils pas souffrir ? Personne au camp ne comprend rien à cet enlèvement mystérieux. On m’a dit cependant t’avoir vue errer seule d’abord, puis, en compagnie de l’héroïque Don Quichotte et de son écuyer, en ce même soir fatal, dans les grands bois avoisinants. Ayant ce renseignement, j’ai résolu de t’écrire sachant que l’un quelconque des oiseaux du camp, tous des amis très chers de ta minuscule personne, parviendrait bien à te rejoindre, où que tu sois.

Je te crie ma détresse, Poucette, reviens au camp en hâte je t’en conjure, car tu as quelque chose à m’apprendre sur mon Aube chérie, je suis sûr. Tous les chevaliers me promettent leur aide dès qu’il s’agira de courir à la délivrance de nos victimes… Je ne veux pas échouer dans cette expédition, c’est pour cela, Poucette, que je prends tous les renseignements possibles sur l’attentat. Viens, Poucette, viens. Je t’attendrai deux jours seulement.

Et maintenant, lis comme moi, les larmes aux yeux, l’appel de ma petite Aube. Une ligne seulement, un « au secours » tu le vois, écrit avec son sang, et qu’ont signé aussi avec leur sang Louison et Cloclo…

Il n’est pas de douleur semblable à la mienne, Petite Poucette. Mon désespoir attirerait ta compassion si tu en étais témoin…

Heureusement, le papa de Louison et de Cloclo n’est pas de retour au camp, ni l’Oiseau bleu. Dieu veuille que nous puissions délivrer Aube et les petits terriens avant leur retour. Car quels reproches n’adresseraient-ils pas à mes compagnons d’armes ?

Petite Poucette, je te vois déjà en route, fais diligence, mais gare à nos ennemis, je te prie. Rapporte-moi fidèlement le mot d’Aube, petite, cette relique que j’ai baisée combien de fois !

Jean de Clairevaillance

Du camp enchanté des chevaliers »

Poucette, le cœur gros, acheva avec peine cette lettre ou plutôt ce cri de douleur du duc de Clairevaillance. Elle regarda ensuite le billet ! de la princesse que lui envoyait le duc, puis fit voir le tout à Don Quichotte.

Celui-ci frappait le sol du bout de son épée. Il dissimulait son émotion sous la colère.

« Qu’a donc pensé cette jeune femme de s’enfuir ainsi, sans demander avis à qui que ce soit… Pourquoi ne pas m’avoir appelé, moi le plus dévoué de ses Chevaliers servants ? Les femmes, fussent-elles des princesses, sont vraiment les êtres les plus inconséquents qui soient au monde. Comment être surpris si les tentateurs ont beau jeu près d’elles ?

— Oh ! monseigneur, vous ne croyez pas vraiment ce que vous dites… ?

— Si si, mignonne. Mais que fais-tu là ?

— Je me prépare à partir.

— Hein ? Par ce temps ? Et de quelle façon ? Et nous ? Crois-tu que nous te laisserons à la merci des flots ou d’ennemis probables ? »

Un sourire éclaira la figure de la petite fille.

« Oh ! que voilà de questions à répondre, monseigneur. Oui, je pars par ce temps. Je m’embarque sur une écorce de bouleau, et vogue la galère !… Ces flots en courroux, cet impétueux courant, ne feront que hâter mon retour. Oui, je partirai seule, Monseigneur, mais le cœur bien ému, bien reconnaissant de votre offre d’appui. Il serait dangereux, vous le savez bien, de partir en nombre. Je vous en prie ne me retenez pas… Au revoir, monseigneur, avertissez Sancho de tout ce qui s’est passé. Inutile de le réveiller. Il dort trop bien.

— Adieu, Poucette, cher petit cœur fidèle. Nous nous retrouverons bientôt. Je ne moisirai pas ici. Le temps de donner une leçon à la bande infernale qui infeste l’île d’Orléans, la nuit, et je te saluerai de nouveau à notre camp… Poucette, Poucette,… un mot encore ! Oui, oui, je me dépêcherai. Dis au duc de Clairevaillance qu’il compte sur mon fraternel appui. Je ferai partie de l’expédition chargée de délivrer la princesse et ses compagnons. Ne t’impatiente pas, petite. J’ai fini… Adieu ! adieu ! »

Mais Don Quichotte qui suivait des yeux la mignonne Danoise, la vit trébucher sous le poids de l’écorce qu’elle venait d’arracher à un bouleau. Il accourut. Il plaça l’écorce à sa ceinture, Petite Poucette sur son épaule, en disant avec autorité : « Pas de résistance, enfant. D’ailleurs, en vrai soldat, je te conduis au pas de course à la grève. Donc, tu y gagnes de toutes façons ».

Don Quichotte, ayant assisté au départ de Petite Poucette, s’en revint fort lentement. Il voyait « la brunante » descendre, sur l’île gémissante. Il se remontait le courage, en vue d’une lutte prochaine avec les Sorciers. Il caressait la garde de son épée remplie de reliques. Il contemplait avec satisfaction le médaillon suspendu à une chaîne d’or massif qui ornait sa poitrine. Là aussi, il y avait maints souvenirs des lieux saints : « Je suis immunisé contre les entreprises diaboliques, grâce à ces objets, pensait-il, malheur à qui essaierait de me les enlever ! »

Comme il approchait de la caverne Bontemps, une sourde rumeur atteignit ses oreilles. Des rires, des jurons, des coups, des danses, se devinaient. « Que peut signifier ce vacarme ? s’exclama Don Quichotte, tout de suite en alerte. Les Sorciers n’apparaissent que sur l’heure de minuit. Quels sont ces nouveaux adversaires ? »


« Ils disparurent dans les airs avec une rapidité vertigineuse ». ◁Texte▷