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Une famille parisienne à Madagascar avant et pendant l’Expédition/Partie I/Chapitre 5

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CHAPITRE V

Installation à Maevasamba


Tout ce que voyait Michel, et tout ce que son oncle lui disait des richesses et de l’avenir de l’île, lui avaient mis au cœur une extrême impatience d’aller prendre possession de sa concession. Quant à ce qu’il y ferait, cela devait dépendre de la nature du terrain, de ses ressources naturelles et aussi de la facilité plus ou moins grande que la région lui fournirait pour l’écoulement de ses futurs produits. Avant de se décider, il se réservait de voir sur place le fort et le faible de la position. L’oncle Daniel l’engagea donc à aller visiter tout d’abord son futur domaine et s’offrit à l’accompagner dans cette première reconnaissance.

Les deux hommes partirent un matin de très bonne heure, avec une dizaine de bourjanes pour eux et autant pour leurs bagages ; car leur exploration pouvait durer cinq à six jours, et en pays sakalave aussi bien qu’en pays hova non seulement il n’y a point de route praticable à un Européen, mais il est indispensable d’emporter avec soi tout ce dont on peut avoir besoin au cours du voyage.

En quittant Manakarana, le sentier franchit successivement quatre ou cinq petites collines avant d’arriver à la première étape, au village de Daany ; une deuxième étape de quatre heures, à travers un pays moins accidenté mais peu intéressant, mena les deux voyageurs à un autre village, nommé Antsingo, où ils passèrent la nuit. Le lendemain matin, après avoir traversé en pirogue la petite rivière d’Antsingo, ils atteignirent Langa, le premier village situé sur le territoire concédé à Michel ; ils y déjeunèrent, puis ils repartirent et eurent encore le temps d’arriver, avant la nuit, au village de Maevasamba, le point central de ladite concession.

Suivant l’usage établi dans l’île entière, les bourjanes déposèrent les deux filanzanes devant la plus grande case du village, dont le propriétaire s’empressa de déguerpir, sa casserole de riz à la main.

Dès le lendemain Michel et son oncle se mirent en campagne. Le village lui-même était situé dans de très bonnes conditions de salubrité, à mi-côte d’une colline. Quant à la région avoisinante, elle paraissait partagée à peu près également en terrains plats et en terrains montagneux, pouvant par conséquent se prêter à divers modes d’exploitation. Elle était copieusement arrosée par des ruisseaux d’une eau courante et pure qui ne rappelait en rien l’eau saumâtre des ruisseaux trop voisins de la mer, notamment par le Droa, qui prend sa source dans le nord et va se perdre à quelques kilomètres de Maevasamba, dans un petit lac, le lac Solipana ; plus à l’est par l’Antsingo que nos voyageurs avaient traversé la veille en pirogue et qui va se jeter dans la baie de Narinda ; et enfin, au sud, par un affluent de la rivière Sofia, dont l’embouchure est au fond de la baie Mahajamba. Malgré l’abondance de cette eau bienfaisante sans laquelle il n’est pas de pays fertile, il n’y avait pour ainsi dire pas de culture, les indigènes préférant se livrer à l’élevage des bœufs qui, se nourrissant et se reproduisant tout seuls, n’exigent par conséquent de leurs propriétaires d’autre peine que d’envoyer marquer de temps en temps à l’oreille les nouveaux venus du troupeau. En somme, un pays absolument neuf, où tout était à créer, où jamais aucune exploitation sérieuse n’avait été entreprise.

Pendant cinq jours, nos explorateurs parcoururent en tous sens dans leur filanzane les quarante kilomètres de la concession, revenant chaque soir à leur quartier général de Maevasamba. Un soir cependant ils furent retenus au village de Befandriana, à l’extrême limite ouest de la concession, et ils y passèrent la nuit. Le vieux Daniel y avait quelques relations qui pouvaient être utiles un jour ou l’autre à son neveu. A la tombée de la nuit, au moment où ils s’apprêtaient tous deux à prendre leur repas, le gouverneur de Befandriana se présenta à la porte de la case où ils étaient installés pour leur faire visite. C’était un gros homme d’aspect assez vulgaire, vêtu d’une façon ridicule, moitié à l’européenne et moitié à la malgache, les pieds nus dans un pantalon noir à bande d’argent et un grand lamba rayé noir et blanc par-dessus un dolman de chasseur à cheval. II amenait avec lui un veau dont il voulait faire hommage aux deux Vasahas. A la grande stupéfaction de Michel, le vieux Daniel, loin d’accueillir la gracieuseté du fonctionnaire hova avec la gratitude qu’elle semblait mériter, le reçut comme un chien dans un jeu de quilles. – « Un veau ! lui dit-il avec hauteur ; un veau, quand des gens comme nous se présentent dans ton gouvernement ! Va nous chercher ton plus gros bœuf tout de suite, ou tu entendras parler de nous ! » Jamais sans doute le pauvre gouverneur ne s’était entendu parler sur un ton pareil dans ce pays où le blanc, toujours isolé, se présente plutôt avec des formes insinuantes et diplomatiques, pour ne rien dire de plus. Impressionné cependant par l’assurance du Vasaha, il s’empressa d’obtempérer à son impérieuse mise en demeure. Pendant qu’il allait chercher son bœuf, le vieux Daniel dit à son neveu :

« C’est comme cela qu’il faut parler à ces gens-là, si l’on veut qu’ils vous respectent. Comme il peut se faire que tu aies besoin quelque jour de ce grotesque personnage, j’ai voulu lui donner une haute idée de ton importance. »

Le gouverneur étant revenu peu après avec un bœuf superbe, l’oncle Daniel daigna cette fois accueillir son hommage et riposta par un litre de rhum et une vieille casaque de jockey rouge cerise à manches jaunes. Puis après un kabary, qui fort heureusement ne se prolongea pas trop tard, le délicieux fonctionnaire se retira enchanté et nos deux voyageurs purent s’endormir, la conscience tranquille, sur leur couchette de campement.

En rentrant le lendemain à Maevasamba, l’oncle Daniel engagea vivement son neveu à ne pas se hâter de choisir l’emplacement où il devait établir son installation définitive avant d’avoir étudié soigneusement le terrain dudit emplacement et même celui de ses environs immédiats.

« La fièvre paludéenne sévissant généralement partout où le terrain est glaiseux et plat, et où par conséquent l’eau séjourne, lui dit-il, il est de toute importance de se loger sur la montagne, ou tout au moins sur un terrain essentiellement perméable, sur le sable, par exemple, ou sur une terre calcaire. Avant de te décider, il sera prudent de faire faire des fouilles pour mettre à découvert une coupe du terrain et constater ainsi l’épaisseur du dépôt sablonneux, si c’en est un ; car souvent il arrive que sous une mince couche de sable il y a de la glaise qui retient l’eau en nappe ; souvent encore il y a du sable ici, et un demi-kilomètre plus loin il y a de la vase. Enfin tu verras tout cela plus tard, quand le moment sera arrivé de t’installer. En attendant, nous pouvons dire que nous n’avons pas perdu notre temps, puisque nous avons pu nous assurer que la concession se présente admirablement à tous les points de vue. Si j’ai un conseil à te donner, c’est de procéder méthodiquement et de commencer la première année par planter des caféiers sur un plateau d’un demi-hectare environ, à proximité de la rivière d’Antsingo, de façon à pouvoir envoyer presque sans frais ta récolte dans des pirogues jusqu’à la baie de Narinda. »

Quarante-huit heures après, nos deux voyageurs étaient de retour à Manakarana. Michel retrouva sa femme et ses enfants en excellente santé. Mais Mme Berthier se reprochait d’avoir laissé son mari partir seul et commençait à s’inquiéter de son absence. N’avait-il pas été convenu qu’ils ne se sépareraient jamais, qu’ils affronteraient côte à côte les fatigues, les dangers, les difficultés de tout genre qui se rencontreraient sur leur route ? Aussi, malgré les protestations de l’oncle Daniel qui voulait que les deux femmes attendissent chez lui qu’une installation convenable leur eût été assurée, fut-il décidé qu’aussitôt que Michel aurait pu se procurer un stock suffisant de provisions et de matériaux, avec le chiffre d’hommes nécessaire pour engager les premiers travaux et construire leur future maison d’habitation, nos quatre Parisiens partiraient pour Maevasamba et s’établiraient provisoirement dans la grande case où Michel et son oncle avaient trouvé l’hospitalité. Celui-ci se chargea de procurer à son neveu et de lui envoyer directement à Maevasamba une quintuple équipe d’ouvriers maçons, charpentiers, menuisiers, couvreurs et terrassiers, sous la direction d’un architecte fort adroit, un créole de Bourbon qui habitait Majunga. Ce fut aussi lui qui trouva les six domestiques indigènes qu’il fallait à Mme Berthier pour tenir sa maison, quatre Comoriens dont un parlait à peu près le français, et deux femmes makoas habituées déjà au service des Européens.

Grâce à l’intervention du vieux Daniel, toutes les difficultés s’étant trouvées aplanies comme par enchantement, les futurs colons purent se mettre en route plus tôt même qu’ils ne l’avaient espéré. Avec leurs lits, leurs literies, et leur batterie de cuisine, Michel n’emportait que des caisses de vivres et quelques meubles indispensables, se réservant de faire venir plus tard le complément de leur ameublement lorsqu’ils seraient en mesure de s’installer définitivement. L’oncle Daniel insista cependant pour joindre aux bagages de la petite caravane une pharmacie volante très complète et choisie spécialement en vue des dangers du climat.

Il parlait même d’accompagner au moins jusqu’à mi-chemin sa nouvelle famille, qu’il ne pouvait se décider à quitter ; mais Michel, en le remerciant de toutes ses bontés, s’excusa de lui avoir déjà fait perdre beaucoup de temps au détriment de ses affaires personnelles, et prit congé en promettant de lui donner fréquemment de leurs nouvelles.

Le voyage de Manakarana à Maevasamba eut lieu sans encombre, par un beau temps et une température très supportable ; aussi personne n’était-il sérieusement fatigué lorsque le soir du second jour les filanzanes s’arrêtèrent devant la grande case du village où nos colons allaient se fixer provisoirement. Comme la première fois, le propriétaire de la case ne fit aucune difficulté pour céder la place aux Vasahas ; d’autant que, Michel s’étant montré fort généreux lors de son premier passage, l’intéressant et intéressé Raleidama – tel était le nom du propriétaire susdit – flairait une seconde aubaine non moins copieuse.

Cette grande case, grande relativement pour le village, ne comportait que deux pièces ; la plus vaste fut abandonnée à Mme Berthier et à sa fille, Michel et Henri se contentèrent de l’autre. Quant aux bagages, sauf les couchettes et quelques objets de valeur, ils furent entassés provisoirement dans une seconde case voisine de la grande et confiés à la garde des six domestiques indigènes.

Le premier repas des futurs colons fut dressé, vu l’extrême douceur de la température, sur le devant de leur nouvelle habitation, en présence de tous les habitants du village attirés par la curiosité. Les femmes surtout étaient accourues en foule ; plus sédentaires que les hommes, elles ne descendaient pas souvent à la côte et n’avaient pas encore eu l’occasion d’apercevoir des blancs. La vue de chacun des ustensiles dont se servaient ceux-ci pour manger leur arrachait des cris de surprise ; les allumettes surtout eurent un vif succès auprès d’elles, car les Sakalaves allument encore le feu en frottant rapidement deux morceaux de bois l’un contre l’autre. Ces gens semblaient d’ailleurs d’humeur douce et sociable, et leur attitude était plutôt sympathique aux étrangers. Marguerite ayant eu l’idée de distribuer à des petites filles qui les regardaient avec de grands yeux ahuris une pleine assiettée de gâteaux secs, la foule finit par s’apprivoiser tout à fait.

Malgré l’improvisation de l’installation, la nuit fut assez bonne et se passa sans autre incident que l’invasion d’une nuée de moustiques, maringouins et autres bestioles du même genre.

Dès le lendemain, par l’intermédiaire de celui de ses Comoriens qui parlait français et qui avait été promu en conséquence à la dignité d’interprète, Michel traita définitivement de la location des deux cases qu’il occupait avec sa famille et ses bagages. Il put alors procéder à des arrangements un peu moins provisoires. Des fumigations répétées eurent pour effet de relancer jusque dans leurs repaires les désagréables insectes qui y tenaient garnison ; pour compléter ce système de défense, d’impénétrables moustiquaires furent installés à demeure autour des couchettes. Puis Marguerite et sa mère s’amusèrent à décorer leur appartement sakalave avec cette ingéniosité et ce goût propres à toutes les françaises.

De son côté, Michel, aidé par son fils Henri, s’occupa, sans plus attendre, de choisir l’emplacement où il construirait sa maison. Il battit les environs avec quelques hommes qu’il engagea au village même, fit faire des fouilles sur plusieurs points différents et après bien des recherches, bien des tâtonnements, il se décida finalement pour un terrain calcaire à quelques centaines de mètres du village, presque sur le plateau de la montagne qui le dominait, et à proximité de l’Antsingo, dont les eaux fraîches et courantes ne pouvaient être que d’un voisinage agréable, en dehors même de la question d’utilité pratique.

Puis quand l’architecte créole fut arrivé avec ses ouvriers, il les mit immédiatement à l’ouvrage. Sachant qu’il faut éviter de rester à portée des terres que l’on remue, spécialement dans les localités où le sous-sol peut contenir des substances organiques, il empêcha sa femme et ses enfants de s’approcher du chantier avant que les fondations fussent sorties de terre. Quant à lui-même, sans négliger les précautions nécessaires, il paya de sa personne à toute heure, toujours le premier arrivé et le dernier parti, et mettant si bien le feu au ventre de ses travailleurs qu’en moins de deux mois la maison était debout, et le jardin presque complètement dessiné et planté. Suivant encore en cela les conseils de son oncle, il avait demandé à l’architecte une maison vaste et simple à la fois, mi-partie en bois, mi-partie en briques, et qui répondît aux besoins du pays. Quand elle fut complètement achevée, il s’attaqua aux communs, qu’il voulait larges et commodes, quoique sans luxe inutile.

En même temps, comme il ne voyait pas venir la main-d’œuvre que le Premier Ministre s’était engagé à fournir, il profita de la bonne volonté de ses travailleurs du village, fortement surexcitée du reste par l’appât d’une haute paye, pour leur faire défricher à mi-côte d’une petite colline voisine un vaste quadrilatère où la terre profonde, riche en humus, fraîche et saine, et aussi meuble que possible, se prêtait admirablement à la culture du caféier. Michel avait étudié à fond cette culture et, pour ses premiers essais, il avait donné la préférence aux cafés de Mayotte et de Nossi-bé, qui sont très fins de goût et d’arome, et donnent deux récoltes annuelles, l’une en février-mars, l’autre en juin-juillet. Cette culture est des plus rémunératrices, puisque dès la deuxième année le caféier commence à donner, mais elle ne laisse pas d’exiger beaucoup de peine et de travail ; et malheureusement la fameuse main-d’œuvre promise et garantie par le Premier Ministre n’arrivait toujours pas. Michel avait écrit plusieurs fois à Tananarive pour rappeler ses engagements à ce personnage oublieux, mais ses réclamations étaient restées sans réponse, de même que celles qu’il adressa directement au gouverneur général du Boueni, au gouverneur de Befandriana et à ceux d’autres gros villages de la région pouvant fournir leur contingent de travailleurs.

Ces gouverneurs de province et de gros villages sont choisis par le Premier Ministre non point parmi les plus capables, mais parmi ceux qui s’engagent à prélever sur leurs heureux administrés les plus gros tributs : c’est une sorte de ferme que le preneur exploite à ses risques et périls, sous réserve de partager les bénéfices avec le propriétaire. Ces fermes même s’achètent, et parfois assez cher, moyennant de larges cadeaux offerts par le candidat au Premier Ministre, à ses secrétaires ou aux membres de sa famille : on assure que Ramasombazah, le gouverneur du Boueni, a dépensé ainsi plus de trente mille francs pour obtenir sa charge. Une fois dans la place, le gouverneur exploite méthodiquement le pays au moyen de la corvée, de l’impôt de la piastre (redevance indéterminée qui pèse sur tous ceux à qui l’on suppose les moyens de payer et qui peut être répétée plusieurs fois dans la même année) et d’une foule d’autres procédés plus ou moins malpropres. Concessions, privilèges, justice même, il fait argent de tout. Bien entendu, il s’arrange pour garder le plus possible des honnêtes bénéfices ainsi recueillis, encore que le Premier Ministre, qui connaît le pèlerin, prenne soin de placer auprès de lui, sous le titre de sous-gouverneur, ou de dikan (aides de camp), des manières d’espions chargés de le surveiller. Voilà la législation sauvage, masquée par un semblant de civilisation, sous laquelle est placée toute la population de l’île ; il est vrai que ces belles lois restent presque toujours lettre morte et que le Malgache, surtout à mesure qu’on s’éloigne de la capitale, vit à peu près à sa guise.

Impatienté de ne rien voir venir de Tananarive, ni de Befandriana, ni de nulle part, Michel se souvint à temps du moyen qui lui avait déjà si bien réussi une première fois ; et, choisissant parmi ses Comoriens celui d’entre eux qui savait à peu près le français et qui était devenu peu à peu son homme de confiance, il s’ouvrit à lui de ses projets et l’envoya d’abord à Befandriana, avec la mission d’offrir de sa part au Gouverneur une certaine somme à toucher le jour où le chiffre d’hommes du village fixé par le Premier Ministre arriverait sur la concession. Dès le surlendemain, soixante-quinze gaillards solides et bien bâtis faisaient leur entrée à Maevasamba, sous la conduite du Gouverneur en personne, qui n’avait voulu s’en remettre qu’à lui-même du soin d’encaisser la récompense promise. Cette petite manœuvre ayant réussi au delà de toute espérance, Michel envoya son ambassadeur, qui répondait au nom euphonique de Naïvo, auprès du gouverneur général du Boueni, en augmentant nécessairement le montant de la commission, en proportion de l’importance hiérarchique du personnage, mais en ayant soin de spécifier que ladite commission serait d’autant plus grasse que le chiffre des travailleurs fournis serait plus fort. La semaine ne s’était pas écoulée qu’un véritable exode de bons noirs, appartenant aux villages de Manambary, de Maivarano, de Bomazonga et d’Antsohihi, de la partie nord du Boueni, envahissait le territoire de la concession. Vivement désireux de toucher la forte somme le plus vite possible, le joyeux Ramasombazah avait trouvé plus expéditif de faire opérer par les soldats de son Rova une véritable razzia sur les hommes valides d’un certain nombre des villages de son gouvernement et de les expédier sous bonne garde à Maevasamba.

Michel installa tout son monde dans le village même et dans des cases qu’il fit bâtir pour eux ; puis il les conduisit immédiatement sur les vastes terrains qu’il voulait faire défricher, non sans les avoir alléchés par une première distribution de rhum et leur avoir promis un bon traitement, une bonne nourriture et de bons gages calculés d’après la quotité du travail donné.

Sur ces entrefaites, la maison d’habitation étant enfin entièrement aménagée, Michel s’y transporta lui-même avec sa famille. Il fallut encore une quinzaine cependant pour achever les dernières installations et mettre en place le complément de l’ameublement que son oncle lui avait envoyé pièce par pièce de Manakarana sur sa demande. Enfin, un beau jour, tout se trouva prêt, la maison et ses nombreuses dépendances, communs, écuries, granges, étables, buanderie, laiterie, vacherie, etc. La cave était garnie de six pièces d’excellent vin de Bordeaux, prises dans le stock de l’oncle, et qu’il avait fallu dédoubler en demi-barriques, pour qu’elles pussent être transportées à dos de bourjanes. Michel et sa femme, se comparant joyeusement à la famille Robinson obligée à se suffire entièrement elle seule dans son île, purent se rendre la justice qu’ils n’avaient rien oublié d’indispensable. Mme Berthier avait même réussi à trouver à Maevasamba les éléments d’une basse-cour très complète, poules, canards, oies, dindons, etc. ; pendant que Michel garnissait ses étables d’un certain nombre de bœufs et de vaches de choix, que son bon ami le gouverneur de Befandriana lui avait envoyés sur sa demande, au juste prix de dix piastres – ou trente francs – l’un dans l’autre, la petite commission non comprise, bien entendu.

Tous ces points réglés, les équipes de travailleurs au complet et convenablement installées, Michel put enfin commencer sérieusement l’exploitation de sa concession.