Une légende de Montrose/11

La bibliothèque libre.
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, tome 11p. 435-443).



CHAPITRE XI.

dalgetty part pour inverary.


Est-ce là ton château, Baudouin ? La mélancolie déploie sa noire bannière au haut du donjon, et assombrit l’écume des vagues qui battent le pied de la tour. Si j’en étais habitant pour voir cette obscurité souiller la face de la nature, pour entendre sans cesse le bruit des vagues et le cri des oiseaux de mer, j’aimerais mieux habiter la hutte que le plus pauvre paysan ait jamais élevée pour s’abriter momentanément.
Brown.


Le brave ritt-master aurait volontiers employé ses loisirs à visiter l’extérieur du château de sir Duncan, et à s’assurer de la justesse de ses idées sur la nature de ses fortifications ; mais une vigoureuse sentinelle qui montait la garde à la porte de son appartement avec une hache de Lochaber, lui donna à entendre, par des gestes très-significatifs, qu’il était en quelque sorte dans une honorable captivité.

« Il est étrange, pensa le ritt-master en lui-même, que ces sauvages entendent si bien les règles et la pratique de la guerre ! Qui aurait jamais pensé qu’ils connussent la maxime du grand, du divin Gustave-Adolphe, qu’un parlementaire était moitié ambassadeur, moitié espion ? » Et ayant fini de polir ses armes, il s’assit patiemment et compta combien un demi-dollar par jour donnerait à la fin d’une campagne de six mois. Lorsqu’il eut résolu son problème, il procéda aux calculs plus abstraits, nécessaires pour former un bataillon de deux mille hommes, par le moyen de l’extraction de la racine carrée.

Il fut distrait de ces méditations par le son bien agréable pour lui de la cloche du dîner. Tout aussitôt, le Highlander qui était son garde devint son écuyer et le conduisit dans une salle où une table de quatre couverts offrait d’amples preuves de l’hospitalité des Highlands. Sir Duncan entra, accompagné d’une femme grande, déjà sur le retour, vêtue d’une robe de deuil et dont l’aspect annonçait la mélancolie. Ils étaient suivis d’un ministre presbytérien vêtu à la mode de Genève, et portant une coiffe de soie noire qui couvrait si bien ses courts cheveux qu’on pouvait à peine les apercevoir, en sorte que ses oreilles, qui n’étaient pas enfermées sous sa calotte, paraissaient d’une grandeur démesurée. Cette mode disgracieuse était générale à cette époque, et avait attiré au parti presbytérien le sobriquet de têtes rondes, de chiens aux oreilles droites, et d’autres dont, dans leur insolente libéralité, les Cavaliers avaient gratifié leurs ennemis politiques.

Sir Duncan présenta son hôte à son épouse, qui répondit à son salut militaire par une révérence froide et silencieuse, dans laquelle on pouvait juger difficilement s’il y entrait plus d’orgueil que de tristesse. Le ministre, auquel il fut ensuite présenté, le regarda avec des yeux où se mêlaient l’aversion et la curiosité. Mais le major, accoutumé à soutenir de plus mauvais regards lancés par des personnes plus dangereuses, s’embarrassa peu de ceux de la dame et du ministre, et il porta ses regards sur une énorme pièce de bœuf qui fumait à l’extrémité de la table. Mais cette attaque, comme il l’aurait appelée, fut différée jusqu’à la fin des longues actions de grâces à chaque intervalle desquelles Dalgetty saisissait son couteau et sa fourchette comme s’il eût pris sa pique et son mousquet ; mais il les déposait involontairement à chaque nouveau verset du prolixe chapelain. Sir Duncan écouta avec décence, quoiqu’il passât pour s’être joint aux covenantaires plutôt par attachement pour son chef que par un zèle réel pour cette cause tout à la fois politique et religieuse. Son épouse seule écouta le bénédicité avec les signes d’une profonde dévotion.

Le repas se passa presque dans un silence de chartreux ; car ce n’était pas l’usage du major de parler lorsqu’il pouvait s’occuper d’une manière plus profitable. Sir Duncan était tout-à-fait silencieux ; son épouse et le ministre seuls échangèrent de temps en temps quelques mots, mais d’une voix à peine distincte.

Lorsque les mets eurent été enlevés et remplacés par des liqueurs de différentes sortes, le major, qui n’avait plus de raisons aussi puissantes pour garder le silence, commença à se lasser de celui de la compagnie. Il renouvela une attaque contre son hôte sur la question déjà débattue.

« Quant à ce monticule rond, colline ou éminence, appelé Drumsnab, je serais curieux de causer avec vous, sir Duncan, sur la nature du fort à y élever, afin de décider si les angles doivent être aigus ou obtus. J’ai entendu le feldmaréchal Bannier avoir une dissertation savante avec le général Tiefenbach sur un pareil sujet, pendant une suspension d’armes. — Major Dalgetty, répondit sir Duncan très-sèchement, nous autres Highlanders, nous n’avons pas l’habitude de débattre des questions militaires avec des étrangers. Ce château est en état de résister aux attaques d’un ennemi plus fort que ces malheureux gentilshommes que nous avons laissés à Darnlinvarach ne peuvent être. »

Un profond soupir de son épouse, qui semblait lui rappeler quelque circonstance douloureuse, accompagna la fin de sa phrase.

« Celui qui avait donné a repris, » dit le ministre en s’adressant à elle d’une voix solennelle. « Puissiez-vous, honorable dame, long-temps dire : Béni soit son nom ! »

La dame répondit à cette exhortation, qui semblait adressée à elle seule, par une inclination de tête plus basse que toutes celles que le major lui eût encore vu faire. Supposant qu’il la trouverait mieux disposée à lier conversation, il lui adressa la parole.

« Il est très-naturel que Votre Seigneurie soit alarmée quand on parle de préparatifs militaires ; j’ai observé que cela causait de l’effroi aux femmes de toutes les nations et presque de toutes les conditions. Néanmoins Penthésilée dans l’antiquité, Jeanne d’Arc et d’autres à des époques moins éloignées de nous, étaient d’un autre caractère ; et comme je l’ai appris lorsque je servais chez les Espagnols, autrefois le duc d’Albe avait dans son armée une troupe femelle distribuée en tertias, que nous appelons régiments, dirigée et commandée par des chefs féminins, et sous les ordres d’un général en chef nommé en allemand Hureweibler[1], ou, dans la langue de notre pays, le capitaine des prostituées. Il est vrai que ce n’étaient pas des personnes à comparer à Votre Seigneurie : c’étaient des femmes quæ quæstum corporibus faciebant[2], comme nous disions de Jeanne Drochiels au collège Mareschal, femmes qu’on appelle en français courtisanes, et en écossais… — Madame vous dispense d’en dire davantage, » reprit son hôte d’un ton un peu sévère ; et le ministre ajouta qu’un pareil langage devait plutôt être tenu dans un corps-de-garde rempli d’une profane soldatesque qu’à la table d’un homme respectable et devant une dame de qualité.

« Je vous demande pardon, seigneur ou docteur, mit quocumque alio nomine gaudes[3], car il est bon que vous sachiez que j’ai étudié les belles-lettres, » dit l’éhonté ambassadeur en remplissant une grande coupe de vin. « Je ne vois pas qu’il y ait matière à vos reproches ; car je n’ai point parlé de ces turpes personœ[4] comme si leur métier et leur caractère étaient un sujet convenable de conversation en présence de cette dame, mais purement per accidens, pour donner un exemple, dans le cas présent, de leur courage et de leur audace naturels, rehaussés, sans aucun doute, par l’état désespéré de leur condition. — Major, » dit sir Duncan Campbell pour couper court à cet entretien, « je dois vous dire que j’ai quelques affaires à terminer ce soir, afin de pouvoir monter à cheval demain matin et me rendre à Inverary avec vous ; ainsi donc… — Monter demain à cheval pour voyager avec cet homme ! dit son épouse ; tel ne peut être votre dessein, sir Duncan, à moins que vous n’ayez oublié que demain est un triste anniversaire consacré à une solennité non moins triste. — Je ne l’ai point oublié ! jamais je ne pourrais l’oublier. Mais des circonstances impérieuses me commandent d’envoyer cet officier à Inverary sans perdre de temps. — Oui, mais non pas que vous l’accompagniez en personne, répliqua la dame. — Il vaudrait mieux que je le fisse ; cependant je puis écrire au marquis, et le rejoindre le jour suivant. Major Dalgetty, je vous remettrai pour le marquis d’Argyle une lettre dans laquelle je lui ferai connaître le caractère dont vous êtes revêtu et votre mission ; ainsi préparez-vous, s’il vous plaît, à partir pour Inverary demain matin de bonne heure. — Sir Duncan, je suis bien certainement à votre disposition ; néanmoins, je vous prie de vous rappeler la tache qui souillera votre écusson si, malgré mon caractère de parlementaire, n’importe comment, clam, vi, vel precario[5], il m’arrivait quelque mal, je ne dis pas de votre consentement, mais faute des précautions que vous auriez dû prendre pour le prévenir. — Vous êtes sous la sauvegarde de mon honneur, monsieur, et c’est une sûreté plus que suffisante. Maintenant, continua-t-il en se levant, je dois donner l’exemple de la retraite. »

Dalgetty se vit obligé d’obéir à cette intimation, quoique l’heure fût peu avancée. Mais, en général habile, il mit à profit tous les instants qu’il put gagner,

« Plein de confiance en votre honorable parole, » dit-il en remplissant sa coupe, « je bois à votre santé, sir Duncan, et à la durée de votre honorable maison. » Un soupir fut la seule réponse que lui fit le chevalier. « Vous aussi, madame, » continua-t-il remplissant sa coupe avec toute la diligence possible, « je bois à la vôtre, ainsi qu’à l’accomplissement de tous vos désirs. » Puis s’adressant au ministre (sans oublier de joindre l’action aux paroles), » Je remplis cette coupe, et je la vide à l’oubli de toute haine entre vous et le capitaine,… c’est-à-dire le major Dalgetty ; et comme le flacon ne contient plus qu’une coupe, je bois à la santé de tous les honorables cavaliers et de tous les braves soldats indistinctement. Maintenant que la bouteille est vide, sir Duncan, je suis prêt à suivre votre factionnaire ou sentinelle à l’endroit où je dois passer la nuit. »

Il reçut la permission formelle de se retirer, et l’assurance que, comme le vin paraissait de son goût, on lui en apporterait une autre bouteille, pour adoucir les heures de sa solitude.

Le major ne fut pas plus tôt entré dans son appartement que cette promesse fut accomplie, et peu après arriva un pâté de venaison ; les consolations qu’il y puisa lui firent supporter facilement l’isolement et le manque de société. Le même domestique, espèce de cbambellan, qui lui apporta cette bonne chère, lui remit aussi un paquet scellé et attaché avec un fil de soie, suivant la coutume de l’époque ; il était adressé, avec toutes les formules respectueuses, à haut et puissant prince Archibald, marquis d’Argyle, lord de Lorne, etc., etc. Le valet informa en même temps notre ritt-master, qu’il devait monter à cheval le lendemain matin de bonne heure pour se rendre à Inverary, où le paquet de sir Duncan lui servirait à la fois de lettres d’introduction et de passeport. N’oubliant pas que son but était de recueillir des renseignements aussi bien que de jouer le rôle de messager, et désirant pour lui-même connaître les raisons qui engageaient sir Duncan à le faire partir en avant sans l’escorter, le ritt-master demanda au domestique, avec toute la précaution que sa prudence put lui suggérer, quels étaient les motifs qui retenaient son maître dans le château le jour suivant. Celui-ci, qui était des Lowlands, répondit que c’était l’usage de sir Duncan et de son épouse d’observer comme un jour de jeûne solennel et d’humiliation l’anniversaire du jour où leur château avait été escaladé par surprise, et leurs enfants, au nombre de quatre, massacrés impitoyablement par une bande de brigands highlanders pendant l’absence de sir Duncan qui accompagnait le marquis d’Argyle dans l’expédition qu’il avait entreprise contre les Mac Lean de l’île de Mull.

En effet, dit le major, votre maître et son épouse ont de grandes raisons pour jeûner et être dans le chagrin. Néanmoins j’oserai dire que s’il eut consulté quelque soldat expérimenté et versé dans l’art de défendre les places fortes, il aurait bâti une redoute sur cette petite colline qui est à la gauche du pont-levis. Et je vais vous le prouver facilement, mon honnête ami. Supposons que ce pâté est le château… Quel est votre nom, mon ami ! — Lorimer, monsieur. — Eh bien, à votre santé, honnête Lorimer. Je vous disais donc, Lorimer, supposons que ce pâté soit le corps principal ou la citadelle de la place défendue, et supposons que cet os à moelle soit la redoute qu’on aurait dû élever… — Je suis fâché, monsieur, » dit Lorimer en l’interrompant, « de ne pouvoir écouter votre démonstration jusqu’à la fin. Mais la cloche va sonner, et le digne M. Graneangowl[6], chapelain particulier du marquis, célèbre le service : or, comme nous ne sommes que sept, parmi les soixante domestiques, qui entendons la langue écossaise, il serait déplacé que l’un d’eux y manquât ; d’ailleurs cela me nuirait beaucoup dans l’esprit de ma maîtresse. Voici des pipes et du tabac, si vous voulez fumer, et si vous désirez autre chose, on vous l’apportera dans deux heures, lorsque les prières seront terminées. » À ces mots il quitta la chambre.

À peine fut-il parti que la grosse cloche du château en appela les habitants à la prière ; les femmes firent entendre des clameurs aiguës, mêlées aux cris plus mâles de la langue erse, que les hommes tiraient de leur gosier, en accourant par une galerie longue et étroite qui servait de communication à plusieurs chambres, et entre autres à celle qu’on avait assignée au major.

« Ils courent comme si le tambour leur annonçait l’appel, pensa-t-il en lui-même ; s’ils vont tous à la parade, je sortirai pour prendre un peu le frais, et je remarquerai les côtés faibles de la place. »

En conséquence, lorsque tout fut calme, il ouvrit la porte de sa chambre, et il se préparait à sortir, lorsque moitié en sifflant, moitié en fredonnant un air gaélique, il vit son ami à la hache s’avancer vers lui de l’extrémité de la galerie. Ne pas montrer de l’assurance eût été un acte impolitique et peu convenable à son caractère militaire : aussi le major fit-il la meilleure contenance possible, sifflant une retraite suédoise, d’un ton plus haut que la sentinelle, et se retirant pas à pas avec un air d’indifférence, comme s’il avait eu seulement l’intention de prendre un peu le frais ; puis il ferma sa porte au nez du montagnard lorsque celui-ci fut à quelques pas de lui.

« Puisqu’il met une sentinelle à ma porte, » pensa-t-il en lui-même, « il me dégage de ma parole ; car, comme nous le disions au collège Mareschal, fides et fiducia sunt relativœ[7]. Si donc il ne se fie pas à ma parole, rien ne m’oblige à la tenir lorsque j’aurai quelque raison pour y manquer. Bien certainement, l’emploi de la force physique détruit l’obligation morale d’un engagement. »

Ainsi contrarié dans ses projets par la vigilance de son gardien, le ritt-master Dalgetty, retiré dans sa chambre, se livra à des calculs sur la tactique ; parfois il quittait la théorie pour la pratique, en faisant des attaques sur le flacon et le pâté. C’est ainsi qu’il passa sa soirée jusqu’au moment où il se livra au repos. Le matin il fut éveillé au point du jour par Lorimer, qui lui annonça qu’après le déjeuner, pour lequel il lui apportait d’amples provisions, son coursier et ses guides seraient prêts à partir pour Inverary. Après s’être rendu aux avis hospitaliers de Lorimer, le major se disposa à monter à cheval. En traversant les appartements, il observa que les domestiques étaient occupés à tendre la grande salle en draperies noires, cérémonie qui, dit-il, avait eu lieu lorsque l’immortel Gustave-Adolphe était sur son lit de parade dans le château de Wolgast, ce qui, à ses yeux, était la preuve du plus grand et du plus profond chagrin.

Lorsque Dalgetty fut monté à cheval, il se vit escorté ou plutôt gardé par cinq ou six Campbells bien armés, commandés par un autre montagnard qui, par la large qu’il portait derrière son épaule, la plume de coq placée sur son bonnet, aussi bien que par son air d’importance, avait droit au rang de Dunniewassel, c’est-à-dire de l’un des premiers hommes du clan ; et en effet, d’après la dignité de son maintien, il ne pouvait pas être moins que le cousin de sir Duncan, au dixième ou au douzième degré. Mais le major ne put avoir une information positive sur ce sujet ni sur aucun autre, attendu qu’aucun de ses gardes, pas même le chef, ne parlait anglais. Le ritt-master était à cheval, et son escorte à pied ; mais l’agilité des Campbells était si grande, la route si mauvaise, et les obstacles qu’elle présentait à un voyageur à cheval si nombreux, que loin d’être retardé par la lenteur de leur marche, il avait plutôt de la peine à les suivre. Il observa qu’ils lui jetaient de temps à autre des regards d’attention, comme s’ils craignaient qu’il ne fît quelque tentative pour s’échapper ; et une fois qu’il était resté en arrière au passage d’un ruisseau, un des Campbells commença à préparer la mèche de son mousquet, lui donnant à entendre qu’il courait quelque risque s’il tentait de se séparer de leur compagnie. Dalgetty n’augura rien de bon de cette surveillance sévère à laquelle il était soumis ; mais il n’y avait pas de remède ; car essayer d’échapper à ses gardiens dans une contrée impraticable et inconnue aurait été un acte de folie. Tout en faisant ces réflexions, il s’avança patiemment à travers une vaste et sauvage solitude, suivant des sentiers qui n’étaient connus que des bergers et des voleurs de bestiaux, et passant avec plus de mécontentement que de satisfaction auprès de ces groupes de montagnes, de ces sites enchanteurs qui attirent maintenant des visiteurs de toutes les parties de l’Angleterre, qui viennent y repaître leurs yeux de la beauté des Highlands et mortifier leurs palais avec la chétive nourriture des Highlanders. À la fin ils arrivèrent sur le rivage méridional de ce magnifique lac sur lequel Inverary est situé. Le Dunniewassel sonna du cor de manière à faire retentir les rochers et les bois. À ce signal, une barque bien équipée, sortant d’une crique où elle était cachée, reçut les voyageurs à son bord, y compris Gustave. Cet intelligent quadrupède, voyageur expérimenté sur terre et sur mer, entra dans cette barque et en sortit avec la prudence d’un chrétien.

Parvenu au milieu du Loch Fine[8], Dalgetty aurait pu admirer un des plus imposants tableaux de la nature. Deux rivières rivales, l’Aray et le Shiray, sortant de leur retraite obscure et boisée, portent au lac le tribut de leurs eaux. Sur la pente douce et insensible qui commence au rivage, se voyait le noble et vieux château gothique, avec ses remparts et ses tours crénelées, ses cours intérieures et extérieures, et qui présentait un spectacle beaucoup plus pittoresque, beaucoup plus attrayant que le palais massif et uniforme qu’on y a élevé depuis. De noires forêts entouraient, à plusieurs milles à la ronde, ce vaste et seigneurial domaine, et le pic du Duniquoich, sortant brusquement du sein du lac, élevait son front nu au milieu des brouillards, tandis qu’un fanal solitaire, placé à son sommet comme le nid d’un aigle, donnait de la majesté à cette scène en éveillant l’idée du danger.

Le major Dalgetty aurait pu jouir de ces beautés et de bien d’autres que lui offrait ce tableau, s’il en eût eu l’intention. Mais, à dire le vrai, comme il n’avait rien mangé depuis le point du jour, son attention était principalement attirée par la fumée qui sortait des cheminées du château, et qui lui faisait espérer de trouver une provende abondante, nom qu’il ne craignait pas de donner au dîner le plus exquis.

La barque approcha bientôt de la jetée mal bâtie qui joignait le lac à la petite ville d’Inverary, qui était alors un assemblage de huttes grossières, entremêlées de quelques maisons en pierre bâties çà et là sur les bords du Loch Fine, jusqu’à la principale porte du château, devant laquelle on apercevait un spectacle qui eût bouleversé un cœur moins intrépide et soulevé un estomac plus délicat que celui du ritt-master Dugald Dalgetty, titulaire de Drumthwacket.



  1. Hure, en allemand, prostituée ; weib, femme. En anglais, whore woman, femme de mauvaise vie. a. m.
  2. Qui trafiquaient de leurs charmes. a. m.
  3. Ou quel que soit le nom qui vous convienne. a. m.
  4. Femmes éhontées. a. m.
  5. par ruse, par force, ou par accidents. a. m.
  6. Nom fictif composé de deux mots écossais : Granean vient de groan, gémir, se plaindre, et gowl, en anglais howl, hurler. a. m.
  7. Un serment oblige à la confiance. — À cette époque, les militaires dissertaient avec toute la susceptibilité des légistes ou des théologiens sur ce qu’ils appelaient le point d’honneur.
    Après la déroute de Retoxeter, sir James Turner fut fait prisonnier par un officier anglais : celui-ci lui demanda sa parole de ne pas sortir de Hull sans permission. Sir James voulut qu’en échange de cette promesse, on lui ôtât ses gardes, car fides et fiducia sunt relativœ. « J’en agis ainsi avec lui, remarque-t-il, parce que je savais qu’il avait étudié… » L’officier anglais ne trouva rien à répondre à cet argument ; mais Cromwell, dont la logique était très-serrée, répondit : « Sir James Turner sera mis aux fers, à moins qu’il ne donne sa parole. » (Voyez les Mémoires de Turner, p. 80.)
  8. Le lac sur lequel est bâti Inverary. a. m.