Une môme dessalée/06

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Éditions Prima (Collection gauloise ; no 84p. 21-24).

VI

Révélations

Le déjeuner terminé, Zine, un peu endormie par l’abondance et le capiteux des plats, n’entendait plus que vaguement les paroles du bon vieillard attentif à la bonder de paroles morales et insidieuses. Aussi, tant de bons conseils passaient sur elle sans laisser de traces. Par chance, dirons-nous, car l’hypocrisie des vieillards en amour est redoutable et propre à procréer tous les malheurs.

— Ah ! disait le noble personnage, ma petite Zine, si tu veux être sage et fidèle je pourrais faire beaucoup pour toi.

La fillette répondait :

— Qu’est-ce que tu ferais ?

— Je te meublerais un coquet appartement. Mais il faudrait que tu ne voies aucun autre homme.

— Pourquoi cela ? demandait Zine sur un ton pâteux.

Offusqué, le bon vieux en appelait à toutes les vergognes divines et humaines :

— Mais Zine, ce n’est pas bien, quand on a un protecteur, de le tromper. Il faut être honnête et bien agir, la morale veut…

— La morale veut-elle aussi que vous couchiez avec moi ? questionna Zine avec innocence.

L’autre fut foudroyé par cette innocence vicieuse, qui prenait à la lettre ce qui doit s’accommoder selon les circonstances, à savoir la logique, la justice et la vérité. Il rétorqua :

— Ah ! quel dommage que tu n’aies pas reçu une bonne éducation. Je crains bien de ne rien faire de toi.

— Alors, demanda l’enfant avec ingénuité, une bonne éducation, ça consiste à sembler écouter les vieux types même quand ils vous bourrent le mou ?

L’argot offensa le digne macrobite. Il riposta :

— La bonne éducation, c’est d’avoir confiance dans les personnes âgées qui ne peuvent donner que de bons conseils.

— Par exemple, dit Zine, de me mettre nue, comme vous allez me le demander tout à l’heure, et de vous permettre de risquer deux ans de prison…

— Hein… Hein ?… grogna le vieux.

— Dame, croyez-vous que je ne le sache pas. Je suis tout ce qu’il y a de plus mineure, et la loi vous défend de me toucher, tout au moins là où ça vous tente le plus de le faire…

— La loi… La loi… dit le personnage avec importance, je sais ce que c’est, je la fais.

— Tiens, dit Zine, vous êtes peut-être de ces types qui ont décidé de punir ceux qui vont faire l’amour au Bois de Boulogne pendant la belle saison.

— Oui, dit majestueusement l’autre. C’est honteux de s’étaler comme ça.

— S’étaler, ricana Zine, à une heure du matin dans une forêt, vous appelez ça s’étaler. On s’étale tout de même moins que dans une chambre d’hôtel, où tous les locataires voisins, avec une vrille, ont percé un trou dans les murs et voient ce qui se passe quand vous faites… ça.

— Ma petite, ronchonna le parlementaire — puisqu’il avait dit faire les lois — je suis pour la morale et j’abomine le libertinage, l’obscurité et les enfants trop impudiques qui parlent de tout sans rien connaître.

— Si c’est pour moi, la fin de votre phrase, s’exclama Zine, vous avez du toupet ! La morale, à vos yeux, c’est à l’usage des amis. Mais vous ne pensez qu’à passer à travers. Eh bien, reprit-elle, franche et poussée par l’alcool, voulant aussi dominer ce protecteur sans sincérité, eh bien, puisque vous voulez m’endoctriner et faire de moi une petite grue-honnête-femme, quelque chose comme une carpe qui aurait des pattes et une queue de lapin, moi je vais vous parler net : si vous me voulez, et je dois vous dire que je suis neuve, pucelle quoi, si vous me voulez donc, j’accepte, mais vous allez me donner trois cents balles tout de suite et rengainer vos boniments. On ira où vous voudrez et je vous laisserai faire tout après…

— Zine, dit l’autre avec émotion, tu chasses toute poésie de notre union, tu brises toutes les fleurs.

— Zut pour la poésie. Vous me cassez la jambe depuis une plombe pour des honnêtetés et des fidélités à la noix. Qu’est-ce que vous voulez que ça me fiche, tous ces bobards. On ne fait pas d’histoires dans ma famille. Oh ! là ! là… Marchez-vous pour les trois billets de cent ?

L’homme regardait avec désespoir la petite coquine cynique qui détruisait, en son âme de vieil étudiant poussé en graine, tout le romantisme dont il voulait farder l’acte prosaïque de la bête à deux dos avec une enfant. Il était à la fois découragé et alléché. Ce vice le tentait d’être étalé. Mais il aurait voulu suivre de plus près les usages et traditions. Et qu’à son âge, une pucelle des faubourgs, forte en herbe et sans vergogne oubliât les règles élémentaires du savoir-vivre, lui était dur. Pourtant, sa salacité l’entraîna. Sans doute, cette enfant. serait-elle aussi lubrique au lit que narquoise dans la vie. Quel bonheur ce serait ! Car, pour ne rien cacher, le brave homme n’était plus d’âge où la nature pousse seule toutes les portes et se dispense d’aides. Il lui fallait, au contraire, des irritants. D’habitude, il les prenait moraux, et le contraste entre ses paroles et ses actes lui était un puissant érotisme (c’est un comportement habituel chez les humains). Mais il pourrait, par une voie différente, rencontrer les mêmes résultats. Au surplus, pour un amateur de paradoxes lascifs, qu’y a-t-il de plus excitant que de voir une fillette encore pure (était-ce bien certain ?) s’exprimer avec une liberté de matrulle ?

Et notre excellent vieillard trouva dans cette idée la douche écossaise spirituelle indispensable à sa mise en action.

Reconnaissons, au surplus, après justification, que cette novation ne fut pas heureuse. Ayant quitté le restaurant avec sa petite compagne, l’homme la mena dans une maison discrète et hospitalière où il tenta de prouver que l’âge ne l’affaiblissait pas autant qu’il pouvait sembler. Devant Zine, nue et moqueuse, il s’efforça vers la dignité, eût-elle été d’emprunt, qui se déroba, malheureusement.

Zine n’était pas si enthousiaste de cette physique amoureuse qu’elle y apportât spontanément une aide autre que son joli corps. Cela s’attesta insuffisant.

Furieux, le vénérable gaillard dit :

— Décidément, tu n’es bonne à rien.

— Merci ! dit Zine, moi, d’autres me trouveront bonne à quelque amusement, mais vous, je crains qu’on ne vous trouve guère bon qu’à casquer.

Et, rhabillée vite, elle se sauva en riant.