Une môme dessalée/09
IX
Variété
Qu’est-ce que c’est que l’amour ? On a posé cette question des milliers de fois à toutes sortes de gens, des femmes et des mâles, des écrivains et des illettrés, des paysans et des grands bourgeois, des nègres, des jaunes et des Peaux-Rouges. Or, aucune réponse plausible ne semble avoir dissipé toutes les ténèbres dont l’amour s’entoure. L’amour, c’est ceci et cela, les sens et le sentiment, le lit et le fauteuil, le nu et la vêture, le sexe et l’esprit, le sacrifice et l’intérêt, etc., etc. C’est sans nul doute qu’en amour toutes les contradictions se rencontrent et se mélangent. Il y en a pour les goûts les plus divers et les plus contradictoires. L’amour se rit de la logique, de la raison et de tout. Voilà même la marque à laquelle on le reconnaît.
C’est ainsi donc que Zine aima son Américain caressant, et qui sut si bien la choyer qu’il lui apprit le plaisir. Elle l’aima, mais pas exclusivement. L’amour n’est pas nécessairement fidèle et peut-être la fidélité est-elle un de ses pires défauts…
En tout cas, il y avait dix jours que Zine se trouvait la maîtresse de Master James Wand, et, j’ose le dire, elle ne l’aimait pas moins lorsqu’elle céda aux instances d’ailleurs promptes d’un visiteur galant. Voilà comment la chose advint : un ami de Wand venait le voir tous les après-midi pour des ordres de Bourse. Un jour, il ne trouva pas l’Américain parti voir un compatriote. Mais Zine était là. Comme elle croyait poli de converser un instant avec le visiteur, lui, sans barguigner, la prit par les hanches, l’assit sur ses genoux et comme elle paraissait vouloir protester, il lui ferma la bouche d’un baiser cuisant et ardent.
La douce Zine ignorait ce genre d’attaque à laquelle peu de vertus solides résistent efficacement et moins encore des autres. Elle laissa aller à vau-l’eau sa volonté et sa défense, et bientôt le canapé de James Wand fut témoin d’évidentes impudicités.
Il faut dire, à la décharge de Zine, qu’elle ne recommença plus avec le boursier, dont elle se méfiait désormais. Mais ce fut un médecin qui, ensuite, la maîtrisa, dans la chambre, où, tout de même, on est mieux que dans un salon.
Master James Wand se faisait ausculter toutes les semaines par un spécialiste des maladies de poitrine, car ses parents, dans la petite ville californienne où ils s’enrichissaient, convaincus que la France est un pays de tuberculeux, lui avaient fait jurer de regagner son pays au premier rhume un peu menaçant. James Wand envoyait donc régulièrement chez lui une ordonnance médicale constatant l’intégrité de ses bronches.
Or, un jour, il était parti essayer une auto lorsque vint le médicastre qui n’aurait dû apparaître que le lendemain.
Audacieux et faute de trouver sa victime habituelle, | il sut en peu de mots inquiéter Zine. Effarée des mots savants que lui jetait le diafoirus, elle voulut bien se faire ausculter et examiner. Il entendit sonner le plus gracieux cœur du monde et ne put se dispenser, en l’écoutant, de passer une main lascive sur des seins charmants. Ensuite, il voulut examiner si une attaque de la farouche appendicite ne menaçait pas la jolie fille. Il put ainsi examiner le délicat bouclier de son ventre et constata qu’il n’y avait point péril en la demeure.
Il restait à s’assurer que la colonne vertébrale de Zine était solide et incapable de prendre aucun mauvais pli. Ce fut fait. Mais n’y a-t-il pas des organes encore dont l’engorgement ou le mauvais fonctionnement sont susceptibles de jeter dans l’économie d’un corps les menaces les plus compromettantes ? Si, certes. Le mire inspecta tout.
Il avait fait coucher Zine sur son lit. Elle avait, de naissance, le respect de ces gens graves et redingotés ou jaquettés, qui sont notaires, avocats, médecins, inspecteurs des pompes funèbres et autre chose, représentant tous également d’ailleurs, l’intelligence française. Rien ne l’étonnait donc du comportement de ces personnages considérables et lorsqu’elle s’aperçut du genre de soin que lui apportait le toubib expert, elle s’en étonna peu. En somme, c’était peut-être thérapeutique ?…
Toutefois, comme il était peu habile en amour et surtout brutal, elle le désarçonna avant qu’il pût renouveler son exploit :
— Dites donc, docteur, il me semble que vous avez déjà vérifié ce côté-là.
Lui se fâcha un peu en son for, mais il quitta les lieux avec célérité parce que Master James Wand pouvait arriver.
Et, après cette aventure, ce fut le tour d’un petit groom du grand hôtel où elle habitait avec son amant.
Ledit groom était un enfant joufflu et souriant, très petit pour son âge, et qui, un jour, monta à Zine un pneu où Master Wand disait de dîner sans lui.
Zine regarda l’enfant et le trouva délicieux, lui regardait la jeune fille et la désirait de toutes ses forces.
Ils se comprirent…
Zine passa une main douce dans la chevelure bouclée du groom. Lui, pour ne pas être en reste, glissa une dextre naïve sous la jupe trop courte de Zine. Elle lui pinça l’oreille, il fit de même en un autre lieu. Elle lui donna sa bouche et il ne voulut point se trouver en reste d’offrande, de telle sorte que presque sans en avoir eu conscience, ils se découvrirent mieux qu’amants…
Comme beaucoup de tout petits hommes, le groom était ardent. Zine se lassait désormais des mièvreries de James Wand qui l’avaient tant réjouie au début de leur liaison. Elle trouva donc que le jeune porteur de correspondances pressées était exquis dans l’intimité et voulut goûter à nouveau de son désir. Il fit face aux événements avec simplicité, mais sa dignité incontestable enthousiasma la douce Zine que la destinée n’avait pas encore pourvue d’amants aux énergies très renouvelées.
Enfin, ils se séparèrent, fort satisfaits l’un de l’autre et, de ce jour, se retrouvèrent souvent, aux heures favorables, pour se divertir galamment.
Ainsi, les jours passaient. Zine eut encore à succomber devant un nègre joueur de banjo. Cette conquête qui eût dû l’humilier, l’émerveilla fort au contraire. L’homme de couleur était venu voir James Wand qu’il avait connu en Californie. Or, le Californien était sorti. Zine voulut bien converser avec l’autre. Elle fut si aimable avec lui qu’il put se croire provoqué à des élans de haute école et de particulière intimité.
Ainsi, Zine fut prise par un nègre. C’était un amoureux puissant et peu hâtif, comme les femmes de quelque expérience aiment à en trouver.
Il apprit à l’enfant qu’on peut avoir connu déjà diverses qualités d’amants et ignorer encore bien des arcanes de l’amour…