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Une oubliée — Madame Cottin d’après sa correspondance/Appendice 1

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APPENDICES


I

Henri de Caumont, duc de la Force, né en 1679, descendant de plusieurs générations dévouées à la religion réformée sous Henri III, Henri IV et Louis XIV, vit son père l’abandonner avant lui et lui-même fut converti à l’âge de treize ans. Il se signala par son zèle à ramener ses coreligionnaires au catholicisme dans la Guyenne et sur l’étendue de ses domaines. En 1700, à la tête d’un régiment de dragons, selon le fâcheux système du moment, il appuyait la persuasion par la force armée et arbitraire.

Il persécuta, à Bergerac, la famille d’un jeune homme de seize ans, nommé Jean Marteilhe, lequel chercha, comme beaucoup d’autres protestants, à gagner les Pays-Bas. Arrêté à la frontière sous le prétexte qu’il était sans passeport, il fut condamné aux galères par ordre de Louis XIV à M. de la Vrillière, ministre d’état, et a raconté ses souffrances dans Les Mémoires d’un Protestant, édités en Hollande en 1725. Ce livre curieux a été réimprimé en 1865, aux frais des Écoles protestantes du dimanche.

Michelet trouvait ces mémoires de premier ordre, « écrits comme entre ciel et terre ». Voir aussi La vie aux Galères, par Savine… éditeur Michaud.

La lettre qui suit, publiée par M. Ch. Read dans Le Bulletin du Protestantisme Français, écrite par le duc de la Force à M. de Pontchartrain, chancelier et garde des sceaux, montre le désir du courtisan d’être agréable à son maître.


« La Force, 15 octobre 1699.
« Monsieur,

« Les révérends pères Jésuites commencèrent dimanche dernier à faire leur instruction dans l’une des chambres du château de la Force. La chapelle, comme j’ai eu l’honneur de vous le mander, n’était pas encore en état. Il s’y trouva environ trois à quatre cents nouveaux convertis, mais, à la réserve de deux ou trois principaux, il n’y avait que des paysans quoique j’eusse régulièrement fait avertir tout le monde, comme vous avez vu. Monsieur, par la lettre que j’ai écrite aux curés.

« En voyant que les plus aisés des paroissiens négligeaient de s’y trouver, je leur envoyai lundi dernier à chacun un billet pour leur dire de venir me parler ; ils y sont venus presque tous et lorsque a je leur ai représenté que l’intention du roi était qu’ils s’instruisissent et que Sa Majesté voulait qu’ils assistassent aux explications qui se font ici, j’en ai trouvé très peu de dociles et, quoique le nombre de ces principaux monte à plus de cent, il ne s’en est trouvé mardi que dix ou douze. Je ne compte point les paysans, car si cette centaine faisait son devoir, il est certain que tous les autres suivraient leur exemple et que les églises, qui sont présentement désertes, se trouveraient remplies.

« J’ai déjà eu l’honneur de vous dire. Monsieur, dans une de mes lettres, que le voisinage de Bergerac et de Sainte-Foy est d’un grand obstacle pour les conversions ; je l’ai expérimenté dans cette dernière rencontre, car plusieurs qui se disaient bourgeois de Bergerac et qui sont pourtant établis depuis longtemps dans le duché, quand on les presse de se faire instruire, vont y u demeurer et se croient là comme dans une ville de sûreté, à l’abri de toutes les instructions contre lesquelles ils sont fort en garde. Mardi même, en ayant envoyé chercher sept ou huit devant que la conférence commençât, et leur ayant dit que le roi voulait qu’ils y assistassent, il y en eut quelques-uns qui balancèrent sur ce qu’ils avaient à faire ; mais un d’entre eux nommé Cheissac, sieur de Fongrade, qui demeure depuis douze ans dans le duché de la Force, prit la parole pour tous en disant : Nous sommes bourgeois de Bergerac et, quand le roi donnera ses ordres à Bergerac, nous verrons ce que nous aurons à faire. Cette parole, dite d’un air de mutinerie, acheva de déterminer tous les autres. Il s’en alla et ils le suivirent, quoique un père Jésuite fît tout ce qu’il put pour les faire entrer.

« La conférence commença ensuite et, après une lecture de l’Écriture sainte et une prière en français, le père Dubois expliqua un point de controverse qui était la perpétuité de l’Église et demanda ensuite à tous les nouveaux catholiques, chacun en particulier, s’ils avaient quelque difficulté à proposer et de ceux qui avouèrent être convaincus on en fit un état en forme de procès-verbal dont je vous envoie la copie. Faites-moi l’honneur, Monsieur, de me mander ce que je ferai de l’original. Je fis ensuite appeler par mon secrétaire tous ceux à qui j’avais écrit de s’y rendre, pour savoir ceux qui ne s’y étaient pas trouvés, et j’ai ordonné au juge d’ici d’aller chez ceux-là et de leur dire s’ils refusent d’aller aux conférences, la raison pourquoi et de dresser procès-verbal de leurs réponses, dont j’aurai l’honneur de vous envoyer copie, par le premier ordinaire.

« Mais je vous supplie, Monsieur, de me faire savoir comment le roi veut qu’on en use à l’égard de ceux qui refuseront absolument de s’y trouver et encore à l’égard de ceux qui, ne se contentant pas de n’y pas venir, empêchent les autres de s’y rendre, ou les raillent en leur disant des injures quand ils y ont été et les traitent de papistes et de renégats, car il est certain que l’exemple de ceux-là qui sont les principaux et les chefs attirera toute la population, et qu’aussi, s’ils n’y viennent pas, ceux même qui y assistent présentement, discontinueront de le faire. J’avais déjà eu l’honneur. Monsieur, de vous proposer deux moyens pour cela : l’un que le roi leur imposât quelque amende pécuniaire qui allât toujours en augmentant, applicable au rétablissement des églises détruites ; l’autre que Sa Majesté leur envoyât quelques cavaliers qui sont en garnison de ceux qui sont à Bergerac, car je puis vous assurer. Monsieur, qu’aussitôt qu’on aura réduit ces principaux, il ne restera plus ici de l’hérésie. De plus, si le roi voulait avoir la bonté de me donner dans chaque paroisse deux ou trois cents francs de taille, pour pouvoir soulager ceux qui font bien leur devoir, et la rejeter sur ceux qui ne le font point du tout, cela serait d’un grand efficace et le roi n’y perdrait rien, car, comme ils sont presque tous ici de la religion, les syndics et les collecteurs se soulagent les uns et les autres par l’espérance de la représaille. J’attends sur tout cela les ordres du roi.

« Cependant, Monsieur, je continuerai trois fois la semaine à faire faire des instructions, j’y ferai venir ceux que je pourrai, ferai signer chaque point de controverse qu’on aura traité, à ceux qui assisteront et n’auront rien à dire contre et enfin généralement tout ce que je croirai pouvoir contribuer à les fortifier dans la religion catholique, apostolique et romaine.

Je suis toujours très sincèrement. Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

« Le duc de la Force. »

Condamnation de Jean Marteilhe.

« Jean Marteilhe, Daniel Legras, s’étant trouvés sur les frontières sans passeport, Sa Majesté prétend qu’ils seront condamnés aux galères. Je suis, etc.

« Le marquis de la Vrillère. »