Van Dyck (Fierens-Gevaert)/07

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Henri Laurens, éditeur (Les Grands Artistes) (p. 60-63).


VII. — Retour à Anvers.

Van Dyck, suivant Carpenter, revint à Anvers en 1626 ; il y resta jusqu’en 1632. Cette partie de sa carrière est communément appelée la période flamande. L’artiste ne séjourna pas constamment dans sa ville natale. Il fit, croit-on, un second voyage à Londres en 1627 ; mais sa présence ne parait pas avoir attiré l’attention de la cour à ce moment. En 1630 le prince d’Orange le faisait demander à La Haye. Enfin, sur la prière du cardinal de Richelieu, il aurait visité Paris vers la même époque. En ce qui concerne ce séjour en France, nous ne possédons que le témoignage peu concluant de De Piles, un écrivain d’art de la fin du XVIIIe siècle.

Pendant ces six ans, Van Dyck produisit énormément et sa réputation acquit un éclat extraordinaire. Rubens s’étant absenté pendant quelques mois dans le cours des années 1629 et 1630, son disciple préféré fut pour un temps, comme l’a très bien remarqué M. Hymans, « le premier maître des Pays-Bas ». Son labeur est aussi varié d’aspect que de qualité ; il peint des compositions religieuses, mythologiques, des portraits de tous genres, une grande composition décorative pour l’hôtel de ville de Bruxelles — détruite malheureusement dans l’incendie allumé en 1695 par les bombes du maréchal de Villeroy ; — enfin il exécute vingt portraits à l’eau-forte et commence la publication de son beau recueil d’hommes célèbres : l’Icones centum, achevé avec le concours des meilleurs graveurs anversois du XVIIe siècle.

Il est tout naturel qu’en rentrant dans son pays Van Dyck ait tourné une partie de ses facultés vers la peinture d’église. Les Pays-Bas venaient d’être déchirés par d’effroyables convulsions religieuses. Mais les provinces méridionales allaient retrouver la tranquillité pour un demi-siècle. Dans les grandes villes flamandes, le culte catholique, rétabli par les Espagnols, se relevait avec force. Cependant les églises, ravagées par les iconoclastes, étaient vides. Il fallait les orner au plus vite de tableaux, de statues. Secondés par les archiducs, les ordres religieux y employèrent tout leur zèle. Les jésuites, en particulier, se montrèrent merveilleusement propres à cette besogne de restauration et d’embellissement. Grâce à eux, l’Église catholique se servit de toutes les ressources artistiques qu’offraient les provinces flamandes. Architecture, peinture, sculpture prirent un dernier essor sous l’impulsion de leur Compagnie. Leur influence sur la vie artistique du XVIIe siècle fut considérable ; ils jouèrent vis-à-vis de l’art le rôle protecteur des grandes confréries monastiques du moyen âge ; ils furent les Clunisiens de la seconde Renaissance.

Leur esprit pénétra partout. Rubens fut leur élève ; Van Dyck s’affilia, en 1628, à la « confrérie supérieure des célibataires » dirigée par la Compagnie de Jésus. Maître et élève ne connurent pas de meilleur client que l’ordre de Loyola. L’architecture et le décor se renouvelaient à cette époque, et les caractères essentiels de cette rénovation constituent précisément le « style jésuite » appelé dans les Pays-Bas « style Rubens ». Ce style, soit dit en passant, est injustement décrié. Pour nous en tenir à la Belgique, l’église Saint-Michel de Louvain et celle du Béguinage de Bruxelles, par exemple, sont des édifices très élégants et pleins d’invention. Il ne suffit point d’y reconnaître quelques traits marquants de l’art baroque pour les condamner. Le baroque est la dernière production originale de l’art chrétien. Les jésuites en ont été les parrains et les propagateurs. J’y vois pour eux un titre et pour nous un enseignement. Ils ont senti où palpitait la vie artistique de leur temps, ils ont encouragé la création vivante, si compromise qu’elle fût par les erreurs de goût. Plût au ciel qu’en nos temps de pastiches, d’éclectisme scientifique et de reconstitutions glaciales, la part originale de l’art connût encore ces consécrations traditionnelles !

Les jésuites, en Italie, aidèrent à la gloire du Bernin. Ils devaient accueillir avec faveur dans les Pays-Bas, tout ce qui portait le reflet de cet art. Or Van Dyck incarna pour les Flandres la formule artistique de l’église del Gesu. Sans doute, il n’est que trop souvent un instigateur du maniérisme et du naturalisme théâtral de la fin du XVIIe siècle. Il rapporta d’Italie un certain nombre de poncifs pathétiques que les Flamands admirèrent avec trop de ferveur. Ses Madones, ses Saintes Familles, ses Nativités, ses Martyres de saint Sébastien conservent dans leur dramatisation élégante, un écho de la religiosité italienne, mélangée de paganisme, imprégnée de volupté et de passion physique. L’ardeur religieuse de ses Madeleines mériterait bien souvent le mot malicieux du président Des Brosses parlant de la Sainte Thérèse du Bernin : « Si c’est ici l’amour divin, je le connais. » Mais — fait digne d’attention — cette évolution des types plastiques permit à l’art flamand de vivre jusqu’à Laurent Delvaux, c’est-à-dire jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Si la peinture flamande mourut presque immédiatement avec l’école anversoise, la sculpture, par contre, garda quelque temps encore sa vigueur. Elle doit beaucoup à Van Dyck. Pendant un siècle et demi, les Saint Jean et les anges peut-être un peu trop élégants du maître servirent de modèles aux sculpteurs des provinces flamandes et wallonnes, soit qu’ils exécutassent des confessionnaux somptueux ou d’imposantes clôtures de chœur, soit qu’ils élevassent ces grandes chaires de vérité qui animent de leur expansive bonne humeur la gravité médiévale des églises de Belgique.