Ventre creux
VENTRE CREUX
J’ai faim, disait Ventre creux
Devenu sceptique,
Je suis las des fruits véreux
De la politique.
Tiens ! je paie assez
Les vieux pots cassés.
Les partis
Sont petits.
Chacun a sa bande,
J’aime mieux la viande !
Peuple, me dit en tout lieu
Roi qui sollicite,
On ne fait bon pot-au-feu
Que dans ma marmite.
― Mais, grugeur d’impôt,
De ta poule au pot
Lorsque j’ai
L’os rongé,
C’est par contrebande,
J’aime mieux la viande !
Un gras marguillier sans fiel,
Monsieur Durosaire,
Me dit : Tu gagnes le ciel.
Bénis ta misère.
― Quoi ! pour mon salut
Ce jeûne absolu,
C’est très bien,
Très chrétien !
Que Dieu vous le rende,
J’aime mieux la viande !
Un meneur fort amical
Me dit : Prolétaire,
Prends un Bourgeois radical
Pour ton mandataire.
― Tout Bourgeois, mon cher,
Nourri de ma chair,
Sur mon gain,
Sur ma faim
Touche un dividende,
J’aime mieux la viande !
Pour qui ces torches là-bas ?
Ces prêtres bizarres ?
Quel est ce dieu ? ― le bœuf gras !
Sonnez les fanfares !
Animal divin,
Terrassant la faim,
Tu nourris
Nos esprits.
Que chacun m’entende !
J’aime mieux la viande !
1874.