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Vie de Charlemagne (Éginhard, trad. Halphen)/Appendice

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Traduction par Louis Halphen.
Texte établi par Louis HalphenHonoré Champion (p. --109).

APPENDICE


PROLOGUE DE WALAHFRID STRABON
À LA VIE DE CHARLEMAGNE[1]

L’exposé qui suit de la vie et des actes du très glorieux empereur Charles est l’œuvre d’Éginhard — un des palatins de ce temps les plus dignes d’éloges non seulement pour sa science, mais aussi pour son caractère sans tache — lequel, en homme qui a participé à presque tout ce qu’il raconte, y a apporté le témoignage de la plus pure vérité.

Né en effet en « France » orientale, dans le comté qu’on nomme Maingau[2], il reçut, comme enfant, au monastère de Fulda, dans l’école de saint Boniface le martyr[3], les premiers éléments de sa nourriture spirituelle. Puis ses capacités remarquables et son intelligence, qui déjà promettait le rare savoir par lequel il s’illustra ensuite, plutôt que sa noblesse, pourtant insigne, décidèrent Baugolf, abbé dudit monastère[4], à l’envoyer au palais de Charles. Car, de tous les rois, celui-ci était le plus avidement empressé à rechercher les savants et à leur procurer le moyen de philosopher tout à leur aise, ce qui lui permit d’assurer à nouveau le rayonnement de la science entière, en partie inconnue jusqu’alors de ce monde barbare, et de faire ainsi de toute l’étendue du royaume, qu’il avait reçu de Dieu encore enveloppé de brumes et, pour ainsi dire, presque aveugle, un pays lumineux, aux yeux pénétrés de clarté divine. Mais aujourd’hui les études déclinant derechef, la lumière de sapience, moins prisée, tend à perdre de son éclat.

Or donc ce petit homme, que sa faible taille rendait peu respectable[5], s’acquit par son esprit et sa droiture à la cour de Charles, ami de la science, un tel renom que, parmi tous les serviteurs de sa Majesté, il n’en était presque aucun à qui ce roi, le plus puissant et le plus sage de son temps, confiât plus de secrets de son intimité. Et c’était justice : car non seulement sous Charles lui-même, mais encore — ce qui est plus étonnant — sous l’empereur Louis, quand l’État franc était emporté dans la tourmente et menaçait ruine, il sut, par une faculté d’équilibre remarquable et d’inspiration vraiment divine, se garder, grâce à Dieu, si bien lui-même qu’il parvint tout à la fois à conserver intacte jusqu’au bout sa brillante réputation, qui n’était cependant pas sans l’exposer à l’envie et au danger, et à éviter par surcroît d’irrémédiables périls[6].

Cela soit dit pour que nul n’élève de doute touchant la valeur de ses assertions, faute de savoir quelles exceptionnelles louanges il devait à la chère mémoire de son protecteur et à quels scrupules de vérité il était tenu pour satisfaire la curiosité de ses lecteurs.

Pour ma part, j’ai, moi Strabon, intercalé dans cet opuscule des titres et établi des divisions qui m’ont paru de nature à en faciliter la consultation et à rendre plus aisées les recherches[7].


  1. Sur ce prologue, voir l’Introduction.
  2. Correspondant à peu près à la vallée inférieure du Main.
  3. C’est-à-dire : l’école fondée par saint Boniface.
  4. Baugolf fut abbé de Fulda de 779 à 802.
  5. À cause de sa petite taille, il avait commencé par être la risée des familiers de la cour carolingienne, qui l’avaient surnommé Nardillon. Voir nos Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, p. 70.
  6. Nous avons dit dans notre Introduction qu’Éginhard sut en effet très habilement tirer son épingle du jeu quand éclata la lutte entre Louis le Pieux et ses fils.
  7. Après ce prologue, Walahfrid Strabon avait en effet reproduit le texte de la Vie de Charlemagne en le divisant, pour la première fois, en chapitres, tous munis de titres particuliers, tels que : « Des Mérovingiens, qui longtemps commandèrent aux Francs sous le vain nom de rois » (chap. 1) ; « De Charles, maire du palais », et « De Pépin et de Carloman, ses fils » (chap. 2) ; « Combien de temps régna Pépin, établi roi après la déposition définitive de Childéric ; de sa mort et du partage de son royaume entre Charles et Carloman, ses fils » (chap. 3) ; « De la mort de Carloman et des débuts de Charles » (chap. 4) ; « Comment il termina la guerre aquitanique » (chap. 5), etc.