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Vie de Jésus (Strauss) 1/CINQUIÈME CHAPITRE.

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CINQUIÈME CHAPITRE.

PREMIÈRE VISITE DU TEMPLE ET ÉDUCATION DE JÉSUS.



§ XL.


Jésus, âgé de douze ans, dans le Temple.

L’évangile de Matthieu garde le silence sur tout l’intervalle écoulé depuis le retour d’Égypte des parents de Jésus, jusqu’à son baptême par Jean-Baptiste ; et Luc lui-même ne rapporte qu’une seule aventure dans le long espace compris entre sa première enfance et son âge viril : c’est la manière dont, à douze ans, il se comporta dans le Temple de Jérusalem (2, 41-52). Ce récit des commencements de la jeunesse de Jésus se distingue, d’après la juste remarque de Hesse[1], des récits relatifs à son enfance qui ont été examinés jusqu’ici ; et il s’en distingue en ceci : c’est que Jésus n’y joue plus un rôle simplement passif, mais qu’il y donne une preuve de sa haute destination. Et de tout temps on a attaché un prix particulier à cette preuve, qui nous montre le moment où Jésus prit conscience de tout ce qu’il était[2].

À l’âge de douze ans, où, d’après la coutume juive, l’enfant prenait part lui-même aux rites sacrés, Jésus, conformément à ce récit, fut amené à Jérusalem par ses parents, qui, ce semble, le conduisirent alors pour la première fois à la fête de Pâques. Le temps de la fête s’étant écoulé, les parents se mirent en route pour retourner chez eux. D’abord ils ne s’inquiétèrent pas de ne point voir leur fils avec eux, pensant qu’il était quelque part ailleurs dans la compagnie des voyageurs ; ce ne fut qu’après avoir fait une journée de marche, et l’avoir vainement cherché auprès de leurs parents et connaissances, qu’ils retournèrent à Jérusalem pour avoir de ses nouvelles. Cette conduite des parents de Jésus peut surprendre ; on croit devoir leur supposer une surveillance attentive sur l’enfant céleste qui leur avait été confié, et l’on ne comprend pas qu’ils l’aient perdu si longtemps de vue : aussi leur a-t-on, de différents côtés, reproché de la négligence et l’oubli de leurs devoirs[3]. Mais on trouvera naturel et juste que des parents n’aient pas tenu continuellement sous leurs yeux, avec une attention inquiète, un garçon de douze ans, ce qui, dans l’Orient, est autant que chez nous un garçon de quinze, et aussi formé de caractère que Jésus avait déjà dû se montrer[4]. Si, au moment du départ, il n’était pas auprès d’eux, il aurait été inutile de le chercher dans le tumulte de la capitale encombrée d’une multitude d’étrangers, et de laisser partir, pendant ce temps, leurs compatriotes. Le meilleur parti était celui que prirent les parents de Jésus : c’était de suivre, après avoir attendu quelque temps, la caravane galiléenne, au milieu de laquelle ils avaient toute raison de supposer leur fils, puisqu’ils y avaient des parents et amis, συγγενεῖς καὶ γνωστούς[5].

Revenus à Jérusalem, ils trouvent, le troisième jour, leur fils dans le Temple, sans doute dans une des salles extérieures, et au milieu d’une assemblée de docteurs. Il était occupé à converser avec eux, et il excitait l’admiration générale (v. 45, seq.). D’après quelques indices, il semblerait qu’ici Jésus occupe, vis-à-vis des docteurs, une position supérieure à celle qui pouvait convenir à un enfant de douze ans. Déjà, le mot assis, καθεζόμενον (v. 46), a excité des scrupules ; car, d’après ce que les Juifs nous ont appris, ce ne fut qu’après la mort du rabbin Gamaliel, mort arrivée longtemps après, que les élèves des rabbins prirent l’habitude de s’asseoir ; jusque-là, ils avaient été astreints à se tenir debout[6] : mais cette tradition juive est douteuse[7]. On a encore trouvé surprenant que Jésus ne fût pas seulement auditeur, ἀκούων, mais qu’il prît aussi la parole pour interroger, ἐπερωτῶν, et qu’il parût se comporter à l’égard des docteurs comme leur maître. À la vérité, c’est ce rôle que lui attribuent les évangiles apocryphes, d’après lesquels Jésus, dès avant l’âge de douze ans, embarrasse tous les docteurs par ses questions, et découvre à celui qui lui apprenait l’alphabet, la signification mystique des lettres ; selon ces mêmes apocryphes, dans la visite du Temple, il met en discussion des questions controversées, telles que celle sur le Messie à la fois fils et seigneur de David (Matthieu, 22, 41, seq.), et aussitôt il résout toutes les difficultés[8]. Sans doute, si les mots interroger et répondre, ἐρωτᾷν, ἀποκρίνεσθαι, devaient s’entendre comme si Jésus jouait dans cette scène le rôle de docteur, il nous faudrait, à cause d’une particularité si peu naturelle[9], suspecter le récit évangélique. Mais rien ne nous oblige à comprendre ainsi ces expressions ; car, d’après la coutume juive, l’enseignement rabbinique était de telle sorte que non seulement les maîtres interrogeaient les élèves, mais encore les élèves interrogeaient les maîtres quand ils avaient besoin d’explication sur quelques points[10]. Ici donc, nous pouvons admettre avec d’autant plus de vraisemblance des questions convenables à un enfant, que notre texte, non sans intention, ce semble, fait tomber l’admiration des docteurs, non pas sur les demandes, mais sur les réponses de Jésus, ἀποκρίσεις. C’était là, en effet, que Jésus pouvait le mieux se montrer élève intelligent ; cependant Tholuck remarque avec raison, au sujet des demandes mêmes, que ce ne serait pas l’unique exemple où un élève d’un esprit indépendant, qui était âgé de douze ans, mais dont le développement égalait celui d’un enfant de quinze, aurait donné à songer à son maître. Et avec l’étroitesse et la superstition de plusieurs idées rabbiniques, on comprend facilement, ainsi que Hess le fait observer, que le sens droit de l’enfant ait, par de libres questions, mis les docteurs dans un embarras mêlé d’étonnement. Ce qui pourrait paraître plus difficile à admettre c’est que le jeune Jésus ait été assis au milieu des maîtres, ἐν μέσῳ τῶν διδασκάλων ; car ce qui convenait à un élève, l’apôtre Paul nous l’apprend (A. Ap. 22, 3), c’était de s’instruire aux pieds des rabbins, παρὰ τοὺς πόδας. Ceux-ci étaient placés sur des sièges, les élèves étaient assis par terre[11], mais ils ne prenaient pas place au milieu des maîtres. À la vérité, on croit pouvoir expliquer l’expression au milieu, ἐν μέσῳ, tantôt en disant qu’elle signifie seulement, être assis entre les maîtres, qui étaient placés dans leurs chaires, et au milieu desquels Jésus était assis par terre avec d’autres élèves[12], tantôt en disant qu’elle signifie en compagnie des maîtres, c’est-à-dire dans la synagogue[13]. Mais, d’après le sens des mots, être assis au milieu de gens, καθέζεσθαι ἐν μέσῳ τινῶν, paraît désigner sinon, comme Schœttgen le croit in majorem Jesu gloriam[14], une place d’honneur, au moins une situation égale à celle qu’occupent les autres[15]. Or, que l’on trouve vraisemblable ou non, avec Tholuck, que les docteurs juifs aient fait asseoir auprès d’eux l’enfant remarquable, on aurait ici, au plus, une expression exagérée, employée par le narrateur, laquelle ne prouverait rien contre la vérité intrinsèque de son récit.

Ici le narrateur place le reproche que la mère de Jésus adresse à son fils retrouvé, en lui demandant pourquoi il n’a pas épargné à ses parents les mortelles inquiétudes de cette recherche ; à quoi il répond (et cette réponse est, à vrai dire, le but de toute l’histoire) qu’ils auraient pu savoir qu’il ne fallait le chercher nulle part ailleurs que dans la maison de son père, dans le Temple (v. 48, seq.). Cette désignation de Dieu comme père, τοῦ πατρός, pourrait être prise d’une manière indéterminée, et signifier que Dieu est le père de tous les hommes, et par conséquent le sien. Mais on ne peut l’entendre ainsi, car le mot de moi, μου, empêche cette interprétation, puisque en ce sens on devrait attendre de nous, ἡμῶν, comme dans Matthieu, 6, 9 ; et ce qui l’empêche surtout, c’est que les parents de Jésus ne comprennent pas ce discours (v. 50) ; circonstance qui indique positivement que cette expression doit avoir un sens particulier. Or, ce sens ne peut être ici que le mystère de la messianité de Jésus, qui, en qualité de Messie, était fils de Dieu, υἱὸς Θεοῦ, dans une acception spéciale. Mais Jésus a-t-il commencé à avoir, dès sa douzième année, la conscience de sa qualité messianique ? Cela pourrait paraître douteux de notre point de vue, à nous qui, ayant démontré le caractère purement mythique des récits de la naissance et de l’enfance, avons retranché toutes les causes externes, tant naturelles que surnaturelles, capables d’éveiller cette conscience dans l’enfant Jésus. Dira-t-on qu’une vocation particulière, comme, par exemple, celle d’un poëte ou d’un artiste, dépendant uniquement de dispositions internes qui se font sentir de bonne heure, peut se manifester très précocement ? Mais une vocation qui s’applique aux affaires du monde, et dans laquelle la réalité actuelle joue le rôle essentiel, telle qu’est, par exemple, la vocation de l’homme d’État, du général, du réformateur religieux, et par conséquent aussi du Messie, peut difficilement s’être jamais fait sentir d’aussi bonne heure chez l’homme même le plus heureusement né ; car elle exige la connaissance des circonstances contemporaines, connaissance qu’une observation prolongée et une expérience mûrie sont seules en état de donner. Cependant il faut ici faire une distinction : autre est la conscience de la vocation, conscience qui en embrasse, dans une claire réflexion, toutes les conditions, et qui ne peut être, en effet, que le fruit d’un âge plus avancé ; autre est le simple pressentiment immédiat qui dévoile, par des signes caractéristiques, quelquefois de très bonne heure, le germe essentiel de la vocation future et la force qui un jour le développera. Or, ce que l’enfant Jésus nous fait entendre ici n’est pas autre chose que ce simple prélude de l’âme ; encore loin de tout rapport plus précis avec la religion mosaïque, avec les prophètes, avec la hiérarchie, avec les sectes, avec les païens, etc., le sentiment intime qu’il a Dieu pour père, et qu’il est avec lui dans une communication intérieure d’esprit et de cœur, est le germe le plus naturel d’où, plus tard et avec plus de développement, devait sortir en Jésus la conscience de sa position messianique[16].

Il est dit, immédiatement après (v. 50), des parents de Jésus, qu’ils ne comprirent pas cette expression. Dans toute autre manière que la nôtre de concevoir l’histoire des premières années de Jésus, cela doit paraître fort surprenant, car l’ange annonciateur avait appris à Marie (Luc, 1, 32, 35) que son fils serait appelé, au sens propre, fils de Dieu, υἱὸς Θεοῦ ; et cette annonciation d’une part, de l’autre l’accueil brillant que l’enfant avait reçu lors de sa première présentation dans le Temple, pouvaient leur indiquer qu’il aurait quelque relation spéciale avec ce lieu sacré. Les parents de Jésus, ou du moins Marie, de laquelle il est dit, à diverses reprises, qu’elle avait conservé soigneusement dans son cœur les communications surnaturelles relatives à son fils, ne devaient pas être embarrassés un seul moment par le langage qu’il tenait alors. Mais aussi, dès la première présentation dans le Temple, l’évangéliste rapporte, v. 33, que les parents de Jésus avaient été surpris du discours de Siméon, par conséquent qu’ils ne l’avaient pas bien compris. Et quand l’évangéliste consigne le témoignage de cette surprise, ce n’est pas à propos du passage du discours de Siméon, où il est dit que leur enfant sera une cause non seulement d’élévation, εἰς ἀνάστασιν, mais encore de chute, εἰς πτῶσιν, et qu’un glaive, ῥομφαία, percera le cœur de la mère ; rien ne leur ayant encore été révélé sur cette partie de la vocation et de la destinée de Jésus, il aurait été naturel qu’ils s’en étonnassent ; mais c’est à propos des expressions de la joie du vieillard apercevant le Sauveur, qui servira à la glorification d’Israël et à l’illumination des gentils, ἔθνη, Siméon ne faisant ses dernières révélations qu’après la surprise témoignée par les parents. Et, de nouveau, remarquons que leur surprise ne porte pas non plus sur les relations que Siméon annonce entre Jésus et les païens ; en effet, elle aurait été mal placée, car les relations du Messie avec les païens se trouvent déjà dans l’Ancien Testament. Il ne reste donc plus, comme cause de leur surprise, que la révélation faite par Siméon du caractère messianique de l’enfant ; or, cette qualité de Messie leur avait été annoncée depuis longtemps par des anges, et elle avait été reconnue par Marie dans son cantique. Donc, s’il est incompréhensible plus haut que le langage de Siméon les ait étonnés, il ne l’est pas moins dans ce passage, les récits antécédents étant supposés historiques, que les paroles de Jésus ne leur soient pas intelligibles, et nous devons dire : s’il s’était passé précédemment des événements aussi extraordinaires que ceux qui sont rapportés par Luc lui-même, les parents de Jésus auraient compris les paroles de leur fils ; or, ils ne les ont pas comprises, donc ces événements n’ont pas eu lieu. De notre point de vue, on conçoit sans peine que les parents n’aient pas entendu le sens de l’expression employée par leur fils, puisque la réponse qu’il leur fit était la première manifestation précise de sa nature supérieure. Mais on ne doit pas moins se demander si le témoignage de la surprise des parents est un trait véritablement historique, ou s’il n’a été ajouté par le narrateur évangélique que dans l’intérêt de son récit merveilleux ; car c’est le propre de pareils récits d’en laisser les personnages dans une continuelle disposition à l’étonnement, de telle sorte qu’ils expriment leur surprise et déclarent ne pas comprendre non seulement à la première apparition de la merveille, mais encore à la seconde, à la troisième, à la dixième, tandis qu’ils devraient y être familiarisés depuis longtemps ; et naturellement cette impossibilité prolongée de comprendre a pour but de donner d’autant plus de grandeur à la communication divine. Nous avons encore à faire une observation semblable : sans doute on croira facilement que la mère de Jésus ait gravé dans son esprit la scène du Temple, et que, le corps de l’enfant croissant heureusement, la croissance de son esprit n’ait été pas moins prospère ; c’est, en effet, ce que portent deux remarques finales de l’évangéliste : l’une où il est dit que la mère de Jésus renferma dans son cœur toutes ces paroles (v. 51), et l’autre où il est dit que l’enfant continua à croître en âge et en sagesse (v. 52). Toutefois, malgré l’apparence naturelle de ces remarques, on peut se demander si elles sont, chez l’évangéliste, le résultat de renseignements et de retentissements historiques, ou plutôt si elles n’ont pas été formées sur le type de la légende héroïque des Hébreux, type auquel ces formules de conclusion et de transition appartenaient, comme nous l’avons vu plus haut[17].

Ainsi, d’après ce qui précède, le récit de la première apparition de Jésus dans le Temple ne contient aucun trait historiquement invraisemblable ; au plus présente-t-il quelques coups de pinceau que le narrateur y a ajoutés de son chef. Il n’est pas non plus, comme quelques uns des récits précédents, dans un rapport d’exclusion réciproque avec une autre narration. Si donc il n’est pas en contradiction avec un renseignement positivement historique dont il sera question plus tard, et dont nous ne pouvons encore nous occuper ici, il ne porte aucun signe qui le frappe d’un caractère non historique, excepté peut-être la circonstance de ne se trouver que dans un seul évangile, et de se trouver dans un chapitre où l’introduction d’éléments non historiques a été facile, et dont les portions considérées jusqu’ici sont en réalité purement mythiques. Mais cela est trop peu précis pour compromettre le caractère de notre récit. Exempt d’indices négatifs qui y trahissent un caractère non historique, il ne peut être ébranlé, quand même on signalerait un puissant intérêt dogmatique et poétique qui aurait été capable d’inspirer l’invention d’une pareille scène.

On sait en effet que, pour de grands hommes qui se sont distingués dans l’âge mûr par leur supériorité, on s’est complu à recueillir les premiers mouvements, les premiers préludes de leur intelligence, et là où l’histoire n’apprenait rien, on a imaginé des détails d’après la vraisemblance[18], On trouve en particulier beaucoup de preuves de cette tendance dans l’histoire et dans la légende hébraïques. Ainsi il est dit de Samuel, dans l’Ancien Testament, que dès son enfance il avait eu une révélation divine et le don de la prophétie (1 Sam., 3). Quant à Moïse, sur l’enfance duquel se tait l’Ancien Testament, la tradition postérieure, que suivent Josèphe et Philon, savait raconter des témoignages frappants de son développement précoce. Si dans le récit évangélique l’enfant Jésus montre une intelligence au-dessus de son âge, Josèphe, d’après la légende, en rapporte autant de Moïse[19]. Si Jésus s’écarte du vain tumulte de la ville mise en mouvement par la fête, et s’il trouve dans le Temple, auprès des docteurs, l’entretien qui lui convient le mieux, de même l’enfant Moïse était attiré, non par les jeux de l’enfance, mais seulement par des occupations sérieuses, et de bonne heure il fallut lui donner des maîtres auxquels il se montra bientôt supérieur, comme Jésus âgé de douze ans[20].

D’après la constitution spéciale des hommes dans l’Orient et d’après la coutume juive, la douzième année formait un point du développement auquel on aimait à rattacher des manifestations particulières du génie qui s’éveille. Dès cet âge en effet, comme chez nous dès l’âge de quatorze ans environ, le jeune garçon était considéré comme sorti de la période de l’enfance[21]. En conséquence, la tradition admit, au sujet de Moïse, qu’à l’âge de douze ans il avait quitté la maison paternelle pour devenir un organe indépendant des révélations divines[22]. Samuel, pour lequel l’Ancien Testament ne précise pas à quel âge le don de prophétie lui fut communiqué, avait, suivant la tradition postérieure, prophétisé dès sa douzième année[23]. La tradition voulut encore que les sages jugements rendus par Salomon et par Daniel (1 Reg. 3, 23 seq. ; Suzan., 45 seq.) l’eussent été dès la douzième année de ces personnages[24]. Il serait bien possible que dans la première communauté chrétienne on eût fait le raisonnement suivant : Si, dans ces grands hommes de l’Ancien Testament, l’esprit qui les animait a donné des preuves d’activité dès la douzième année, il ne peut pas être demeuré caché plus longtemps dans Jésus ; et si, dès cet âge, Samuel, Daniel et Salomon se sont montrés, les deux premiers, prophètes inspirés de Dieu, et le dernier, roi sage, ce qu’ils furent plus tard, Jésus doit également s’être manifesté dès lors dans le rôle de fils de Dieu et d’instructeur de l’humanité, rôle qui lui appartint dans la suite. En effet, Luc, cela est visible, n’omet aucune phase des premiers temps de la vie de Jésus sans la parer d’un éclat divin et de signes caractéristiques qui annonçaient l’avenir : c’est dans ce style qu’il traite la naissance ; c’est d’une manière au moins significative qu’il nomme la circoncision ; mais c’est surtout au sujet de la présentation dans le Temple qu’il se donne carrière ; et l’on pourrait dire qu’il a voulu entourer aussi d’ornements convenables la dernière phase de développement que lui présentait encore la jeunesse de Jésus d’après la coutume juive[25].

D’un autre côté cependant, bien que la légende ou la poésie ait souvent orné la jeunesse des grands hommes de semblables preuves d’un esprit précoce, il n’en est pas moins vrai qu’en certains cas ces preuves ont été réellement données ; car naturellement un homme de génie se développe plus tôt qu’un homme ordinaire. Les exemples pris dans l’histoire de la jeunesse de nos grands esprits, poètes, généraux, savants, sont connus[26]. Et presque dans le même temps et dans le même lieu, on trouve un exemple de cette précocité, qui est très semblable au récit évangélique, et qui appartenant à la vie de Josèphe, homme d’un talent assez subalterne[27], sert, à l’égard de Jésus, d’argument a minori ad majus. La constitution morale et la position intellectuelle de Jésus ont été telles dans son âge viril, que l’on peut soutenir avec raison qu’elles furent les résultats, non d’une explosion tardive et soudaine, mais d’un développement successif et constant ; or, dans le cours d’une pareille vie, notre récit s’encadre si convenablement, que la critique n’a pas le droit d’en contester la valeur historique.


§ XLI.


Sur l’existence extérieure de Jésus jusqu’au moment où commence
sa vie publique.

Dans quelles conditions extérieures Jésus a-t-il vécu depuis le temps de la scène dont il vient d’être question, jusqu’au moment où son rôle public commença ? Là-dessus il se trouve à peine un indice dans nos évangiles canoniques.

Voyons d’abord quelle était sa résidence. Une seule chose, à ce sujet, est dite expressément, c’est qu’il résida à Nazareth au commencement comme à la fin de cette période obscure. D’après Luc, 2, 51, Jésus, âgé de douze ans, y revint avec ses parents, et, d’après Matthieu, 3, 13, Marc, 1, 9, Jésus, âgé de trente ans (comparez Luc, 3, 23), en partit pour aller se faire baptiser par Jean. Ils semblent donc supposer que Jésus, dans l’intervalle, s’est tenu en Galilée, et, plus précisément, à Nazareth. Bien entendu, cela n’exclut pas des voyages, par exemple lors des fêtes de Jérusalem.

L’occupation de Jésus, dans les années de son enfance et de sa jeunesse, paraît, d’après une indication de nos évangiles, avoir été déterminée par le métier de son père, qu’ils désignent comme τέκτων (Matthieu, 13, 55). Ce mot grec, employé pour exprimer l’état de Joseph, est ordinairement pris dans la signification de faber lignarius, charpentier[28] ; quelques uns seulement, par des motifs mystiques, y ont trouvé un serrurier, faber ferrarius, un ouvrier en or, aurarius, et même un maçon, cementarius[29]. Les ouvrages en bois qu’on rapporte qu’il exécutait sont de différentes grandeurs suivant les différents auteurs : d’après Justin et l’Évangile de Thomas[30], c’étaient des charrues et des jougs, ἄροτρα καὶ ζυγά, par conséquent des ouvrages en charronnerie ; d’après l’Évangile arabe de l’enfance, c’étaient des portes, des vaisseaux pour la laiterie, des cribles et des coffres[31] ; une fois il fait même un trône pour le roi : ce sont par conséquent des ouvrages, soit de menuisier, soit de layetier. Au contraire, le Protévangile de Jacques le suppose travaillant dans les bâtiments, οἰκοδομαῖς, et en fait par conséquent un charpentier[32]. Or, Jésus, d’après une expression de Marc, paraît avoir pris part à cette occupation de son père ; car, lorsque les Nazaréens demandent quel est ce Jésus, Marc ne met pas dans leur bouche la question suivante, comme Matthieu dans le passage parallèle : N’est-ce pas le fils du charpentier ? Οὐχ οὗτός ἐστιν ὁ τοῦ τέκτονος υἱός ; mais il y met celle-ci : N’est-ce pas le charpentier ? Οὐχ οὗτός ἐστιν ὁ τέκτων ; (6, 3). À la vérité, Celse, soutenant par raillerie que le docteur des chrétiens avait été charpentier de son métier, τέκτων ἦν τὴν τέχνην, Origène répondit que sans doute Celse avait oublié que, dans aucun des évangiles reçus par les églises, Jésus lui-même n’est appelé charpentier, ὅτι οὐδαμοῦ τῶν ἐν ταῖς ἐκκλησίαις φερομένων εὐαγγελίων τέκτων αὐτὸς ὁ Ἰησοῦς ἀναγέγραπται[33]. Le passage de Marc, cité plus haut, a, en effet, pour variante, le fils du charpentier, ὁ τοῦ τέκτονος υἱός ; et c’est ainsi qu’Origène a dû lire, si toutefois ce passage ne lui a pas complètement échappé. Cette leçon est préférée par quelques critiques modernes[34] ; mais déjà Bèze a dit avec raison à ce sujet : Fortasse mutavit aliquis, existimans hanc artem Christi majestati parum convenire ; tandis que personne n’a pu avoir d’intérêt à faire le changement contraire[35]. Des Pères de l’Église et des apocryphes ont supposé, d’après cette indication de Marc, que Jésus avait aidé son père dans son métier. Justin met une importance particulière à ce que Jésus ait fabriqué des charrues, des jougs ou des plateaux de balance comme symboles de la vie active et de la justice[36]. D’après l’Évangile arabe de l’enfance, Jésus va avec Joseph dans les lieux où ce dernier avait de l’ouvrage, et il l’aide, c’est-à-dire que, lorsque Joseph fait quelque chose de trop long ou de trop court, Jésus, par un attouchement ou en étendant seulement la main, donne à l’objet la juste longueur, genre de coopération qui était utile au père nourricier de Jésus ; car, suivant la remarque naïve de l’apocryphe, il n’était pas fort habile ouvrier, nec admodum peritus erat artis fabrilis[37], comme si, pour lui aussi, ce métier eut été trop vulgaire.

Indépendamment de ces descriptions apocryphes, beaucoup de raisons portent à croire que telle fut en effet l’occupation de la jeunesse de Jésus. Cela concorde aussi avec la coutume juive, qui voulait qu’un homme destiné à une carrière scientifique, ou, en général, à une occupation intellectuelle, apprît en même temps un métier. C’est ainsi que l’apôtre Paul, l’élève des rabbins, était simultanément un fabricant de tentes, σκηνοποιὸς τὴν τέχνην (A. Ap., 18, 3). Au point où nous ont conduit nos recherches, nous n’avons aucune connaissance historique des espérances et des projets extraordinaires que les parents de Jésus auraient pu avoir au sujet de leur fils. Rien donc n’est plus naturel que d’admettre que Jésus fut employé de bonne heure au métier de son père. En outre, les chrétiens avaient plutôt intérêt à repousser qu’à inventer cette opinion sur la première occupation de leur Messie, car elle leur attira plus d’une fois les railleries de leurs adversaires. C’est ainsi que Celse, comme nous l’avons vu plus haut, ne peut s’abstenir de faire une observation à ce sujet : aussi Origène prétend-il que nulle part le Nouveau Testament n’a qualifié Jésus de charpentier, τέκτων, et l’on sait quelle fut la question moqueuse de Libanius au sujet du fils du charpentier, question à laquelle l’événement seul a donné une réponse tellement accablante[38]. À la vérité, une objection est possible, c’est que, pour admettre que Jésus fit œuvres de charpentier, τεκτονικὰ ἔργα, on semble n’avoir qu’une simple conclusion du métier du père au métier du fils, lequel avait fort bien pu apprendre un autre état ; peut-être même tout ce qui a été dit sur le métier de Jésus et de Joseph provient-il de cette signification symbolique que Justin a attachée à l’ouvrage de leurs mains. Cependant la qualification de charpentier donnée à Joseph dans nos évangiles est sèche et brève ; nulle part elle n’est employée, dans le Nouveau Testament, d’une façon allégorique ; elle n’y est non plus l’objet d’aucun détail plus précis. On ne peut donc pas contester que Joseph n’ait été charpentier ; quant à Jésus, on restera indécis sur la question de savoir s’il a ou n’a pas été de ce métier.

Dans quel état de fortune Jésus et ses parents se sont-ils trouvés ? Beaucoup de dissertations ont été consacrées à cet objet. Des théologiens orthodoxes ont soutenu que Jésus avait vécu dans une pauvreté profonde, et ils l’ont soutenu par des motifs dogmatiques et esthétiques : d’une part, on voulait avoir, même en ce point, le status exinanitionis, et d’autre part on voulait rendre tout à fait frappant le contraste entre la forme de Dieu, μορφὴ Θεοῦ, et la forme d’esclave, μορφὴ δούλου. L’opposition qu’exprime l’apôtre Paul (Phil. 2, 6 seq.), et le terme dont il se sert en disant que le Christ fut mendiant, ἐπτώχευσε (2 Cor. 8, 9), caractérisent seulement la vie obscure et pénible à laquelle il se soumit après sa préexistence céleste et au lieu de prendre le rôle de roi attribué au Messie par l’imagination des Juifs ; c’est un point qu’on peut encore regarder comme accordé[39]. Jésus a dit de lui-même (Matth., 8, 20), qu’il n’avait pas où reposer sa tête, ποῦ τὴν κεφαλὴν κλίνῃ, et ce langage ne signifie peut-être que le sacrifice volontaire qu’il fit de la jouissance tranquille des biens, pour se livrer à sa vie errante de Messie. Il ne reste donc plus qu’un renseignement (Luc, 2, 24), c’est que Marie offrit des colombes pour sa purification ; or, ce sacrifice est, d’après 3 Mos., 12, 8, le sacrifice des pauvres, et cela prouve du moins que l’auteur de ce chapitre ne s’est pas représenté les parents de Jésus dans une brillante position[40]. Mais qui nous garantit que cet auteur n’a pas été, lui aussi, déterminé par des motifs non historiques à les supposer dans la pauvreté ? D’un autre côté, la proposition inverse, à savoir que Jésus ait été dans l’aisance, ne repose pas davantage sur des indices qui se puissent soutenir ; du moins nous n’invoquerons pas l’habit non cousu[41] dont parle Jean, 19, 23, avant d’avoir examiné de plus près ce qu’il en est de cet habit.


§ XLII.


Développement intellectuel de Jésus.

Les renseignements, qui étaient excessivement incomplets sur l’existence extérieure de Jésus pendant sa jeunesse, manquent presque absolument sur son développement intellectuel. Luc place, dans l’histoire de l’enfance, une phrase indécise et qui se répète sur ses progrès intellectuels et sa croissance en sagesse, mais elle ne nous apprend rien que nous n’eussions pu supposer. Quant aux espérances que ses parents avaient eues de lui dès avant sa naissance, quant aux sentiments que sa mère en particulier avait exprimés à cette occasion, il n’y a aucune conclusion à en tirer, car ces espérances et expressions prétendues sont dépourvues du caractère historique. Nous avons examiné tout à l’heure le récit qui représente l’apparition de Jésus dans le Temple à l’âge de douze ans ; mais ce récit nous donne plutôt un résultat, c’est-à-dire le développement précoce et spécial de son sentiment religieux, qu’il ne nous révèle les causes et les conditions qui favorisèrent ce développement. Du moins Luc nous apprend, 2, 41 (ce qui va sans dire de tout pieux Israélite), que les parents de Jésus avaient l’habitude d’aller chaque année à Jérusalem pour la fête de Pâques. On peut donc croire que Jésus, depuis l’âge de douze ans, les y accompagna, et qu’il profita de l’excellente occasion de se former l’esprit au milieu du concours de Juifs et de judaïsants de tout pays et de toute opinion, d’apprendre à connaître l’état de son peuple et les faux principes des guides pharisiens, et d’étendre son regard au delà des bornes étroites de la Palestine[42].

Jésus reçut-il une instruction de rabbin, et, dans le cas de l’affirmative, jusqu’où cette instruction s’étendit-elle ? Nos évangiles canoniques ne nous apprennent, non plus, rien là-dessus. De passages comme celui de Matthieu, 7, 29, où il est dit que Jésus avait enseigné, non comme les scribes, οὐχ ὡς οἱ γραμματεῖς, il faut conclure simplement qu’il ne s’appropria pas la méthode des docteurs de la loi, mais il ne faut pas conclure qu’il n’avait pas reçu l’instruction d’un scribe, γραμματεύς. D’un autre côté, Jésus est appelé ῥαϐϐὶ et ῥαϐϐουνὶ, mon maître, non seulement par ses disciples (Math., 26, 25, 49 ; Marc, 9, 5. 11, 21. 14, 45 ; Joh., 4, 31. 9, 2. 11, 8. 20, 16 ; comparez 1, 38, 40, 50) et par ceux qui implorent son secours (Marc, 10, 51), mais encore le chef pharisien, ἄρχων, Nicodème (Joh. 3, 2) ne lui refusa pas ce titre. Cependant ce n’est pas une raison pour croire qu’il eût reçu l’instruction scolastique d’un rabbin[43], car la salutation de ῥαϐϐί, mon maître, et le droit de faire leçon dans la synagogue (Luc, 4, 16 seq.), circonstance de laquelle on s’est aussi appuyé, n’étaient pas seulement le privilège des rabbins gradués, mais appartenaient à tout maître qui avait fait ses preuves[44]. Les ennemis de Jésus, et il ne les contredit pas (Joh., 7, 15), lui reprochèrent de n’avoir pas été instruit dans les lettres, γράμματα μὴ μεμαθηκώς ; à en juger par l’étonnement qu’expriment les Nazaréens (Matth., 13, 54 seq.) en trouvant en lui une telle sagesse, il n’était pas à leur connaissance qu’il eût fait quelque étude. À ces raisons on ne peut guère opposer ce que Jésus dit de lui-même en se représentant comme le modèle d’un docteur de l’Écriture, γραμματεύς, formé pour le royaume de Dieu (Matth., 13, 52)[45] ; car cette expression signifie un docteur de l’écriture en général et non un docteur formée par l’école. Enfin Jésus montre, il est vrai, dans le discours de la montagne (Matth., 5 seq.) et dans le discours contre les Pharisiens (Matth., 23) une connaissance exacte des traditions doctrinales des rabbins et de leur abus[46], mais il put l’acquérir par les fréquents discours des Pharisiens au peuple, sans suivre un cours de leçons auprès d’eux. Ainsi des données puisées dans les Évangiles et réunies ensemble, il résulte, en dernière analyse, que Jésus n’avait pas traversé formellement les degrés d’une école rabbinique. Pourtant il faut considérer qu’il a été dans l’intérêt de la légende chrétienne de représenter Jésus comme indépendant de docteurs terrestres : ces données du Nouveau Testament sont donc, à leur tour, sujettes à des doutes, et l’on peut se laisser aller à la supposition que Jésus n’avait peut-être pas été aussi complètement étranger qu’on l’a prétendu à l’éducation littéraire de son peuple ; mais, en l’absence de renseignements authentiques, la question doit rester indécise.

Différentes hypothèses, plus ou moins indépendantes des renseignements fournis par le Nouveau Testament, ont été faites, dans les temps anciens comme dans les temps modernes, sur le développement intellectuel de Jésus ; elles se partagent en deux classes principales et opposées, suivant qu’elles appartiennent à l’opinion naturelle ou à l’opinion surnaturelle. En effet, l’opinion surnaturelle touchant la personne de Jésus a besoin de le représenter comme complètement unique dans son espèce, comme indépendant de toutes les influences extérieures et humaines, comme son seul précepteur ou plutôt comme enseigné de Dieu. Ainsi toute supposition qui tendait à faire croire qu’il avait emprunté et appris quelque chose dut être repoussée positivement, et par conséquent il fallut mettre dans le jour le plus éclatant les difficultés qui s’opposèrent au développement naturel de Jésus[47] ; et, pour exclure plus sûrement toute réceptivité, on fut enclin à signaler aussitôt que possible, dans Jésus, une spontanéité telle que nous la trouvons chez lui dans l’âge mûr. Cette activité spontanée est double : théorique et pratique. Quant au côté théorique, c’est-à-dire sagesse et connaissance, la tendance à mettre aussitôt que possible en lumière l’intelligence active de Jésus se manifeste dans les passages apocryphes qui ont été en partie cités plus haut et qui dépeignent Jésus dépassant ses maîtres longtemps avant sa douzième année : car, d’après un de ces livres, il avait parlé dès le berceau et s’était déclaré fils de Dieu[48] ; mais aussi le côté pratique, c’est-à-dire cette activité d’un ordre supérieur qui fut attribuée à Jésus dans les années subséquentes et qui consiste dans l’accomplissement des miracles, est placé par les évangiles apocryphes dans sa première enfance et dans sa jeunesse. L’Évangile de Thomas ouvre, dès la cinquième année de Jésus, le récit de ses miracles[49], et l’Évangile arabe de l’enfance remplit le voyage d’Égypte d’une foule de miracles, que la mère de Jésus opère à l’aide des couches de son enfant ou de l’eau qui a servi à le laver[50]. Les miracles que, d’après ces apocryphes, fait Jésus enfant et jeune garçon, sont, les uns analogues à ceux du Nouveau Testament, guérisons de malades et résurrections de morts ; les autres sont complètement différents du type qui règne dans les évangiles canoniques, car ce sont des punitions extrêmement révoltantes qui frappent de paralysie ou même de mort quiconque contrarie en quoi que ce soit l’enfant Jésus[51], ou des imaginations complètement extravagantes, par exemple la vie donnée à des moineaux formés avec du limon[52].

L’opinion naturelle a eu un intérêt opposé qui s’est manifesté de bonne heure parmi les adversaires juifs et païens du christianisme, et qui a été d’expliquer, conformément aux lois de la causalité, l’apparition de Jésus, c’est-à-dire de l’expliquer d’après des apparitions semblables plus anciennes et contemporaines, et, par conséquent, de faire ressortir tout ce dont il dépendit et tout ce qu’il reçut. Dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, le sol spirituel était encore, parmi les païens comme parmi les Juifs, un sol surnaturel. À cette époque, quand on reprochait à Jésus de devoir sa connaissance et ses facultés d’apparence miraculeuse, non pas à lui-même et à Dieu, mais à une communication extérieure, on ne prétendait pas qu’il eût reçu d’autres hommes, par la voie ordinaire de l’instruction, une habileté et une sagesse tout humaine ; ce n’était pas la forme que l’imputation devait prendre alors, et dans ce temps et sur ce sujet il ne pouvait être question de l’influence naturelle que les hommes exercent les uns sur les autres ; mais à une influence divine et surnaturelle on opposa une influence monstrueuse et démoniaque, et l’on reprocha à Jésus d’avoir appris la magie dans sa jeunesse pour opérer ses miracles. De très bonne heure, on rattacha cette inculpation au voyage de ses parents en Égypte, cette ancienne patrie de la magie et des sciences occultes, et on la trouve, en effet, sous cette forme, aussi bien dans Celse que dans le Talmud. Celse fait dire entre autres choses à un Juif que Jésus s’était mis au service pour un salaire dans l’Égypte, qu’il avait su y apprendre quelques artifices de sorcellerie, et qu’à son retour il s’était orgueilleusement donné pour un dieu[53]. Le Talmud en fait l’élève d’un membre du Sanhédrin juif, et suppose qu’il voyagea en Égypte avec cet homme, et qu’il en rapporta, en Palestine, des formules de magie[54].

L’explication purement naturelle du développement intellectuel de Jésus ne pouvait être conçue que dans les temps modernes. Maintenant, Jésus s’est-il formé exclusivement sur l’un des éléments que fournissait son époque, ou est-il le produit de l’action simultanée de tous ces éléments ? Tient-on, en face de ces actions extérieures, compte des dispositions intérieures et de la vocation spontanée de Jésus, ou bien laisse-t-on trop dans l’ombre ces conditions ? Tels sont les points sur lesquels se partage principalement l’explication naturelle.

Dans tous les cas, la base du développement intellectuel de Jésus a été dans les écritures sacrées de son peuple. Les discours qui ont été conservés dans les évangiles portent témoignage qu’il les avait étudiées avec zèle, et qu’il y avait pénétré profondément. La source de ses sentiments comme Messie paraît être dans Isaïe et dans Daniel. C’étaient surtout les écritures des prophètes ainsi que les Psaumes, qui portaient l’esprit vers une religion spirituelle, et qui l’élevaient au-dessus du particularisme du commun des Juifs.

Parmi les éléments d’instruction qui se trouvaient alors dans la patrie de Jésus, il faut compter les trois sectes qui se partageaient la vie spirituelle de ses contemporains. Les Pharisiens, combattus plus tard avec tant de force par Jésus, paraissent ne pouvoir être considérés que comme ayant agi sur lui négativement ; cependant, à côté de leur attachement aux traditions, de leur pédantisme légal, de leur bigotisme et de leur hypocrisie qui inspiraient à Jésus de la répulsion, ils avaient la croyance aux anges et à l’immortalité ; ils admettaient uniformément un développement continu de la religion juive après Moïse ; et c’étaient là autant de points auxquels Jésus se rattachait. Mais ces opinions n’étaient propres aux Pharisiens que dans leur opposition contre les Saducéens, et du reste elles leur étaient communes avec tous les Juifs orthodoxes : ainsi il faudra s’en tenir à penser que l’influence de la secte pharisienne sur le développement de Jésus a été essentiellement négative.

Dans ses discours il manifeste moins d’opposition contre le saducéisme, avec lequel il est même d’accord pour rejeter la tradition et l’hypocrisie des Pharisiens : aussi quelques savants ont-ils voulu trouver, pour lui, une école dans cette secte[55]. Mais cet accord contre les aberrations des Pharisiens est purement négatif, et il part, chez Jésus, d’un tout autre principe que chez les Saducéens. Il est d’ailleurs mis complètement dans l’ombre par le contraste que la disposition de Jésus et sa manière d’envisager le monde forment avec leur froideur religieuse et leur incrédulité à l’immortalité de l’âme et à l’existence des esprits. Il est vrai qu’une polémique contre les Saducéens ne se manifeste pas dans les évangiles, mais il est facile de s’en rendre raison : cette secte exerçait peu d’influences sur les cercles avec lesquels Jésus était immédiatement en contact ; elle avait ses partisans dans les rangs élevés de la société[56].

Une seule des sectes juives alors existantes peut faire naître sérieusement la question de savoir s’il ne faut pas lui attribuer une influence décisive sur le développement de Jésus et sur son apparition : c’est la secte des Esséniens[57]. Dans le siècle dernier, on aimait beaucoup à dériver le christianisme de l’essénisme ; non seulement des déistes anglais, et, parmi les Allemands, Bahrdt et Venturini, mais encore des théologiens comme Stæudlin, partagèrent cette opinion[58]. À l’époque de la franc-maçonnerie et des ordres secrets, on se complaisait à ranger aussi dans cette catégorie le plus ancien christianisme. En même temps, rien ne semblait plus propre que le mystère d’une loge essénienne pour expliquer la disparition soudaine de Jésus après les scènes brillantes de son enfance et de sa jeunesse, et, plus tard, après sa résurrection. De même encore, outre le précurseur Jean-Baptiste, on considéra comme des membres de la confrérie essénienne les deux hommes qui parurent sur la montagne de la transfiguration, et les anges habillés de blanc qui se montrèrent sur son tombeau et qui apparurent sur la montagne de l’ascension, et l’on expliqua aussi plusieurs cures de Jésus et des apôtres par les traditions médicales des Esséniens. Indépendamment de ces idées favorites d’un temps passé, il y a véritablement quelques traits essentiels qui paraissent indiquer une relation plus étroite entre l’essénisme et le christianisme. Au premier rang, il faut placer la défense de prêter un serment et la communauté des biens. À la défense de prêter serment se rattachaient essentiellement la fidélité, l’esprit de paix et l’obéissance pour toute autorité ; à la communauté des biens, le mépris des richesses et la coutume de voyager sans aucunes provisions. Ces traits et d’autres, tels que les repas sacrés faits en commun, le rejet des sacrifices sanglants et de l’esclavage, ont tant de ressemblance avec le christianisme, que déjà Eusèbe considérait comme des chrétiens les Thérapeutes égyptiens, analogues aux Esséniens[59]. Mais, à côté, il y a des différences très essentielles qu’il ne faut pas négliger : nous n’y compterons pas, si l’on veut, le mépris du mariage, ὑπεροψία γάμου, attendu que Josèphe ne l’attribue qu’à une partie des Esséniens ; mais leur ascétisme, la rigueur avec laquelle ils célébraient la fête du sabbat, les purifications et d’autres usages superstitieux, leur attachement au nom des anges, et surtout le mystère qu’ils affectaient, leur esprit monacal, rétréci et exclusif, tout cela était étranger et même opposé aux tendances de Jésus. En outre, il n’est nulle part question des Esséniens dans le Nouveau Testament. La contribution de cette secte au développement de Jésus doit donc être bornée à l’influence incertaine qu’ont dû exercer sur lui les relations qu’il a pu avoir çà et là avec des Esséniens[60].

Des éléments non judaïques, ou du moins extra-palestins, ont-ils agi aussi sur Jésus ? Des païens établis dans la Galilée des gentils, Γαλιλαίᾳ τῶν ἐθνῶν, il y avait difficilement quelque chose à apprendre, si ce n’est de la patience, lorsqu’on avait des rapports fréquents avec eux. Mais, dans les fêtes de Jérusalem, on rencontrait non seulement des Juifs étrangers qui, comme les Alexandrins et les Cyrénaïques par exemple, y avaient des synagogues (A. Ap., 6, 9), mais encore des païens remplis de piété (Joh., 12, 20), et la fréquentation de ces derniers a contribué à agrandir l’horizon de Jésus et à spiritualiser ses idées. Cela est conforme, comme je l’ai déjà remarqué plus haut, à toute la vraisemblance historique[61].

Mais pourquoi, en l’absence de renseignements positifs, chercher péniblement des traces incertaines d’une influence que les éléments de culture existants au temps de Jésus ont pu exercer sur lui, et pourquoi surtout écarte-t-on, d’un autre côté, ces recherches avec tant d’anxiété ? Il faut toujours que le génie fasse tomber une étincelle pour allumer la flamme qui jettera la statue dans le moule ; et, quelle que fût la masse de matériaux spirituels préparés d’avance, l’intervention de Jésus ne sera ni d’une explication plus facile ni d’un mérite moins grand. Jésus aurait-il épuisé toutes les sources d’instruction de son temps, il n’en est pas moins vrai que, chez les grands hommes, une faculté compréhensive de recevoir n’est que le revers de leur puissante faculté d’agir. Qu’il doive à l’essénisme, à l’alexandrinisme, à toutes écoles et tendances que l’on voudra, bien plus que ce que nous pouvons indiquer (et encore avec combien d’incertitude !), aucun de ces éléments ne suffisait, même de loin, pour faire une révolution dans le monde ; et le ferment nécessaire à une si grande œuvre, il n’a pu le puiser que dans les profondeurs de son âme[62].

Mais il n’a pas encore été question de l’apparition d’un homme qui, d’après nos évangiles, a influé de la manière la plus décisive sur le développement du rôle de Jésus, je veux parler de Jean-Baptiste. Il n’est fait mention, dans les évangiles, de l’action de cet homme qu’au moment du baptême et de l’apparition de Jésus sur la scène publique. En conséquence, ce qui le regarde, lui et ses rapports avec Jésus, étant étranger à cette première section, formera le début de la seconde.




  1. Geschichte Jesu, 1, S. 110.
  2. Olshausen, Bibl. Comm., 1, S. 145 f.
  3. Olshausen. l. c., S. 146.
  4. Hase, Leben Jesu, § 37 ; Heydenreich, Über die Unzulæssigkeit, u. s. f. 1, S. 103 ; Tholuck, Glaubwürdigkeit, S. 216 f.
  5. Voyez l’explication de Tholuck, l. c., S. 214 ff.
  6. Megillah, f. 21, dans Lightfoot, sur ce passage.
  7. Voyez, dans Kuinœl, in Luc., p. 353.
  8. Evangel. Thomæ, c. 6, seq ; dans Thilo, p. 288 seq. ; et Evang. infant. arab., c. 48 seq., p. 123 seq., dans Thilo.
  9. Olshausen regarde aussi cette particularité comme peu naturelle.
  10. Voyez les preuves (p. ex. Hieros. Taanith, 67, 4) dans Wetstein et Lightfoot, sur ce passage.)
  11. Lightfoot, Horæ, p. 742.
  12. Paulus, Exeg. Handb., 1, a, S. 279.
  13. Kuinœl, l. c., p. 353.
  14. Horæ, 2, p. 886.
  15. De Wette, Exeg. Handb., 1, 2.
  16. Comparez Neander, L. J. Ch., S. 37 f.
  17. Voyez plus haut, p. 152 et p. 323. Comparez encore particulièrement : 1 Sam., 2, 26 (lxx) : Καὶ τὸ παιδάριον Σαμουὴλ ἐπορεύετο μεγαλυνόμενον, καὶ ἀγαθὸν καὶ μετὰ Κυρίου καὶ μετὰ ἀνθρώπων.

    Luc, 2, 52 : καὶ Ἰησοῦς προέκοπτε σοφίᾳ καὶ ἡλικίᾳ, καὶ χάριτι παρὰ θεῷ καὶ ἀνθρώποις.

    Comparez encore ce que Josèphe, Antiq., 2, 9, 6, dit de la grâce enfantine de Moïse, χάρις παιδική.

  18. Comparez Tholuck, S. 209.
  19. Josèphe, Antiq., 2, 9, 6 : Il avait une intelligence au-dessus de son âge : Σύνεσις δὲ οὐ κατὰ τὴν ἡλικίαν ἐφύετο αὐτῷ, κ. τ. λ.
  20. Philo, De vita Mos., Opp. ed. Mangey, vol. 2, p. 86 seq. : Il ne se complaisait pas comme un autre enfant aux jeux, aux ris et aux bouffonneries ; mais, faisant preuve de pudeur et de gravité, il s’appliquait à écouter et à voir ce qui devait être utile à son âme. Des maîtres de différents lieux vinrent auprès de lui ; mais en peu de temps il surpassa leur science, devançant l’enseignement par le fait de son heureuse nature : Οὐχ οἷα κομιδῆ νήπιος ἥδετο τωθασμοῖς καὶ γέλωσι καὶ παιδιαῖς… ἀλλ’ αἰδῶ καὶ σεμνότητα παραφαίνων, ἀκούσμασι καὶ θεάμασιν, ἅ τὴν ψυχὴν ἔμελλεν ὠφελήσειν, προσεῖχε. Διδάσκαλοι δ’ εὐθὺς, ἀλλαχόθεν ἄλλος, παρῆσαν… ὧν ἐν οὐ μακρῷ χρόνῳ τὰς δυνάμεις ὑπερέϐαλεν, εὐμοιρίᾳ φύσεως φθάνων τὰς ὑφηγήσεις.
  21. Chagiga, dans Wetstein, sur ce passage : A xii anno filius censetur maturus. De même Joma f. 82, 1. Berachoth f. 24, 1 ; au contraire Bereschith Rabba, 63 (dans Wetstein) indique la treizième année comme l’année décisive.
  22. Schemoth R. dans Wetstein : Dixit R. Chama : Moses duodenarius avulsus est a domo patris sui, etc.
  23. Josèphe, Antiq., 5, 10, 4 : Samuel, ayant atteint douze ans, prophétisa : Σαμούηλος δὲ πεπληρωκὼς ἔτος ἤδη δωδέκατον, προεφήτευε.
  24. Ignat. Ep. (interpol.) ad Magnes. c. 3 : Mais Salomon… étant sur le trône à l’âge de douze ans, fit ce redoutable et difficile jugement entre les femmes au sujet des enfants… Daniel, le sage, âgé de douze ans, fut saisi de l’esprit divin, et il convainquit ces vieillards sycophantes qui convoitaient la beauté d’une femme et portaient en vain des cheveux blancs : Σολομῶν δὲ… δωδεκαετὴς βασιλεύσας, τὴν φοϐερὰν ἐκείνην καὶ δυσερμήνευτον ἐπὶ ταῖς γυναιξὶ κρίσιν ἕνεκα τῶν παιδίων ἐποιήσατο… Δανιὴλ ὁ σοφὸς δωδεκαετὴς γέγονε κάτοχος τῷ θείῳ πνεύματι, καὶ τοὺς μάτην τὴν πολιὰν φέροντας πρεσϐύτας συκοφάντας καὶ ἐπιθυμητὰς ἀλλοτρίου κάλλους ἀπήλεγξε. Ce détail se trouve, à la vérité, dans un écrit chrétien ; mais, en le comparant avec les données précédentes, on peut croire qu’il a été puisé dans une légende juive plus ancienne.
  25. C’est ainsi que s’exprime Kaiser, Bibl. Theol., 1, 234. Gabler laisse subsister plus d’histoire, dans n. Theol. Journal, 3, 1, S. 39.
  26. Plusieurs exemples en sont indiqués par Tholuck, S. 221 f. 227 f.
  27. Vita, 2 : Étant encore enfant, vers l’âge de quatorze ans, j’étais loué de tous à cause de mon amour pour l’étude ; les grands-prêtres et les premiers de la ville venaient incessamment pour prendre auprès de moi des connaissances plus exactes de la loi : Ἔτι δ’ ἄρα παῖς ὢν περὶ τεσσαρεσκαιδέκατον ἔτος διὰ τὸ φιλογράμματον ὑπὸ πάντων ἐπῃνούμην, συνιόντων ἀεὶ τῶν ἀρχιερέων καὶ τῶν τῆς πόλεως πρώτων ὑπὲρ τοῦ παρ’ ἐμοῦ περὶ τῶν νομίμων ἀκριϐέστερόν τι γνῶναι.
  28. De là vient le titre d’un apocryphe arabe (d’après la traduction latine dans Thilo, 1, p. 3) : Historia Josephi, fabri lignarii.
  29. Voyez Thilo, Cod. Apocr. N. T. p. 368 et seq., not.
  30. Justin., Dial. c. Tryph., 88 ; il fait exécuter ces ouvrages à Jésus, sans doute sous la direction de Joseph. Dans l’Évangile de Thomas, c. 13, c’est Joseph qui les exécute.
  31. Cap. 38 seq., p. 112 seq., dans Thilo.
  32. C. 9 et 13.
  33. C. Cels., 6, 36.
  34. Fritzsche, in Marc., p. 200.
  35. Voyez Wetstein et Paulus sur ce passage, Winer, Realwörterbuch, 1, S. 665, Anm. ; Neander, L. J. Ch., S. 46 f. Anm.
  36. L. C. : Étant parmi les hommes, il fit, en ouvrages de menuiserie, des charrues et des balances, montrant ainsi les symboles de la justice et de la vie active: Ταῦτα γὰρ τὰ τεκτονικὰ ἔργα εἰργάζετο ἐν ἀνθρώποις ὤν, ἄροτρα καὶ ζυγά, διὰ τούτων καὶ τὰ τῆς δικαιοσύνης σύμϐολα διδάσκων, καὶ ἐνεργῆ βίον.
  37. Cap. 38.
  38. Theodoret. H. E. 3, 23.
  39. Voyez Hase, Leben Jesu, § 70 ; Winer, Bibl. Realw. 1, S. 665.
  40. Winer, l. c.
  41. C’est ce que font les deux théologiens nommés, l. c.
  42. Paulus, Exeg. Handbuch, 1, a, S. 273 ff.
  43. Paulus, l. c., S. 275 ff., s’appuie sur ces circonstances.
  44. Comparez Hase, Leben Jesu, § 38 ; Neander L. J. Chr., S. 45 f.
  45. Paulus, l. c.
  46. Schœttgen invoque ces passages : Christus rabbinorum summus, dans Horæ, 2, p. 890 seq.
  47. C’est ce que fait, par exemple, Reinhard, dans son livre intitulé Plan de Jésus.
  48. Evangel. infant, arab., c. 1, p. 60 seq. dans Thilo, et les passages de ce même évangile et de l’Évangile de Thomas, qui ont été cités § xl.
  49. Cap. 2, p. 278. Thilo.
  50. Cap. 10 seq.
  51. Par exemple, l’Évangile de Thomas, c. 3-5. L’Évangile arabe de l’enfance, c. 46 seq.
  52. Evang. Thomæ, c. 2. Evangel. inf. arab., c. 36.
  53. Orig., C. Cels., 1, 28 : Καὶ (λέγει) ὅτι οὗτος (ὁ Ἰησοῦς) διὰ πενιαν εἰς Αἴγυπτον μισθαρνήσας, κἀκεῖ δυνάμεών τινων πειραθεὶς, ἐφ’ αἷς Αἰγύπτιοι σεμνύνονται, ἐπανῆλθεν, ἐν ταῖς δυνάμεσι μέγα φρονῶν, καὶ δι’ αὐτὰς θεὸν αὑτὸν ἀνηγόρευσε.
  54. Sanhedr. f. 107, 2 : — R. Josua f. Perachja et ויש (Jesus) Alexandriam Ægypti profecti sunt… ויש (Jesus) ex illo tempore magiam exercuit, et Israelitas ad pessima quævis perduxit. C’est un anachronisme considérable ; car ce Josua Ben Perachja a vécu un siècle auparavant. Voyez Jost, Geschichte der Isr., 2, S. 80 ff. u. 142 der Anhænge. Schabbath, f. 104, 2 : Traditio est, R. Elieserem dixisse ad viros doctos : Annon f. Satdæ (id est Jesus) magiam ex AEgypto adduxit per incisionem in carne sua factam ? Voyez Schœttgen, Horæ, 2, p. 697 seq. ; Eisenmenger, Entdecktes Judenthum, 1, S. 149 f.
  55. Par exemple, Des Côtes, Schutzschrift für Jesus von Nazaret, S. 128 ff.
  56. Neander, L. J. Ch., S. 39 ff.
  57. Voyez Josèphe, B. j. 2, 8, 2-13. Antiq. 18, 1, 5. Comparez Philon : Quod omnis probus liber, et son livre De vita contemplativa.
  58. Cette opinion est développée avec réflexion dans Stræudlin, Geschichte der Sittenlehre Jesu, 1, S. 570 ff., et d’une manière romanesque dans l’Histoire du grand prophète de Nazareth, 1er volume.
  59. H. E., 2, 16, seq.
  60. Comparez Bengel, Bemerkungen über den Versuch, das Christenthum aus dem Essenismus abzuleiten, dans Flatt’s Magazin, 7, S. 126 ff. ; Neander, L. J. Ch., S. 41 ff.
  61. Cette donnée est exagérée dans Bahrdt, Briefe über die Bibel, zweites Bdchn., 18ter, 20ster Brief und ff. 4tes Bdchn, 49ster Brief.
  62. Comparez Paulus , l. c., 1 , a, 273 ff. ; Planck, Geschichte des Christenthums in der Periode seiner ersten Einführung, 1, S. 84 ; De Wette, Bibl. Dogm., § 212 ; Hase, L. J., § 38 ; Winer, Bibl. Realw., S. 677 f. ; Neander, L. J. Ch., S. 38 ff.