Vie de Marie-Antoinette d’Autriche, reine de France, femme de Louis XVI, roi des Français/2

La bibliothèque libre.


VIE

DE

MARIE-ANTOINETTE

D’AUTRICHE,

REINE DES FRANÇAIS,



La grossesse de la Reine avançoit, et elle étoit monstrueuse : elle affectoit indécemment de montrer une gorge énorme et prenoit plaisir à divulguer sa honte. On ne déclara pas cette grossesse, après quatre mois et demi, suivant l’étiquette de la Cour, dans la crainte des sarcasmes qu’auroit pu produire cet événement. Madame sur-tout ne les épargnoit pas, et la haîne la plus complette existoit toujours entre elle et la Reine. La princesse de Lamballe continuoit toujours à être au froid, la Jule au chaud et les Simiane et la Borde, en exercice.

La joie qu’occasionnoit cette grossesse fut troublée, par une incommodité dont la Reine ressentit les effets ; elle consistoit dans une descente ou relâchement de matrice, fruit de ses continuelles débauches, et des excès auxquels elle se livrait avec les Tribades ses favorites. La maladresse de l’accoucheur Vermond fut seule accusée de cette circonstance ; néanmoins il conserva la faveur, de même que l’abbé de Vermond son frere, qui par ses lectures ordurières, entretenoit dans sa Souveraine, l’abandon des mœurs et le goût de la dépravation.

Le duc de Nivernois, les joueurs de la Cour, les banquiers. Chalabre et Poinçot, un misérable coëffeur, la lubrique Juers, la petite Campan, quelques musiciens et chanteurs, voilà la digne société à laquelle Marie-Antoinette donnoit la préférence, et la dignité que la fille de Marie-Thérèse portoit sur le trône de France. Libertinage affreux, adultères multipliés, prostitutions méprisables, et les plus sales orgies, tels étoient les moyens que cette bacchante employoit pour s’attirer le mépris du peuple qui ne daignoit plus s’occuper d’elle.

Il ne suffisoit pas à cette quatrième furie d’être dédaigné du François ; elle voulut encore s’en faire abhorrer ; les perfides conseils que lui avoit donné Joseph II, en partant de la Cour d’Allemagne, étoient présens à sa pensée ; mais pour les mettre à exécution, il lui falloit de l’intelligence au ministère qui s’étoit toujours déclaré contre elle.

Elle n’ignoroit pas la manière de se débarrasser d’un ministre récalcitrant ; la mort du vieux Maurepas lui avoit garanti l’infaillibilité de la recette ; mais les soupçons avoient germé, et, au second empoisonnement, pouvoient achever d’ouvrir les yeux.

L’Empereur éprouvoit tous les jours de nouveaux embarras, pour calmer les esprits irrités qui détestoient son oppression et paroissoient disposés à se soustraire au joug odieux de la tyrannie : il lui falloit de nouveaux trésors, et il n’avoit d’autres ressources que celle de la Reine de France, qui à l’aide du contrôleur Joli-de-Fleury, lui fit passer des sommes considérables.

Ce ministre disgracié, Antoinette intrigua pour le faire remplacer par une créature qui lui fut affidée ; mais son espoir fut trompé. Dormesson fut intraitable, et elle se vit privée de secourir son frère jusqu’au moment où le scélérat de Calonne fut en possession de dilapider les finances. Cette impitoyable sangsue, cette ame de boue, insensible aux cris de la douleur et qui se faisoit un jeu de la misère publique, étoit toute propre à seconder les vues destructives de la mégère Autrichienne.

Charles-Philippe d’Artois s’étoit refroidi quelque-tems ; les intrigues de sa belle-sœur avoient affaibli sa passion pour elle ; ce ne fut que lorsque le respect et la crainte eurent éloigné les amans, qu’il se remit sur les rangs en vain, pour les tenir tous attachés à son char, employoit-elle les regards lubriques, les attouchemens expressifs. L’idée de se trouver dans les bras de leur Reine les glaçoit, elle s’en tint donc au beau-frère, qui, moins inquiet sur les dangers de la liaison, remplaça Coigny, Dilon, Vaudreuil, etc. etc.

Les clairvoyans prétendirent que de ce retour de tendresse, naquit le Dauphin, et l’un d’eux bravant l’inquisition du ministère et de la police, fit ce couplet.


Air : de Joconde.

Amis, la nouvelle du jour
Se débite à cette heure.

Un Dauphin paroit à la Cour,
Si je ments que je meure.
Si Louis paroît vigoureux,
 Ce n’est pas de la sorte ;
D’Artois a fait ce coup heureux,
 Ou le diable m’emporte.


Ce prince voluptueux, peu délicat dans ses jouissances, étoit intimement lié avec le duc de Chartres, maintenant Philippe Capet ou d’Orléans ; l’un et l’autre n’avoient rapporté des Voyages qu’ils avoient faits, qu’une ample provision de vices et de ridicules. Les coutumes, les mœurs et les modes d’Angleterre avoient séduit leur frivolisme, de manière que ces deux héros des aventures scandaleuses de l’opéra ne s’occupèrent plus en France, qu’à singer le peuple de la grande Bretagne : les courtisans, vils adulateurs, copièrent à leur tour d’Artois et de Chartres : en peu de tems, tout fut Anglais à la Cour et à la ville. Le Roi et l’égoïste Stanislas-Xavier restèrent seuls François

Chaque jour de nouvelles courses, soit à Vincennes, soit à la plaine des Sablons ajoutoient un nouveau vernis à la folie des princes. Le peuple François dont la morale est celle du plaisir se portoient en foule à ces divertissemens, comme à un événement mémorable ; les ouvriers désertoient leurs atteliers, pour jouir du spectacle ridicule des princes travestis en palfreniers Anglais. De la vigueur et de l’intrépidité des hardis Jokeis dépendoit l’altération des fortunes ; et ces parties ruineuses comblèrent de plus de gloire deux indignes branches du sang des Bourbons, que leur fameux exploits tant à Gibraltar qu’à l’affaire d’Ouessant.

Vétue en Amazone, et piquant un superbe palfroi, Marie-Antoinette étoit l’ame de ces plaisirs qui favorisoient les siens. Avant d’en donner le précis, je dois faire part à mes lecteurs d’une anecdote tendante parfaitement à établir le caractère économique de Louis XVI, dans une de ses courses signalées, le plus souvent par des paris exhorbitans ; le Monarque Français, qui s’y étoit laissé entraîner, et qui par complaisance avoit quitté sa forge, fut supplié par son épouse de s’intéresser en faveur de l’un des coureurs. Le Roi refusa d’abord, mais paroissant céder aux importunités d’Antoinette ; il lui repondit avec cette simplicité qui le caractérise, et un sourire stupide, vous le voulez ; eh bien ! soit, j’y consens. Je parie un petit écu pour les chevaux de mon frere. Ce trait passa dans le tems pour une lézinerie de la part de Louis XVI, lorsqu’au fait, ce n’étoit qu’une sage leçon donnée aux foux, qui se ruinoient par orgueil en prenant intérêt à ces amusemens.

La course étoit à peine finie qu’Antoinette partoit comme un éclair, et se rendoit à Trianon, où elle ne tardoit pas à être rejointe par son voluptueux beau-frère, et ces entrevues clandestines se terminoient ordinairement par les excès les plus luxurieux ; et l’un et l’autre s’y livroient sans reserve à toutes les fantaisies libertines que leur suggéroient leur imagination enflammée et l’ivresse de leurs sens.

À la parfaite intelligence qui régnoient entre ces illustres incestueux, on s’imaginera, sans doute, que Charles-Philippe occupoit toutes les pensées de sa belle-sœur : les moindres détails paroissoient engager à le croire ; mais la lubrique germaine étoit née avec un tempérament trop vicieux, pour s’en tenir aux plaisirs qu’il lui procuroit. Comme sa passion pour les femmes étoit immodérée, les momens de relâche que lui donnoit le beau-frere, étoient ordinairement employés, par la sensuelle compagnie de Louis, aux actes révoltans des lubricités, qu’elle prenoit plaisir à goûter avec son sexe.

Une des femmes de la Reine, la demoiselle Dorvat, étoit parvenue à gagner sa confiance ; son intéressante phisionomie avoit attiré ses regards et excité ses desirs ; et quand une fois ses desirs avoient fermenté dans son sein, rien ne pouvoit l’empêcher de les satisfaire.

Pour se dérober aux regards intéressés à épier ses aventures amoureuses, notre héroïne prétextoit souvent des indispositions. Alors elle feignoit que l’air de la Cour étoit contraire à sa situation, que la solitude devenoit nécessaire à son état ; les médecins gagés publioient que la retraite à la campagne devenoit pour sa santé de la plus grande utilité. Muni de ce passe-port de la faculté, auquel Louis XVI souscrivoit aveuglément, elle s’échappoit du tourbillon, pour voler dans les différens temples de l’amour, où elle présidoit en qualité de grande prêtresse ; et là méditant sur les charmes de la jouissance, elle continuoit ses affreux déreglemens.

Le comte d’Artois n’étoit certainement pas jaloux ; il n’aimoit point assez pour être la victime de cette odieuse passion ; il ne pouvoit non plus le paroître, par amour propre ; cependant les courses clandestines et les voyages d’Antoinette à Trianon l’engagèrent un jour à quereller sa belle-sœur, sur ce qu’il nommoit infidélité de sa part. La Reine ignoroit le grand art de rougir ; ce fut donc avec l’effronterie qui lui est naturelle, qu’elle lui fit l’aveu de son goût particulier pour les femmes, notamment pour la Dorvat, et qu’elle l’exhorta à ne pas s’en alarmer. Cette franchise d’Antoinette ne déplut pas à Charles-Philippe ; entre gens peu délicats, tout s’accorde assez volontiers ; il parut seulement douter de la variété et de la multiplicité de ses travaux, et lui demanda comment elle y pouvoit suffire.

« Je vais bien t’étonner, mon cher frere, lui dit-elle, en t’apprenant tous les secrets de mon tempérament ; mais puis-je avoir quelque chose de caché pour toi ? Sa force est si violente que, sortant d’entre tes bras, dont je ne me retire, que, lorsqu’épuisé, tu ne peux plus te livrer à de nouveaux transports, je convoite de nouveaux plaisirs. Cependant dans ces momens, mon état devroit naturellement être semblable au tien. Loin de ça, je brûle de consommer le plaisir que tu n’as fait qu’ébaucher. Alors je vole auprès de ma chere Dorvat : d’instrumentée que j’étois, j’instrumente à mon tour. Enfin je fais agir la complaisante Dorvat, qui, réitérant le plus agréable des exercices, multiplie mes jouissances à l’infini. Cesse donc d’être étonné, si je te substitue cette charmante acolyte, et ne n’en veux pas ; aussi bien, je ne puis m’en passer. »

« Vous m’étonnez, ma chere sœur, lui répondit le comte, mais vous ne me persuadez pas. Pardonnez ma franchise, mais je suis si éloigné de vous croire que je parie mille louis, qu’il vous est impossible de pouvoir vous livrer à ces dégrés différens de plaisirs ». — Mille louis ? — mille louis. — Ah ! vous êtes incrédule, eh bien ! soit, j’accepte le pari, sans en remettre l’événement à demain.

Sur le champ les chevaux furent commandés, et une voiture élégante conduisit l’heureux couple à Trianon.

Enfermés tous les deux dans le plus délicieux des boudoirs, d’Artois coucha Marie-Antoinette sur un sopha. Mille louis et l’honneur de la vaincre lui firent trouver de nouvelles forces, il lui donna le plus vigoureux assaut ; mais ses facultés cedant à ses désirs, il perdit la moitié de la gageure.

« Je me rends, lui dit-il, en se débarrassant des bras royaux, qui le tenoient entrelassé ; mais je ne suis pas totalement vaincu. — Oh ! j’en demeure d’accord, repliqua la Reine ; mais je vais achever ma victoire ».

Aussitôt elle sonna. La Dorvat prévenue, et qui étoit aux aguets, accourut. Antoinette l’embrassa avec cette familiarité, qui décèle l’intelligence, la présence de d’Artois n’empêcha pas cette messaline moderne de se livrer à ses transports luxurieux. La Dorvat rougit d’abord un peu ; mais sans faire aucune attention à son embarras, Marie-Antoinette continua ses brûlantes caresses, échauffée par le badinage du doigt royal : cette jeune déréglée passa sur les bienséances, et, bientôt partageant le délire de sa maîtresse, leur reciproque emportement fit connaître au comte, combien il étoit dangéreux de défier une femme lascive.

« Mes mille louis sont perdus, s’écria-t-il, mais je m’en vengerai sur les auteurs de ma perte ». Dès ce moment, il conçût un léger caprice pour la Dorvat, et la chronique assure qu’il en essaya.

La constance n’étoit pas la vertu favorite de la Reine de France ; à cette époque, elle commença à se dégoûter de son beau-frère. Le changement pouvoit seul assaisonner les plaisirs de cette auguste passionnée, et la jouissance d’un nouvel objet flattoit depuis long-tems son ambition. Le beau Fersenne, colonel du régiment de Royal-Suédois, suivant tous ses pas avec affectation, ses coups-d’œil enchanteurs, l’avoient décidé à ne pas faire languir long-tems après sa possession.

Il promenoit un jour sa tendre et douce rêverie, dans l’orangerie du château de Versailles. Il y avoit quelques minutes qu’Antoinette l’observoit, quand leurs yeux se rencontrèrent. Un signal intelligent qu’elle lui fit, ne lui laissa plus douter de son bonheur. Rentrée dans son appartement, la Reine ne médita plus que sur les moyens de mettre à fin heureuse cette charmante aventure, et pour cet effet elle députa au joli colonel. L’exclaux, garçon de la chambre qui lui remit une boîte, dans laquelle étoit enfermé ce billet.


Flore à Zéphir.

« Depuis long-tems, mon cher Zéphir, je vous vois parcourir les parterres de mon empire, et regarder avec attention toutes les fleurs qui sont sous ma domination. Votre douce halaine se seroit-elle reposée sur quelqu’une ? Flore en mourroit de désespoir. Songez que je suis leur Reine, et que j’exercerois la vengeance la plus rigoureuse sur celle qui m’auroit ravi le trésor où j’aspire. J’irai, ce soir, à neuf heures, promener mon inquiétude au petit Trianon. Si Zéphir est sensible aux tendres empressemens de Flore, il viendra calmer le chagrin dont elle est dévorée. Le gouverneur de mes jardins sera chargé de l’introduire ».

La Reine n’attendit pas après la reponse de Fersenne, le même porteur lui rapporta la boîte dans laquelle elle trouva le billet qu’on va lire.


Zéphir à Flore.

« Ce n’est qu’avec indifférence que Zéphir voit toutes les fleurs de votre empire ; lorsqu’il les regarde avec attention, c’est que parmi elle, il cherche à distinguer leur Reine. Lorsqu’il la voit, le respect lui ferme la bouche, et ses yeux sont les interprètes muets de son cœur. Ce soir neuf heures, l’amour et la reconnoissance conduiront Zéphir au petit Trianon. Trop heureux si les empressemens peuvent bannir l’inquiétude de Flore et la convaincre de la sincérité de son ardeur !

Exact au rendez-vous, Fersenne fut introduit dans l’appartement où il étoit attendu par Marie-Antoinette avec la plus vive impatience, le confident intime Bazin fut le mercure de cette entrevue. Ce bas et rampant valet étoit accoutumé à cette fonction. Peu lui importoit le titre de Maquereau, pourvu qu’il en remplit la charge près d’une personne illustre. Il est inutile que je rapporte ici ce qui se passa entr’eux. Je me contenterai de dire, qu’heureux et satisfaits l’une de l’autre, ils éprouvèrent pendant deux heures consécutives des délices inexprimables.

Les rendez-vous se succedèrent vivement, depuis cette époque ; et ce galant commerce dura, jusqu’à ce qu’excédée de sa continuité, Antoinette songea à reveiller son goût par les changemens, et à donner un successeur à l’épuisé Fersenne.

Elle ne savoit trop sur qui jetter les yeux, lorsque la comtesse Valois de la Motte lui fut présentée par la Misery, sa première femme de chambre. Cette infortunée comtesse sollicitoit à la Cour la reprise de possession de la terre de Fontéte, dont avoient joui ses illustres ancêtres.

Antoinette appuya sa requête, guidée, soit disant, par un principe d’équité ; mais le fait est que la comtesse de la Motte lui ayant plu et la destinant à ses plaisirs, elle voulut avoir des droits à sa reconnaissance, et que ce ne fut qu’à elle, qu’elle eut obligation de sa fortune. En conséquence elle ne fit point usage du pouvoir qu’elle avoit sur Calonne, pour augmenter la foible pension, que cette comtesse tenoit de la Cour, et que ce paillard n’avoit fait porter sur l’État que la somme de sept cens livres jointe avec celle de huit cens, qu’elle recevoit déjà pour porter dignement le nom de Valois, espérant que cette modicité, conduiroit infailliblement la solliciteuse de sa salle d’audiences à son lit.

Le cardinal de Rohan, connu maintenant par le titre du cardinal collier, n’avoit pas renoncé à ses projets de convoitise, à l’affut de tous les mouvemens de la Reine ; il interceptoit tous les regards ; il s’étoit apperçu un des premiers de l’effet que les attraits de la comtesse de la Motte avoient fait sur elle ; et d’après cette observation s’emparant de cette comtesse, il l’endoctrina et lui apprit à se prêter aux vues de sa Souveraine.

Leur seconde entrevue se fit au petit Trianon, entre onze heures et minuit. La comtesse de la Motte fut introduite par la Dorvat qui se contentoit du titre d’agente de ces scènes libidineuses, après y avoir joué elle-même un rôle principal. D’après l’exposé du tempérament de la Reine, on peut assurer leurs plaisirs. La compagne de Louis XVI congédia, après cette séance luxurieuse, la comtesse de la Motte, en l’assurant de sa faveur et en la gratifiant d’une somme de dix mille livres en billets de caisse. On observera que Calonne en étoit le dispensateur ; ce qu’il a prouvé dans les étrennes opulentes, qu’il envoya à madame Lebrun sa bien-aimée.

Rohan le chapeau rouge qui avoit menagé cette entrevue, fit jouer tous ses ressorts pour en obtenir le succès qu’il osoit s’en promettre.

Il osa écrire à la Reine, qui résista long-tems à se prêter à sa justification ; mais les avis secrets qu’elle recevoit de l’Empereur qui le desiroit en possession de la puissance ministérielle, et à la tête des affaires, l’engagèrent à se prêter à la réconciliation qu’il sollicitoit.

Les mémoires justificatifs de la comtesse de la Motte, imprimés à Londres, en Janvier 1789, mettront les lecteurs au fait de la farce que notre héroïne fit jouer au cardinal, par la prostituée d’Oliva. En élevant le cardinal prince jusqu’à elle, ce n’étoit que pour le faire plus surement tomber dans l’abîme, qu’elle lui entrouvroit par degrés ; aussi sa correspondance avec lui[1] étoit un énigme dont il eût été difficile de trouver la clef, sans la vengeance que tira la comtesse de la Motte, du procédé sanglant de Marie-Antoinette.

Le succès de cette grande entreprise faisoit le sujet de toutes ses réflexions ; lorsqu’elle se trouvoit avec lui, très-souvent elle étoit rêveuse et gardoit le silence à ses insinuantes protestations. L’adroit évêque sut profiter de cette inaction, et prenant ce silence pour un aveu tacite, il alla plus loin et il fut heureux.

Les Polignacs étoient heureux, la faveur se perdoit tous les jours. La Reine ne leur faisoit plus que des demi-confidences, souvent elle affectoit avec eux le dépit et le dédain, elle paroissoit même avoir renoncé tout-à-fait à l’amour pour ne plus s’occuper que de l’intérêt.

Cependant les indiscrétions de l’esclave[2], dont par fois les

Livre:Charles-Joseph Mayer, Vie de Marie-Antoinette d'Autriche, reine de France, femme de Louis XVI.

expressions tranchoient du maître, l’alarmoient. Lausun, Luxembourg et d’Artois s’entretenoient publiquement de cette liaison. Plusieurs confidences de sa part sur quelques particularités des charmes secrets de son amante avoient convaincu à n’en pas douter ceux qui étoient aussi parfaitement instruits que lui, de la vérité de leur approximité. Arriva dans ce tems la fameuse aventure du collier, de ce collier qui fixa l’attention de toute l’Europe et dont voici tout le mistère.

L’économie du Roi s’opposoit depuis long-tems à la demande qu’Antoinette lui avoit faite d’une garniture de bracelets semblable à celle que portoit la Reine d’Angleterre. Elle avoit plusieurs fois essuyé le refus le plus formel de lui donner cette parure. Calonne ne savoit plus de quel bois faire fléche. Toutes les ressources étoient épuisées. Il n’y avoit plus que l’intrigue qui pût lui procurer ce bijou qu’elle étoit infiniment jalouse de posséder.

Elle s’étoit plainte quelquefois devant la comtesse de la Motte de l’avarice de son époux et du desir qui la tourmentoit. La comtesse en parla au cardinal, qui, malgré la mauvaise situation de ses finances et son peu de crédit, entreprit la négociation de cette affaire, dont Antoinette seule profita, ayant toujours eu la précaution de faire agir sourdement ces deux complices de ce royal larcin.

La suite de cette affaire la conduisit insensiblement à la vengeance qu’elle méditoit toujours intérieurement contre le cardinal ; mais elle ne fut pas aussi complette qu’elle l’auroit desirée. C’étoit sur un échafaud qu’elle l’eût voulu voir. Son ambition eût été satisfaite.

Elle l’eût enfin ce collier ; Lexclaux son messager secret le lui apporta, et du moment qu’elle l’eut en sa puissance, elle jura qu’il seroit l’instrument de sa fureur contre le cardinal. Son dessein n’étoit pas d’envelopper la comtesse de la Motte, dans cette proscription ; la circonstance seule dirigea cet événement, dont tout Paris parla diversement : parmi toutes les chansons et les pamphlets qui parurent sur ce sujet, je place ici ces couplets, comme quadrant singulièrement à la circonstance.

Chanson sur le célèbre collier ; par un Celadon à la grecque.

Air : Jeunes, cœurs qui voulez faire.

 Pour enchainer la victoire,
Qu’un guerrier cherche la gloire,
 Moi, loin des combats,
 prenant mes ébats,
Entre la brune et la blonde
Je ferai le tour du monde,
Si ma barque alloit un jour,
Mouiller er er er à la rade d’amour.


 Qu’à Chaise-Dieu, l’on enferme
Comme un coq dans une ferme,
 L’oiseau cardinal ;
 Pauvre original,
Dois-je craindre quelque chose ?

Si Philis m’offre une rose,
Je pourrai sans nul détour,
Mouiller er er er à la rade d’amour.


 Pour singer la Souveraine,
Que dans un parc on entraîne
 Fillette à minuit ;
 Au joyeux déduit,
Loin de mettre un trousse-cotte
En compromis par la Motte,
J’aimerois mieux en plein jour,
Mouiller er er er à la rade d’amour ;


 Qu’en jugeant, Dieu nous bénisse ;
Ce meilleur des Rois bannisse
 Un mage, un sçavant,
 Pour un paravent,
Dans le creuset de marie,
J’irois puiser l’alchymie,
Si je pouvois nuit et jour,
Mouiller er er er à la rade d’amour.


 Méprisant la noble tige,
Que le parlement fustige
 La grosse Valois,
 En dépit des lois.
Qu’elle aille en Salpêtrière
Cacher son large derrière,
J’aime mieux au point du jour,
Mouiller er er er à la rade d’amour.


Il est inouï de se représenter toutes les horreurs que cette action frauduleuse de la part d’Antoinette fit enfanter. Je vais souiller une plume en en traçant encore une ; puis-je détourner les yeux de ce tableau monstrueux d’iniquités !

QUATRAIN,

Sur madame de la Motte-Valois, fouettée et marquée sur les deux épaules, le 10 juillet 1786, en vertu d’un arrêt du parlement.


Quels cris aigus se font entendre au large ?
D’où vient ce tumulte au palais ?
Ce n’est rien, me repond Gervais,
C’est la Motte qui décharge.


Pour remplir l’usage qu’elle vouloit faire des diamans de ce collier, il falloit le dénaturer. Cela fut bientôt fait. Les soustractions qu’y fit Marie-Antoinette, lui servirent à des bienfaits, paraissant d’autant plus généreux pour elle qu’ils étoient considérables, mais d’autant plus faciles qu’ils ne lui coûtoient rien.

Ce furent ces mêmes bienfaits qui conduisirent l’infortunée comtesse à l’infâmant poteau et à l’indigne flétrissure qu’elle essuya par la main d’un bourreau.

Il ne falloit pas moins que la plus hypocrite des dissimulations, pour tirer notre héroïne d’un pas aussi délicat ; elle eût été couverte d’opprobre et d’ignominie, si sa basse intrigue eût été découverte. Mais, en cette occasion, elle se servit de ses principes ordinaires, et sacrifia l’innocence pour sauver une légère parcelle de son honneur expirant ; et elle apporta le plus grand soin à couvrir cette odieuse atrocité du voile le plus impénétrable.

La plus légère confidence sur l’article du collier lui eût été très-nuisible ; aussi se tint-elle sur la réserve, et malgré le faux zèle du fourbe et rusé baron de Breteuil, ses demandes insidieuses, son air d’assurance, elle nia fermement que ce bijou eût été en sa puissance ; elle assura qu’elle n’en avoit pas plus de connoissance que de la comtesse de la Motte, et elle perdit ainsi cette femme par une criminelle négative.

Elle fut donc absolument hors de cette procédure, dont elle méritoit seule toute l’infamie, et il ne fut plus mention de sa Majesté, que pour accuser les prétendus scélérats qui, soi-disant, avoient osé abuser de son nom.

Le jugement se prononça ; toutes les loix de l’équité furent violées, l’innocence succomba ; mais le cardinal de Rohan échappa à sa vengeance.

Malgré le silence que l’inquisition ministérielle imposoit sur cette affaire, la Reine n’en fut pas moins diffamée dans l’opinion publique, sans qu’elle perdit rien de sa sécurité, et qu’elle conservât précieusement trois cent cinquante-six diamans du collier qu’elle s’étoit si finement appropriés, et dont elle espéroit un jour faire monter des bracelets pareils à ceux de la reine d’Angleterre.

Les intrigues et les tracasseries du comte de Vergennes, dans le cours de cette inique affaire, lui firent appercevoir combien elle avoit à s’en méfier ; et comme les forfaits ne lui coûtoient rien, elle en médita un dont l’exécution suivit peu de tems après, comme on va le voir.

L’Empereur se désoloit à la cour de Vienne, du mauvais succès de ses affaires, et de la tournure qu’avoit prise en France l’affaire du collier. Son issue détruisoit totalement ses projets. Malgré les témoignages qu’il avoit reçus de sa sœur, et de l’imbécillité du cardinal de Rohan, sa politique lui avoit fait entrevoir que son ambition seroit plutôt satisfaite et ses vues remplies avec ce ministre, qui n’eût point hésité à seconder le bouleversement qu’il méditoit, et dont il auroit profité.

Le plus exécrable des desseins occupoit entièrement l’esprit d’Antoinette ; elle jouissoit de toute la gloire qu’elle venoit de remporter ; mais un de ses ennemis respiroit encore. Cabaler pour l’expulser de la cour, il n’y falloit pas penser. Des imputations véritables n’auroient pas réussi à faire prononcer son éloignement, et les efforts de la calomnie n’auroient fait qu’ajouter à son triomphe.

Elle avoit entre les mains la recette de Catherine de Médicis. Le vieux Maurepas en avoit ressenti les funestes effets, au moment où elle lui juroit une déférence exacte à ses avis, et une sincère réconciliation ; mais elle l’avoit embrassé pour le mieux étouffer. Elle se résolut de procurer une pareille dose à Vergennes ; et n’osant y mettre en usage les préliminaires dont elle s’étoit servie avec Maurepas, elle engagea le monstre exécré de Polignac à se prêter à ce nouveau crime.

D’abord elle se plaignit obligemment que de légères brouilleries durassent encore : elle rappela ce temps où, nonchalamment couchées dans les bras l’une de l’autre, et plongées dans la plus douce ivresse, elles se faisoient les plus ardentes protestations de s’adorer toujours. Quelques feintes larmes coulerent de ses yeux. L’androgène y parut sensible, lui sauta au col, et après une mince explication, la paix fut conclue.

Antoinette rejetta les tracasseries qui les avoient séparées sur le compte de celui qu’elle vouloit détruire ; il n’en falloit pas d’avantage pour irriter la duchesse. La rage étinceloit dans ses yeux ; elle ne respiroit plus que fureur et que vengeance. Le poison fatal fut adroitement préparé et donné. Une langueur mortelle s’empara de Vergennes, le consuma par dégrés sans qu’on sût à quoi en attribuer la cause, et ne finit qu’à son dernier soupir.

La réconciliation de ces deux femmes fournit matière à la médisance. Antoinette passa bientôt dans l’esprit de la Cour pour la tribade la plus déterminée ; mais elle rioit de ses sarcasmes, au nombre desquels on peut admettre celui-ci : la Reine est sensée s’adresser à la demoiselle d’Oliva.


La Reine.

Il te sied bien, vile catin,
De jouer le rôle de Reine.


La Dlle, d’Oliva.

Et ! pourquoi non, ma Souveraine !
Vous jouez si souvent le mien.


L’Empereur nourrissoit toujours l’espoir de fomenter la division ; il communiquoit ses projets à sa sœur, et elle les secondoit de son mieux.

Jules de Polignac devint la favorite d’Antoinette, et l’ame de tous ses plaisirs, mettant à profit tous les instans que Louis XVI leur laissoit. Elle le punissoit de son indolence par le commerce le plus abominable, sans même prendre la peine de le cacher.

Par fois le Comte d’Artois se réunissoit à toutes leurs orgies libertines ; mais la Reine craignoit infiniment son approche. Ce vigoureux jouteur alloit bon jeu, bon argent ; et sans certain manège dont la Polignac avoit donné la connoissance à Marie Antoinette, la Famille Royale auroit été considérablement augmentée.

Les espérances que le François concevoit ; d’une amélioration dans l’établissement de l’administration des affaires générales, le rendent à ses occupations ordinaires, et les nouveaux matériaux que notre héroïne lui fournit, lui inspirèrent ces couplets :


CHANSON.


Or écoutez l’histoire
Que je vais raconter,

Elle est facile à croire,
Il n’en faut pas douter.
 Eh ! mais oui da,
Comment peut-on trouver du mal à ça.


 Notre lubrique Reine,
D’Artois le débauché,
Tous deux sans moindre peine
Font ce joli péché.
Eh ! mais oui da, etc.

Cette belle alliance
Nous a bien convaincu,
Que le grand Roi de France
Est un parfait cocu.
Eh ! mais oui da, etc.


Polignac, cette gueuse,
Que vomit les enfers,
D’une main odieuse
Sert les crimes divers.
Eh ! mais oui da, etc.


Ces couplets augmentèrent la rage qu’Antoinette avoit conçue contre le François, et dès-lors elle jura sa ruine.

Le moyen étoit facile ; le ministère annonçoit depuis long-temps la ruine qu’elle avoit méditée ; il ne falloit plus que la circonstance, et elle ne tarda pas à arriver.

Louis XVI sommeilloit sur la garantie des apparences. Pendant ce tems le crime veilloit, et c’est alors que l’Autrichienne eut occasion de connoître au juste ce qu’étoit le François.

Les princes du sang royal, issus de la branche des Bourbons, avoient donné mainte-foi des preuves d’un patriotisme déclaré et d’un amour populaire ; mais elle les considéroit comme autant de girouettes que le moindre vent faisoit mouvoir à son gré. Elle ne trouvoit rien d’aussi facile que de s’emparer de leurs idées, et d’en ordonner l’administration.

Pendant ce tems, elle continuoit à souffrir du caractère bouillant, impétueux et jaloux de la duchesse de Polignac, dont l’excès étoit monté au point qu’elle la trouvoit insoutenable. Elle étoit donc partagée entre le desir de satisfaire ses inclinations secrettes, et de trouver les moyens sûrs de faire tenir à l’Empereur les fonds énormes dont il avoit le plus grand besoin, et de s’asservir les princes du sang, ainsi que quelques autres créatures, en flattant leur ambition.

Il falloit être ce qu’elle étoit, pour parvenir à exécuter ces grands mouvemens fourbes et dissimulés, pour ne pas dire quelque chose de plus.

D’Artois, sans être jaloux de la couronne, lui prodiguoit toujours ses soins ; mais la naissance du duc de Normandie, qu’il avoit encore procurée, lui fit verser des larmes de rage. Dès ce moment, ils formèrent le plus affreux et le plus détestable des triumvirats. Ils s’assurèrent de leurs créatures, et jurèrent la destruction du peuple et la ruine totale de la France.

Ce prince, abominable se livra, sans réserve à ces affreux complots. Il avoit en outre de fortes raisons d’en vouloir aux François, qui l’avoient impitoyablement raillé à son retour de Gibraltar, par ce quatrain :


Fi ! disoit un Charlot dont l’excès de
tendresse
Avoit tant vu siffler son impuissante
altesse !

Taisez-vous, vils crapauds du pied de
l’hélicon,
J’aurois pris Gibraltar, s’il n’eût été
qu’un C....


 Néanmoins les courses nocturnes et scandaleuses de Marie-Antoinette ne discontinuèrent pas plus que les couplets orduriers sur ses excès libertins et ses paillardises ; témoins ceux-ci, qui lui furent chantés aux oreilles :


Les promenades nocturnes de la
Messaline françoise en 1783.

Air : Charmante boulangère.

Quelle est cette coquine,
Qui marche à petit bruit ?

Je débrouille à sa mine ;
Dans l’ombre de la nuit,
De la brillante aurore,
Qu’elle attend le retour,
Pour dérober à Flore
Une rose d’amour.


La capote legère,
Qui voile tant d’appas,
Fut-ce ou Reine ou bergère,
Ne me rebute pas.
Que dis-je ? sur l’herbette,
Mon tendre cœur épris
Reconnoit minette
Rivale de Cypris.


Entrons en connoissance,
Belle Reine, en ces lieux,
Qu’importe la naissance
Pour deux cœurs amoureux,
Je sens mon V... qui dresse,
En voyant tes attraits ;

Pour prouver ma tendresse,
Il ne rate jamais.


Sans craindre la V...ole,
F..ons jusqu’à demain
Pour répéter ton rôle,
Prends mon V... dans ta mains
Dans ta mot.. un peu rousse,
Je goûte avec succès,
Le plaisir quand je trousse
La Reine des François.


Ton Louis band... à l’aise
Invoque Saint-Joseph,
Moi qui suis de Falaise,
Je me fous de son fief ;
Que t’importe le trône,
Belle sans contredit,
La plus belle courrone
Ne vaut pas un bon V..

Le parlement sur lequel il avoit le plus compté fit avorter par une résistance inattendue, le commencement de leur entreprise.

Le plus extravagant des édits avoit été dicté à Louis XVI, et il avoit fondé sur son enregistrement la haîne que devoit naturellement lui porter la nation. Dans cette circonstance le parlement se montra dur et intraitable, la ligue étonnée de cette fermeté crut d’abord qu’elle n’étoit que feinte, et engagea le Lion à rugir contre cette compagnie désobéissante, et à matter ce ridicule aréopage. Alors les Parisiens se mutinèrent et investirent le palais.

Cependant le parlement fut exilé et le peuple n’en montra que plus d’humeurs, quoique les rieurs de la Cour et les persiffleurs vendus à la conjuration, cherchassent à amuser les têtes exhaltées par des calembourgs ineptes qui plaisoient beaucoup à la Reine : on fit même sur l’exil et dans l’entrée de ce sénat maintenant anéanti, ce couplet.


Air : Tu croyais en aimant Colette.

Si Midas écumant de rage
N’osa contempler son vainqueur,

Louis seize, beaucoup plus sage,
Fait contre fortune bon cœur.


Le Roi ne faisant que ce qu’on lui faisoit faire, se chargea sur d’Artois, du soin de l’enregistrement ; et ce lâche prince commença à donner à cette époque des preuves incontestables de son caractère féroce et sanguinaire.

Aussi poltron qu’à Gibraltar, ce fut en cette qualité qu’il se montra. Jurant comme un énergumène, il monta le grand escalier tout bouillant de rage, ses yeux étinceloient du feu de la destruction ; mais la peur ne tarda pas à glacer ses esprits, et ce fier héros en descendît l’oreille basse, trop heureux d’éviter le coup que lui préparoit une main hardie, et de regagner seul sa voiture, ses gardes l’ayant abandonné à la place Dauphine.

À son retour à Versailles, il déclara au Roi qu’il pouvoit à l’avenir se charger du soin pernicieux de faire exécuter ses volontés, et Monsieur qui s’étoit masqué jusqu’alors au point de cacher aux yeux de tous, son égoïsme et ses odieuses prétentions, voulut bien se charger d’apporter son entremise au trouble dangéreux qui commençoit à se déclarer.

Les bénévoles parisiens, en suivant l’impulsion de leur caractère habituel, applaudirent à la démarche de Monsieur ; les observateurs sensés et discrets n’en furent pas surpris ; ils savoient par expérience que ce peuple frivole, ne jugeant ordinairement de l’arbre que par l’écorce, accordoit volontiers un brevet de bonté à tous ceux qui étoient porteurs de bonne figure.

Le Noir, ce scélérat accoutumé à commettre les plus grands crimes de sang-froid, étoit vendu à la ligue exterminative, et exterminoit de son lâche et arbitraire pouvoir toutes les victimes qui lui étoient désignées.

Le chevalier Dubois, son infâme agent, secondoit de son mieux les horribles vexations de l’empereur des mouchards, et pour opérer plus vite le grand œuvre de la destruction qui lui étoit commandée, il employa la poudre et le plomb.

Tel fut le signal de l’allarme et l’affreux mobile de tous les événemens arrivés depuis. Le peuple se revolta, brisa les corps-de-garde, et au risque d’être inhumainement fusillé par les bourreaux, commandés et mis en fonction par la horde assassine, qui se rassembloit dans les tripôts meurtriers de la Cour, contraignit ceux qu’il soupçonnoit d’un parti contraire à ses intérêts à ployer le genou avec respect devant la statue d’Henri IV, dont la vue arrachoit des larmes et excitoit des regrets amers lorsqu’on pensoit à la différence de ces deux règnes. C’est ce qui arriva au marquis de Vilette, à ce patron déclaré des apôtres de Sodôme, à cet avorton littéraire, à ce précurseur de Chaussonée ; il fut, comme les autres, contraint de se soumettre à la genuflexion, et un passant prenant part à l’ignominie qu’il éprouvoit de fort mauvaise grace, et que j’aurois pris de moi-même, lui adressa cet impromptu.


À genoux, vil coquin, sans faire la
   grimace,
Et reçois cet affront comme un sujet
   de grace.
Le plus humilié, sans doute, n’est pas
   toi ;
L’hommage d’un faquin doit outrager
   un Roi.


On promena ensuite l’effigie de ce Dubois, cet exécrable satellite du Noir lieutenant de police dans les rues de Paris, et on l’accrocha ensuite à une vile potence en compagnie de quelque individus aussi abjects.

La ligue voyoit avec plaisir ces révolutions qui commençoient à faire naître le trouble et les dissensions, présage des calamités auxquelles elle aspiroit ; mais en même tems la nécessité de la circonspection lui faisoit appercevoir le danger de trop se montrer. Ainsi donc, elle en demeura là, bien résolue cependant de profiter des premières occasions. Antoinette profita de cette trêve pour se livrer à un autre genre d’occupation,

À la Cour de France, chacun avoit alors sa marotte, notre héroïne avoit aussi son pantalon, et l’illustre calembourdier, le marquis de Bièvre, étoit en titre d’office, et ce ci-devant marquis distributeur d’épigrames faites à loisir devint le sapajou de la furie archiduchesse.

Quand elle eut adopté ce burlesque Pantin, pour le précédent de son bureau d’esprit, elle ne s’occupa plus que d’en former les membres, et il fut défendu, sous peine d’encourir le titre de criminel de leze-fantaisie, d’y parler autrement qu’en calembourgs Édits, lettres-patentes, arrêts du conseil, déclarations du Roi, impôt territorial, tout étoit calembourg, jusqu’à la majesté royale.

Elle éleva jusques aux nues cette petite chenille littéraire, et le conduisit enfin où elle en avoit conduit tant d’autres, c’est-à-dire, au voluptueux boudoir du petit Trianon.

Calonne ne pouvant plus, comme par le passé, fournir aux appointemens énormes que la Reine exigeoit de lui pour solder ses lubricités, devint l’objet de sa haine ; elle ne tarda pas à le sacrifier à l’horrible déficit que l’un et l’autre avoient fait naître ; et cette rupture fit naître les plus violens murmures entre les citoyens patriotes.

Antoinette feignit d’être scandalisée de ces menées. Mais jugeant bien qu’elle pouvoit être compromise par la publicité des plaintes du ministre qu’elle avoit envie de faire sauter, elle s’appliqua constamment à effectuer sa disgrace. La politique lui souffla aux oreilles qu’il falloit, pour cet événement un moyen qui ne fût pas ordinaire ; alors le mettant en usage, elle le fit avertir secrètement du danger qu’il couroit à rester en place ; sur cet avis, qu’il, étoit bien éloigné de regarder comme l’effet d’une trahison, il s’éclipsa et fut enrichir l’Angleterre de ses combinaisons désastreuses.

Alors Brienne, cet archevêque fourbe et impie, vint à son tour manier les finances, comme un patrimoine, sur lequel il avoit les plus grands droits. Son administration prouva tout le ridicule du choix qu’on avoit fait ; il fut nommé cardinal, ce qui occasionna encore de nouvelles pasquinades, et entre autres celle-ci :

Sortie sur Monsieur de Brienne, Évêque de Toulouse et ministre.

Si Brienne, en ministre infâme,
Au pape demande un chapeau,
C’est qu’en se F...tant de son ame,
Le fripon veut sauver sa peau.


Cet inique cardinal ne travailla que pour son compte ; Antoinette et d’Artois, ne pouvant rien obtenir de lui, eurent recours au vol pour alimenter leur cupidité du reste des deniers royaux.

Louis XVI, dont la confiance dans les ministres étoit sans bornes, devoué à sa femme et à son frere, se reposoit entièrement sur eux des grands travaux de son conseil ; il signoit aveuglément toutes les sottises et les horreurs auxquelles il pouvoit donner une couleur spécieuse de tems à autre ; il demandoit si son peuple étoit heureux, et l’on pressent bien la réponse qui lui étoit faite : « oui Sire, lui disoit-on » ; et le Monarque le croyoit avec d’autant plus de facilité qu’on avoit grandement soin de lui intercepter jusqu’au moindre de ses murmures.

De sorte donc que les impudentes affirmations des sangsues ministérielles qui l’entouroit redoubloient sa tranquilité sur l’article du numéraire, qui cependant disparoissoit de moment à moment ; lui seul tenoit bon pour n’en pas lâcher aisément : mais de quoi la ruse ne vient-elle pas à bout, quand elle est employée par des créatures perfides ?

Le ciel, qui souvent protège les ennemis du repos des peuples, s’étoit plu à favoriser les moyens que le sieur Pinet avoit mis en usage pour augmenter sa fortune : il fut dans ce temps d’un merveilleux recours, pour les affaires délabrées de la Reine et du cher beau-frère ; l’un et l’autre en tirèrent des sommes considérables, et garnirent son porte-feuille de faux, et finirent par lui administrer un de ces bouillons, qu’ils ménageoient comme dernière ressource.

Cet horrible manège dura quelques années. Ils pressuroient les bourses de ces agitateurs de fortune, et leur donnoient en échange des sommes immenses qu’ils en tiroient, des sourires engageans, des coups-d’œils flatteurs ; ces procédés étoient pour ceux qui mendioient bassement leur faveur et leur protection. Quant à ceux qui ne traitoient avec eux, que pour décupler leurs avances ; ils étoient sûrs d’être royalement induit en erreur.

La plupart de ces bailleurs d’espèces s’appercevant qu’on les dupoit, s’en plaignirent avec aigreur et moins de ménagement et de circonspection que la politique n’en exigeoit d’eux. Alors, le Noir et Compagnie vinrent au secours de leurs patrons dilapidateurs ; la lettre-de-cachet ne tardoit pas à être lancée, et le plaignant faisoit un tour à la bastille ou ailleurs. Le porte-feuille se trouvoit en la puissance de l’ignoble magistrat ; et les effets rentraient presque aussi-tôt dans les mains de leurs indignes fabricateurs.

Ce torrent d’iniquités grossissoit tous les jours, et peu de temps après les ressources furent entièrement perdues.

D’Artois, cet illustre roué, fertile en expédiens, en suggéra un à notre héroïne, qui fut très-avantageux à la clique luxurienne ; il lui fit observer l’ascendant qu’elle avoit sur l’esprit de son époux, à l’intérêt près. L’ivresse des passions tumultueuses de sa compagne l’avoit éloignée de lui ; soit chagrin, soit goût particulier, le monarque avoit contracté l’habitude de relâcher de sa sévère économie en faveur de la bonne chère ; le vin

Livre:Charles-Joseph Mayer, Vie de Marie-Antoinette d'Autriche, reine de France, femme de Louis XVI.

sur-tout commençoit à avoir des attraits puissans pour lui.

Le Monarque François buvoit de temps à autre ; dans ces momens bachiques son amour redoubloit ; et dans cette critique position, elle lui auroit fait signer l’abdication de son royaume ; et fidèle à ses engagemens, lorsqu’on pouvoit lui prouver que sa signature n’étoit pas supposée, ils résolurent de la lui extorquer, par l’emploi de ce moyen favorable. Elle ne pouvoit guères réussir dans ce projet qu’en flattant sa manie. Rien ne pouvoit lui plaire davantage ; et il la vit caresser complaisamment son penchant et sa manie. Les deux époux royaux buvoient donc ensemble, l’un par goût, et l’autre par intérêt ; elle apportoit cependant beaucoup de soin à redoubler la dose à son égard ; et quand elle le voyoit en bonne disposition, elle employoit les larmes, les prières, prenoit la plume, lui guidoit la main ; et le nom de Louis qu’elle lui faisoit tracer, la mettoit en possession d’un bon de caisse d’une somme considérable qu’elle partageoit ensuite avec d’Artois, comme auteur de l’invention. Alors le Brienne cessa d’être farouche, et commença à comprendre, comme Calonne, qu’il ne jouiroit sans crainte du fruit de ses larcins ; qu’en consentant à les partager. Ces bons le firent trembler et rassurer en même-tems la conscience archiépiscopale. D’ailleurs la signature du Roi devenoit un titre legitime de justification en cas d’événement, ainsi donc les fonds commencèrent à rentrer.

Il devoit paroître étonnant à Louis XVI, que son épouse eut redoublé d’ardeur, au moment où il étoit le moins en droit d’y compter : ses intentions lui donnoient, de l’ombrage ; et son empressement à le faire écrire chaque-fois qu’elle le voyoit bien disposé, ne contribua pas peu à augmenter le soupçon qu’il commençoit à ressentir que ses caresses n’étoient pas naturelles. Il résolut de vérifier ses conjectures : et Antoinette fut prise à la feinte que, pour la première fois de sa vie, sans doute, il mit en usage. Brienne fit un saut pour passer au ministère d’État qui s’en seroit bien passé, et les bons cessèrent d’avoir lieu. Ce fut alors que notre couple libertin se trouva encore une fois dans la crise.

Ils jugèrent alors qu’il tems de se réunir pour consommer l’entreprise qui avoit avorté, lors de la catastrophe du palais de justice. D’Artois bornoit toutes ses occupations à rallier les mécontens. Lorsque sa belle-sœur lui communiqua qu’elle ne pouvoit plus compter sur les bons, il s’employa dès ce moment et d’après son avis, à jetter les fondemens de la plus détestable aristocratie.

Comme on doit bien le pressentir, tous les Polignacs furent initiés, et la favorite Jule fut chargée de ne rien épargner auprès des princes, pour s’en faire des créatures pour quelques-tems. Marie-Antoinette fit trêve avec ce plaisirs : la destruction du trône, l’affermissement du despotisme, la Reine des peuples occupoient tous ses momens ; les Bezenval, Broglie, D’autichamp et autres entrèrent avec ardeur dans cette ligue infernale. La tribade, compagne chérie de la Reine, ne négligea rien pour completter cette monstrueuse association, elle se prostitua, promit des pensions, des dignités, des faveurs, qui ne se seroient jamais réalisées ; et cependant malgré le peu d’évidence, elle réussit ; elle amena au comité d’Antoinette, non-seulement les princes du sang royal, Condé, Conti, Bourbon, mais encore quantité des mécontens, quelques membres du clergé et des lâches obligés.

On commença alors les conférences, et à huis clos se forma, le plus horrible des plans.

D’une voix unanime Antoinette fut nommée chef de cette horrible conspiration. Les rênes de cette scélératesse ne pouvoient être mieux tenues que par cette Mégère abominable. D’Artois fut nommé Mestre-de-camp ; la Polignac aide-major ; Condé, Conti, Bourbon, les conseillers de l’entreprise, et le reste opinant ; les chefs dressèrent eux-mêmes les principaux articles, et la furie Autrichienne se chargea de les prononcer.


Article Premier.

Le plus horrible serment que la rage puisse inventer, sera prononcé, avant de procéder en aucune manière aux conventions des faits ; et la mort suivra de près la plus légère transgression...... Approuvé.


Art. II.

Ayant toujours eu pour le sang français une horreur invincible et dans lequel, moi, Reine

Livre:Charles-Joseph Mayer, Vie de Marie-Antoinette d'Autriche, reine de France, femme de Louis XVI.

de France auroit voulu me baigner à loisir, chacun des membres de cette honorable ligue, employera les moyens les plus sûrs pour en faire couler des flots...... Approuvé.

Art. III.

Chacun des Colonels ou commandant des troupes de Sa Majesté réunira tous ses efforts pour s’assurer des chefs subalternes, officiers de fortune et étrangers des régimens en leur puissance, sans cependant leur donner une parfaite connaissance de nos desseins, afin qu’ils puissent, au moindre signal disposer comme d’eux-mêmes, de tous les soldats des troupes de ligne soumises à leur commandement, et les soumettre à une obéissance aveugle.


Art. IV.

Le prince de Lambesc, ici présent, s’obligera à nous assurer que ses Allemands sur lesquels il a tout pouvoir, nous donneront, jusqu’à leurs derniers soupirs, des témoignages d’une inviolable fidélité.


Art. V.

Nommons pour généralissime de nos troupes, et lui faisons sur-le-champ prêter serment en cette qualité[3].


Art. VI.

Ces articles établis, chaque prince du sang-royal travaillera dès cet instant de son côté à s’assurer des créations et à leur inspirer des sentimens de haîne et de fureur pour la patrie.


Art. VII.

Proscrivons le duc d’Orléans, comme populaire et rebelle à nos intentions[4].


Art. VIII.

Comme notre intérêt exige vigilance, exactitude, prestesse et fidélité, jointe à un nombre infini de précautions, et qu’il est très-important de ne rien entreprendre à la légère, remettons à la pluralité des avis secrets, pour la sureté desquels nous avons des émissaires gagnés de tous les côtés, à prononcer sur le sort des personnes employées au ministère, et qui ont en main l’autorité royale.


Art. IX.

Le comité général se tiendra chaque semaine ; et le particulier, toutes les nuits, en le changeant de place suivant l’occurence.


Art. X.

Il sera prononcé un serment solemnel qu’au premier signal de la destruction, il ne sera épargné personne, nos amis exceptés, de même que ceux qui seront venus se ranger sous nos bannières.

Ces articles confirmés par la voix du serment, Antoinette ne s’occupa plus ainsi, que son lieutenant et son aide-de-camp, à déposer toutes les personnes qui jadis avoient partagé leur confiance ; mais sur la fermeté desquelles on ne pouvoit pas compter, et à prendre entre eux des mesures particulières pour disposer du trône à leur gré en détruisant les rejettons ; et pour combler leurs infâmes manœuvres, ils déterminèrent ce qu’ils feroient de leur complices après l’événement.

Breteuil avoit cédé la place à l’ambitieux de Brienne par l’entremise de la Cour ; ce dernier avoit pour substitut de ses iniques entreprises, le Juigné, archevêque de Paris. Presque dans le même tems, Brienne fut nommé cardinal, et le St. Pere témoigna alors toute sa condescendance pour les abominations qui se forgeoient à la Cour de France.

Cette nomination mit les rieurs en train ; et l’on ne tarda pas à voir renouveller cette plaisanterie.

Sur Brienne Évêque de Toulouse, et ci-devant grand ministre.

Si Brienne en ministre infâme
Demande au Saint-père un chapeau,
C’est, qu’en se F....tant de son ame,
Le fripon veut sauver sa peau.


Pour en revenir au caffard de Juigné, à cet illustre connoisseur en vins de Champagne, et stupide jusqu’à la méchanceté, Necker faisoit avec lui de graves spéculations sur les désastres dont la France paroissoit être menacée ; et ce lâche fourbe, cet apôtres mécréant, fournit par la suite une preuve incontestable de son attachement aux vues d’Antoinette.

Les États-Généraux furent convoqués, et de là provinrent les événemens qui firent échouer les projets exécrables de la Reine de France, qui, comptant fermement sur la noblesse, contemploit de loin, l’agréable perspective pour elle de voir Paris en cendres.

Le 22 Juin 1789, le Tiers-État commença à prouver de la fermeté ; sitôt le duc d’Orléans, qui étoit aux aguets, pour favoriser le parti du peuple auquel il paroissoit fanatiquement attaché, employa le secours de ses poëtriaux, et le lendemain, la ville de Paris, fut infectée de cet opuscule.


Air : Monseigneur, vous ne voyez rien.

 Laissons, amis, le Tiers-État,
Se débattre avec la noblesse
De notre large potentat,
Respectons au moins la foiblesse.
En dépit de nos calotins,
Qui font vainement les mutins
 Tout va.... tout va bien,
Mais il ne faut jurer de rien.

 À quoi bon les jeux, les plaisirs,
Quand l’esprit n’est pas à son aise,
Il faut modérer ses desirs,
Sous le regne de Louis seize ;

Ce grand réformateur des ris
Veut que l’on Chante dans Paris,
 Tout va.... tout va bien
Mais il ne faut jurer de rien.

 Du bon Henri la poule au pot
Devoit combler notre espérance ;
Mais hélas ! un mendiant tripot
L’arracha des mains de la France ;
Trop éloigné de ces tems-là,
Nous ne craindrons jamais cela ;
 Tout va.... tout va bien,
Mais il ne faut jurer de rien.

 Chrétien et mari tour-à-tour,
Louis au trône de la gloire
Vouloit nous offrir, en ce jour,
Du bon Charles neuf la mémoire,
Graces à notre ami Necker,
Nous mangeons toujours le pain cher ;
 Tout va...., tout va bien,
Mais il ne faut jurer de rien.


 Célébrons le comte d’Artois,
Qui pour les beaux yeux d’Antoinette,
À Versailles d’un feu grégeois,
Vouloit amorcer l’allumette,
Il n’y manquoit plus qu’un pétard,
Et la France étoit au F...ard.
 Tout va... tout va bien,
Mais il ne faut jurer de rien.


Dans le tems de cette crise, Villedeuil, une des ames damnées de Marie-Antoinette, passa de l’intendance au ministère, il avoit inculqué dans sa cervelle tous les principes de la logique des Richelieu et saint-Florentin ; il savoit protéger les uns, détruire les autres. La calomnie fut mise en œuvre dans le comité de notre illustre héroïne, pour exécuter les plus abominables forfaits.

Quoi qu’il en fut dans ce moment où la nation ; plongée dans un sommeil léthargique, gémissoit en silence sur ses pertes, et devoroit ses chagrins sans oser faire éclater sa douleur, Antoinette se reposoit au sein de nouveaux plaisirs de la fatigue des travaux criminels, où l’entraînoit la nouvelle conjuration projettée par elle et les siens. Depuis long-tems elle n’avoit visité sa nouvelle acquisition de saint-Cloud, elle brûloit du desir de consommer encore quelques sacrifices à l’amour, dans les voluptueux boudoirs de ce palais, construits à tant de frais du plus pur sang des malheureux. Elle resolut d’ajouter à la barbarie de ses complots odieux, en commentant ses forfaits dans ses appartemens que l’élégance a décorés.

À cet effet, elle prépara des entrevues, et y donna des rendez-vous. Son cher beau frère étoit un des tenans le plus ferme, et elle y renouvella avec lui ces orgies scandaleuses, ces scènes libertines ; ces postures ravissantes qui l’avoient tant de fois plongé dans le délire. Elle y joignoit de

Livre:Charles-Joseph Mayer, Vie de Marie-Antoinette d'Autriche, reine de France, femme de Louis XVI.

tems à autre la duchesse de Polignac, comme essentiellement utile à ses desseins. Ces séances luxurieuses, se terminaient toujours par les plus atroces résolutions, leurs trois corps entrelassés devoient sans doute former le groupe le plus rare et le plus intéressant. Énervés par leurs fatigues et leurs plaisirs, ils n’y faisoient trêve que pour insulter à la misère publique.

Necker refusoit toujours de l’argent avec une fermeté stoïque. Les conjurés voulaient l’éloigner ; mais il ne pouvoient engager le Roi à se prêter à leurs desirs. Il n’y avoit plus qu’un moyen à employer, c’étoit celui de la religion. Louis XVI n’en rejetoit pas la voix ; mais avant de rien entreprendre, et de mettre en usage le ministère de M. de Juigné qui témoigna à la clique qu’il étoit un sujet utile, il falloit porter le grand coup ; et de ce grand coup dépendoit une partie de la réussite.


FIN DE LA SECONDE PARTIE.
  1. Voyez le mémoire justificatif de madame de la Motte, aux Nos de la fin.
  2. Titre que prenoit le cardinal de Rohan, auprès de la Reine.
  3. On n’oubliera pas que ce serment fut prêté par Victor Broglie, quoi qu’en ait prononcé le fameux Châtelet révoqué.
  4. Philippe Capon, Capet ou Capot, avoit en ce moment bien d’autres vues, il cherchoit lui-même à se placer au trône, et à cet égard ses arrangemens étoient bien pris.