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Vie et œuvres de Descartes/Livre I/Chapitre IV

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CHAPITRE IV

JEUNESSE DE DESCARTES

DEUXIÈME PÉRIODE

(1620- 1628)

Les neuf années qui suivirent, furent employées par Descartes à se défaire de ses préjugés, sans prendre encore parti cependant sur les questions qui divisaient les savants et les philosophes. Ce fut une période de libre examen à l’égard des idées qu’il tenait de ses premières études ou qu’il avait trouvées ensuite dans les livres. Mais en même temps que ce travail de destruction, il en poursuivait un autre, en vue de reconstruire une doctrine vraiment scientifique ; et pour cela, il s’exerçait à des difficultés de mathématiques, ou même aussi de physique, qu’il rendait quasi semblables à celles des mathématiques. Ainsi, démasquer partout le faux et le douteux, et le proscrire, mais aussi s’habituer à reconnaître le vrai et se préparer à l’établir inébranlablement : telle fut la double tâche du philosophe, de 1620 à 1628.

Et il se remit à voyager, préférant encore à tous les livres, comme il disait, « le grand livre du monde ». Par malheur, nous ne sommes pas beaucoup mieux renseignés sur cette nouvelle période que sur la précédente. Nous savons d’abord

a. Tome VI, p. 3o, 1. 10-14.

b. Ibid., p. 29, 1. 20-3 1. qu’il sortit de son poêle d’Allemagne au printemps de 1620, ou, comme il dit, « un peu avant la fin de l’hiver » ; et deux ans après, nous le retrouverons en France, à Rennes, pour la signature d’un acte, le 3 avril 1622[1]. Que devint-il dans l’intervalle ? Nous n’avons là-dessus que des témoignages peu sûrs, ou des récits qu’il est impossible de contrôler. Il reprit sans doute du service, comme volontaire, dans l’armée que le duc de Bavière rassemblait alors contre les princes protestants. La guerre de Trente ans allait éclater, et on sait qu’au début une intervention diplomatique du roi de France, favorable aux catholiques et à l’Empereur, amena une suspension d’armes de la Ligue évangélique ou protestante : un traité fut signé à Ulm, le 3 juillet 1620, à la suite de négociations commencées le 6 juin. L’armée catholique du duc de Bavière, comme en 1618-1619 l’armée protestante du prince de Nassau, devenait pour un Français une armée alliée ; et Descartes pouvait sans scrupule y servir[2].

Mais la Bohême, révoltée depuis 1619 contre l’Empereur, n’était point comprise dans le traité, et les troupes catholiques, redevenues disponibles, furent dirigées contre elle. L’électeur palatin Frédéric, prince protestant, avait été élu roi de Bohême ; sa royauté ne dura qu’un hiver : il perdit la couronne à la bataille de la Montagne Blanche, près de Prague, le 8 novembre 1620, et dès lors commença pour lui cette vie de roi en exil, qu’il traîna une douzaine d’années en Hollande, où nous le retrouverons plus tard, et surtout sa fille, la princesse Élisabeth. Descartes assista-t-il à cette bataille de Prague ? Bore ! l’affirme[3] ; mais dans la même phrase, il fait assister son héros aux deux sièges de Bréda, en 1625 et 1637, ce qui n’est vrai ni pour l’un ni pour l’autre ; et Baillet lui-même, bien qu’assez crédule d’ordinaire, se refuse cette fois à croire Borel. En tout cas il démontre, à grand renfort d’arguments, que Descartes n’a pu voir à Prague les instruments astronomiques de Tycho-Brahé, lesquels avaient déjà été à ce moment pillés et dispersés.

Un fait paraît significatif : Descartes note dans ses papiers le 10 novembre 1620, comme la date d’une de ses inventions (« une invention admirable », dit-il encore)[4], juste deux jours après la bataille, et il ne note point la bataille elle-même. C’était pourtant là une belle occasion, la plus belle qu’il ait eue vraisemblablement en toute sa vie, de s’éprouver lui-même, comme il dit. Il ne manquera pas de raconter avec force détails, dans ses Expérimenta, une aventure dont il se tira à son honneur, et qui n’était pas, tant s’en faut, une bataille : complot de mariniers, pour lui ôter et la bourse et la vie[5], à bord d’un bateau où il était embarqué. N’aurait-il pas raconté de même la bataille de Prague, s’il avait été parmi les combattants[6] ?

Mais cette aventure elle-même, sur les côtes de Frise, et qui paraît authentique, quelle en est la date ? Baillet la place au retour de ce long voyage que Descartes aurait continué de Bohême en Hongrie, Silésie, Pologne, Mecklembourg, etc. La chose est possible, en effet. Pourtant il n’est pas sûr, quoi qu’en dise Baillet, que Descartes soit repassé par la Hollande. Le contraire même est presque certain : Beeckman, en effet, dans son Journal, ne reparle plus de Descartes avant le mois d’octobre 1628[7] ; il ne l’a donc pas revu depuis l’hiver de 1619 ; et l’on s’était quitté en termes tels, que si Descartes était repassé si tôt après, en 1621-1622, par la Hollande, il n’eût pas manqué de revoir son ami, comme ce fut sa première pensée beaucoup plus tard, après un intervalle de neuf ans, en 1628. Peut-être aussi l’aventure des côtes de Frise eut-elle lieu fin d’avril 1619 ? On s’expliquerait ainsi le changement d’itinéraire de notre philosophe : s’il avait choisi le trajet par mer, d’Amsterdam à Copenhague, puis à Dantzig, pour se rendre par le long détour de la Pologne et de la Hongrie, jusqu’en Autriche, c’est que le trajet direct par terre lui paraissait peu sûr ; mais si, expérience faite, on se trouvait menacé de dangers semblables pendant une traversée, ne valait-il pas mieux y renoncer, et revenir à la voie de terre, où les risques ne pouvaient pas être pires ? Et Descartes aurait abandonné son voyage à Copenhague, où une lettre de Beeckman ne put le rejoindre, ce qui explique qu’il n’y fit point réponse[8], et il se serait dirigé sur Francfort, puis Ulm, et la Bavière. Mais ce n’est là qu’une conjecture, sur laquelle nous n’avons garde d’insister.

Descartes revint en France, en février 1622, dit Baillet, et y demeura jusqu’en septembre 1623 environ[9]. On est sûr en tout cas qu’après son long voyage, il vint se reposer chez les siens en Bretagne : il était à Rennes, le 3 avril 1622[10] ; puis il alla en Poitou, où il se trouvait le 22 mai de cette même année. Il passa probablement ensuite l’hiver de 1622-1623 à Paris : une lettre paraît datée de là, le 21 mars 1623, qu’il écrivit à la veille de se remettre en route, cette fois pour l’Italie[11]. Ce nouveau voyage était occasionné par des intérêts de famille : un sien parent, mari de sa marraine, et devenu commissaire général des vivres pour l’armée du côté des Alpes, venait de mourir ; il s’agissait de mettre ordre à ses affaires, et peut-être de recueillir sa charge. Nous voyons, en effet, Descartes occupé alors de questions d’intérêt : l’acte du 3 avril 1622 était un règlement de comptes avec son frère aîné, et celui du 22 mai suivant était un contrat de vente pour les biens du Poitou qui lui venaient du côté maternel. Il les vendit définitivement en 1623, assure Baillet[12] ; et ceci semble indiquer que Descartes n’avait alors aucune intention de se fixer dans son pays natal, et qu’il le quittait sans esprit de retour.

Baillet, en l’absence de documents certains, a rassemblé tout ce qui pouvait, à cette date de 1623-1625, attirer l’attention d’un voyageur en Italie ; il composa un voyage sur ces données. L’itinéraire était tracé d’avance, nous en avons comme une confirmation anticipée dans le Journal de Montaigne, une quarantaine d’années auparavant, en 1581[13]. A l’aller, la Suisse et le Tyrol ; on passait par Bâle, Inspruck, on suivait dans les Alpes la route si fréquentée déjà qui monte au Brenner, et on descendait par la vallée de l’Adige dans la Vénétie. Une armée française occupait alors en ces parages la Valteline, porte militaire de l’Allemagne sur l’Italie et de l’Italie sur l’Allemagne : Baillet pensa que notre voyageur ne pouvait faire autrement que de s’y arrêter[14]. A Venise, la grande curiosité, après le carnaval, était la fête annuelle des épousailles du doge avec l’Adriatique, et l’anneau d’or lancé en grande pompe dans la mer : Descartes, selon Baillet, ne manqua pas cette cérémonie. Comme elle avait lieu le jour de l’Ascension, il s’y trouva donc le 16 mai 1624[15].

De Venise on se rendait à Lorette, soit par mer, soit par une belle route le long de la côte. Descartes avait fait vœu, plus de quatre ans auparavant, d’aller en pèlerinage à Lorette, et d’y aller précisément de Venise : il y alla donc, le fait est presque certain. Montaigne y avait bien été, et sans rien omettre de ce qui se faisait en pareil cas : communion, par faveur spéciale, dans la chapelle même ; suspension, au mur de cette chapelle, d’un ex-voto, « un vœu », comme il l’appelle, le représentant lui Montaigne à genoux avec sa femme et sa fille devant une Notre-Dame, soit quatre figures en argent dans un tableau tout exprès apporté de France ; enfin divers achats, « pour près de cinquante bons écus », de cire, d’images, de patenôtres, agnus Dei, salvators, et autres telles denrées, dit-il, dont il y avait nombre de belles boutiques et richement fournies en ce lieu de dévotion[16]. Esprit libre, certes, et que les préjugés n’embarrassaient guère, Montaigne toutefois demeurait fidèle dans la conduite de sa vie aux pratiques du culte auquel sa naissance, son éducation et ses habitudes le tenaient attaché. Sans doute notre philosophe ne fit pas autrement, bien qu’avec plus de réserve peut-être. Outre ce vœu qui lui était échappé dans une nuit d enthousiasme, une curiosité bien naturelle pouvait aussi le pousser. Enfin un Français, un catholique, ancien élève des Pères, voyageant en Italie, et qui n’aurait pas été à Lorette, c’eût été un petit scandale ; et Descartes ne fut jamais d’humeur à scandaliser personne.

Rencontra-t-il alors un de ses compatriotes faisant le même pèlerinage, le P. de Bérulle, fondateur de l’Oratoire et futur cardinal ? On ne sait pas. Celui-ci passa à Rome l’automne de 1624, et Descartes s’y trouva au même temps. Le grand jubilé de 1625 allait s’ouvrir, le jour de Noël, 25 décembre 1624, au milieu d’un concours de catholiques venus de tous les pays du monde : nouvelle cérémonie, à laquelle, au dire de Baillet, notre philosophe voulut encore assister[17].

Quelques jours auparavant, il vit peut-être, dans cette même ville de Rome, un spectacle d’un autre genre : un hérétique Période de Jeunesse. 65

de marque ayant été condamné après sa mort par l'Inquisition, on brûla sur le Campo del fiore (où l'on avait déjà brûlé Jordano Bruno en 1600) son portrait, ses livres, et son cadavre même retiré tout exprès du cercueil. C'était Marc- Antoine de Dominis, ancien Jésuite et ancien archevêque de Spalatro, auteur d'un traité de l'Arc-en-ciel, publié en 161 1, et que notre philosophe avait peut-être lu-'. D'autre part, cependant, le pape Urbain VIII allait demander au roi d'Es- pagne l'élargissement d'un philosophe, le moine dominicain Campanella, emprisonné depuis vingt-sept ans; Descartes connaissait aussi ses écrits .

a. On lit dans le Mercure français, t. X, p. 809 : « Marc Anthoine de » Dominis auoit efté mis prifonnier à Rome au mois d'Auril de celte » année {1624), où eftant mort au mois de Décembre, fon corps fut » condamné par l'Inquifition à eflre bruflé : ce qui fut exécute publique- » ment la veille S. Thomas. » Le même Mercure français revient sur cette affaire dans le volume suivant, et la raconte tout au long, t. XI, p. 134-1 5 1 : « Le vingt-vniefme iour de Décembre, iour de faint Thomas » Apoftre (qui condamne maintenant au Ciel l'incrédulité facrilege des » hérétiques), en l'Eglife de la bien-heureufe Vierge Marie, autrement » dite la Minerue, en la tres-honorable & illuftre prefence de plufieurs » Cardinaux & autres perfonnes de mérite, auec vne grande & extraordi- » naire multitude de peuple fut fait ce qui s'enfuit :

» Premièrement, d'vn lieu haut & eminent, le pourtrait & effigie dudit » Marc Anthoine de Dominis fut monftré au public, veu & cogneu delà » multitude; en fuitte de ce, fon procez full leu, puis la fentence. Quoy » fait, en fécond lieu, ledit pourtrait, les liurcs, & le corps mort dudit » condamné, ainfi qu'il eftoit dans le cercueil, fut deliuré au Magiitrat » feculier, & par fon commandement ars & brullé au champ de fleur, par » les mains du bourreau. »

« Plufieurs afTiftans & prefens à ce trifte ô!i funelte fpeilacle louèrent » Dieu en la fainte Inquilition, d'auoir deliuré l'Eglife d'vne telle pede «Si » peftilentielle contagion » (Page 148-149.) Ce n'était point d'ailleurs pour ses écrirs philosophiques ou scientifiques que Dominis avait clé condamné, mais pour ses opinions religieuses : il voulait faire une seule Église de toutes les Eglises protestantes et catholiques.

b. Notamment le Defenju rerum £■ Magid, publié en 1620. Voir t. II, p. 48, 1. 7-17 : lettre de mars i638. « Il y a quinze ans, que i'ay vu ce » liure », dit Descartes; ce fut donc vers i62.<. Campanella (né à Stey- nano, en Calabre, 5 sept. i568) sortit de prison le i5 mai 1626. Il le devait surtout à Naudé, qui avait insisté auprès du pape, et ne manqua

Vie de Dkscartes. 9

�� � 66 Vie de Descartes.

Le retour en France se faisait par la Toscane et le Piémont. Borel assure que Descartes, en passant à Florence, visita Galilée"; cette visite eût été naturelle, en effet, et on s'étonne même qu'elle n'ait pas été faite. Mais notre philosophe déclare, dans une lettre du ii octobre i638, qu'il n'a jamais vu le savant florentin, et n'a eu aucune communication avec lui^ Après tout, Galilée était peut-être à sa maison des champs, lorsque Descartes traversa Florence. Et puis Galilée avait alors soixante ans, et Descartes à peine trente ; il n'était pas encore, loin de là, le philosophe que nous admirons aujour- d'hui, mais un petit gentilhomme inconnu, qui voyageait pour son agrément, tandis que Galilée, mathématicien du grand- duc de Toscane, était à cette date dans toute sa gloire. Une dizaine d'années plus tôt, en 1614, un Français, versé dans l'astronomie, Jean Tarde, théologal de Sarlat, passant aussi à Florence, n'avait pas manqué de rendre visite à un tel

pas de l'en remercier : Panegyricus diâus Urbano VIII pont. max. ob bénéficia in M. Thomam Campanellam collata, imprimé seulement en 1644. (Paris, Cramoizy, in-8.) Campanella trouva un asile en France, où Richelieu le pensionna. Mais il se brouilla avec Naudé, qui s'en plaignit amèrement à Gassend, duns une lettre entre autres, où on lit : « ...Je » reconnus qu'il y avoit de l'impofture manifefte dans fes écrits ; & » qu'ainfi ne foit, vous vous en pouvez éclaircir, en le priant de vous dire » fincerement, s'il eft vray qu'il ait jamais parlé au Diable, comme il dit » en fon Traité De Magiâ Naturali, lequel eft fur la fin De Senfu rerum. » Car s'il vous dit que fi, je luy fauray bien faire fouvenir qu'il m'a avoué » le contraire. Mais donnons encore cela à fa fimplicité. . . » (Les Cor- respondants de Peiresc, publiés par Tamizey de Larroque, fasc. XIII, 1887, p. io3-io5.) Naudé rappelle aussi que jadis le moine emprisonné lui donna « deux traités fort jolis, & avec intention que je les fiffe » imprimer quelque jour, lorfque je ferois en pays de liberté, qui eft à » dire en France, car c'étoit les mots propres qu'il me difoit. » (Ibid., p. 106.) Campanella mourut à Paris en 1639, et Constantin Huygens, qui s'intéressait à ses ouvrages, note sa mort sur son Dagboek : « 21 May. » — Obiit Parifiis 4= matutina P. Campanella annorum 71. »

a. Borel, i656, p. 4 : « In Italiâ verô Galileum aliofque claros conue- » nit viros, indeque ad Gauenfem obfidionem iuxta Genuam venit, & » tandem in Galliam rediit. »

b. Tome II, p. 388, 1. 23-26. Baillet (t. I, p. i23-i25) corrige lui- même à ce sujet l'erreur de Borel.

�� � personnage, et il nous a laissé le récit des entretiens qu’il eut, trois journées de suite, avec le célèbre « philosophe et astrologue », comme il le nomme[18]. On parla naturellement des récentes découvertes dues au télescope, et du télescope lui-même, instrument bien imparfait encore, et dont on aurait voulu corriger les défauts. On parla des taches du Soleil et de la surface « rabouteuse » de la Lune, et de ces planètes 68 Vie de Descartes.

aperçues autour de Jupiter et que Galilée avait appelées Sidéra Medicea, comme il convenait à Florence, tandis que Tarde, fidèle sujet du roi de France, appellera les taches du Soleil, qui pour lui sont de petites planètes, Astres de Bourbon, Bor- bonia Sidéra. On n'oublia pas ces deux petites étoiles visibles par intervalles autour de Saturne, ni surtout Vénus où l'on constate, à la lunette, les mêmes phases que pour la Lune, tantôt pleinement ronde, et tantôt semblable à «c une faucille lumineuse ». Enfin, sans la moindre gêne ni le moindre scru- pule, à cette date de 1614, on parla de Copernic, et de son hypothèse, de plus en plus probable, du mouvement de la Terre autour du Soleil centre du Monde. Selon Tarde encore Galilée est bien connu en France, et on lit ses livres au Collège de Bordeaux; nous avons vu qu'on ne les ignorait pas non plus à La Flèche, Quel dommage que Descartes n'ait pas eu une conversation du même genre avec Galilée en personne, comme il en eut sans doute plus d'une cependant avec des homnes d'études en Italie et surtout à Rome !

De Florence, si tant est qu'il y passa, il gagna le Piémont. Le connétable de Lesdiguières assiégeait alors la petite place de Gavi, et l'enleva aux Espagnols, le 18 avril 1625, pour le compte du duc de Savoie, allié de la France. Borel veut que Descartes ait assisté au siège de Gavi : c'était presque en effet sur sa route, et il suffisait d'un léger détour. Nous somrries d'ailleurs certains que notre philosophe rentra en France par le Mont-Cenis : lui-même le rappelle plus tard, et indique précisément cet endroit comme le plus propre à mesurer la hauteur des montagnes  ; et dans ses Météores, en 1637, à propos des avalanches, il se souvenait d'avoir vu ce phénomène en franchissant les Alpes au mois de mai, sans

a. Voir ci-avant, p. 66, note a. — « Ce fiege dura près d'vn mois ; car » il fut commancé en la fepmaine S" au mois de mars, & finit cedit iour » dix-huictiefme Auril mil lix cens vingt cinq, & a efté fort afpre. « [Mer- cury francois, t. XI, p. 456-457. MDCXXVI.)

b. Tome II, p. 636, 1. 10-12.

�� � doute en mai 1625*. Du Mont-Cenis, il descendit en Savoie, se rendit à Lyon, et revint d’abord en Poitou : une lettre à son père est datée de là, le 24 juin 1625.

Quelles impressions rapportait-il de son voyage en Italie ? Le regret, semble-t-il, de ne pouvoir pas y passer sa vie. Il y pensera sérieusement, en effet : nulle part il ne trouverait autant de facilités d’études ; l’Italie était alors le pays du monde où l’on comptait le plus de savants et où la science était le plus en honneur. N’était-ce pas aussi, comme dira Balzac, ot le pays des orangers —^ » ? Mais précisément Descartes redoute la chaleur, dont aucun ombrage, ni éventail, aucune fontaine n’a pu le garantir à Rome. Il fait trop chaud pendant le jour, et la fraîcheur du soir est malsaine ; enfin la police est insuffisante, surtout la nuit, où coupe-bourses et coupe-jarrets opèrent trop librement. Descartes, qui aime sa tranquillité, sera autrement satisfait de la Hollande. Mais retenons ceci : la question de religion ne fut pour rien dans ce qui l’attira en un pays ou le détourna d’un autre. Le catholicisme de l’Italie, bien qu’hostile à Galilée (hostile à demi seulement, jusqu’en 1633), ne l’inquiétait pas, tant sa conscience se sentait en sûreté de ce côté-là. Pourtant il continuait à se défaire de tout préjugé, au moins dans le domaine de la spéculation, poussant hardiment sa pointe beaucoup plus loin qu’on n’avait jamais fait avant lui, et ne craignant pas d’atteindre les extrêmes limites du scepticisme.

Dans ces conditions, pensa-t-il jamais sérieusement à s’établir en France, à acheter une charge et à se marier ? Baillet raconte que l’occasion se présenta pour lui de devenir lieutenant général à Chàtellerault, mais que le prix de 5o.ooo livres l’effraya : ne pouvant pas y mettre du sien plus de So.ooo livres, il déclina pour le surplus les offres obligeantes d’un ami ^. Ceci

a. Tome VI, p. 3i6, 1. i5-22.

b. Tome I. p. 4-5.

c. Ibid., p. 201, 1. lo-i I, et p. 202-204. Tome II, p. 623, 1. 22-3o.

d. Tome I. p. 4-5. Le grand-père maternel de Descartes, René Brochard, avait été déjà lieutenant général à Poitiers. Voir ci-avant, p. 5.

�� � jo Vie de Descartes.

se passait en 162 5. Or cette année, précisément, Joachim Descartes le père, qui avait déjà fait entrer au Parlement de Rennes son fils aîné Pierre, recommença avec le fils qu'il avait eu de sa seconde femme, Joachim : il lui assura sa propre charge de conseiller, sous réserve que lui-même la conserverait quatre années encore^ Pourquoi se démettre ainsi en faveur de son troi- sième fils, lorsque le second, René, n'était pas jusque-là pourvu ? Etait-ce du consentement de celui-ci, qui aurait renoncé ? En ce cas, dès la fin de 1625, son parti était pris de ne rechercher aucune charge, et sans doute aussi de ne point se marier. C'est là cependant une chose à laquelle sa famille au moins songea pour lui en 1025. Et peut-être y eut-il quelque tentative à laquelle il se prêta. Une dame racontait plus tard qu'elle retint un moment son attention. Mais à la beauté même notre philosophe préféra toujours la vérité. Une belle femme se rencontre trop rarement, disait-il : aussi rarement qu'un bon livre, et un parfait prédicateur. Ajoutons cet argument plus sérieux : il dit quelque part que Balzac était si amateur de

a. Ci-avant p. 11, note b.

b. Baillet, t. II, p. 5oi : « . . .L'on ne doit pas prétendre que M. Def- » cartes ait dû être un Stoïcien fort rigide fur les vues que fes parents luy » avoient données vers l'an 1625, pour prendre une femme, lors qu'ils » luy propoférent d'entrer en charge, & de fe procurer un établiffement. » Dans cette intention, il avoit récherché une jeune Demoifelle de naif- » fance & de beaucoup de mérite, laquelle a été depuis fort connue daiis » le monde fous le nom de Madame du Rofay. [En marge : Rélat. MS. » du P. Poiffon.] Cette Dame n'a point fait difficulté d'avouer dans la » fuite que la Philofophie avoit eu plus de charmes qu'elle pour M. Def- » cartes: & qu'encore qu'elle ne luy parût pas laide, il luy avoit dit, pour » toute galanterie, qu'il ne trouvait point de beauté^ comparables à celles >) de la Vérité. Selon ce que la Dame dit un JDur au Père P..., nôtre » Philofophe encore jeune s'étant trouvé dans une compagnie de per- » fonnes enjouées, y difcourut loug-têms fur les engagemens que l'on » prend avec les femmes. Après avoir marqué à la compagnie l'étonne- » ment où il étoit de voir tant de dluppes, il alTûra qu'il n'en avoit pas » encore été touché jufques-là, & que fa propre expérience (pour ne pas » dire la délicateffe de fon goût) luy faifoit mettre une belle femme, un » bon livre, & un par/ait prédicateur au nombre des chofes les plus diffi- ■» ciles à trouver de ce monde. »

�� � Période de Jeunesse. 71

la liberté, « que même ses jarretières et ses aiguillettes lui pesaient" ». Descartes n'était-il pas un peu comme Balzac ? Ses réflexions lorsqu'un mari perd sa femme, et ses consolations mêmes, à un de ses amis en pareil cas, le donneraient à penser . Sait-on bien d'ailleurs ce qu'il fit, depuis son retour d'Italie, mai ou juin 1625, jusqu'à son départ pour la Hollande, prin- temps de 1629 ou peut-être même automne de 1628 ? Et d'abord où demeura-t-il ? A Paris, ce semble ; mais son séjour n'y fut pas continu, et à plusieurs reprises il passa quelque temps en province. C'est ainsi que, le 22 janvier 1628, il fut parrain d'un neveu, fils de son frère aîné Pierre Descartes, à Kerleau en Elven " ; et trois mois après, le 3o mars, Balzac lui adressait encore une lettre en Bretagne . Peut-être ce fut cet hiver 1627-1628, ou bien l'hiver suivant 1628- 1629, que loin de toute société il préluda à sa retraite définitive en Hollande par un essai dans quelque désert de France, entendez par là quelque coin perdu à la campagne '. Déjà à Paris même il se

a. Tome II, p. 349, 1. 15-17 : lettre à Huygens, août i638.

b. Tome XI, p. 441, 1. 3-5 : « ...lors qu'un mary pleure fa femme » morte, laquelle (ainfi qu'il arrive quelquefois) il feroit fafché de voir » refufcitée ». Et ceci n'est pas une boutade dans une lettre privée, mais un passage du traité des Passions de l'âme. — Quant au mot de Balzac, Descartes le rappelle assez malencontreusement à Huygens, veuf d'une année, et qu'avait beaucoup affligé la mort de sa femme. (Voir t. I, p. 371- 374.) Celui-ci, d'ailleurs, ne se remaria point. Dans un dialogue latin de son parent Gaspar van Baerle, De fecundis nuptiis, où les deux person- nages sont Baerle lui-même, et précisément Huygens (Zulechemius), on lit : « Barl. Penè mihi perfuafifti perpetuae viduitatis inftitutum, exemplo » tuo, & rationibus à tribus L. L. L. petiti?. — Zulech. Quid innuis iftis » tribus L ? — Barl. Liberos, Libros & Libertatem. Tune enim te fecundo » Sponfum fore ais, cùm definent placere Libri, Liberi atque Libertas. » (P. 65. j Conclusion : « Zolech. Si me vis praeeuntem fequi, pro uxore » tibi erunt Liberi, Libri atque Libertas. Haec fi dilexens, non eris iolus. » (P. 83.) Imprimé à la suite du recueil : Faces Augujlœ five Poematia, poésies de J. Cats [Jacobus Catsius) mises en latin par Baerle et Boey. (Dordrecht, typis Henrici Effaei, CI3 ID C XLIII.)

c. Tome I, p. 6.

d. Ibid., p. 569-571.

e. Tome V, p. 558, 1. 23-26.

�� � retirait volontiers des compagnies, afin de méditer plus à l’aise : nous savons, par le témoignage d’un ami qui lui avait donné l’hospitalité, Le Vasseur d’Étioles[19], qu’un beau jour Descartes le quitta, sans lui dire adieu, et demeura quelque temps caché ; on n’apprit que par hasard où il était. Découvert, notre philosophe s’excusa de son mieux, et d’assez bonne grâce, semble-t-il, auprès de la maîtresse du logis, qui Période de Jeunesse. jj

donna ce trait d'originalité à un ami de son mari". Le même Le Vasseur l'emmena alors, ou l'accompagna, dans un voyage en Bretagne et en Poitou. Ici se place une autre anecdote, authentique également, puisqu'elle est rapportée par Le Vas- seur qui en fut témoin. Ce fut une soutenance de thèses à Poitiers, au Collège des Jésuites (en juin ou juillet, vraisembla- blement) : Descartes y assista, et y prit la parole ; le lende- main deux Pères vinrent le remercier de cet honneur. La

��a. Cette anecdote est ainsi contée par Baillet, t. I, p. i52-i54, sous la date de 1628 : « ...Cela le fit réfoudre à fe paffer de luy feul autant » qu'il .luy feroit pofTible, & à fe contenter d'un petit nombre d'amis pour » le foulagement de la vie. Mais fa réputation fut un grand obftacle à

» cette réfoluiion. Elle avoit fait de la maifon de M. le ValTeur [En marge:

» De fon auberge des Trois Chappelets, rue du Four, il s'étoit logé chez

« M. le Vafieur.] une efpéce d'Académie, en y attirant une infinité de gens

» qui s'introduifoient chez luy à la faveur de fes amis. . . Ces compagnies

» commencèrent à luy rendre le féjour de Paris onéreux, & à luy faire

» fentir fa propre réputation comme un poids infupportable. . . Et pour

» commencer à fe délivrer des importunitez de ceux qui le fréquentoient

» trop fouvent, il quitta la maifon de M. le Vaffeur, & alla fe loger en un

« quartier où il devoit fe dérober à leur connoiffance, & ne fe rendre

» viliblc qu'à un très-petit nombre d'amis qui avoient fon fecrei. M. le

» Vaffeur [En marge : Relat. MS. de M. le Vaff.], à qui il n'avoit point

» juge à propos de le communiquer, fut quelque téms en inquiétude, ne

« trouvant perfonne qui pût luy apprendre de fes nouvelles. Mais le

» hazard luy ayant fait rencontrer fon valet de chambre dans les rues au

» bout de cinq à fix femaines, il l'arrêta fur le lieu, «Se l'obligea après

» beaucoup de refiilance de luy découvrir la demeure de fon maître. Le

» valet, après luy avoir ainfi révélé le principal de fon fecret, ne fit plus

» difficulté de luy déclarer le rerte. Il luy conta toutes les manières dont

» fon maître fe gouvernoit dans fa retraite, & lui dit entre autres chofes

» qu'il avoit coutume de le lailler au lit tous les matins lors qu'il fortoit

» pour exécuter fes commilTions, & qu'il efpéroit de l'y retrouver en:ore

» à fon retour. Il étoit prés d'onze heures, & M. le Vaffeur qui revenoit

» du Palais, voulant s'affurcr fur l'heure de la demeure de M. Defcartes,

» obligea le valet de fe rendre | fon guide, & fe fit conduire chez Mon-

» fieur Defcartes. Lors qu'ils y furent arrivez/ ils convinrent qu'ils entre-

» roicnt lans bruit, «Se le fidèle conducteur ayant ouvert doucement l'anti-

» chambre à M. le Valleur, le quitta auiïî tôt pour aller donner ordre au

» dîner. M. le Vaffeur s'ètant glillè contre la porte de la chambre de

» M. Defcartes, fe mit à regarder par le trou de la ferrure, & l'apperçut

Vie de Descartis. 10

�� � 74 Vie de Descartes.

cordialité des relations continuait ainsi entre l'ancien élève de La Flèche et les Jésuites \

Ces petits voyages exceptés, on peut admettre que pendant les trois années 1626, 1627 et 1628, notre philosophe vécut à Paris. Sans appuyer plus qu'il ne convient sur certains traits, on entrevoit cependant alors un Descartes jeune, vêtu à la mode (c'était la couleur verte en ce temps-là) , ne détestant ni la musique ni le jeu, et même heureux au jeu"; lisant même des

» dans l'on lit, les fenêtres de la chambre ouvertes, le rideau levé, & le » guéridon avec quelques papiers prés du chevet. [En marge : Rél. MS. » ibid.] Il eut la patience de le confidérer pendant un têms confidérable, » & il vid qu'il fe levoit à demy-corps de têms en têms pour écrire, & le » recouchoit enfuite pour méditer. L'alternative de ces poftures dura prés » d'une demie heure à la vue de M. le Vaffeur. M. Defcartes s'étant levé » enfuite pour s'habiller, M. le Vaffeur frappa à la porte de la chambre » comme un homme qui ne faifoit que d'arriver & de monter l'efcalier. » Le valet, qui étoit entré par une autre porte, vint ouvrir, & affefta de » paroitre furpris. Monfieur Defcartes le fut tout de bon, quand il vid la » perfonne qu'il attendoit le moins. M. le Vaffeur luy fit quelques repro- » ches, de la part de Madame le Vaffeur, qui s'éioit crû méprifée dans la » manière dont il avoit abandonné fa maifon. Pour luy, il fe contenta dé » luy demander à dîner, afin de fe racommoder enfemble. Apres midy » ils fortirent enfemble pour aller trouver Madame le Vaffeur, à qui » M. Defcartes fit toute la fatisfaftion qu'elle pouvoit attendre, non d'un » Philofophe, mais d'un galant homme qui fçavoit l'art de vivre avec tout » le monde. « Voir, pour une autre anecdote semblable, qui paraît n'être qu'une réplique anticipée de celle-ci, p. 35-36 ci-avant, note b.

a. Baillet, t. I, p. i36, place l'anecdote à l'année 1626 : « Pendant » qu'il ctoit en cette dernière ville {Poitiers), on vint prier M. le Val- » feur de vouloir honorer une théfe de fa préfence dans le collège des » Jéfuites [En marge : Rel. de M. le Vaff. MS.l M. le Vaffeur convia » M Defcartes de vouloir l'y accompagner : ce qu'il fit avec plaifir, quoy » qu'il fût déjà en réputation de ne pas eftimer la fcolaftique, ou la manière » dont les Pèripatéticiens traitent la Philofophie. Il voulut difputer même » à la théfe, & les Jéfuites fe tinrent tellement honorez de la manière dont » il en ufa dans un difcours latin qu'il fit d'abord, & dans fes argumens, » que le Père Recleur députa le lendemain deux Pérès de la Compagnie » pour l'aller remercier, »

b. Tome XI, p. i58, 1. i5-2o. Voir une note précédente, p. 72, note a, fin.

c. Tome IV, p. 529-530.

�� � Période de Jeunesse. 7^

romans, tout au moins VAmadis pour lequel il conservera tou- jours un faible """j ne reculant pas à l'occasion devant un duel (il connaissait bien, théorie et pratique, l'art de l'escrime)^, faisant d'ailleurs grâce de la vie à un adversaire qu'il avait désarmé, et ne lui imposant d'autre condition que de se pré- senter ainsi devant la dame pour les beaux yeux de qui l'on s'était battu : tels bientôt Rodrigue et don Sanche, dans le Cid de Corneille.

C'étaient là les mœurs du temps. Mais en outre, quelle atmosphère intellectuelle respirait-on à Paris, et comment un apprenti philosophe y pouvait-il être aidé dans son dessein de tout réformer ?

Descartes s'intéressait, sans doute, aux productions litté- raires, lui qui dès le collège avait été, dit-il, « amoureux de la » poésie'^ ». La vogue, pendant cette période de 1618 à 1626, fut à certains recueils de vers, fort licencieux, où une impiété

a. Tome I, p. 397, 1. 16-17, " P- ^9^-

h. Voir l'anecdote de Mad« du Rosay, t. X, p. 538. Il circulait encore une autre anecdote, mais dont Baillet a fait justice :

« Je fçay que quelques efprits oififs, dont toute l'induftrie confifte à forger » des aventures, s'entretiennent encore de quelque galanterie prétendue » que l'on a fauffement attribuée à M. Defcartes, touchant une Dame de » Touraine, qui fe vantoit d'avoir autrefois touché fon cœur, & de n'avoir » pourtant jamais reçu de luy que des civilitez innocentes. Elle s'appe- » loit de la Michaudiére, félon les uns, & de la Menaudiére félon les » autres. Il eft vray qu'il y avoit à Tours une Dame de ce dernier nom, )' du têms que M. Defcartes étoit en Hollande. Mais félon M. delà Barre » [En marge: Lettre à M. Legr. du 17 Août 1690. Lettre du 3o Août » 1690.] elle avoit le génie fi médiocre, que fon mérite n'a jamais pu » toucher ce grand Philofophe. Elle mourut le xxviii d'Août 1690, d'une » manière toute fubite. Il faut avouer que cette Dame ne s'étoit pas mis » trop en peine pour réfuter ou démentir ceux qui la complimentoient » fur ce point, ne fe croyant pas obligée de rejetter l'honneur qu'elle y » croyoit attaché. Mais il eft certain que M. Defcartes n'avoit jamais vu » cette Dame; & que cette Dame n'avoit jamais vu M. Defcartes qu'en » peinture, fur un tableau que M. l'abbé de Touchelaye avoit | rapporté » de Hollande au voyage qu'il y fit avec M. l'Abbé Picot en 1642, pour » aller rendre vifite à nôtre Philofophe. » (Baillet, t. II, p. 5oo-5oi.)

c. Tome VI, p. 7, 1. ro-i i.

�� � 76

��Vie de Descartes.

��fantaronne le disputait, il faut bien le dire, à la plus grossière obscénité^. Ils n'en .étaient que plus goûtés des jeunes sei- gneurs de la cour; n'en déplaise à Boileau plus tard, on les voyait, tous à l'envi,

A Malherbe, à Racan préférer Théophile.

Un de ces recueils pourtant parut dépasser les bornes, le Ramasse satyriqiie, publié en 1622, puis en i623. Le 1 1 juillet 1623, le Parlement ordonna d'arrêter quatre des auteurs, que l'on connaissait, en particulier Théophile de Viau. Pourtant huit à dix pièces seulement étaient de lui, sur 385, et encore une seule portait son nom ; mais c'était la première, en tête du

a. Le procès du poète Théophile de Viau [11 juillet 1623 au t" sept. 1625], par Frédéric Lachèvrk. (2 vol. in-8, Paris, Honoré Champion, 1909, xLvi-592 et 448 pages.) Voir t. I, p. xxv-xxviii, la liste des recueils en quesiion : Le Cabinet fatyrique, 1618, cinq fois réimprimé. Les Délices fatiriques, 1620.

b. Ibid., t. I, p. 1 1 3 : Le Parnajfe des Poètes fatyriques, M.DC.XXII, si!ns nom delibraîie, suivi de La Quint-ejfence Satyrique, ou Seconde partie du Parnajfe dei Poètes Satyriques de nojlre temps. Recherche^ dans les Œuvres fecrettes des auteurs les puis jlgnale^ de nojlre Jiecle. (A Paris, chez Anihoine de Sommaville, au Palais, en la Gallerie des Libraires près la Chancellc/ie. M.DC.XXII.) Ces deux recueils in-8 n'en forment, en réalité, qu'un seul. Le premier a 6 ff . lim. et 208 p.; le second est paginé irrégulièrement : 1-208, 207-222, 233-28o. Les deux parties renfermaient 385 pièces (i65 -(- 220) dont 128 de 18 poètes nommés, et 257 anonymes. Le nom de Théophile Hgurait en tête de la première pièce : « Sonnet par le fieur Théophile : Phylis, tout ejl f...,je meurs de la » V... », et ne reparaissait plus de tout le recueil. L'arrêt du 1 1 juillet 1623 ordonna d'appréhender au corps : Théophile, Frenide {sic, pour Frenicle), Colletei et Berthelot. — Le Parnajfe fatyrique fut réimprimé tel qi'el en septembre 1623, à dessein, semble-til, par les- ennemis de Théophile pour activer son procès. En 1623, pour la même raison, on en donna deux éditions nouvelles, avec son nom en vedette dans le titre : Le Par- najfe fatyrique du Jieur Théophile M.DC.XXV, in-8 de 38o pages. Le rnajfe des poètes Jatyriques ou dernier Recueil d:s Vers picquans et gr-! lards de nojlre temps. Par le Jieur Théophile. M.DC.XXV', in-8 de 38o pages. Dans ces deux éditions de i625, tout autre nom de poète a disparu (sauf Colletet, pour une. pièce seulement), afin de faire retomber sur Théophile, comme seul auteur, tout le poids de l'accusation.

�� � recueil, qui lui fut ainsi attribué. Le poète Théophile était comme le prince de cette folle jeunesse. Banni déjà le 14 juin 1619, il était rentré en France, grâce à de puissantes protections : il promettait d’ailleurs de se convertir au catholicisme (étant né protestant), et se convertit en effet, après la mort de son père en 1622. La première partie de ses œuvres fut publiée par Desbarreaux en 1621 ; elle commençait par une traduction française du dialogue de Platon, « de l’immortalité de l’âme » : les mauvais plaisants disaient « de la mortalité[20] ». Une seconde partie parut en 1623. Théophile avait pris la fuite, et s’était caché, non loin de Paris, à Chantilly, chez le duc de Montmorency. Un nouvel arrêt du Parlement le condamna, par contumace, à être brûlé en effigie, ce qui fut exécuté le jour même, 19 août 1623. Théophile jugea prudent de s’éloigner davantage ; mais comme il allait passer la frontière, il fut rattrapé au Catelet en Picardie, ramené à Paris sous bonne escorte, et emprisonné à la Conciergerie, dans la tour de Montgommery, le 28 septembre 1623. Son procès, un des grands procès du siècle, dura près de deux ans. Enfin, le 1er septembre 1625, l’arrêt définitif fut rendu, qui mettait à néant « les deffaux, contumaces et jugemens donnez contre ledict Theophille », mais « pour réparation des cas mentionnez audict procez », le bannissait à perpétuité du royaume de France. En même temps, par compensation, le Jésuite qui avait machiné toute cette méchante affaire, le P. Voisin, recevait l’ordre, « sans 78 Vie de Descartes.

» délais et sans répliques », de sortir aussi du royaume. Théo- phile ne se pressa point cependant de quitter Paris : il y demeura, plus ou moins caché, jusqu'à la mi-novembre i625 ; puis il accompagna quelques grands seigneurs à l'île de Ré, au château de Selles en Berry, enfin à Chantilly. Les premiers jours de septembre 1626, il revint même dans la capitale, mais pour y mourir presque aussitôt, le 25 septembre, à trente-six ans ; le lendemain, son protecteur, le duc de Montmorency, le fit inhumer en grande pompe : on ne comptait pas moins de dix-huit prêtres dans l'assistance '.

Descartes avait été absent pendant ce long procès : c'étaient les deux années de son voyage en Italie. Mais il se trouva de retour lors de la condamnation, qui ressemblait assez à un acquittement ; et il lut sans doute, comme tout le monde, ces pièces légères, en vers et en prose, que Théophile avait lancées de sa prison, pour se justifier même au prix de désa- veux et de repentirs, et qui, deux années de suite, en 1624 et en 1625, entretinrent la curiosité du public et sa sympathie. Elles ne cessèrent même point avec l'arrêt du i" septembre 1625, et il en parut encore jusqu'à la fin de cette année et l'année suivante S Ou s'il ne les a point lues, au moins con- naissait-il les œuvres de Théophile publiées dès 1621. Il en avait appris des vers par cœur, et s'en souvenait encore vingt- cinq ans plus tard : en 1647, dans une lettre à son ami Cha- nut, il cite de mémoire (et c'est la seule citation qu'il ait faite d'un contemporain) un quatrain de Théophile, le poète de leur jeunesse "'.

a. L.vcHÈvuE, loc. cit., i. I, p. 5o4-5o5, 5o6, S-S-Sjo.

b. Ibîd., t. II, p. 261 : ///^ Partie — Recueil Je toutes les pièces faites par Théophile, depuis fa prife jufyues à prefent. Mi/es par ordre. (A Paris, s. n., M.DC.XXV. In-8, p. 1-124.) On trouve le détail de ces pièces, ibia., p. 273-27S, ii" 25 346 inclus; une seulement est de iÔ23, onze de 1624, quatre de lôsS.

c. Ibid., t. Il, p. 280-285 : Pièces poui ou contre Théophile. N" 52 à 86 inclus.

d. Tome IV, p. 617, 1. 1-7 : lettre du r lévrier 1647. Voir Lachkvri:, loc. cit., i. II, p. 367. Ces vers se rcirouveni dans un Projet d'interroffa-

�� � Période de Jeunesse, 79

Les amis de Théophile n'avaient point tous fait preuve, au cours du procès, d'une grande fidélité. Desbarreaux lui-même, son premier éditeur et son ami de prédilection, « son bien- » aimé », comme on la appelé avec des sous-entendus vilains, se tourna un moment contre lui : Desbarreaux, bientôt à son tour prince des débauchés et des athées, mais qui sollicitait pour lors un siège de conseiller au Parlement de Paris, où il fut nommé le 3i mai i625\ Balzac lui-même, le trop léger

toire, parmi des questions toutes préparées, mais qui n'ont pas été posées à l'accusé. La proposition incriminée était : « Qu'il aimeroit mieux avoir » mis le feu à sa patrie que l'avoir irritée (sa maîtresse], et que Paris fit. » bien d'allumer l'embrasement de Troie pour amortir le sien. » (Ibid., t. I, p. 406.1 Toute la pièce, assez vive et légère de ton, n'a d'ailleurs rien d'obscène.

a. Jacques Vallée S^ des Barreaux, né à Châteauneuf-sur-Loire, le 6 nov. iSgg, fils d'un conseiller au Parlement de Paris, qu'il perdit le 24 nov. 1622, devint aussi conseiller en la même cour le 3i mai 1625, mais ne conserva pas sa charge ; il mourut à Chalon-sur-Saône, le 9 mai 1673. Ce fut le type du libertin et de l'athée au xvii« siècle. Descartes le connut-il? Peut-être. Mais à quel moment? Baillet assure, t. IT, p. 176, que Desbarreaux vint le voir en Hollande, l'été de 1641 ; mais Baillet cite en marge des lettres à Merscnne, dont il ne donne que les dates ; aucune de celles qui nous ont été conservées, ne nomme Desbarreaux ; et tout au plus se risque-t-on à le deviner dans un passage d'une lettre du 4 mars 1641, t. III, p. 332, 1. 6-9. Toutefois on peut alléguer deux textes de la correspondance entre Balzac et Chapelain. Dans les premiers jours d'août 1640, Balzac parle à ce dernier de « l'entreprife héroïque d'un » galant homme qui a paffé en ce pais, & qui va cherchant la vérité & » le bon vin par mer & par terre. Pour cet effet, il médite un pèlerinage » vers Monfieur Descartes à l'imitation de celui d'Apollonius vers Hiar- » chas. Néanmoins il remettra la vérité & Monfieur Descartes à l'année » prochaine, & ne paffera pas la mer, de cette campagne... Pour le » moment, il vifitera la Gafcogne, le Languedoc & s'arrefiera, pour faire » vendange à Frontignan. n A quoi Chapelain repond, le 11 août 1640 : « Nous verrons comment il l'exécutera (l'entreprife ou la penfée de B trouver la vérité & le bon vin) & s'il s'acquittera aulTi bien de celle qui » regarde l'Angleterre que de celle qui regarde la Provence. A vous en » dire toutefois mon opinion, je croy que l'année qui vient, il n'ira point » chercher Monfieur Descartes & qu'il fe contentera de ce voyage cy pour » tous les deux. Il croira fans doute qu'ayant trouvé le vin, il aura trouvé » la vérité. » Et le i5 déc. 1640 : « L'illuftre débauché n'eft pas encore » de retour. » Notons que, dans ces textes, il n'est pas question de la

�� � 8o V[K DE Descartes.

compagnon de Théophile dans un voyage en Hollande l'année i6i5, se montra dur pour lui, et injuste, et odieux, dans le recueil de Lettres qu'il publia en 1624, lorsque le poète était en prison, menacé de perdre la vie '. Descartes connut tout ce monde, et le coudoya du moins, si même il n'y fut mclé. En 1628, dans une querelle littéraire, il prit parti pour Balzac, qui venait de publier un second recueil de Lettres : il est vrai que le grand épistolier avait composé trois dissertations adressées « à Monsieur des Cartes », où l'on retrouve des maximes de morale, d'un stoïcisme mitigé, tout à fait sem- blables à celles que notre philosophe avait adoptées lui-même en 1619 '\ Ce serait à croire qu'il les lui a empruntées, afin de les mettre en beau langage : lui qui, comme le lui reprochait

Hollande, mais de PAngleterre, et qu'on parle de passer la mer. Chapelain croyait donc Descartes en Angleterre, sur la loi de Mersenne, qui le croyait lui-même, pour avoir ainsi inierprcté un passage d'une lettre du philosophe : lettre du i'^' avril 1640, t. III, p. 5o, 1. i3-20, et lettres du i3 et du 19 mai, t. IV, p. 2i3. Descartes, il est vrai, le détrompa, le 11 juin: t. III, p. 87, 1. 14.

a. LACHiiVRE, toc. cit., t. II, p. 171-187. Lettre à Boisrobert, du 12 sep- tembre, et lettre à Bouthillier, évcque d'Aire, du 20 septembre 1633. Ce sont les lettres XI et IX du recueil intitule : Lettres du S' de Balzac. (A Paris, chez Toussainct Du Bray, rue S. .lacques, aux Kpics Meurs. M.DC.XXIIII. Avec privilège du Roy.) Dans la première de ces deux lettres, on lit entre autres choses : « .le ne veux pas entreprendre fur la » Cour de Parlement, ny prévenir fes Arrefts par mon opinion : aulfi » bien, de penfer rendre cet homme là plus coupable qu'il s'ell fait luy » mefme, ce feroit jetter de l'encre fur le vifage d'un More. » A sa sortie de prison, Théophile y fit une réponse cinglante, qui ne fut imprimée qu'après sa mort, dans une édition de ses Œuvres en 1629, à Rouen, chez Jean de la Mare. A leur voyage en Hollande, Théophile (né à Clai- rac en Agenois, l'année 1590) avait vingt-cinq ans, et Balzac di.x-huit. Les jeunes gens se firent même inscrire à l'Université de Leyde, le 8 mai i6i5 : Balzac à la Faculté de Droit, et Théophile à la Faculté de Méde- cine. A Leyde, Balzac eut une assez vilaine histoire, dont Théophile semble l'avoir tiré. Il s'en souvint à !a suite des attaques de 1624; sa riposte se termine ainsi : « après une très exacte recherche de ma vie, il fe » trouvera que mon adventure la plus ignominieufe eft la fréquentation » de Balzac ». [Ibid., t. I, p. 10, et t. Il, p. i83.)

b. Tome I, p. i2-i3 et p. 56c).

�� � Théophile, « ne donnoit au public que ce qu’il avoit pillé des particuliers, et n’écrivoit que ce qu’il avoit luErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. ». Ces maximes sont d’ailleurs purement païennes, au bon sens du mot, et Balzac comme catholique était sujet à caution beaucoup plus que Descartes. Alla-t-il à Lorette, lors de son voyage en Italie l’année 1621 ? On ne sait pas ; toujours est-il qu’en 1623, il a parlé du pèlerinage, d’un ton singulièrement leste et sans révérence aucune[21].

Les esprits libres ne manquaient donc pas, à Paris et en France, ou plutôt les esprits forts, les libertins, bien que le procès de Théophile les rendît, à partir de 1625, beaucoup plus retenusErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.. Le P. Mersenne, dans un passage de son in-folio, achevé d’imprimer le 1er février 1623, évaluait leur nombre à 50.000 dans la seule ville de Paris, passage d’ailleurs presque aussitôt supprimé, et qu’on ne retrouve que dans de très rares exemplaires[22]. Le P. Garasse, dans sa

a. Ciié par Lachkvre, t. II, p. i83 : réponse de Théophile aux deux lettres de Balzac, ci-avant note a. Garasse, que Balzac avait aussi malmené, bien que ce fût son ancien professeur, lui répond entre autres choses : « …Ne rongez pas vos pattes comme un ours, pour produire en » iix mois une lettre de trois pages. » (Ibid., p. 199.)

b.

c. Lachèvri :, loc. cit., t. I, p. xxiv, a fait une curieuse statistique : « De » 1598 à 1625, onze recueils libres voient le jour en deux périodes : iSgS » 1607, cinq recueils ; 1614-1625, six recueils, sans compter quarante » deux réimpressions, alors (assure-t-il) que de 1626 à 1700, on ne » rencontre aucune publication nouvelle comparable en licence auxdits » recueils… » Et il pense être en droit de conclure que le but a été atteint : « Le libertinage a été étouffé en 1625, sans qu’il en ait coûté une » vie d’homme. L’atmosphère morale a été assainie. » (Page xxi.) Il va jusqu’à dire que la condamnation de Théophile, i" septembre 1625, est « une date qui marque la tin d’une période historique ». (Page 5o5.) N’exagérons rien.

d.

VlK DK DksCAKTKS. | |

�� � 82 Vie de Descartes.

Doctrine curieuse des beaux-esprits^, n'en compte pas tant, une centaine seulement contre loo.ooo bonnes âmes, et semble plus près de la vérité. Son gros livre de io25 pages (approuvé, notons-le, de Malherbe et de Racan) est surtout, lui-même le déclare, un Anti-Théophile : l'achevé d'imprimer, coïncidence fâcheuse, est du i8 août i623, juste la veille du jour où le poète fut brûlé en effigie. Le Jésuite, car c'en est un, s'y montre à la fois grossier et féroce : comme pour dicter aux juges leur sentence, il rappelle complaisamment le supplice, à Toulouse, 9 févriei 1619, du « prince des athées », Lucilio Vanini, « pauvre papillon », dit-il, « qui du fond de l'Italie est venu » se brûler au feu du Languedoc » . Il rappelle le supplice plus récent, à Paris même, en 162 1, de Jean Fontanier, convaincu aussi du crime d'athéisme, et se demande comment on ose encore, lorsqu'on est athée ou simplement déiste (c'est tout un à ses yeux), traverser sans frémir la place de Grève à Paris i^. Et il s'emporte contre la confrérie licencieuse de la « Croix de » Roses"^ ». Quelques vingt ans plus tard, en Hollande, Vanini

» athées, et celle qui la précède, ont été remplacées par un carton où le » chiffre formidable a disparu. Bien mieux, dans la préface, Mersenne » déclare que les impies exagèrent leur nombre. L'exemplaire de la 1) Bibliothèque nationale renferme les pages originales et le carton. . . >>

a. La Doâtine curiettfe des beaux efprits de ce temps ou prétendus tels, combattue & renverfée, par le P. François Garasse de la Compa- gnie de Jésus. I Paris, Sébastien Chapelet, 1623. In-4, i025 pages.) Garasse naquit à Angoulême en i585, et mourut à Poitiers, le 14 juin i63i. Nombre des athées, p. 788. Supplice de Vanini, p. 144-147; de Fontanier, p. 147-154. — Mersenne aussi, dans ses Qucejliones etc., de la même année, disait : « exemple Vanini, Atheorum Cœfaris ». (Page i56.!

b. Ibid. : « Malheureux, olez-vous bien paffer en Grève fans frémir, & » lans vous fouvenir qu'il y a encore allez de place pour vous, affez de » bois pour vous réduire en cendres, etc. ? » (Page 702.)

c. Ibid. : « Comme qui diroit les frères obliges au fec.et, les frères » cabaliftes, les frères bons ivrognes, qui portent bien le vin, & qui ne » publient leurs fecrets que dans les tavernes. « (Page 84.) Il rappelle que c'est la coutume en Allemagne « qu'en toutes les falles des hoftelleries il y » ait fur la table une couronne de rofes ou fraîches ou feiches, pendue au » plancher, pour dire qu'il faut garder le filence & s'oublier des paroles

�� � Période de Jeunesse. 85

est également le nom que Ton jettera à la tête de Descartes ; et les théologiens protestants d'Utrecht, plus acharnés contre lui que ne seront les catholiques et les Jésuites, voudront aussi faire brûler ses livres par la main du bourreau.

Pourtant le libertinage, comme on disait alors, pas plus celui de l'esprit que celui des moeurs, ne tenta jamais notre philo- sophe; au contraire, il entreprit plus tard de le combattre, et ce fut même une de ses raisons d'écrire. Les nouveautés phi-

  • losophiques ne paraissent pas l'avoir tenté davantage; et s'il

s'est rencontré avec les novateurs dans le même dessein de renverser Aristote, il ne s'accordait guère avec eux sur la doc- trine à mettre à la place. Il les cite tous une fois dans la même phrase, Telesio, Campanella, Bruno, Basson, Vanini, sans insister sur aucun d'eux : il avait peu lu ces auteurs, se con- tentant de jeter un coup d'œil sur les tables des matières, de feuilleter çà et là quelques pages, et refermant bientôt leurs gros livres où il ne trouvait rien qui le satisfît. Les modernes, pour lui, avaient les mêmes défauts que les anciens : le vrai- semblable leur tenait lieu an vrai, et était accepté par eux à ce titre. Mais on n'a pas le droit de dire alors qu'on sait, au

» licentieufes qui auront efté proférées parla chaleur du vin ». Et il cite le distique de Martial :

Inde rofam menfis hofpes fuf pendit amicis, Conviva ut fub ed diâa tacendafciat.

« Les frérots de la Croix des Rofes », dit encore Garasse, « ont efté con- » damnés à Malines comme magiciens & fous ce titre : pernicioftjffima » magorum Jocietas. » (Pages 90-91.) Enfin il donne ce détail curieux : règle de la confrérie, Omnes fratres virginitatÈm voveant. (Page 91.)

Les Rose-Croix ne furent pas oubliés dans le procès de Théophile. Dans le cinquième interrogatoire {7 juin 1624), dans le sixième (i5 juin 1624), et dans la comparution finale devant le Parlement, on lui demande : « Sy » c'eft luy qui a compofé ou fait imprimer un livre intitulé Les Enffans de » la Croix Ro\e, qui eft plain d'impieitez. » Théophile s'en défend avec énergie. (Lachèvre, t. I, p. 436, 444-445, 453 et 5oo.) Il y eut d'ailleurs nombre de publications à Paris, sur les Frères de la Rose-Croix, le années 1624 et 1625. (Variétés historiques et littéraires, par Édouai FouRNiER, Paris, chez P. Jannet, i855, t. I, p. 11 5-126.)

�� � sens propre du mot : savoir, c’est connaître ce qui est vrai indubitablement, et qu’on peut enseigner comme tel. Autrement, on usurpe le nom de savant ou de docte, et on abuse du terme d’enseigner, lequel n’a point de sens, là où il n’est point possible de démontrer[23]. Toutes ces attaques contre la scolastique n’étaient donc à ses yeux que des escarmouches, des combats d’avant-garde : l’action décisive n’avait pas encore été engagée[24].

La scolastique d’ailleurs, se sentant menacée, allait appeler à sa défense, comme la théologie, le bras séculier. Prudemment déjà Basson avait fait imprimer son livre hors de France, à Genève, en 1621 ^. Pierre Gassend, qui vivait loin de Paris,


c. Philofophia : Naturalis adverfus Arijiotelem Libii XII. In quibus abftrufa veterum phyliologia reltauratur, & Ariltotelis errores folidis rationibus refelluniur. A SEnAsriANo Bassone, doftore medico. Avec cette devise : « Amicus Plaio. amicus Socrates, fed magis arnica veritas. » La première édition parut à Genève en 1621 ; la seconde, qui n’est qu’une réimpression, paraîtra à Amsterdam, chez Louis Elzevier, en 1649. (In-8, 16 f. lim.. 63 I pages, et 40 pour la table.) Brucker en parle ainsi, Hift. Crit. Philojuphia’(Lipliie, 1766), t. IV, p. 467-468 : « …Sebartianum » Baffonem, qui in Prœfatione Philofophice naturalis IclUi dignilTima, >i tedatur, laboratiijje plurimos, vt veritatem quafi jepitltam eruerent, » int^cntia faxa. qiiœ viam prcepediebant, velfubmouijfe. veî certe crebris

�� � Période de Jeunesse. 85

fit paraître le sien à Grenoble en 1624 : Exercitationes para- doxicœ adversus Aristoteleos". Ce fut justement cette année 1624 (on était au plus fort du procès de Théophile, et la période de 1623 à 1625 est signalée décidément par une répres- sion rig-oureuse des idées nouvelles), qu'éclata l'affaire des thèses contre Aristote, Celles-ci, au nombre de quatorze, devaient être disputées publiquement, les samedi et dimanche, 24 et 25 août (jour de la Saint-Louis), par trois compagnons,

» difputationum iâibus valde concuffijfe, vt non difficile effet, ea remo- » uere, atque via facili ad veritatem peruenire. Imtno fuijfe plures » eorum, quitus complûtes Arijiotelicœ doârinœ falfttates paterent, » eafque non diffxmulajje. Quia tamen Peripatetica philofophia publico » fenatûs decreio iniunfla, régis auftoritate firmata, academia; Parifienfis » confenfu recepta fuit, nemo fere fuit, qui, quac inter amicos dilTerebat, » aui apud iuvenes difceptabat, publiée proloqui auderet, donec anno » MDCXXI, laudatus Sebaftiaiius Baflb, vir, ut iudicat Launoius acer- » rimi iudicii et fcientice maximœ, in libro modo addufto fignum quafi » tolleret, claflîcumque acf debellandam Ariflotelis philofophiam natu- » ralem caneret. Et tamen verifimile. elt, eum Parifiis id aufum non elfe; » liber enim iile non in Gallia, fed apud Geneuenfes anno MDCXXI » prodiit, poftea in Belgio obinfignem eruditionem recufus. »

a. Gassend (Pierre), né le 2% janvier 1552 à Champtercicr près de Digne en Provence. Élu théologal de l'église de Digne, le i" sept. 1614; ordonné prêtre en 1616, dans sa 25""= année; enseigna la philosophie à Aix, de 1617 à 1622 ; prépara et publia son ouvrage à Grenoble en 162JJ et 1624. Dédicace au baron d'Oppède, premier président du Par]eme,nt de Provence. Préface à Joseph Gaultier, prieur de la Valette (près de Toulon) : 24 févr. 1624. Gassend, qui avait été une première fois à Paris, avril-novembre 161 5, y revint en septembre 1624 (son livre avait paru à la fin d'août). En mars i625, il observe une éclipse avec Claude Mydorge, Mais en avril il retourna en Dauphiné et en Provence. Il revint encore à Paris en mai 1628; mais il partit sur la fin de cette année pour un voyage dans les Pays-Bas, en compagnie de Luillier. Ils furent absents neuf mois, et ne rentrèrent à Paris qu'en août 1629. Pendant cette première période, Descartes n'eut donc aucune occasion, semble-t-il, de rencontrer Gassend. (Paul Tannery tenait beaucoup à lui restituer ce nom, qui est en effet le sien, bien que l'usage ait prévalu de l'appeler Gassendi.) Le P. Fournier, entre autres, dans son Hydrographie en 1643, par exemple p. 578-583, imprime toujours : Munfteur Gajfand. Et dans les vers que nous avons reproduits, t. V, p. 495, v. 19 et 20, Gassend rime avec impuissant.

�� � 86 Vie de Descartes

Jean Bitault, Etienne de Claves « médecin chymiste », et Antoine Villon « le soldat philosophe ». Une des plus belles salles de Paris avait été retenue, et près de mille personnes y étaient assemblées déjà. Cette propagande par la parole parut sans doute plus dangereuse que celle des livres : avant que la dispute ne fût commencée, l'ordre vint du Premier Président d'évacuer la salle. Puis, à la requête de la Sorbonne, le Par- lement rendit aussitôt un arrêt, le 4 septembre 1624, ordon- nant que les thèses fussent lacérées, et les trois auteurs exilés du ressort de la Cour de Paris ; en outre, défense fut faite, « à peine de la vie », d'enseigner aucune maxime contre les anciens auteurs. La plus grande publicité fut donnée à cette affaire, notamment par le Mercure françois, qui la rapporta tout au long-'. Le P. Mersenne et Jean-Baptiste Morin approu-

a. Mercure français, tome X (imprimé en 1625, et contenant les années, 1623, 1624 et 1625), page 5o3-5i2. Texte de l'Arrêt du Parle- ment contre les trois nouveaux Philosophes Anti-Péripatéticiens :

« Veu par la Cour la Requefte prefentee le 28 Aouft 1624 par les » Doyen, Syndics & Doileurs de la Faculté de Théologie en rVniuerfité » de Paris, tendant à ce que, pour les caufes y conienuës, fuft ordonné » que les nommez Villon, Bitault & de Claues comparoiftroient en per- » fonne, pour recognoiftre, aduoùer ou deladuoûer les Theles par eux » publiées, & ouy leur déclaration eftre procédé contr'eux ainlî que de » raifon : cependant permis faire laifir lefdites Thefes, & deffenles faites » de les difputer : coppies imprimées defdites Thefes, pour ertres agitées » en public le 25 Aouft : Arreft du 29 dudit mois, par lequel- ladite » Cour auroit ordonné, que lefdites Thefes feroient communiquées aux » Doiileurs de la Faculté dé Théologie pour donner aduis fur icelles : » l'aduis de ladite Faculté du 2 Septembre contenant la cenfure des pro- » politions contenues efdites Thefes : le procez verbal de CalTault Huif- » fier, du 3 Septembre, contenant la perquifition .faite dudit Villon, ledit » de Claues ouy, conclurions du Procureur General du Roy, & tout » confideré,

B La Cour, après que ledit de Claues a efté admonefté, ordonne que » lefdites Thefes feront defchirees en fa prefence, & que commandement » fera fait par l'vn des Huiffiers de ladite Cour aufdits de Claues, Villon ■a & Bitault, en leurs domiciles, de fortir dans 24 heures de cefte ville de » Paris, auec deffenfes de fe retirer dans les villes &. lieux du relVort de » cefte Cour, enfeigner la Philofophie en aucune des Vniuerfitez d'iceluy, » & a 'outes perfonnes de quelque qualité & condition qu'ils foient,

�� � Période de Jeunesse. 87

vèrent la Sorbonne et le Parlement, dans leurs livres en i625\ Descartes, à son retour d'Italie, en eut certainement connais-

• mettre en difpute lefdites propolîtions contenues efdites Thefes, les » faire publier, vendre & débiter, à peine de punition corporelle, toit » qu'elles foient imprimées en ce royaume ou ailleurs.

» Faia deffenfes à toutes perlonnes, à peine de la vie, tenir ny » enfeigner aucunes maximes contre les anciens Autheurs & approuuez, » ny faire aucunes difputes que celles qui feront approuuees par les » Dofleurs de ladite Faculté de Théologie.

» Ordonné que le prefent Arreft fera leu en l'Ademblee de ladite » Faculté en Sorbonne, mis & tranfcrit en leurs regiftres, & outre cop- » pies collationnees d'iceluy baillées au Refleur de rVniverfité, pour » eftre diftribuees par les Collèges, à ce qu'aucun n'en prétende' caufe » d'ignorance.

» Fait en Parlement, & prononcé le 4 iour de Septembre 1624. Ledit » iour, ledit de aues mandé, lefdites Thefes ont efté defchirees en fa » prefence. Signé' Gallard. »

Etienne de Claves seul avait pu être arrêté. Villon, « ne voulant tenir « compagnie à la prifon de Théophile, de quoy il fut menacé, s'efuada. .. Chose curieuse, cependant, le nom d'Etienne de Claves est le seul qui ne figurait pas dans l'en-tête des Thèses, que voici : « Pofttiones pvblicœ. » loANNEs BiTAUDUs Xantoncnfis. Antonius de Villon Miles Philofophus. . Die Sabathi proximâ & Dominicâ 24 & 25 menfis Augufti 1624. Lute- » tias Parifiorum. In Palatio Reginae Margaritœ. »

Le Mercure ajoute que « ces Thefes furent depuis traduites en Fran- » çois par lean Baptifte Morin, Docteur en Philofophie & Médecine, qui » les feit imprimer, auec vne ample Réfutation ». Et il donne une longue analyse, p. 5o6-5i2, de cette réfutation. On lit, en marge, des choses comme celles-ci : « Villon dit que le monde fublunaire n'eftoit compofé » que de deux Elemens (fçauoir de Terre & d'Eau), & le mixte de cinq ). (d'Eau, de Terre, de Sel, de Souphre, & de Mercure). . . Villon par f es » principes banniffoit du monde la Matière & la Forme... Villon nie » tout principe de corps. » Et pour terminer : « Herefie qui Je tirait des » efcrits de Villon. » Cette hérésie était relative au mystère de l'Eucha- ristie. C'étaient déjà par avance les mêmes objections auxquelles les idées de Descartes seront aussi exposées. Le privilège pour ce tome X du Mercure français est daté du 18 mars 1625.

a. Mersenne, La Vérité des Sciences, 1625. Page 79 : « Thefes » d'Alchymie condamnées à Paris en 1624. Leur condemnation m'a » merueilleufement pieu. » C'est le Septique qui parle, et il énumère, sur la demande du Philofophe Chrétien, les 14 thèses condamnées : « II' me » femble qu'elles s'oppofoient particulièrement à la doclrine d'Arilfote, « & que les deus premières nioient la matière & la forme ; la troiliefmè

�� � 88 "Vie de Descartes.

sance; et qui sait? quand viendra le moment de rédiger sa philosophie, le souvenir qu'il en avait gardé, fut peut-être

» fe mocquoit de la priuation. . . Enfin ils fe vantoient de faire voir le » iour à d'autres thêfes, par lefquelles ils deuoient renuerfer tout ce » qu'on enfeigne des qualité^, & du mélang des élemens, de la gênera- it tion & de l'altération des météores, & de la nature & des propriété^ des » cieus. » (Page 8i.)

A quoi le Philofophe répond : « Il me iemble que quelques vn£s de » ces thefes font fort impertinentes : nommément les deus premières, » qui detruifent la matière & \a. forme; la feptieme, qui ne veut point » d'autres efpeces, ny d'autres genres que le diuers mélange de la terre, » de l'eau, dufel, dufouphre & du mercure ; la huicliefme, qui veut que » toutes les aâions viennent de leur mélange; & la treizième, qui affure » que toutes chofesjont en toutes chojes, & que tout ce qui ejl au monde, » ejî compofé d'atomes. Il eft fort facile de renuerfer toutes ces opinions, » & m'étonne comme ils ont été fi hardis que de faire ces proportions » en vne ville Chreflienne. >>

« Car s'il n'y a point de forme ny de matière, l'homme n'a Jonc ny » corps ny ame : ce qui eft contre la créance de la foy Catholique. »

« S'il n'y a point d'autres genres ny d'autres efpeces, qu'à raifon du » diuers mélange des cinq fubfiances qu'ils établiffent, donc l'homme eft » de mefme efpece que les pierres, que les plantes, & que les animaus : » ce qui eft tres-faus, & fans aucune apparence de vérité. »

« Si toutes les aâions viennent du mélange des mefmes fubfiances, il » faut donc conclure que les aftions de nos entendemens & de nos » volontez n'ont autre principe, ny autre fubjefl que le corps. »

« Enfin fi toutes chofes font en toutes chofes, il faut dire que le corps » fera dans l'efprit, & que l'entendement, la volonté, & tout ce qu'il y a » dans l'ame, fera vne mefme chofe que le corps : ce qui eft fi imper- » tinent, qu'il n'eft pas befoin de le réfuter. »

« Mais ie vous prie de me dire, fi elles n'ont point été condamnées R auec leurs auteurs. »

Le Septique répond : « Elles ont été cenfurées par les Doîfeurs de » Sorbonne comme téméraires & infolentes. C'eft pourquoy les Magi- » ftrats n'ont pas voulu qu'elles fuflent difputées, & ont banni les » auteurs de ces thêfes hors du refiort de tout le Parlement, afin de » reprimer l'audace & la témérité de tous cens qui veulent innouer. . . » (Page 82.)

« Il eft vray que les fauteurs de ces opinions exceptoient l'ame de » l'homme, quand ils nioyent les autres formes dans leur leconde thêfe, » auflfi bien que dans la feptiefme, lors qu'ils nioient la différence des » efpeces, que nous difons prouenir de la forme ; mais les do6tes & les » gens de bien iugeoient qu'ils n'exceptoient point l'ame raifonnable, qu'à

�� � Période de Jeunesse. 89

pour quelque chose dans sa détermination de se retirer hors de France.

En attendant, sans faire fi des curiosités littéraires et sans se désintéresser non plus des disputes scolastiques, Descartes devait être beaucoup plus attentif aux choses de la philosophie ou de la science, laquelle était pour lui surtout la physique renouvelée par la mathématique. Par exemple, le P. Mersenne, dans son énorme in-folio de 1623, oii il parle de tout, n'avait pas- manqué de faire mention des travaux d'optique de Claude Mydorge, trésorier de France à Amiens, qui habitait Paris^ On distinguait alors nettement la catoptrique et la dioptrique, l'une qui étudiait les miroirs, et l'autre les lunettes. Mydorge s'occupait surtout de catoptrique, et Descartes, comme nous verrons, de dioptrique. Mais l'une et l'autre des deux sciences recherchaient la meilleure courbure à donner aux surfaces polies, convexes ou concaves, courbure sphérique ou parabo- lique ou hyperbolique, c'est-à-dire les trois sections coniques. Mydorge, pour ses miroirs brûlants (ou plutôt « ardents », comme on disait alors), préférait la parabole. Descartes pré-

1) caufe de la peur du fupplice qu'on leur eût fai«il endurer comme h des » Libertins & des Athées, qui n'ont ny Dieu, ny l^cligion, s'ils eulVent » mis l'ame de l'homme au nombre des autres formes : ce qu'on penfe <■ qu'ils eulTent faicl s'ils n'eullent craint perfonne . . . » (Page 83.)

a. Qucejliones celeberrimœ in Genejim, i623 : c. xi à xvii, p. 498-538. — D'autre part, Lipstorp, dans ses Specimina de i653, p. 81, résume ainsi les trois années de Descartes à Paris (1626-16291 : « Interea elegan- » tioribus Viris quàm plurimis famà & alloquio innotefcebat. Hos inter ■ praecipuè eminebant Nobililf. Dn. Claudius Mydorgius, Senator Pari- » fienfis, in Francià Picardiae Qua;(lor, Florimondus de Beaune, in Curià » Blaefenfi Confiliarius Regius, R. P. Marinus Mercennus, Minorita, » Clarilî. loh. Bapt. Morinus. Mathematum cultores, & Mularum Ever- » getae ac promotores celeberrimi. Quorum primus Cartefio noftro vitra » quiDdam Parabolica & Hyperbolica, ut ik Ovalia & Elliptica prx-pa- » randa curaverat, quorum ope quantum fuerit promotus in mirabili » Refraélionum doilrinâ perficiendâ, norunt omnes ejus Amici. Quantum » autem opus ipfi contulerint Marinus Mercennus, <S( loh. Bapt. Mori- I nus, in novarum experientiarum fideli apparatu à le & aliis elegantio- » ribus comparato, dici fatis non poteft.idque epillolas ejus fatis arguent » in publicum propediem prodeundac. »

ViB DE DkSCAHTES. 12

�� � tendait démontrer, pour les lentilles des lunettes, l’excellence de l’hyperbole : c’était même là une de ses découvertes, dont il était en possession dès 1626[25]. Et comme elle n’intéressait pas seulement la théorie pure, mais qu’elle était susceptible d’application pratique, il en fit part à un ouvrier habile dans la taille des verres, Ferrier, capable de construire sous sa direction des instruments perfectionnés[26] ; plus tard, il voudra même attirer Ferrier auprès de lui, en Hollande, afin de le faire travailler sous ses yeux[27]. Il entra de même en relations avec un ingénieur, qui devint de ses amis, Etienne de Villebressieu : ils exécutèrent ensemble des expériences d’optique, qui étaient plutôt des curiosités amusantes, bien que fondées sur des raisons scientifiques[28]. Outre ses expériences sur la réfraction, faites de concert avec Mydorge[29], il communiqua à celui-ci ses solutions nouvelles des vieux problèmes à l’ordre du jour entre mathématiciens : duplication du cube et trisection de l’angle[30]. Enfin un professeur du Collège de France, astronome (d’ailleurs adversaire de Copernic) et aussi astrologue, dans l’ancien sens du mot, Jean-Baptiste Morin, se vanta plus tard d’avoir deviné Descartes[31] : il le connut donc personnellement, de 1626 à 1628. Mais la science n’était pas seulement étudiée pour elle-même et pour ses effets utiles : la grande préoccupation des esprits sérieux était de la faire servir, aussi bien que la philosophie, à combattre l’athéisme, la théologie ne suffisant plus à cette tâche. Le P. Mersenne ne craint pas de le dire, et excuse ainsi sa passion pour les recherches et les découvertes scientifiques : c’en serait fait de la religion, selon lui, si ses défenseurs n’étaient que des ignorants, étrangers aux-sciences ; on peut au contraire tirer de celles-ci de grands avantages pour s’élever à Dieu». Et il va jusqu’à publier un recueil de mathématiques, Synopsis mathematica, à l’usage des prédicateurs . Les titres de

a. Mersenne, Harmonie Vniuerfelle (l636). Livre VIII De l’Vtilité de l’Harmonie (pagination spéciale . « . . .11 me femble que ceux qui veulent bannir les fciences de la vie religieufe, font quali femblables à Julien l’Apostat. qui vouloir défendre l’eltude aux Chreftiens, afin qu’eftant dertituez de la lumière des fciences, ils deuinffent fi flupides, qu’ils ne peulVent fe detfendre contre les attaques des payens, & ne peuffent respondre à leurs objections. l’aduoùe librement’ que ie ne fuis pas de cet aduis, & que li les perfonnes dénotes fçauoient toutes les fciences en » perfection, par exemple, Il vn Religieux fçauoit la Philofophic auffi bien ou mieux que Platon & Ariftote, &’ la Géométrie aussi bien qu’Euclide, Archimede & Pergœus, qu’il auroit de grands auantages pour s’elleuer à Dieu. » (Page 20. j

b. Synopsis Mathematica, 1626. Mersenne la résume ainsi, dans un passage de son Harmonie Vniuerfelle, i636 : Livre VIII, De l’Vtilité de l’Harmonie & des autres parties des Mathématiques, p. i5 (pagination séparée) :

« Ils (les Prédicateurs) ne trouueront peuteftre pas hors de propos, que ie leur drefle l’idée de plufieurs prédications pour l’Aduent. »

« Surquoy ie dy premièrement que, s’ils fçauent vfer de l’abbregé, que i’ay tait imprimer pour eux, des principales parties des Mathématiques, intitulé Synopfis Mathematica : qu’ils pourront thoifir pour i’vn de leurs fermons quelque Proposition d’Euclide : pour le fécond, vne proposition d’Archimede : pour le 3, vne d’Apollonius : pour le 4, une de Serenus, ou de MenelauS, ou de Maurolyc : pour le 5, vne de l’Optique : pour le 6, vne de la Catoptrique : pour le 7, vne de la Dioptrique : pour le 8, vne de la Perspestiue : pour le g, vne des Parallaxes : pour le 10, vne du centre de pefanteur de 1 vniuers: pour l’onziefme, vne du centre des folides : pour le 12, vne de la ligne de direction : pour le 13, vne de la balance : pour le 14, vne des poids obliques : pour le 15, vne ou plusieurs des merueilles dit cercle : pour le 16, vne des machines : 92 Vie de Descartes.

deux autres publications de Mersenne sont significatifs : en 1 634, L'impiété des déistes, athées et libertins de ce temps combattue'^;

» & pour le xy, vne de l'Hydroftatique : & chaque iour l'on pourra » toufiours vfer d'vn mefme texte Vt Jugeret met de petra, oleumque de I) Jaxo durijjimo, pour le fujet de chaque fermon; car i'ay donné tous ces » Traitez dans ledit Abbregé. » (Page i5.)

« Pour lors (avait déclaré Mersenne, à propos de cette citation biblique » du chapitre 32 du Deuteronome), on ne dira plus que la Géométrie eft » plus feiche qu'vn caillou. » (Page 14.)

a. L'Impiété des Deijles, Athées, & Libertins de ce temps, combatuê, & renuerfee de point en point par raifons tirées de la Philojophie, & de la Théologie. Enfemble la réfutation du Poëme des Deijles. Œuure dédié à Monfeigneur le Cardinal de Richelieu, par F. Marin Mersenne, de l'Ordre des PP. Minimes. (A Paris, Chez Pierre Bilaine, rue faind lacques, à la bonne Foy, M.DC.XXIV. In-8, 5o pages non numérotées, plus 834 pages, et 9 pour la table) Permission du Supérieur (./Egidius Camart, général de l'Ordre), de Rome, 12 juin 1623. Approbation des religieux de l'Ordre, Paris, 25 janv., et celle des docteurs, 5 mai 1624. Privilège du Roy, 8 mai 1624. Dédicace, « de voftre Conuent de la Place » Royalle des FF. Minimes de Paris, ce 8 Juin 1624 ». A l'intérieur le titre est ainsi complété : Impieté des Deijles & des Athées defcouuerte & renuerfee. Et les opinions de Charron, de Cardan, de lordan Brun, auec les quatrains du Deijîe refute:{.

Ce n'est là qu'une première partie. Voici la seconde : L'Impiété des Deijies, & des plus fubtils Libertins découuerte, & réfutée par raifons de Théologie, & de Philofophie. Auec vu poëme qui renuerfe le poëme du Deijîe de point en point. Enfemble la réfutation des Dialogues de lordan Brun, dans lej'quels il a voulu ejlablir vne infinité de mondes, & l'ame vniuerfelle de l'Vniuers. Auec plufieurs difficulté^ de Mathématiques qui font expliquées daits cet œuure. Le tout dédié à Monfeigneur le Procureur General du Roy, par F. Marin Mersenne, de l'Ordre des PP. Minimes. Seconde Partie, ilbid., pet. in-8, 34 pages de préface, etc., plus 5o6 de texte et 53 d'index.) Mêmes dates que pour la première partie, plus celle-ci : Dédicace « à Monfeigneur Mathieu Mole, 9 juillet » 1 624 ». Notons cette double dédicace au procureur général et au premier président, lorsqu'on était au plus fort du procès de Théophile. Le bon Mersenne lui-même apportait son fagot au bûcher. — Le poème du Déiste, dont il parle, se composait de 106 quatrains que l'on faisait cir- culer sous le manteau. Il ne paraît pas avoir été imprimé. On le trouvera tout au long dans l'ouvrage cité de Frédéric Lachèvre, t. II, p. 91 : Le catéchifme des Libertins du XVIl'ftècle. Les quatrains du Déifie ou l' Anti- bigot {1622). Ces fameux quatrains sont tels, qu'un honnête homme peut fort bien y souscrire, et on ne voit pas ce qu'un philosophe comme Descartes y eut trouvé à reprendre.

�� � Période de Jeunesse. çj

et en 162 5, La Vérité des Sciences contre les Sceptiques ou Pyrrhoniens ".

De même, un auteur qui fut aussi des amis de Descartes, puisque plus tard en Hollande celui-ci demandera de ses nou- velles, Jean Silhon, fit imprimer en 1626 : Les deux Vérités, l'une de Dieu et de sa Providence, l'autre de l'immortalité de l'âme. Ces deux vérités (sauf cependant la Providence), sont précisément les mêmes que notre philosophe inscrira dans le premier titre de ses Méditations, en 1641 ; il est vrai que presque aussitôt, en 1642, il se ravisera et retiendra dans l'édi- tion suivante, surtout la première vérité, De l'existence de Dieu, se contentant d'y ajouter de la distinction de l'âme et du corps. Silhon, au contraire, avait repris en 1634 ses deux vérités et surtout la seconde, de l" immortalité de l'âme, et en avait fait la matière d'un ample volume de io56 pages.

Enfin Descartes connut aussi, de 1626 à 1628, un religieux de la nouvelle congrégation de l'Oratoire, le P. Gibieuf, et même assez intimement; celui-ci se croira autorisé à lui recom- mander un procès devant le Parlement de Rennes, où notre philosophe avait ses deux frères conseillers, et son père con- seiller honoraire. Gibieuf travaillait sans doute déjà à son grand ouvrage sur la liberté de Dieu et de la créature, De liber- tate Dei et Creaturœ, où Descartes croira retrouver quelques- unes de ses idées : plus tard, pour se défendre sur ce point de la liberté, il renverra ses adversaires au gros livre de l'orato- rien*". 11 est vrai que la doctrine de la grâce n'était pas encore ce qu'elle allait bientôt devenir dans l'Eglise, après la publica- tion de Jansenius (1640]. D'autre part, ce religieux de l'Ora-

a. La Vérité des Sciences. Contre les Septiques ou Pyrrhoniens. Dédié à Monlieur Frère du Rov. Par F. Marin Mersenne de l'Ordre des Minimes. A Paris, chez Toudaind du Bray, rue Saind lacques, aux Epics-Meurs. M.DC.XX\'.) Dédicace, i" août 1625. Privilège du Géné- ral des Minimes, 14 avril 1623. Approbation des Docteurs, 3o juin 1625. Privilège du Roy. 12 juillet 1625. In-8. 1008 pages.

b. Tome III, p. 36o, 1. 11-14, et p. 385-386 : lettres du 2 i avril et du 23 juin 1641.

�� � toire" avait été d’abord un philosophe, qui pensait que la vertu païenne suffisait, à la rigueur, et qu’on pouvait se sauver sans connaître ni aimer Jésus-Christ, « enfin que nous n’étions pas » moins redevables de notre salut à notre propre volonté, qu’au » secours et à la miséricorde de ce divin Sauveur ». — « Vous » me paraissez un pauvre chrétien, » lui disait en plaisantant son supérieur le cardinal de BéruUe. « Vous n’avez pas assez » de reconnaissance pour Jésus-Christ ; vous lui avez certaine » ment plus d’obligation que vous ne croyez[32]. » Mais nous

a. GiBiEUF (Guillaume), né vers iSgi, docteur de Sorbonne en i6ii, entra à l’Oratoire le i5 mai 1612, lors de la fondation. Il mourut au séminaire de Saint-Magloire, le 6 juin i65o. Son gros livre in-4o, De libertate Dei et creaturœ, parut en i63o ; il eut aussitôt un très grand débit. Les propos qui suivent sont empruntés à la Bibliothèque Oratorienne: Recueil des Vies de quelques prêtres de l’Oratoire par le P. Cloyseault, publié par le P. Ingold, t. I, p. 142-144. allons voir Bérulle et Descartes en présence, et l’intervention du fondateur de l’Oratoire fut peut-être décisive dans la vie du philosophe.

Ce fut à une conférence chez le nonce du Pape, Guidi di Bagno ; on l’appelait en France le cardinal de Baigné[33]. Un sieur de Chandoux (qui devait mal finir : compromis plus tard dans une affaire de fausse monnaie, il fut condamné à la potence[34]) exposa des idées nouvelles et fit impression sur les auditeurs, sauf toutefois un d’eux, qui était justement Descartes. Bérulle s’en aperçut, et invita notre philosophe à prendre la parole : celui-ci s’inclina, et avec une aisance dont tout le monde demeura surpris, il défit complètement son adversaire. Il prétendit prouver, par le même nombre de preuves, exactement le contraire, et le prouva. Le cardinal de Bérulle comprit aussitôt qu’il avait devant lui, non pas seulement un novateur, mais un réformateur véritable ; il l’entreprit donc et lui fit une obligation de conscience de consacrer désormais sa vie à la réforme 96 Vie de Descartes.

de la philosophie ". C'eût été un coup de maître pour le fonda- teur de l'Oratoire, que d'unir à sa réforme religieuse du clergé de France, une réforme scientifique et philosophique. Tourner tout de suite au profit de la religion une tentative qu'il estimait devoir être heureuse, quel rêve ! Et ceci se réalisa, en effet, non pas, il est vrai, dans la première période du cartésianisme, mais dans la seconde, celle de Malebranche, également prêtre de l'Oratoire. Il y eut alors comme une main-mise de la théo- logie sur la philosophie nouvelle ; celle-ci fut confisquée par le christianisme, c'est trop peu dire, par le catholicisme même : un mystère comme l'Incarnation, et par suite l'Eucharistie, devint presque une pièce maîtresse et comme la clé de voûte

a. Voir t. I, p. 217-218. — Baillet continue : Descartes n'avait pas la pensée " de faire palfer le fieur de Chandoux pour vn charlatan devant » raiVemblée. Il ne trouvoit pas mauvais qu'il fit profefTion d'abandonner » la Philofophie qui s'enfeigne communément dans les Écoles, parce qu'il » étoit perfuadé des rail'ons qu'il avoit de ne la pas fuivre; mais il auroit » fouhaiié qu'il eut été en état de pouvoir luy en ("ubflituer une autre, qui » fût meilleure & d'un plus grand ufage. [En marge : Mem. MM. de » Claude Clerfelier.j II convenoit que ce que le lîeur de Chandoux avoit » avancé, étoit beaucoup plus vray-femblable que ce qui fe débite fui- » vant la méthode de la fcholalHque; mais qu'à fon avis, ce qu'il avoit » propofé, ne vaioit pas mieux dans le fonds. Il prétendoit que c'étoit » revenir au même but par un autre chemin, & que fa nouvelle Philofo- « phie étoit prefque la même chofe que celle de l'École, déguilée en » d'autres termes. Elle avoit félon luy les mêmes inconvéniens, & elle » péchoit comme elle dans les principes, en ce qu'ils étoient obfcurs, & » qu'ils ne pouvoient fervir à éclaircir aucune difficulté. Il ne fe contenta » point de faire ces obfervations générales; mais pour la fatisfacHon de la » compagnie, il defcendit dans le détail de quelques-uns de fes Jéfauts » qu'il rendit ires-fenfibles, ayant toujours l'honnêteté de n'en pas attri~ » buer la faute au fieur de Chandoux, à l'indultrie duquel il avoit lou- » jours foin de rendre témoignage. Il ajouta enfuite qu'il ne croyoit pas » qu'il fût impoilible d'établir dans la Philofophie des principes plus » clairs & plus certains, par lefquels il feroit plus aifé de rendre raifon » de tous les effets de la Nature. »

« Il n'y eut perfonne dans la compagnie qui ne parût touché de (es » raifonnemens; & quelques-uns de ceux qui s'étnient déclarez contre la » méthode des Écoles pour fuivre le (leur de Chandoux, ne firent point » difficulié de changer d'opinion, & de fufpendre leur el'prit pour le déter-

�� � Période de Jeunesse, 97

du système. Ce fut là, certes, une déviation de la doctrine de Descartes; mais Malebranche, sans le savoir, revenait à la pre- mière pensée de Bérulle; et c'eût été une grande déception puur ce dernier, que notre philosophe, porté par l'élan naturel de son esprit, ne se soit pas montré tout d'abord aussi ortho- doxe en philosophie, que l'avait espéré le religieux.

En tout cas, Descartes suivit le conseil de Bérulle, lequel s'accordait trop bien avec ses dispositions personnel'es et ce que ses amis attendaient de lui. Ne le regardaient-ils pas comme le champion de la philosophie nouvelle, seul capable de prouesses contre les Géants de l'Ecole^? Au bout de ces neuf années, il était prêt à écrire enfin sa métaphysique,

» miner comme ils firent dans la fuite à la philofophie que M. Delcartes » devoit établir fur les principes dont il venoit de les entretenir. Le Car- >> dinal de Bérulle fur tous les autres [en marge : Clerfel. ibid.] goûta » merveilleufement tout ce qu'il en avoit entendu, & pria M. Defcartes » qu'il pût l'entendre encore une autre fois fur le même fujet en parti- » culier. M. Defcartes, fenlible à l'honneur qu'il recevoit d'une propofi- » tion fi obligeante, luy rendit vifite peu de jours après & l'entretint des » premières penfées qui luy étoient venues fur la Philofophie, après qu'il •> fe fût apperçù de l'inutilité des moiens qu'on emploie communément ■y pour la traitter. li luy fit entrevoir les fuites que ces penfées pourroient » avoir, fi elle-, étoient bien conduites, & l'utilité que le Public en reti- » reroit, fi l'on appliquoit fa manière de philofopher à la Médecine & à » la Mèchanique, dont l'une produiroit le rétablilTement & la conferva- « tion de la fantè, l'autre la diminution & le foulagement des travaux des » hommes. Le Cardinal n'eût pas de peine à comprendre l'importance » du delVein : & le jugeant très-propre pour l'exécuter, il employa l'auto- )• rite qu'il avoit fur fon efprit pour le porter à entreprendre ce grand » ouvrage. Il luy en fit même une obligation de confcience, fur ce » qu'ayant reçu de Dieu une force & une pénétration d'efprit avec des )i lumières fur cela qu'il n'avoit point accordées à d'autres, il luy ren- » droit un compte exac^ de l'employ de fc.. lalens. & feroit refponfable » devant ce juge fouveia'n des hommes du tort qu'il feroit au genre '• humain en le privant du fruit de fes méditations. [En marge : Clerfel. » ibid.] Il alla même jufqu'à l'alinrer qu'avec des intentions aulfi pures & » une capacité d'elprit aullî vafie que celle qu'il luy connoiiVoit, Dieu )j ne manqueroit pas de bénir fon travail & de le combler de tout le » fuccez qu'il en pourroit attendre. >• Baillet, t. I, p. 164-165.) a. Tome I. p. 570. 1. 28, à p. 571. 1. i.

VfK uE Dr.scARTrs. i3

�� � comme il l’avait dit déjà à Mersenne[35] : ce sera l’affaire de quelques mois. Il était prêt même à écrire sa physique, et n’aura besoin pour cela que de deux ou trois années. Seulement il prit la résolution de quitter Paris et la France : il lui fallait la tranquillité d’une retraite à la campagne, sous un climat favorable. Il pensa ne trouver ce qu’il désirait, qu’à l’étranger, dans un pays qu’il connaissait déjà : l’Italie ne lui convenant pas, à cause du climat, il choisit de préférence la Hollande.



  1. Tome I, p. 28, l. 23-24. et t. I, p. 1.
  2. Baillet, t. I, p. 59-76, raconte toute cette histoire, avec force détails, dans deux chapitres entiers, l. I, c. xiii et xiv.
  3. Borel, 1656, p. 4 : « biſque Bredæ obſidioni adſuit, & in pugnâ Praguenſi, vnde Italiam petiit, viſis tamen magnis Tychonis Brahæi machinis, colloquiiſque cum eius cognatis inſitutis. » — Baillet, t. 1, p. 73-76.
  4. Tome X, p. 175 et p. 216. l. 19-21.
  5. Ibid., p. 189-190.
  6. Descartes assista-t-il jamais à un combat ? On ne saurait dire. Cependant la curieuse observation d’un homme d’armes qui se croyait blessé et qui ne l’était pas (t. XI, p. 6, l. 6-17), semble bien avoir été prise sur le vif : « Un Gendarme revient d’vne mêlée : pendant la chaleur du combat, il auroit pû eſtre bleſſé ſans s’en appercevoir… » (Corriger ainsi la ponctuation) Voir aussi l’endroit où le fait de se rendre prisonnier lui parait préférable à une retraite qui ressemblerait à une fuite. (Tome II, p. 546, l. 5-7.) Et enfin t. III, p. 209. l. 21-23.
  7. Tome X, p. 331-332.
  8. Ibid., p. 167-169, et p. 169, note b.
  9. Baillet, t. I, p. 166.
  10. Tome I, p. 1-3.
  11. Ibid., p. 3-4. — Baillet, t. I, p. 118.
  12. Contrats du 5 juin et du 8 juillet, par-devant les notaires de Châtellerault. (Tome I, p. 2-3.)
  13. Journal de voyage de Montaigne, publié par Louis Lautrey, Paris, 1906, p. 276, etc.
  14. Baillet, t. I, 118-120.
  15. Idem, p. 120.
  16. Journal etc., p. 286-287.
  17. Baillet, t. I, p. 121-122.
  18. Les Chroniques de Jean Tarde, Chanoine Théologal et Vicaire Général de Sarlat, avec introduction de Gabriel Tarde. (Paris, Oudin et Picard, 1887.) Les trois entretiens eurent lieu le mercredi 12, jeudi 13 et samedi 15 novembre 1614. « Le mardy xi, jour de ſaint Martin, ſommes arrivés à Florence. Le mercredi au matin, je vis le ſeigneur Galileus Galilei, philoſophe & aſtrologue très fameux… Je lui repreſentay que ſa reputation avoit paſſé les Alpes, traverſé la France & eſtoit parvenue juſques à la mer Oceane. Que à Bordeaux nous avions vu ſon Sidereus Nuntius qui nous avoit apporté la nouvelle de ces nouveaux cieux & nouvelles planettes… Que, allant à Rome, je n’avois voulu paſſer ſi prés de luy ſans avoir l’honneur de le voir & l’entretenir ſur ces nouveaux phenomenes. » Suit tout au long, p. xxiii-xxiv, le premier entretien que nous résumons, puis le second et le troisième. A noter encore ce passage : « Je l’interpellay ſur les refractions & moyens de former le cryſtal du teleſcope en telle ſorte que les objets s’agrandiſſent & s’approchent à telle proportion qu’on veut. A cela il me reſpondit que ceſte ſcience n’eſtoit pas encore bien cogneue ; qu’il ne ſçavoit pas que perſonne l’eût traictée aultre que ceux qui traictent la perſpective, ſi ce n’eſt Joannes Keplerus, mathematicien de l’Empereur, qui en a faict un livre exprés, mais ſi obſcur qu’il ſemble que l’autheur meſme ne s’eſt pas entendu. De tout ce diſcours je fis profit ſeulement de deux termes qui ſont importants en l’affaire : le premier, que tant plus le criſtal convexe prend une portion d’un plus grand cercle, & le concave d’un plus petit, tant plus on voit loin. L’autre, que le canon du teleſcope pour voir les Eſtoiles n’eſt pas long de plus de deux pieds ; mais pour voir les objets qui nous ſont fort proches & que nous ne pouvons voir à cauſe de leur petiteſſe, il faut que le canon aye deux ou trois braſſes de longueur. Avec ce long canon, il me dict avoir veu des mouches qui paroiſſoient grandes comme un agneau, & avoit apprins qu’elles ſont toutes couvertes de poils & ont des ongles fort pointues, par le moyen deſquelles elles ſe ſouſtiennent & cheminent ſur le verre, quoique pendues à plomb, mettant la pointe de leur ongle dans les pores du verre… » Notons enfin que, au dire de Jean Tarde, les nouveautés astronomiques dont il s’émerveillait, étaient déjà connues en Allemagne et en Italie, des derniers « barbiers ou mitrons ». (Page xxvii.)
  19. Nicolas Le Vasseur, sieur d’Étioles, receveur général des finances à Paris. Il eut un fils, Nicolas Le Vasseur, sieur de Saint-Vrain, qui fut un moment conseiller au Parlement de Rennes (lettres de provision, 13 février 1646 ; réception, 12 mai suivant) ; il fut ensuite reçu conseiller au Parlement de Paris, 21 août 1646, devint conseiller de Grand Chambre, et ne mourut qu’en 1692 (inhumé à Saint-Sulpice, 6 mai 1692). Il était donc encore vivant, lorsque Baillet écrivit et publia sa Vie de Descartes, en 1691, et c’est de lui, sans doute, que notre historien reçut les Relations MS. qu’il donne sous le nom de M. Le Vasseur (le père). Détail curieux : Le Vasseur fils se démit de sa charge de conseiller à Rennes en faveur de Pierre Descartes, sieur de la Bretallière, conseiller depuis 1618, mais qui avait cédé son office à son fils aîné, Joachim Descartes, sieur de Kerleau, pourvu le 21 sept. 1647 et reçu le 30 mai 1648. Cette rentrée de Pierre Descartes au Parlement n’alla pas d’ailleurs sans difficulté : il fut reçu le 12 février 1650, sur lettres de jussion du 10 janvier précédent, et sous la condition qu’il ne céderait plus ce second office à un de ses enfants, comme il avait fait pour le premier. (Le Parlement de Bretagne, 1554-1790, par Frédéric Saulnier, t. I, p. 296 et 297, t. II, p. 842-843.) Voir aussi notre t. III, p. 187-188.

    Baillet raconte maintenant ceci, t. I, p. 130-131, sous la date de 1625 : « M. Deſcartes prit ſon logement chez un ami de ſon Pére, qui étoit auſſi le ſien en particulier, & qui avoit des rlations avec sa famille par quelque alliance. [En marge : Relat. de M. le Vaſſeur.] Cet amy étoit M. le Vaſſeur Seigneur d’Etioles pére de M. le Vaſſeur qui vit encore aujourd’hui, & qui eſt Conſeiller à la Grand-Chambre. Là s’étant formé un modèle de conduite ſur la maniére de vivre que les honnêtes gens du monde ont coutume de ſe preſcrire, il embraſſa le genre de vie le plus ſimple & le plus éloigné de la ſingularité & de l’affectation qu’il put imaginer. [En marge : Diſc. de la Méth. part. 3 p. 31.] Tout étoit aſſez commun chez lui en apparence : ſon meuble & ſa table étoient toujours tres-propres, mais ſans ſuperflu. Il étoit ſervi d’un petit nombre de yalets, il marchoit ſans train dans les rues. Il étoit vêtu d’un ſimple taffetas verd, ſelon la mode de ces têms-là, ne portant le plumet & l’épée, que comme des marques de ſa qualité, dont il n’étoit point libre alors à un Gentilhomme de ſe diſpenſer. »

  20. 1. Les Œuvres du ſieur Théophile. (A Paris, chez Pierre Billaine, rue S. Jacques à la Bonne Foy. M.DC.XXI. Avec privilege du Roy.) Le privilège est du 6 mars 1621. Deux éditions nouvelles parurent en 1622, à la fois chez Billaine et chez le libraire Jacques Quesnel. Une troisième édition parut chez Billaine, en 1623.

    2. Œuvres du ſieur Theophile. Seconde partie. (A Paris, chez Pierre Billaine, etc., M.DC.XXIII.) En même temps paraissait une autre édition de cette Seconde partie chez Quesnel. Toutes deux parurent dans la seconde quinzaine de juin 1623, avec la troisième édition de la première partie. Aussi l’arrêt du 19 août 1623 ne visait-il plus seulement le Pernaſſe (sic) ſatiricque, mais aussi « autres livres & œuvres dudict Theophille imprimez par les nommez Bilaine & Queſnel ».

  21. Lettre précédente du 20 sept. 1623 : « La priere meſme de la penſée, qui eſt vn ſacrifice de toutes les heures du jour qui ſe peut faire ſans bruſler d’encens ny tuer des beſtes…, m’eſt une auſſi grande corvée que ſi j’avois à faire le voyage de Mont-Ferrat ou celuy de Noſtre-Dame de Lorette. » (Œuvres de M. de Balzac, MDCLXV, t. I, p. 21.)
  22. Lachèvre, loc. cit., t. I, p. xxxv, note (1) : « Dans les exemplaires des Quæſtiones celeberrimæ in Geneſim, 1623, la page consacrée aux
  23. Tome I, p. 158, I. 17-27 : lettre à Beeckman, 17 octobre 1630.
  24. Cette cervelle légère de Théophile (au sortir de prison, d’ailleurs, en 1626) ne juge pas trop mal la situation. Il écrivait à Elle Pitard : p>« …Erupit nuper feila quxdam argutatorum qui fe univerfam Stagy » ritarum molem funditus everfuros confidentiflnne protitentur, & inve » teratis dudum erroribus laboranti lasculo prœfto fe medelam habere » jaflitant. Illis, quanquam philofophi minus quàm circulatores audiant, » non défunt tamen quibus fua verba venditent. Ego doilrinœ veftrae » plane rudis, neque certe admittere nec prorfus innovatores iftos aver » fari fuftineo. Nunquam enim in animum induri meum, Naturam cuivis » mortalium adeo fe praebuilTe nudam & parcam, ut folum Aridotelem » habuerit à fecretis. Multa nos tôt deinde annorum experientia fecus » admonere potuit ; quamque fuis minime careat nœvis tantus vir, non » te latet quem nihil illius latet. litos itaque neotericos li per te licet » audire, libet : cauiius tamen atque eâ fide quam à fenioribus merean » tur res novie… » (Œuvres de Théophile, édit. AUeaume, i855, t. II, p. 429.)
  25. Tome I, p. 163, 326 et 328.
  26. Dans une lettre à Dupuy, du 8 janvier 1628, Peiresc rappelle, entre autres instruments laissés par Alleaume à sa mort, « ſurtout l’inſtrument que luy avoit faict Ferrier pour deſcrire la ligne neceſſaire à la convexité deſdictes lunettes & miroirs convexes, & les verres & miroirs qu’il en avoit eſſayez. Il fauldroit », ajoute-t-il, « que cela paſſaſt par les mains de Mr Midorge, threſorier de France, qui demeure prez la place Royale, en un cul de ſac venant de la rue St Antoine. Lequel ſeul je cognois, en ce païs là, plus approchant de la curioſité de feu Mr Alleaume & de ſa doctrine & prattique aux mathematiques & mechaniques. » (Lettres de Peiresc, Impr. Nat., 1888, t. I, p. 478-9.)
  27. Tome I, p. 13-16.
  28. Ibid., p. 211-212.
  29. Tome I, p. 175, l. 3-11 ; p. 252, l. 23-25 ; et p. 256, l. 3-15. Lettres du 4 nov. 1630, du 10 mai et de juin 1632. Voir aussi t. X, p. 651-652.
  30. Ibid., p. 239 : lettre du 2 févr. 1632.
  31. Ibid., p. 537.
  32. Bérulle (Pierre de), né le 4 févr. ib-jb, au château de Cerilly (près de Joigny-sur— Yonne); ordonné prêtre le 5 juin iSgg. Le 11 nov. 161 1, avec cinq autres ecclésiastiques de la Sorbonne, il fonda la Congrégation de l’Oratoire. Son but était la réformation du clergé, en réformant l’état de prêtrise:après la réforme des ordres religieux, celle des prêtres euxmêmes. Il fut créé cardinal, le 3o août 1627. La nouvelle lui parvint à Paris, le 12 sept.; et la cérémonie de ia remise du bonnet par la reinemère, se fit le mardi 26 oct. 1627. !’issista au siège de la Rochelle : l’entrée des troupes du roi eut lieu ic 3o oct. 1628. Le 12 janv. 1629, parut chez A. Estienne une Vie de Jefus du cardinal de Bérulle. Il fut pris d’une fièvre violente le jeudi 27— sept. 1629, et mourut le mardi suivant 2 octobre. — Voir la Vie du Cardinal de Bérulle, par l’abbé M. HoussAYE. (Paris, Pion, 3 vol. gd. in-8, 1872-1875.) L’auteur trouva aux Archives Nationales, parmi les papiers de Bérulle, MS. 233, une fin de lettre avec ces mots : « …Monlieur, Voftre bien humble & obcill’ant » feruiteur Descartes. De Bloys ce 4= odobrc 1614. » Fl il en conclut d’abord (t. III, p. SSq), que les relations entre le philosophe et le religieux remontaient à cette date. Mais, vérification faite : 1° rien ne rappelle dans ces quelques lignes ni l’écriture ni la signature du philosophe ; 2 » la date n’est pas 16 14, mais 1604 ; 3" cette lecture 1604 est confirmée par l’emploi du terme Monfieur ; en 1614, l’Oratoire était fondé, et on eût appelé Bérulle Mon Révérend Père. — Par contre, en 161 7, le premier président du Parlement de Bretagne, M. de Cusé, était un neveu de Bérulle. Ajoutons enfin qu’en 1646, Cerizy, que Descartes connaissait aussi, publia un Éloge du Cardinal de Bérulle, que Merseniie vanta fort à Constantin Huygens, au moins pour la pureté de la langue.

    Ajout de l’errata : Jean de Bourgneuf de Cucé, qui mourut le 5 juin 1636, était premier président du Parlement de Bretagne, depuis 1595. Il présida, en particulier, la commission spéciale pour le procès de Chalais, en 1626 ; Joachim Descartes, père du philosophe, membre de cette commission, en fut aussi le rapporteur : voir son rapport, S. Ropartz, loc. cit., p. 72-91. Ce Jean de Bourgneuf de Cucé était fils d’un René du même nom, qui fut lui-même premier président de 1570 à 1587. Et il avait un frère, Charles de Bourgneuf de Cucé, évêque de Nantes depuis 1598, qui mourut le 17 juillet 1617 ; il avait installé à Nantes, cette même année 1617, les prêtres de l’Oratoire au collège de Saint-Clément, et il leur légua sa bibliothèque.

  33. Guidi di Bagno fut nonce du pape à Paris en 1627 : cardinal réservé in petto, 30 août 1627 ; proclamé, 19 nov. 1629.
  34. Baillet parle ainsi du sieur de Chandoux : « L’oſtentation avec laquelle nous avons vû qu’il produiſoit ſes nouveautez, ne ſe termina qu’à des fumées ; & l’événement de ſa fortune ne ſervit pas peu pour juſtifier le jugement que M. Deſcartes avoit fait de ſa philoſophie. Chandoux, depuis la fameuſe journée où il avoit diſcouru | avec tant d’éclat devant le Cardinal de Bérulle, le Nonce de Bagne, & pluſieurs Sçavans, s’étoit jetté dans les exercices de la Chymie, mais d’une Chymie qui par l’altération & la falſification des métaux tendoit à mettre le deſordre dans le commerce de la vie. La France étoit alors remplie de gens qui avoient voulu profiter des troubles du Royaume, pour ruiner la police des loix qui regardoient la fabrique & l’uſage des monnoyes ; & l’impunité y avoit introduit une licence qui alloit à la ruine de l’Etat. Le Roy Loüis XIII, pour la réprimer, fut obligé d’établir dans l’Arſenal à Paris une chambre ſouveraine, qui fut appellée Chambre de Juſtice, par des Lettres patentes données à S. Germain, le 14 de Juin 1631. [Merc. Fr. ad. ann. 1631, p. 113.] Chandoux [en marge : Clersel. Rel.] y fut accuſé & convaincu d’avoir fait de la fauſſe monnoye avec pluſieurs autres, & il fut condamné à être pendu en Grève. » (Baillet, t. I, p. 230-231.)
  35. Tome I, p. 144, l. 20-22.