Vie et opinions de Tristram Shandy/1/42

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome premier. Tome secondp. 187-189).


CHAPITRE XLII.

Prélude.


Voilà le caporal Trim qui entre, chargé de Stévinus. Il étoit trop tard. La matière s’étoit épuisée sans lui ; il y avoit un autre sujet sur le tapis. — Trim, dit mon oncle Tobie, en remuant la tête, tu peux remporter le livre. —

Pourquoi ? dit mon père. Trim, continua-t-il en badinant, regarde auparavant si tu n’apercevrois pas quelque chose qui eût l’air d’un chariot à voiles.

Trim avoit appris à obéir au service, et sans faire la moindre observation, il pose le livre sur une table, et se met à le feuilleter. — Je n’y trouve rien, dit le caporal ; cependant je veux m’en assurer. Le voilà aussitôt qui prend les deux ais de la couverture du livre, les joint l’un contre l’autre, et laisse les feuilles suspendues. — Il donne une secousse. — Oh ! oh ! s’écria-t-il, voilà quelque chose qui en est sorti ; mais cela ne ressemble pas à un chariot.

C’est un papier, dit mon père, en souriant ; vois un peu ce que c’est. Trim se baisse, ramasse le papier, il jette un coup d’œil, et dit qu’il croit que c’est un sermon. Un sermon ? ma foi ! oui. Du moins c’en a-t-il bien l’air. Ça commence tout juste comme un sermon.

Je ne conçois pas, dit mon oncle, comment il est possible qu’un sermon ait pu se fourrer dans mon Stévinus.

Je ne sais pas non plus, dit Trim ; mais ce n’en est pas moins un sermon ; et pour preuve, si monsieur le veut, j’en lirai quelque chose. — Il faut noter que Trim aimoit autant à s’entendre lire, qu’à s’entendre parler.

Moi, je le veux bien, Trim, dit mon oncle.

Et moi, dit mon père, j’ai toujours une forte inclination pour vouloir approfondir les choses qui me traversent par des fatalités aussi extraordinaires que celle-ci. — Obadiah n’est point encore de retour, et nous n’avons rien à faire. — Parbleu ! frère, pourvu que le docteur y consente, dites à Trim de nous en lire quelques pages. — Il paroît avoir bonne volonté, et s’il est aussi capable.

Aussi capable !… dit Trim, j’ai servi de clerc pendant deux campagnes à l’aumônier de notre régiment.

Je peux vous certifier, ajouta mon oncle Tobie, qu’il le lira aussi bien que moi. — Trim étoit le soldat le plus savant qu’il y eût dans ma compagnie, et il auroit eu la première hallebarde, s’il n’avoit malheureusement pas été blessé.

Trim, flatté de ce que disoit son maître, mit la main sur sa poitrine, et lui fit une profonde inclination. — Puis mettant son chapeau sur le parquet, et prenant le sermon de la main gauche, pour avoir la droite, il avance avec assurance au milieu de la chambre, afin de mieux voir ses auditeurs, et d’en être mieux vu.