Vie et opinions de Tristram Shandy/1/46

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome premier. Tome secondp. 197-199).



CHAPITRE XLVI.

Enfin le Sermon commence.


Épître de saint Paul aux Hébreux, chap. 13, vers. 18.
Car nous sommes persuadés d’avoir une bonne conscience.


« Je suis persuadé ?… je suis persuadé d’avoir une bonne conscience ?… S’il y a, en effet, quelque chose dans cette vie sur laquelle un homme doive compter ; s’il y a quelque chose à la connoissance de laquelle il doive parvenir sur une évidence incontestable, c’est de savoir si sa conscience est bonne ou non. Il ne lui faut qu’un peu de réflexion pour connoître le véritable état de ce registre. — Ses pensées, ses désirs doivent se retracer facilement à la mémoire ; il doit se souvenir aisément de tout ce qu’il a fait. — Les vrais motifs de toutes les actions de sa vie ne peuvent échapper à la moindre de ses recherches.

» On peut se laisser tromper par les apparences sur d’autres sujets. — À peine, selon la plainte du sage, pouvons-nous deviner les choses qui sont sur la terre, et celles qui frappent le plus nos yeux. Mais ici, quelle différence ! L’esprit a tous les faits, toute l’évidence en lui-même. — La toile qu’il a ourdie est sous sa perception ; il en connoît la texture, la finesse ; il sait pour combien chaque passion est entrée dans ce tissu, en opérant sur les plans divers que le vice ou la vertu lui a présentés ».

Le style en est bon, dit mon père, et Trim lit à merveille.

« Mais si la conscience n’est autre chose que cette faculté qu’a l’esprit de pouvoir applaudir ou blâmer, et de porter ensuite son approbation ou sa censure sur les actions successives de notre vie..... Je conçois ce que vous allez m’opposer ; vous allez dire qu’il est évident, par les termes mêmes de la proposition, que si ce témoignage intérieur est contraire à l’homme, qui ne doit pas naturellement s’accuser lui-même, il s’ensuit nécessairement que l’homme est coupable, — ou, au contraire, que si ce rapport intérieur lui est favorable, et que son cœur ne le condamne point, ce n’est plus alors une matière de confiance, comme l’apôtre semble l’insinuer, mais que c’est une matière de certitude et de fait, que la conscience est bonne, et que l’homme, par conséquent, doit être également bon. »

— Eh bien ! je le disois. Nous y voilà, dit le docteur Slop ; le prédicateur a raison, c’est l’apôtre qui a tort. —

Un moment de patience, reprit mon père, et vous verrez bientôt que Saint-Paul et le prédicateur sont d’accord. —

À-peu-près comme le loup et l’agneau, répliqua le docteur Slop. Mais je m’y attendois ; voilà ce que produit la licence de la presse ! —

Au pis-aller, dit à son tour mon oncle Tobie, c’est la licence de la chaire. — Le sermon est manuscrit, et ne paroît pas avoir jamais été imprimé.