Vie et opinions de Tristram Shandy/1/51

La bibliothèque libre.
Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome premier. Tome secondp. 220-222).



CHAPITRE LI.

Trim lit toujours


Si le témoignage, hélas ! des siècles passés ne suffit pas, voyez combien même de nos jours ces faux zélés prétendent honorer Dieu par des actions qui les déshonorent eux-mêmes, et qui font le scandale de l’univers entier.

» Descendez un instant avec moi dans ces prisons affreuses de l’inquisition ; — voyez-y la religion assise sur un tribunal d’ébène, soutenue par des gênes et des tortures, et foulent à ses pieds la justice et la compassion, enchaînées et immobiles...... Écoutez les longs gémissemens de ce malheureux qu’on arrache de son cachot de ténèbres, pour lui faire son procès, et le livrer ensuite à tous les tourmens les plus cruels, qu’un système délibéré de cruauté ait pu inventer. » Trim enflammé de colère eut bien de la peine ici à la renfermer en lui-même. « Voyez, continua-t-il, le corps de ce misérable épuisé par la faim et la douleur. C’est une victime qu’on va livrer aux bourreaux. » —

Ah ! s’écria Trim, du ton le plus plaintif : c’est mon frère ; c’est mon malheureux frère Thomas ! — Et laissant tomber involontairement le sermon pour joindre ses mains : Ah ! messieurs, je crains que ce ne soit mon pauvre frère !… — Mon père, mon oncle Tobie, et même le docteur Slop qui ne s’attendrissoit pas facilement, furent vivement émus de la douleur de Trim. — Trim, dit mon père, ce n’est pas ici une relation historique que tu lis, c’est un sermon. Reprends mon enfant, reprends-en la dernière phrase.

« Voyez le corps de ce misérable épuisé par la faim et la douleur. C’est une victime qu’on va livrer aux bourreaux. —

» Observez le mouvement de ce terrible instrument ; — voyez comment on l’étend. Quels tourmens ! Ses nerfs et ses muscles se tordent ; les convulsions de la mort la plus douloureuse sillonnent son visage de mille manières : c’est tout ce que la nature peut souffrir… Son ame arrachée de ses plus profondes retraites, est déjà sur ses lèvres prête à partir. » — Par le ciel ! s’écria Trim, je n’en lirois pas davantage pour l’empire du monde ! Ces horreurs s’épuisent, peut-être en ce moment, sur mon pauvre frère à Lisbonne. — Eh ! mon, mon cher Trim, dit mon père, ce n’est pas là une histoire, ce n’est qu’une simple description......... — Oui, mon garçon, ce n’est pas autre chose, reprit le docteur Slop ; ainsi tranquillise-toi. —

Cependant, dit mon père, puisque cela lui cause tant de peine, ce seroit une cruauté de le forcer à continuer. — Trim, donne-moi le sermon, j’acheverai de le lire, et tu peux t’en aller si tu veux. — Je n’en voudrois pas lire davantage, répond Trim, pour la couronne des trois royaumes ; mais si monsieur veut me le permettre, je resterai pour l’entendre jusqu’à la fin. —

Le pauvre Trim ! s’écria mon oncle.