Vie et opinions de Tristram Shandy/1/52

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome premier. Tome secondp. 222-224).



CHAPITRE LII.

Mon père lit


« Enfin, voilà qu’on le ramène dans son cachot. Juste ciel ! en ne tardera pas à l’en tirer, pour le livrer aux insultes de la populace, et le précipiter ensuite dans ce bûcher qu’un zèle fantastique lui a préparé. — Et c’est là comme en agissent des fidèles !...... Malheureux enthousiastes ! ignorez-vous que cette conduite atroce est absolument opposée à l’esprit du christianisme ? Ah ! rappelez-vous cette règle décisive et sûre que Jésus-Christ nous a laissée : à fructibus eorum cognoscetis eos : vous reconnoîtrez ces faux zélés à leurs œuvres. »

Grâces à Dieu, il est donc mort ! s’écria Trim ; ses peines sont finies, et on ne peut pas lui faire plus de mal… Ah ! messieurs.

Ah ! tais-toi, dit mon père, un peu impatienté ; nous ne finirions jamais, si ces interruptions se renouvelloient si souvent.

« Je n’ajouterai à tout ce que je viens de dire, que deux ou trois règles fort courtes, qui en sont les conséquences.

» Toutes les fois qu’un homme déclame contre la religion, soyez sûr que la violence de ses passions l’a emporté sur sa croyance. — Une vie déréglée et une bonne croyance sont incompatibles ; et lorsqu’elles se séparent l’une de l’autre, c’est que l’on veut tâcher d’obtenir quelque tranquillité dans l’esprit.

» Lorsqu’un homme de cette espèce vous dira que telle ou telle chose choque sa conscience, c’est comme s’il vous disoit qu’elle lui cause du dégoût. Il faut le comparer à ces hommes blasés, qui ne peuvent supporter certains alimens.

» En un mot, ne vous confiez point à un homme, de tel rang qu’il soit, s’il n’est consciencieux dans toutes ses actions.

» Et pour ce qui vous regarde, souvenez-vous de cette distinction simple et sans équivoque. C’est que votre conscience n’est pas une loi. Non. C’est Dieu qui a fait la loi, et qui a placé la conscience en nous pour décider selon cette loi. — Mais n’allez pas croire que ce doit être comme un cadi asiatique, qui juge selon le flux ou le reflux de ses passions. La conscience ne doit juger que comme un juge britannique, qui, dans cet heureux pays de liberté, de raison et de bon sens, ne se fait point de nouvelles lois, mais juge suivant les lois qu’il trouve écrites. »