Vie et opinions de Tristram Shandy/2/3

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome premier. Tome secondp. 8-9).



CHAPITRE III.

Le chagrin rend injuste.


Il n’y avoit point de bonnes raisons, comme on sait, que mon père n’eût employées pour résoudre ma mère à se servir du ministère du docteur Slop. — Il vouloit absolument qu’elle le préférât à celui de la sage-femme ; mais il n’avoit pu rien gagner sur elle. Il lui avoit parlé en philosophe, en chrétien, etc..... Elle avoit toujours résisté, tout avoit été inutile. — Enfin pour dernière ressource, il s’étoit servi d’une raison singulière, qu’il croyoit infaillible, pour la déterminer à écouter favorablement sa proposition. Cependant, toute infaillible qu’elle étoit, elle ne lui réussit pas. — Il ne put jamais parvenir à en faire concevoir la force à ma mère.....

Que je suis malheureux ! s’écrioit-il, une après-midi qu’il venoit de raisonner avec elle une heure et demie entière, et le tout en vain : Que je suis malheureux ! Oui, disoit-il, en mordant ses lèvres ; c’est un fléau terrible pour tout homme qui se pique de faire des raisonnemens persuasifs, que d’avoir une femme dont la tête soit si lourde, l’esprit si hébété, qu’elle ne puisse comprendre la moindre des conséquences qui en sont la suite. Non, elle ne les comprend point… ne les comprendra pas… Il seroit question de sauver son ame de la perdition, que cela lui seroit égal..... Mariez-vous donc ! hélas ! la femme a, dit-on, été faite pour le bonheur de l’homme. Je le veux bien croire ; mais ce n’étoit pas pour le mien.