Vie et opinions de Tristram Shandy/2/7

La bibliothèque libre.
Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome premier. Tome secondp. 17-18).



CHAPITRE VII.

Mon père pourrait bien avoir raison.


Heureusement que mon père continua sa lecture. Il apprit que c’étoit la chose du monde la plus aisée pour un opérateur, que de tourner un enfant sens-dessus-dessous, et de lui faire faire une vire-vouste, une pirouette qui le feroit venir par les pieds..... Par-là il n’y avoit plus de danger. La medulla oblongata étoit simplement poussée vers le cerveau.

« Par le ciel ! s’écrioit-il, le monde conspire à nous faire perdre le peu d’esprit et d’entendement que la bonté divine nous a départi ! Les virtuoses même de l’art obstétrique participent à cette conjuration. Et que m’importe par quel bout on introduise mon fils dans le monde, pourvu que tout aille bien dans la suite, et qu’au moment qu’il y entre, on ne bouleverse pas son ame en culbutant, ou en écrasant sa medulla oblongata, qui est le siége de son ame ? »

Une fois qu’on a conçu une opinion, tout ce qu’on entend, tout ce qu’on voit, tout ce qu’on lit, semble concourir à la fortifier.

L’esprit de mon père se laissa préoccuper si fortement de celle-ci, qu’en moins d’un mois elle lui servoit à résoudre tous les phénomènes de stupidité et de génie qu’il rencontroit. — Il voyoit sur-le-champ par quelle raison le fils aîné étoit ordinairement le plus sot de la famille. « Le pauvre diable ! disoit-il habituellement, cela ne doit pas surprendre, c’est lui qui a frayé la route à ses cadets. Ils lui ont, sans le savoir, l’obligation d’avoir plus d’esprit que lui. » —