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Vie et opinions de Tristram Shandy/2/8

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome premier. Tome secondp. 19-20).



CHAPITRE VIII.

Ce seroit le goût de bien des Dames.


C’est sûrement cette opinion de mon père qui a excité un des grands hommes de ce siècle à chercher dans la température des différens climats, l’esprit, la cause et l’origine des lois. — Mon père rendoit raison par-là de la subtilité et de la pénétration d’esprit des Asiatiques, et de tous les peuples qui habitent les climats chauds — « Ce n’est pas précisément, disoit-il, que cet avantage leur vienne de ce qu’ils jouissent d’un ciel plus serein, qu’ils respirent un air plus pur, et qu’ils voient constamment luire le soleil… L’influence de ses rayons pourroit peut-être trop raréfier ou trop exalter les facultés de l’ame, de même qu’un climat froid pourroit peut-être trop les condenser, ou trop les épaissir… » Il remontoit jusqu’à la source ; et c’est là que, débarrassé de tous les si, de tous les mais, qui auroient pu lui faire obstacle, il trouvoit la véritable raison de la supériorité qu’il remarquoit dans ces peuples. « La chose est simple, disoit-il ; c’est que les femmes y accouchent plus facilement. Leurs plaisirs sont infiniment plus vifs, leurs peines infiniment moindres..... Que n’y suis-je donc ? disoit un jour madame… » Son nom est inutile, et d’ailleurs, quelle liste n’aurois-je pas à faire ?… Mon père concluoit de-là que la compression de la tête de l’enfant étoit si légère, qu’elle ne pouvoit altérer l’organisation du cerveau et de la medulla oblongata. — Il croyoit même qu’il en étoit ainsi dans tous les accouchemens naturels et faciles, et qu’il n’y avoit pas un fil rompu ou déplacé… Avec quelle liberté l’ame alors pouvoit agir !…