Vie et opinions de Tristram Shandy/2/75

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome premier. Tome secondp. 216-217).



CHAPITRE LXXV.

La double entente.


Eh ! eh ! Suzanne ; s’écria mon père en la voyant passer au bas de l’escalier avec un gros oreiller sous le bras, comment va ma femme ? comme-ça, dit Suzanne, sans s’arrêter. —

Et l’enfant ? Point de réponse.

Que dit le docteur Slop ? que fait-il ?

Suzanne étoit déjà loin. Mon père se mit le dos contre la rampe. « Frère Tobie, dit-il, de la multitude des énigmes que la vie conjugale offre sans cesse à deviner au pauvre mari, je n’en connois point de plus impénétrable que celle-ci. Ma perspicacité y a toujours échoué. C’est de savoir pourquoi et comment il se fait, dès que madame est en couche, que toutes les femmes de la maison en soient plus fières et plus impérieuses de moitié. — »

C’est que je crois, dit mon oncle Tobie, que nous nous paraissons à nous-mêmes plus petits. — Je ne vois point d’enfant nouveau né, que je ne sente, pour ainsi dire, que je m’appétisse. C’est un moment bien dur à passer pour une femme, continua-t-il en remuant la tête.

Oui, c’est un furieux moment, dit mon père en remuant aussi la tête.

Mais depuis que la mode est venue de remuer la tête en parlant, on ne la remua peut-être jamais par des motifs plus contraires.

Que Dieu les bénisse ! c’est ce que vouloit dire mon oncle.

Que le diable les emporte ! C’est ce que n’osoit dire mon père.