Vie et opinions de Tristram Shandy/3/19

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 73-74).



CHAPITRE XIX.

Patatras.


Ce n’étoit rien. — Je ne perdis pas deux gouttes de sang. _ Ce que je souffris par accident, rallie le souffrent par choix. — Cela ne méritoit pas d’appeler un chirurgien, eût-il demeuré tout proche. — Le docteur Slop en fit dix fois plus de bruit que la chose n’en valoit la peine. —

Quelques hommes se sont fait un nom par l’art de suspendre de grands poids avec de petits fils de métal ; et moi, Tristram Shandy, je paie encore aujourd’hui (10 août mil sept cent soixante-un), ma part de leur réputation.

Oh ! il y auroit de quoi faire damner un saint, de voir l’enchaînement de tout ce qui arrive en ce monde ! — La servante avoit oublié de mettre un pot de chambre sous le lit. — Ne pouvez-vous, me dit Suzanne, en soulevant le châssis de la fenêtre d’une main, et m’amenant tout près de la banquette avec l’autre, ne pouvez-vous, mon petit ami, essayer pour une fois de vous en passer ?

J’avois alors cinq ans. — Suzanne ne fit pas réflexion que de père en fils nous portions un nez ridiculement raccourci ; témoin mon bisayeul. — Pan, — le châssis retomba sur nous comme un éclair. — Tout est perdu ! s’écria Suzanne, tout est perdu ! je n’ai plus qu’à me sauver.

Elle vouloit s’enfuir chez ses parens ; la maison de mon oncle Tobie lui parut un asile plus assuré. — Suzanne y vola.