Vie et opinions de Tristram Shandy/3/77

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 212-213).



CHAPITRE LXXVII.

L’Auteur s’égare.


Je disois au lecteur chrétien… chrétien !… sans doute, et j’espère qu’il l’est. — Et s’il ne l’est pas, j’en suis fâché pour lui. Mais qu’il s’examine sérieusement lui-même, et qu’il ne s’en prenne pas à mon livre. —

— Je lui disois, monsieur… car, en bonne foi, quand on raconte une histoire, suivant l’étrange méthode que j’ai prise, on est sans cesse obligé d’aller et de revenir sur ses pas, pour empêcher le lecteur de perdre le fil du discours. — Et si je n’avois pas eu le soin d’en user ainsi, — j’ai traité de choses si variées et si équivoques ; — il y a dans mon ouvrage tant de vides et de lacunes ; — les étoiles que j’ai placées dans quelques-uns des passages les plus obscurs, éclairent si peu un lecteur, disposé à perdre son chemin en plein midi, que….. vous voyez que j’ai perdu le mien.

Oh ! la faute vient uniquement de mon père et de sa pendule. — Et si jamais on dissèque mon cerveau, on y verra sans lunettes quelque lacune, produite par l’impertinente question de ma mère.

Quantò id diligentiùs in liberis procreandis cavendum, dit Cardan.

Donc, messieurs, vous voyez qu’il est moralement impossible que je retrouve le point d’où j’étois parti.

Il vaut mieux recommencer entièrement le chapitre.