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Vie et opinions de Tristram Shandy/4/24

La bibliothèque libre.
Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 65-67).



CHAPITRE XXIV.

Papillotes.


Quand nous arrivâmes chez le sellier, nous trouvâmes sa maison fermée, aussi bien que sa boutique. — C’étoit le huit septembre, jour de la Nativité de la bienheureuse vierge Marie, mère de Dieu.

On avoit planté le mai, et tout le monde y couroit ; toutes les musettes étoient en l’air ; — c’étoit des sauts, — des cabrioles : — on dansoit, — on chantoit ; — personne ne s’embarrassoit de moi ni de mes tablettes. — Je m’assis à la porte sur un banc, et je me mis à philosopher sur le malheur de ma position. Par un hasard plus heureux que je n’ai coutume d’en rencontrer, il n’y avoit pas une demi-heure que j’attendois, quand la maîtresse entra, pour ôter ses papillotes avant d’aller au mai.

Il est bon que vous sachiez que les Françoises aiment les mais à la folie,… presque autant que leurs petits chiens. Donnez-leur un mai, n’importe en quel mois ce soit, — elles y courront, elles y oublieront le boire, le manger et le dormir. — Et si nous avions la politique, en temps de guerre, de leur envoyer une cargaison de mais, (d’autant que le bois commence à devenir rare en France) — les femmes les planteroient d’abord, ensuite hommes et femmes se mettroient à danser à l’entour, et laisseroient le pays à notre discrétion.

La femme du sellier rentra, comme je vous, l’ai dit, pour ôter ses papillotes. — La toilette est pour les dames la première occupation de la vie. Tout en ouvrant la porte, la femme du sellier ôta sa coiffe, et commença à jetter ses papillotes : — une d’elles tomba à mes pieds ; — je reconnus mon écriture. —

« Ô dieux ! m’écriai-je, madame, vous avez toutes mes remarques sur la tête. — J’en suis bien mortifiée, dit-elle. — Il est bien heureux pour elles, pensai-je, qu’elles se soient arrêtées à la superficie. Pour peu qu’elles eussent pénétré plus avant, elles auroient mis une caboche femelle, et surtout françoise, dans une telle confusion, que mieux auroit fallu pour elle demeurer toute l’éternité sans être frisée. » —

— Tenez, dit-elle. — Et sans avoir la moindre idée de la nature de mes souffrances, elle ôta ses papillotes, et les mit gravement l’une après l’autre dans mon chapeau. L’une étoit tortillée d’une façon, l’autre tortillée de l’autre. — « Et par ma foi, dis-je, si elles sont jamais publiées, on verra bien un autre tortillage. »