Vie et opinions de Tristram Shandy/4/25

La bibliothèque libre.
Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 67-68).



CHAPITRE XXV.

La colique.


« Allons voir l’horloge, dis-je, de l’air d’un homme que les difficultés n’arrêtent pas, — allons voir l’Histoire de la Chine et le reste. Rien ne sauroit à présent m’en, empêcher, — si ce n’est le temps, dit François ; car il est près d’onze heures. — Il n’y a qu’à marcher plus vite, dis-je. » Et nous prîmes le chemin de la cathédrale.

Dans la vérité de mon cœur, je ne puis dire que j’aie éprouvé la moindre peine, quand un sacristain que je rencontrai sur la porte, me dit que la fameuse horloge de Lippius étoit toute détraquée, et qu’elle n’alloit plus depuis plusieurs années. « J’en aurai plus de temps, me dis-je à moi-même, pour parcourir l’Histoire de la Chine ; et d’ailleurs, je suis plus en état de rendre compte de l’horloge depuis qu’elle ne va plus, que si elle eût été dans son état florissant. »

Ainsi donc je m’acheminai au collège des Jésuites.

Il en est du projet que j’avois de voir cette Histoire de la Chine, comme de beaucoup d’autres que je pourrois citer, qui ne frappent l’imagination que de loin ; car à mesure que je m’approchois de l’objet, mon sang se réfroidissoit ; peu à peu ma fantaisie passa, tellement que je n’aurois pas donné une obole pour la satisfaire. — La vérité étoit, qu’il me restoit peu de temps, et que mon cœur m’entraînoit au tombeau des deux amans. — « Je prie le ciel, dis-je, en saisissant le marteau pour frapper, que la clef de la bibliothèque ne se trouve point. » Il en arriva autrement ; mais la chose revint au même.

Tous les Jésuites avoient la colique, et une colique telle qu’ils n’en sont pas encore guéris.