Vie et opinions de Tristram Shandy/4/78
Chez Jean-François Bastien, (Tome troisième. Tome quatrième, p. 211-213).
CHAPITRE LXXVIII.
Les Critiques.
Au reste, ne prenez pas ceci pour une digression ; je ne fais encore que m’y préparer, en attendant le soixante-dix-neuvième chapitre ; et je puis employer celui-ci à ce qu’il me plaira. — Voyons ; — j’ai vingt sujets pour un : — je pourrois écrire mon chapitre des boutonnières, — ou mon chapitre des fi, qui doit le suivre immédiatement. —
Ou mon chapitre des nœuds, sous le bon plaisir du clergé ; mais tout cela pourroit mal tourner pour moi. Ce que j’ai de mieux à faire, c’est de suivre la méthode de quelques savans, et de me faire à moi-même des objections contre ce que j’ai écrit ; quoique je déclare d’avance que je ne sais pas plus que mes pantoufles comment y répondre.
Ô que de critiques vont pleuvoir sur mon livre ! « C’est une satyre enragée, dira quelqu’un, aussi noire que l’encre dont l’auteur se sert, et digne en tout de Thersite. — C’est un libelle atroce, et tous les blanchissages et savonnages du monde n’y font rien. — D’ailleurs, plus le drôle est déguenillé, plus les sarcasmes viennent en foule au bout de sa plume. »
À cela je n’ai qu’une réponse prête, au moins pour le moment. — C’est que l’archevêque de Bénevent composa son indécent roman de Galathée en habit violet, veste et culottes violettes ; ce qui prouve que l’habit ne fait pas tout. —
« Mais, dit le critique, vous ne pouvez pas nier que la recette du rasoir que vous indiquez n’ait un grand défaut, — le manque d’universalité. La loi invariable de la nature rend ce secret inutile à toute une moitié du genre humain. » —
Tout ce que je puis dire là-dessus, c’est que les écrivains femelles, Angloises et Françoises, feront bien d’aller sans barbe. —
Quant aux Espagnoles, elles iront comme elles voudront.