Vie et opinions de Tristram Shandy/4/85

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 220-221).



CHAPITRE LXXXV.

La Revue.


Comme il y a cinquante motifs différens, tant de l’ordre civil que de l’ordre religieux, pour lesquels une femme peut prend un mari, elle commence par les considérer et les peser soigneusement tous ensemble ; ensuite elle les distingue, les sépare, et cherche à démêler dans son esprit lequel de tous ces motifs est le sien. Ensuite, par propos, enquêtes, raisonnemens, inductions, elle cherche à s’assurer si elle a choisi le bon. Enfin, elle essaie, elle éprouve, elle veut voir si elle ne s’est pas trompée. —

L’allégorie de Slawkenbergius sur ce sujet, au commencement de sa troisième décade, est si originale, et mon respect pour les dames est si profond, que jamais je n’oserai la leur dire ; et c’est dommage, car elles en riroient.

Elle arrête le premier âne, dit Slawkenbergius, et le tient par le licou, de crainte qu’il ne lui échappe ; puis elle plonge sa main jusqu’au fond du panier pour y chercher… et quoi ? — Ma foi, dit Slawkenbergius, ce n’est pas le moyen de l’apprendre que de m’interrompre. —

Je n’ai rien, ma bonne dame, dit l’âne ; je porte des bouteilles vides.

Et moi de vieilles guenilles, dit le second.

Ta charge vaut un peu mieux, dit-elle au troisième, tu portes des pantoufles et de vieilles culottes. —

Elle passe ainsi en revue le quatrième, le cinquième âne, et tout le reste de la file l’un après l’autre, jusqu’à ce qu’elle ait trouvé celui qui porte ce qu’elle cherche. — Alors elle renverse le panier, — étale la marchandise, — regarde, — l’examine, — la mesure, — l’étend, — la mouille, — la sèche, — la tourne, — la retourne, —, et puis l’emporte.

— Mais pour l’amour de Dieu, quelle marchandise ?

Toutes les puissances de la terre, répond Slawkenbergius, ne me feroient pas dire mon secret.