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Vieilles histoires du pays breton/Le Péché d’Ervoanic Prigent

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Honoré Champion (p. 310-323).

LE PÉCHÉ

D’ERVAONIC PRIGENT



I


Ceux qui ont connu Ervoanic Prigent se le rappellent encore. Il était de ceux qu’on n’oublie pas.

Quand on le voyait arriver dans les bourgs du Trégor, — avec son éternel chapeau haut, aux plis avachis d’accordéon, et qu’ornait une guirlande de fausses fleurs, avec son habit aux longues basques traînantes qui faisaient derrière lui une espèce de sillage dans la poussière ou la boue des rues, — vite les enfants accouraient, et c’étaient de toutes parts des appels bruyants :

— Ervoanic ! Ervoanic !

Lui, habitué à ces ovations les accueillait avec une indulgence hautaine de souverain en tournée.

Il se campait fièrement, au beau milieu de la place du bourg, croisait l’un sur l’autre les revers de son habit à basques et envoyait de la main des saluts protecteurs à toute la foule des polissons.

Il passait pour un homme simple ou — comme ou dit là-bas — pour un innocent. On s’en amusait, tout en lui témoignant cette sorte de vénération, qui s’attache, en Bretagne, à la sacro-sainte confrérie des mendiants.

À vrai dire, Ervoanic ne mendiait pas.

Jamais on ne le vit tendre son chapeau ni demander un morceau de pain. Il eût refusé l’aumône, si on la lui avait offerte.

Ce prétendu idiot s’était arrangé sa vie en homme d’esprit. Il avait son jour pour rendre visite à chaque maison, — le jour où il était assuré d’y faire le meilleur repas. Il connaissait les menus habituels de toutes les fermes et de tous les manoirs du pays, à six lieues à la ronde, et ne se montrait sur les seuils que les jours de soupe fraîche. Régulièrement, il se présentait au bon moment. Pas une fois, la mémoire de son estomac ne se trouva en défaut, au cours d’une existence qui fut pourtant des plus longues, car il approchait de la centaine lorsque, selon son expression, il s’en alla goûter de la cuisine du bon Dieu, en paradis.

Il mourut, n’ayant commis qu’un péché, ~ de gourmandise, cela va de soi.

Et voici comme on le raconte en Trégor, ce péché d’Ervoanic Prigent.


II

À l’approche des Gras une odeur de porc frais tué s’épand à travers l’Armorique.

L’air est embaumé d’un parfum de côtelettes qui rissolent.

Au bord des eaux courantes, les servantes lavent les boyaux qui se tortillent comme des anguilles captives ; au dessus des flambées d’ajonc, dans la cuisine qui rougoie, les ménagères font cuire le sang caillé.

Vive le boudin !

Mais qu’est-ce auprès de la vénérable andouille, pieusement entretenue, âgée déjà de plusieurs hivers et qui rêve, toute ridée, dans un coin de l’âtre, ainsi que la statue d’un lare antique ?

Ah ! l’andouille !…

Le recteur de Trédarzec en possédait une qui pesait cinq livres… oui, cinq belles et bonnes livres, et peut-être quelques onces de plus ! Toutes les saintes âmes des vieilles filles de la paroisse s’étaient entendues (chose exceptionnelle !) pourl’offrir à Dom Karantec, en souvenir d’un jubilé.

Lorsque le bon recteur entrait dans la cuisine, — ce qui lui arrivait principalement le soir, après quelque visite lointaine à une de ses ouailles, — tout en tournant ses pouces et en étirant ses jambes devant le foyer, il disait, d’une voix onctueuse :

— Ne pensez-vous pas qu’il est temps de la manger, Coupaïa ?

Et Coupaïa, la gouvernante, répondait en bougonnant :

— Une andouille pareille !… Pouvez-vous blasphémer ainsi ?… Attendez du moins jusqu’aux Gras !…

Mais les Gras se succédaient… et se ressemblaient. Et l’andouille commémorative demeurait suspendue au plafond, où elle se balançait doucement, lorsque les courants d’air entraient avec les mendiants de passage.

De ces hôtes, infirmes d’esprit ou de corps, qui venaient, de temps à autre, loqueter à l’huis du presbytère de Trédarzec, le plus assidu, comme bien on pense, était Ervoanic Prigent.

Il apparaissait quelquefois le dimanche, s’il avait appris dans la semaine qu’il dût y avoir à la cure des convives étrangers. Mais, tous les vendredis, il était ponctuel.

C’était un de ses axiomes que, seules, les gouvernantes de ces messieurs prêtres s’entendent à faire doucement digérer les jours maigres àh de robustes estomacs de chrétiens. Et donc, le vendredi matin, il quittait Tréguier où il avait eu soin de s’en venir coucher la veille, franchissait la rivière sur le pont Canada, s’arrêtait à Notre-Dame de Tromeur pour réciter une courte prière et prendre haleine avant de s’engager dans la montée ; puis, musant et flânant, semant des bonjours, de droite et de gauche, aux petites chaumines proprettes, enguirlandées de vigne vierge, qui jalonnent la route, il grimpait vers Trédarzec, du pas tranquille d’un invité qui a pris ses précautions pour arriver à temps et qui s’attarde volontiers à humer l’air frais, histoire de s’aiguiser l’appétit.

Le presbytère est situé derrière l’église ; pour couper plus court, Ervoanic s’acheminait à travers le cimetière. Parfois, il rencontrait Dom Karantec sortant de la sacristie.

Le cher vieux prêtre passait familièrement son bras sous celui du mendiant.

— Ha ! Ha ! crois-tu que ce soit l’heure du déjeuner, Ervoanic ?

— Voyez le Calcaire des morts, monsieur le recteur… L’ombre courte de la croix annonce qu’il est près de midi.

— Sais-tu, Ervoanic, que tu n’es peut-être pas aussi simple qu’on le prétend ?

— Il se pourrait, monsieur le recteur.

Tous deux entraient de compagnie, et Dom Karantec, poussant la porte de là cuisine, criait à Coupaïa :

— Je vous amène votre amoureux, Ervoanic Prigent, qui vient vous demander en mariage.

Il n’y avait guère de vendredi dans l’année que Coupaïa n’entendit ce refrain.

— Hé ! faisait-elle, on ne sait pas… La volonté de Dieu est grande.

Ervoanic, lui, riait discrètement, gagnait la table de chêne massif accotée à la fenêtre, et attendait, avec une patience dévote, les mains jointes, les yeux au plafond, que la gouvernante eût fini de tremper l’exquise soupe au congre, fleurant un parfum de beurre fondu et d’herbes fines, dont elle ne manquait pas de lui réserver une pleine écuellée.

Car, il n’y a pas à dire, il avait su attendrir le cœur de la rébarbative Coupaïa, ce diable d’homme.

Elle l’avait pris en amitié sincère, rien que pour le regard enamouré dont il caressait l’andouille, dès le seuil.

Leurs âmes communiaient dans le culte de l’andouille : ils causaient d’elle ensemble, longuement, d’un accent pénétré.

— N’est-ce pas qu’elle est belle, Ervoanic ?

— Et comme elle doit être bonne !… Toutes les vertus, Coupaïa !

La gouvernante avait le nez bossué de verrues et les joues creusées de larges sillons, comme les champs après les labours d’octobre. Il y avait cependant des pauvres qui la comparaient à la Vierge pleine de grâces !… Ceux-là, elle les mettait à la porte, avec un haussement d’épaules et un simple morceau de pain. Ervoanic, plus avisé, lui vantail l’andouille du jubilé.

Il avait tout de même ses finesses, cet Ervoanic.

Il murmurait quelquefois, sur un ton de patenôtre :

— Je veux bien mourir, pourvu que j’y aie goûté.

La vieille reprenait, tremblante d’émotion :

— Parlez franchement !… Trouvez-vous qu’elle gagne ?

— Certes oui, Coupaïa. Elle prospère. Elle mûrit I… Le culot monte… Encore un an, elle sera noire comme ma pipe.

Or, les temps étaient venus.

Tant de fumées et de convoitises avaient frôlé la peau de l’andouille qu’elle en était noire, plus noire que la pipe d’Ervoanic Prigent, aussi noire que la soutane, la belle soutane neuve de Dom Karantec.


III


En quelle année ceci se passait-il ? L’histoire ne le dit point.

L’hiver remontait vers le Nord, de son allure cassée de vieillard cacochyme, le dos voûté sous un énorme parapluie, tel que se le représentent volontiers les Bretons. C’est à peine si l’on percevait encore dans le lointain les éclats voilés de sa grosse toux et de ses tristes éternuements… Et, le Vieux parti, la jeunesse de la terre se risquait timidement à rouvrir les yeux, ses clairs yeux printaniers où riait la vie renaissante après l’engourdissement d’un long sommeil.

On assistait de tous côtés au réveil de la Belle au bois dormant.

La Chanson des Gras courait les sentiers des champs et les sentiers des grèves, hurlée à tue-tête par des groupes d’adolescents :

En l’honneur de Malargez[1]
Liesse en toute maisonnée !

Voici venir le Temps nouveau
Derrière l’Ancien tempe en fuite.

C’est nous les joyeux messagers !
Noue annonçons la bonne nouvelle.

Ouvres les portes, les fenêtres,
Au nom du soleil, notre maître !

Ouvrer, ouvres vos cœurs aussi,
Au nom du bon soleil béni !

Soyez heureux, riches et pauvres !
Ainsi le veut le soleil d’or.

Le soleil d’or vient sur nos pas :
D’on sourire il fait fondre la neige ;

D’un sourire il fait naître l’amour…
C’est la chanson de Malargez !…


Ce matin-là, Ervoanik Prigent s’éveilla tout radieux sur la couchette de paille qu’il s’était dressée le soir d’avant, dans la grange de maître Bertrand Le Gonidec, l’opulent boucher de Pleumeur.

Il avait eu, sur la fin de son sommeil, un songe merveilleux.

Une noble dame, aux formes un peu grasses, parée comme une Madone, était venue vers lui, dans une auréole de lumière bleue semblable à la vapeur qui flotte dans les cuisines bretonnes, les jours de gala, et, le touchant au front, lui avait dit d’une voix très douce :

— Ervoanik, ce n’est pas en vain que tu m’auras si longtemps vénérée en silence. Tes assiduités muettes m’ont pris le cœur. Apprends que je veux être à toi désormais, à toi seul !

Alors, lui, effaré :

— Qui êtes-vous, ô noble dame, et en quoi ai-je pu mériter une telle faveur ?

— Je suis l’andouille, Ervoanik, l’andouille qui t’est chère entre toutes, l’andouille du presbytère de Trédarzec !

À ces mots, transporté de reconnaissance et d’amour, le pauvre homme avait tendu les bras vers elle pour l’étreindre, mais déjà elle s’était évanouie comme une ombre, ne laissant derrière elle d’autre témoignage de sa venue qu’un âcre parfum d’épices qu’Ervoanik savourait encore lorsqu’il se réveilla.

— C’est égal, murmura-t-il ; il y a dans ce rêve un avertissement. J’hésitais vers quel logis orienter mes pas, en ce jour de Malargez où toutes les cuisines bretonnes se tranforment à l’envi en lieux de délices. L’embarras du choix me laissait perplexe… Désormais, je suis fixé.

Et, dans la grâce adolescente du matin, il s’en alla vers Trédarzec…

— Bonjour, Coupaïa !

— Ah ! c’est vous, Ervoanic ?

Coupaïa est très affairée.

Et ce n’est pas sans motif.

Toutes les casseroles de cuivre sont descendues au foyer, des clous de leur cadre de bois où, la veille encore, elles se contentaient de briller inutilement.

Elle tiennent à montrer, semble-t-il, quelles ne sont pas de simples ustensiles de parade.

Rangées en bataille, le long de l’âtre, elles se comportent toutes le plus bravement du monde, même celles qui voient le feu pour la première fois.

En pourrait-il être autrement, avec un généralissime culinaire de la force de Coupaïa ?

Elle s’empresse de l’une à l’autre, active celle-ci, modère celle-là, prodigue à toutes son expérience et ses encouragements.

Devant ce superbe spectacle, Ervoanic demeure bouche bée, extasié.

— Vierge Marie ! s’écrie tout à coup la servante, j’ai oublié le persil !

— Désirez-vous que j’aille en prendre, Coupala ?

— Vous ! allons donc !… Vous ne savez seulement pas la manière de le cueillir… Vous croyez que ça se fait comme ça peut-être… Ah ! bien oui !… Je ne vous demande qu’une chose, c’est de veiller, jusqu’à ce que je revienne, sur la casserole que voici. Que l’eau ne trotte pas, surtout ! Au besoin, vous soulèverez un peu le couvercle. Pensez que c’est l’andouille qui est là-dedans, Ervoanic !

— L’andouille ? la belle andouille ?

— Elle-même, en vérité.

Ervoanic lève la tête, constate, en effet, le vide laissé par l’andouille au milieu des viandes salées qui sèchent appendues aux solives. Il se refuse à en croire ses yeux.

Et il rougit, rougit jusqu’au bout de ses oreilles velues dont le poil se hérisse.

— C’est extraordinaire, Coupaïa !

— Dame ! on n’a pas tous les jours à déjeuner M. l’archiprétre… Suffit !… Je compte sur vous, au moins ?

— Soyez tranquille !

Ervoanic s’agenouille devant la casserole sacrée, tandis que Coupaïa se dirige d’un trot menu vers le jardin. Ervoanic se sent triste, affreusement triste.

— Une si belle andouille !… Et si bonne !… toutes les vertus !…

À ses lèvres montent des phrases solennelles d’oraison funèbre.

S’il s’écoutait, il entonnerait le De profundis, le De profundis de l’andouille.

Et cependant, à vrai dire, elle n’est pas morte.

Elle vit, au contraire, d’une vie qu’il ne lui connaissait pas. Sous le couvercle de son cercueil, qu’il a soulevé doucement, il l’aperçoit qui fait de petits mouvements joyeux, qui frétille d’aise, comme si elle n’avait jamais été si bien ; et, au bruit des mets qui mijotent à côté d’elle, la voilà qui se met à chanter aussi, à chanter de sa voix pansue les refrains les plus extravagants.

Sans respect pour la sainteté du lieu — la cuisine du presbytère ! —, Elle débite à Ervoanic Prigent, avec mille cajôleries de gueuse, des propos si alléchants que, ma foi ! notre homme en perd la tête, et…


IV


Lorsque la vénérable Coupaïa rentra du potager, un fin bouquet de persil à la main, Ervoanic Prigent n’était plus là, et l’andouille aussi avait disparu.

— Le misérable ! il l’a enlevée !

Non, bonne Coupaïa, il s’est laissé enlever par elle.

Que dirait Dom Karantec ? Que penserait M. l’archiprêtre ?

Coupaïa était déjà dehors, ameutant les commères du bourg qui s’exclamaient, avec des mines scandalisées :

Jésus-Maria-Crédo !… Miséricorde !… Ervoanic Prigent !… Est-il possible !… Un si doux homme ! L’enfant du bon Dieu ! un innocent !…

Et toutes de se mettre à la poursuite de l’infâme ravisseur. On fouilla les coins et les recoins, les crèches et les granges. On le chercha partout, sauf là où il était, c’est-à-dire à l’église.

Mon Dieu, oui ! à l’église, où officiait précisément M. l’archiprêtre, en somptueuse chasuble mauve, ornée dans le dos d’un resplendissant soleil d’or.

Entré par la porte du bas-côté, Ervoanic s’était glissé le long de la muraille jusqu’au confessionnal, où Dom Karantec achevait d’écouter d’une oreille bénigne et d’absoudre d’une main paternelle les péchés de ses ouailles, car l’heure de la communion approchait.

C’était un excellent chrétien qu’Ervoanic Prigent ; et, bien qu’à l’entendre il n’eut jamais eu « ni père ni mère », il n’en avait pas moins une conscience scrupuleuse, plus scrupuleuse peut-être que celle de beaucoup de gens très apparentés. Tout en pressant le fruit de son larcin contre son cœur, sous sa pauvre chemise en loques, il ne laissait pas de se faire les reproches les plus sanglants. Réfugié dans un angle obscur, près du tribunal de pénitence, il se meurtrissait la poitrine de Mea culpa sonores, attentif néanmoins à ne pas froisser l’andouille dont la tiédeur humide caressait doucement sa chair.

Son tour venu, il s’agenouilla d’un air contrit sur le petit banc de bois, la figure à la hauteur du guichet.

— Mon père, bénissez-moi parce que j’ai péché !

— Est-ce que ce n’est pas vous, Ervoanic ?

— Hélas ! si, monsieur le recteur.

— Quelle est cette idée qui vous prend, mon garçon ?… Les innocents, comme vous, ne pèchent point.

— Je ne demande pas mieux que de vous croire, monsieur le recteur… Cependant, je ne suis pas tranquille…

— Allons, confiez-moi donc ça. Mais faites vite, car l’Élévation a sonné, et M. l’archiprêtre m’attend à l’autel.

— Voilé. J’ai volé, monsieur le recteur.

— Volé, Ervoanic ? Ah ! c’est mal, en effet, c’est très mal. Vous n’avez qu’un moyen de réparer votre faute, c’est de restituer. Reportez ce que vous avez dérobé à la personne à qui vous avez fait tort.

— Oui, j’y ai pensé, mais… Peut être, monsieur le recteur, qu’en vous remettant la chose à vous-même…

Ici, le bon apôtre lit semblant de plonger la main dans ses haillons.

Dom Karantec l’arrêta vivement :

— Ta, ta, ta, Ervoanic, cela ne me regarde point.

— Je vous en prie, monsieur le recteur.

— Jamais de la vie.

— Bien vrai… vous ne voulez pas ?…

— Non, vous dis-je.

— Hélas ! monsieur le recteur, c’est qu’alors je ne sais plus comment faire.

— Voyons. Vous vous rappelez pourtant quel est le propriétaire ?

— Certes.

— Eh bien ! vous allez à lui et vous lui dites : « Je vous rapporte votre bien. » Est-ce assez simple ?

— Vous parlez d’or, monsieur le recteur. Mais s’il ne consent pas à le reprendre ?

— Vous le lui avez donc proposé.

— Foi d’honnête homme, monsieur le recteur… d’honnête homme qui n’a péché qu’une fois.

— Que ne le disiez-vous tout de suite !… Finissez votre Confiteor. Je vous donne l’absolution. Allez en paix, Ervoanic.

— Dieu vous fasse vivre longtemps, monsieur le recteur.


V


Dom Karantec n’apprit qu’une heure plus tard de quelle façon il avait été joué. Il eut l’esprit d’en rire. M. l’archiprêtre rit aussi, mais du bout des lèvres seulement, en homme que l’on fait jeûner, après lui avoir promis merveilles. Car le dîner, qui devait être succulent, fut détestable.

À vouloir courir après l’andouille, Coupaïa avait laissé brûler les autres plats.

Ce fut un désastre.

Ervoanic Prigent eut, en revanche, des Gras tels qu’il les eût souhaités à Dieu même. Il avait gagné la campagne, le pied leste, l’estomac en bel appétit et la conscience en repos. Pour la première fois de sa vie, de sa dure vie de vagabond, il allait pouvoir s’offrir une bombance chez lui, c’est-à-dire en plein air, en plein soleil, en pleine nature. Un ciel fin, léger, pommelé d’une ouate immobile de nuées d’argent, enveloppait les collines trégorroises d’une paix et d’une mansuétude infinies. Ervoanic dévora pieusement la plus exquise des andouilles, dans un coin de champ tout embaumé d’herbe nouvelle, avec une source fraîche à portée de sa main et les gazouillis d’oiseaux au dessus de sa tête.

Et telle est la naïve histoire du péché d’Ervoanic Prigent. Je la tiens d’un charbonnier nomade, d’un marchand de farine noire, comme on dit en Trégor.



  1. Personnification bretonne du Mardi-Gras.