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Vies des hommes illustres/Fabius Maximus

La bibliothèque libre.
Traduction par Alexis Pierron.
Charpentier (1p. 404-441).


FABIUS MAXIMUS.


(Né en l’an… et mort en l’an 205 avant J.-C.)

Nous avons montré Périclès, dans ce que nous avons pu recueillir de ses actions remarquables ; faisons maintenant le récit de la vie de Fabius.

Une nymphe, disent les uns, une femme du pays, disent les autres, reçut, au bord du Tibre, les caresses d’Hercule, et elle donna le jour à un enfant qui fut appelé Fabius, et qui devint la tige d’une nombreuse et illustre famille de Rome, celle des Fabius[1]. Mais il y a des auteurs qui pensent que les ancêtres de cette famille furent appelés Fodius, parce qu’à la chasse ils creusaient des fosses, pour prendre les bêtes fauves ; car une fosse se dit, en latin, fossa, et creuser la terre, fodere. Dans la suite, par l’altération de deux lettres, ce nom de Fodius se changea en Fabius.

Cette maison produisit beaucoup de grands hommes, parmi lesquels se distingua surtout Fabius Rullus, que les Romains surnommèrent Maximus, c’est-à-dire le très-grand : il était le trisaïeul de celui dont nous écrivons la Vie. Une particularité physique fit donner à notre Fabius le surnom de Verrucosus : c’était une petite verrue, qu’il avait au haut de la lèvre. On lui avait aussi donné celui d’Ovicula, qui signifie petite brebis ; et cela parce que, dans son enfance, il était d’un caractère doux et d’un esprit pesant. Tranquille et taciturne, il ne montrait aucune vivacité dans les jeux de son âge ; et le développement lent et pénible de son intelligence, son manque de volonté, sa docilité pour les caprices de ses camarades, le faisaient juger presque imbécile et stupide, par ceux qui ne pouvaient le connaître que sur les apparences. Bien peu savaient apercevoir, dans les profondeurs de cette jeune âme, une inébranlable fermeté, une magnanimité de lion. Pourtant les circonstances politiques ne tardèrent pas à éveiller cette âme qui sommeillait ; et l’on reconnut que ce que l’on avait cru stupidité, paresse, engourdissement, insensibilité, n’était qu’absence momentanée de passion quelconque, gravité réfléchie, fermeté et constance. Citoyen d’une grande république, et qui soutenait des guerres multipliées, il regarda son corps comme une arme donnée par la nature, et il le prépara, par l’exercice, aux travaux de la guerre. Jugeant l’art de la parole un moyen de persuasion puissant sur le peuple, il s’appliqua à l’éloquence, mais à un genre d’éloquence qui répondît à sa vie, à son caractère. Ces ornements, cet éclat léger et frivole qui n’a de mérite qu’aux yeux de la foule, étaient bannis de ses discours : on n’y trouvait que le bon sens qui lui était naturel, que l’abondance et la profondeur des pensées ; ce qui faisait comparer son style à celui de Thucydide. On a conservé un de ses discours, qu’il prononça devant le peuple : c’est l’oraison funèbre de son fils, mort après avoir été consul[2].

Fabius fut cinq fois consul. Pendant son premier consulat, il triompha des Ligures, qu’il avait vaincus en bataille rangée ; et les Ligures, effrayés de la grandeur de leurs pertes, se retirèrent aux Alpes, et cessèrent leurs incursions et leurs ravages dans les campagnes de l’Italie, dont ils étaient voisins[3]. Ensuite[4], Annibal envahit l’Italie : il remporta d’abord une première victoire sur les bords de la Trébie[5] ; puis il traversa l’Étrurie, en la dévastant, et il jeta dans Rome l’épouvante et la consternation. En même temps, les Romains voyaient des signes et des prodiges : les uns, comme la chute de la foudre, leur étaient bien familiers ; mais d’autres étaient tout à fait extraordinaires, et vraiment surnaturels. On disait, par exemple, que des boucliers avaient sué du sang ; que, dans les campagnes d’Antium, le chaume des blés avait teint de sang la faux des moissonneurs ; qu’il était tombé du ciel des pierres ardentes et enflammées ; que les habitants de Faléries avaient vu le ciel s’ouvrir au-dessus de leur ville, et qu’il en était tombé une quantité de tablettes qui avaient jonché la terre, et dont une portait ces mots : Mars agite ses armes !

Cependant aucun de ces prodiges ne put arrêter le consul Caïus Flaminius, homme d’un caractère fougueux et plein d’ambition, enorgueilli d’ailleurs des succès qu’il avait précédemment obtenus contre toute attente ; car, malgré la défense du sénat et l’opposition de son collègue, il avait livré une bataille aux Gaulois, et il l’avait gagnée[6]. Ces prodiges avaient répandu l’épouvante dans tous les cœurs : Fabius en fut bien un peu affecté, mais moins que le vulgaire, parce qu’il n’y voyait aucun motif fondé de crainte. Lorsqu’il connut le petit nombre des ennemis, et la pénurie dans laquelle ils se trouvaient, il conseilla aux Romains de prendre patience ; de ne pas en venir aux mains avec un homme dont les troupes s’étaient aguerries par plusieurs combats ; d’envoyer des secours aux alliés ; de mettre à couvert, de conserver les villes, et de laisser cette vigueur impétueuse d’Annibal se consumer d’elle-même, comme une flamme qui brille d’un vif éclat, mais qui, n’ayant que des aliments légers, ne peut durer bien longtemps.

Flaminius n’écouta rien ; et il s’écria qu’il n’attendrait point que la guerre arrivât jusqu’aux portes de Rome, et que, pour la défendre, il lui fallût, comme autrefois Camille, combattre au sein de la ville même. Il donna donc ordre aux tribuns des légions de faire sortir l’armée. Mais, comme il s’élançait sur son cheval, l’animal, effrayé sans aucune cause apparente, fut saisi d’un tremblement inexplicable : il se cabra ; et il jeta son cavalier à terre, la tête la première. Le consul ne changea point pour cela de résolution. Il s’obstina dans son premier dessein de courir à la rencontre d’Annibal ; et il alla ranger ses troupes en bataille auprès d’un lac d’Étrurie, nommé Thrasymène. Les deux armées en vinrent aux mains. Au moment même du premier choc, survint un tremblement de terre, qui renversa des villes, changea le cours de plusieurs rivières, ouvrit des gouffres au pied des montagnes déchirées ; et, malgré la violence d’une telle commotion, aucun des combattants ne s’en aperçut. Flaminius tomba, après avoir fait des prodiges de courage et de vigueur ; et les plus braves se firent tuer autour de son corps. Les autres ayant pris la fuite, il se fit un horrible carnage : il y eut quinze mille Romains tués, et autant de pris[7]. Annibal désirait faire à Flaminius des funérailles honorables, à cause de sa bravoure ; mais il fit vainement rechercher son cadavre : on ne le trouva point parmi les morts ; et on ne sait comment il avait disparu.

Lors du désastre de la Trébie, ni le général qui en avait écrit au sénat, ni le messager chargé d’en apporter la nouvelle, n’avaient dit ce qui s’était réellement passé : l’un et l’autre en avaient imposé, disant que la victoire était restée douteuse et indécise. Cette fois, aussitôt que le préteur Pomponius eut appris l’événement, il convoqua l’assemblée du peuple ; et là, sans détour, sans aucun déguisement, il dit à haute voix, et devant tous : « Romains, nous avons été vaincus en bataille rangée ! Notre armée est détruite ; le consul Flaminius est mort ! Avisez donc à ce que vous avez à faire pour votre salut et votre sûreté. » Ces paroles tombèrent au milieu des flots du peuple, comme un vent orageux sur une vaste mer : la consternation se répandit par toute la ville ; et, dans cette épouvante générale, nul n’avait conservé assez de sang-froid pour mener la délibération. Cependant tous convinrent qu’il fallait, vu la gravité des circonstances, recourir à la magistrature unique et absolue qu’on appelle la dictature ; qu’il était besoin, pour l’exercer, d’un homme énergique et inébranlable ; que cet homme, c’était Fabius Maximus, dont la grandeur d’âme et la gravité de caractère répondaient à la grandeur d’une telle charge, et qui était arrivé à cet âge où la vigueur du corps est proportionnée à la maturité de l’esprit, et où l’audace est tempérée par une sage prudence.

Cet avis fut adopté ; et Fabius fut proclamé dictateur. Aussitôt il choisit pour général de cavalerie Lucius Minucius ; et il demanda d’abord au sénat l’autorisation de commander à cheval, ce qui avait été expressément défendu par une loi ancienne : soit que les Romains missent leurs forces principales dans l’infanterie, et qu’ils voulussent, pour cette raison, que le général demeurât attaché à la phalange, et qu’il ne s’en séparât point ; soit que, la puissance de cette magistrature étant absolue et sans bornes, ils eussent voulu que le dictateur parût dépendant du peuple, du moins en ce qu’il devait lui demander une autorisation.

Cependant Fabius, pour déployer aux yeux de tous la majesté de la dictature dans toute sa puissance, et pour rendre les citoyens plus soumis et plus dociles, s’avança en public précédé d’un groupe de vingt-quatre licteurs ; et, voyant venir à lui le consul survivant, il lui envoya, par un de ses licteurs, l’ordre d’abandonner les faisceaux, de quitter tous les insignes du consulat, et de paraître devant lui en simple citoyen[8]. Après cela, commençant par les dieux, ce qui était la plus noble façon de commencer, il fit comprendre au peuple qu’on devait attribuer la défaite à la négligence du général et à son mépris pour la Divinité, et non pas à la lâcheté des troupes ; il l’engagea à ne pas craindre les ennemis, mais à apaiser, par les témoignages de sa vénération, les dieux irrités. Non qu’il cherchât à fomenter des sentiments de superstition : son but était d’affermir le courage par la piété, de bannir la frayeur qu’inspiraient les ennemis, et de la remplacer par la confiance dans les dieux.

On recourut alors à quelques-uns de ces livres mystérieux et utiles, qu’on appelle sibyllins ; et plusieurs des prédictions qu’ils contenaient se rapportèrent dit-on, aux événements et aux faits qui s’accomplirent à cette époque ; mais ce qu’y voyait celui qui consultait ces livres, nul n’avait le droit de le lui demander. Le dictateur parut donc devant le peuple ; et il promit solennellement aux dieux d’immoler, en leur honneur, tout ce qui naîtrait, au printemps prochain, des chèvres, truies, brebis ou vaches, dans toutes les montagnes, plaines, rivières et prés de l’Italie[9] ; de consacrer, à la célébration de jeux scéniques et de concours de musique, une somme de trois cent trente-trois mille sesterces trois cent trente-trois deniers et un tiers, ce qui fait quatre-vingt-trois mille cinq cent quatre-vingt-trois drachmes et deux oboles, en monnaie grecque[10]. Or, pourquoi cette somme spécifiée avec une telle précision, c’est ce qu’il est difficile d’expliquer, à moins qu’on n’y voie un hommage à la vertu du nombre trois, lequel est, de sa nature, un nombre parfait, le premier des nombres impairs, et qui renferme en lui-même le principe de la pluralité, les premières différences, et les éléments de tout nombre, qu’il unit et combine entre eux.

Fabius, après avoir ainsi élevé la pensée du peuple vers la Divinité, et lui avoir inspiré une meilleure opinion de l’avenir, ne mettant qu’en lui-même l’espérance de vaincre, parce que Dieu accorde les succès à la vertu et à la prudence, marcha contre Annibal, non pas dans l’intention de le combattre, mais avec la résolution d’écraser et de consumer, par la longueur du temps, les forces des ennemis, leur peu de ressources par son abondance, leur petit nombre d’hommes par ses nombreuses légions. Aussi, toujours en observation, toujours hors des atteintes de la cavalerie ennemie, il campait sur les hauteurs, le pied levé, l’œil ouvert : s’arrêtaient-ils, il demeurait tranquille ; se mettaient-ils en marche, il marchait sans quitter ses hauteurs, tournant autour d’eux, se montrant à demi à leurs côtés ; assez loin pour ne se point trouver engagé malgré lui, mais de manière cependant que les ennemis eussent toujours à craindre qu’il n’affectât ces lenteurs pour saisir une occasion de combattre avec tous ses avantages.

Mais traîner ainsi la guerre en longueur, c’était s’exposer aux mépris de tout le monde. Les soldats de Fabius murmuraient contre lui ; les ennemis le regardaient comme un homme timide et lâche, et sans aucune capacité. Annibal seul comprenait l’habileté de Fabius, et le système de guerre qu’il avait adopté ; et il voyait bien qu’il lui fallait absolument, par ruse ou par force, l’amener à combattre. Sans cela, pensait-il, c’en était fait des Carthaginois, puisqu’ils ne pouvaient faire usage de leurs armes, c’est-à-dire de ce qui faisait leur supériorité, et qu’inférieurs en hommes et en approvisionnements, ils voyaient s’user chaque jour et se consumer inutilement leurs ressources. Il eut donc recours à toutes les ruses, à tous les stratagèmes militaires ; et, comme un athlète habile qui tâte son adversaire et qui cherche à le saisir, il approchait du camp de Fabius, y jetait l’alarme, puis l’entraînait lui-même à sa suite, par des marches et des contre-marches, afin de lui faire abandonner son système de prudence. Mais Fabius était trop bien convaincu de l’avantage de son plan, pour ne s’y pas tenir ferme et inébranlable.

Il y avait cependant un homme qui le contrariait beaucoup : c’était le général de la cavalerie Minucius, batailleur sans raison, faisant parade de bravoure, et qui séduisait la soldatesque, en la remplissant d’une ardeur désordonnée et de folles espérances. Dans l’armée, on méprisait Fabius : on l’appelait, par dérision, le précepteur d’Annibal ; et l’on donnait à Minucius les titres de grand homme et de général digne de Rome. Et lui, s’abandonnant davantage encore à sa présomption, à sa haute opinion de lui-même, il raillait ces campements sur les hauteurs, disant que l’armée était redevable au dictateur d’un amphithéâtre, d’où elle pouvait voir, le plus commodément du monde, l’Italie livrée au pillage et à l’incendie. Il demandait aux amis de Fabius s’il n’allait pas bientôt, renonçant à la terre, prendre son armée, et l’enlever au ciel ; ou bien si c’était pour se dérober à la vue des ennemis, qu’il mettait entre eux et lui les brouillards, et qu’il se perdait dans les nues. Fabius, à ces propos que lui rapportaient ses amis, et aux conseils qu’ils lui donnaient de s’exposer, même aux hasards d’une bataille, pour arrêter ces attaques déshonorantes : « Je serais en effet, dit-il, bien plus lâche qu’on ne me croit, si la crainte de ces railleries et de ces injures me faisait abandonner ma résolution. Il n’y a point de honte à craindre pour la patrie ; mais redouter l’opinion, les calomnies, le blâme, cela n’est point digne d’un homme investi d’une aussi grande dignité, mais bien de qui se fait l’esclave de ceux dont il doit maîtriser et contenir les égarements par son autorité souveraine[11]. »

Quelque temps après, Annibal tomba dans une grande méprise. Il voulait s’éloigner de Fabius, et se saisir de plaines dans lesquelles il pût trouver des fourrages : il ordonna donc à ses guides de le conduire, aussitôt après souper, vers Casinum[12]. Ceux-ci, n’ayant pas bien entendu le nom de l’endroit désigné, à cause de sa prononciation étrangère, jetèrent son armée sur les frontières de la Campanie, vers la ville de Casilinum, qui est traversée par le Lothrone, que les Romains appellent Vulturne. Il se trouva là dans un pays environné de montagnes, excepté sur un point, où il y avait une vallée qui s’étendait vers la mer. La rivière, en dépassant ses bords, formait des marais qui se dégorgeaient dans la mer à travers des sables mouvants ; et le rivage se perdait sous des eaux houleuses, et dans des bas-fonds. Tandis qu’Annibal descendait vers cette plaine, Fabius, qui connaissait bien les routes, l’enveloppe, et coupe, avec un poste de quatre mille hommes d’infanterie, le seul passage par lequel son ennemi pouvait se retirer ; il établit son armée dans toutes les positions avantageuses sur les hauteurs, et il lance, sur l’arrière-garde des ennemis, ses soldats les plus agiles et les plus alertes : ceux-ci portent le désordre dans toute l’année d’Annibal, et lui tuent huit cents hommes. Annibal voulut faire un mouvement rétrograde ; mais, ayant découvert l’erreur de ses guides, et le péril dans lequel ils l’avaient jeté, il les fit mettre en croix ; puis, reconnaissant qu’il lui était impossible de forcer le passage, et de déloger les ennemis des hauteurs dont ils étaient maîtres, et voyant d’ailleurs ses troupes découragées, pleines d’effroi, et convaincues que rien ne pourrait les sauver, ainsi enfermées, d’une destruction inévitable, il résolut d’abattre la confiance des Romains par la ruse ; et voici ce qu’il imagina.

Il ordonna qu’on prît environ deux mille des bœufs dont on s’était emparé, et qu’on leur attachât, à chaque corne, un fagot de broussailles, ou de sarments secs : ces fagots devaient être allumés à la nuit tombante, lorsqu’il en donnerait le signal, et les bœufs chassés vers les hauteurs, du côté du défilé qu’occupaient les postes de Fabius. Tandis qu’on faisait ces préparatifs, il forma son armée en colonne serrée, et, à la faveur de l’obscurité déjà plus grande, il se mit tranquillement en marche. Tant que le feu fut petit et ne consuma que le bois, les bœufs s’avançaient tous ensemble, devant ceux qui les chassaient vers le pied des montagnes ; et c’était un spectacle étrange, pour les pâtres et les bouviers, qui des hauteurs jetaient les yeux sur la plaine, que ces flammes qui s’élevaient à l’extrémité de leurs cornes, et qui présentaient l’aspect d’une marche d’armée, en bon ordre et aux flambeaux. Mais, lorsque le feu eut atteint la corne, et que la sensation de chaleur eut pénétré jusqu’à la racine et dans les chairs, alors, emportés par la souffrance, ils secouaient la tête, et ils se couvraient de flammes les uns les autres. Ils ne marchèrent donc plus en troupe : épouvantés, furieux de douleur, ils se mirent à courir çà et là, par les montagnes, couverts de flammes de la tête à la queue, et incendiant les forêts qu’ils traversaient dans leur course.

À cette vue, les Romains chargés de garder les hauteurs, croyant que ces flammes étaient produites par des torches que des hommes portaient en courant, et que toutes les forces de l’ennemi allaient fondre sur eux de tous les côtés à la fois et les envelopper, furent saisis d’une extrême frayeur : le désordre se met dans leurs rangs ; ils n’osent demeurer à leur poste, et ils se replient sur le corps d’armée, en abandonnant le défilé. Annibal saisit le moment, lança sur eux ses troupes légères, et, à peine abandonnée, occupa la position. Le gros de son armée défila ensuite sans danger, entraînant un butin pesant et considérable.

Fabius connut la ruse dès la nuit même, parce que plusieurs des bœufs épars dans leur fuite donnèrent sur ses postes. Mais il craignait de tomber dans quelque piège pendant les ténèbres : il se contenta donc de tenir ses troupes sous les armes, sans faire aucun mouvement. Dès que le jour parut, il donna la chasse aux ennemis, et il fondit sur leur arrière-garde, qui, arrêtée par la difficulté du terrain, se trouva plusieurs fois engagée, et qui fut longtemps en désordre. À la fin, Annibal fit passer, du front à la queue de son armée, un corps d’Ibériens, hommes légers et alertes, accoutumés à gravir les montagnes : ceux-ci se jetèrent sur la pesante infanterie des Romains, et ils forcèrent Fabius de se retirer avec une perte assez considérable.

Alors, plus que jamais, Fabius fut en butte à la critique et au mépris général. Il n’avait point voulu, disait-on, employer la force des armes, certain de mettre Annibal hors de combat par l’habileté des manœuvres et des expédients ; et voilà qu’il avait été lui-même vaincu par ses propres moyens, et qu’il avait prouvé son infériorité ! Annibal, pour enflammer encore le ressentiment des Romains contre Fabius, donna ordre à ses troupes, quand elles furent arrivées auprès des terres du dictateur, d’incendier et de dévaster toutes les campagnes voisines, mais de ne toucher à rien qui lui appartint : il plaça même, sur les limites, des sentinelles, pour empêcher qu’on en enlevât la moindre chose, et qu’on y fit aucun dégât. La nouvelle de ce fait, apportée à Rome, fortifia encore les accusations dont Fabius était l’objet. Les tribuns déclamaient sans cesse contre lui, dans les assemblées du peuple, menés et excités qu’ils étaient principalement par Métilius : non pas que celui-ci eût aucun motif de haine personnelle contre Fabius ; mais il était parent du général de la cavalerie Minucius ; et il croyait que ce que Fabius perdrait en honneur et en considération, Minucius le gagnerait. Le sénat même était irrité, et avait exprimé un blâme sévère, à propos de la convention faite avec Annibal au sujet des prisonniers. Ils étaient convenus, Fabius et lui, d’échanger leurs prisonniers, homme pour homme, ou de payer deux cent cinquante drachmes[13] par homme de surplus, si l’un des deux partis en avait plus que l’autre. Or, l’échange ayant eu lieu, il se trouva qu’il restait encore, entre les mains d’Annibal, deux cent quarante Romains. Le sénat refusa de payer leur rançon, et blâma cette convention, comme honteuse et tout à fait inutile, puisqu’elle n’avait pour but que de recouvrer des hommes qui étaient devenus la proie de l’ennemi par leur lâcheté. Fabius supporta patiemment l’irritation des Romains ; et, comme il n’avait point d’argent, et que néanmoins il ne voulait pas manquer de parole à Annibal, ne pouvant d’ailleurs se décider à abandonner ces citoyens, il dépêcha son fils à Rome, pour y vendre ses terres et lui en apporter aussitôt le prix dans son camp. Le jeune homme fit la vente, et revint en toute hâte ; et Fabius envoya les rançons à Annibal, et reçut les prisonniers. Plusieurs d’entre eux voulurent ensuite le rembourser : il refusa ; et il leur fit à tous remise de cette dette.

Quelque temps après, les prêtres l’appelèrent à Rome, pour l’accomplissement de quelques cérémonies religieuses. Il remit donc le commandement de l’armée à Minucius, en lui défendant expressément de livrer bataille, et d’en venir à aucun engagement avec l’ennemi. Et non-seulement il lui fit cette défense à titre de chef suprême, mais il lui en fit la recommandation réitérée et la prière instante. Celui-ci ne tint nul compte de ses paroles, et se mit aussitôt à harceler l’ennemi. Un jour, ayant remarqué qu’Annibal avait envoyé fourrager la plus grande partie de son armée, il fondit avec impétuosité sur ceux qui étaient restés, les culbuta jusqu’à leur camp, leur tua beaucoup de monde, et leur fit craindre même qu’il ne forçât leurs retranchements[14]. L’armée d’Annibal étant ensuite rentrée tout entière au camp, il se retira sans éprouver aucune perte, rempli lui-même d’un orgueil démesuré, et inspirant à ses soldats une témérité non moins grande. Bientôt cette nouvelle arriva, mais avec amplification, à Rome ; et Fabius, en l’apprenant, dit qu’il ne craignait rien tant que les succès de Minucius. Mais le peuple, ivre de joie, accourut tout fier sur le Forum ; et le tribun Métilius, montant à la tribune, fit, dans sa harangue, un pompeux éloge de Minucius, et accusa au contraire Fabius, non plus de mollesse et de lâcheté, mais déjà de trahison. Il enveloppait, dans ses accusations, les citoyens les plus puissants et les plus distingués : c’étaient eux, suivant lui, qui d’abord avaient attiré cette guerre, comme un moyen de ruiner la puissance du peuple ; puis ils avaient fait tomber la république entre les mains d’un seul chef irresponsable, qui, par ses lenteurs affectées, laisserait Annibal s’affermir dans le pays, et qui lui donnerait le temps de faire venir d’Afrique une nouvelle armée, pour dominer sur toute l’Italie[15].

Fabius parut ensuite à la tribune ; mais, sans perdre de temps à se défendre contre les attaques du tribun : « Il faut, dit-il, promptement terminer les sacrifices et les cérémonies religieuses, afin que je me rende au camp, pour punir Minucius d’avoir combattu malgré ma défense. » À ces mots, il s’éleva un grand tumulte. Le peuple était effrayé du danger que courait Minucius ; car le dictateur a le droit de jeter en prison ou de mettre à mort sans jugement ; et l’on pensait que, si Fabius était sorti de ses habitudes de modération, il en serait d’autant plus terrible et inexorable : aussi cette réflexion inspira-t-elle une vraie terreur, et tous gardèrent-ils un morne silence. Le seul Métilius, que ses fonctions de tribun mettaient à l’abri de tout danger (car, quand il y a un dictateur, le tribunat seul subsiste et conserve ses prérogatives, tandis que toutes les autres magistratures sont suspendues) ; Métilius, dis-je, se répandit en prières auprès du peuple, le suppliant de ne point abandonner Minucius, et de ne point permettre qu’il éprouvât le sort que Manlius Torquatus avait fait subir à son fils, lequel avait eu la tête tranchée parce qu’il revenait vainqueur et chargé des dépouilles d’un ennemi ; disant qu’il fallait ôter à Fabius la souveraine puissance, et remettre les intérêts de l’État à celui qui voulait et qui saurait les sauver. Excité par ces déclamations, le peuple, qui n’osait pas contraindre Fabius à abdiquer la dictature, quelque décrié qu’il fût, décréta que Minucius, associé au dictateur dans le commandement de l’armée, serait chargé de la direction de la guerre, avec une puissance égale à la sienne : chose inouïe, jusqu’alors à Rome, et qui se renouvela cependant bientôt. Ce fut après le désastre de Cannes. On avait mis à la tête des armées un dictateur, Marcus Junius ; et l’on créa en même temps, pour Rome même, un autre dictateur, Fabius Butéo, chargé de remplir les vides du sénat, parce que beaucoup de sénateurs avaient péri dans la bataille. Il est vrai que celui-ci ne fit que paraître, et qu’aussitôt après avoir fait son choix parmi les citoyens, et complété le sénat, le même jour il congédia ses licteurs, se déroba à son cortège, se jeta et se perdit dans la foule, et demeura sur la place publique, vaquant à ses propres affaires, comme un simple citoyen.

En plaçant Minucius dans une position égale à celle du dictateur, on avait cru que celui-ci s’en trouverait abattu et tout à fait humilié ; mais c’était mal juger un tel homme. Quelqu’un disait un jour, au philosophe Diogène : « Ces gens-là se moquent de toi. — Et moi, répliqua-t-il, je ne me tiens pas pour moqué. » Diogène pensait donc que ceux-là seuls sont moqués, qui ont la faiblesse de croire l’être, et qui s’en affligent. De même Fabius ne regarda point comme un malheur pour lui l’ignorance de ses concitoyens : il supporta facilement, et avec indifférence, ce qui lui était personnel ; et il prouva la vérité de cette maxime des philosophes : Que l’homme probe et vertueux ne peut être insulté ni déshonoré. L’intérêt seul de l’État lui faisait voir avec chagrin l’imprudence de la foule, qui venait de donner à un étourdi les moyens de satisfaire un fol amour de gloire. Aussi bien, craignant qu’emporté par sa présomption et sa vanité, Minucius ne précipitât quelque événement funeste, il sortit de Rome à l’insu de tous.

Arrivé dans le camp, il trouva Minucius enflé d’un orgueil et d’une forfanterie insupportables. Minucius voulait commander alternativement avec Fabius. Celui-ci n’y consentit point : il partagea avec lui l’armée, persuadé qu’il valait mieux lui laisser le commandement continuel d’une partie, que le commandement alternatif du tout. Il retint donc sous ses ordres la première et la quatrième légion, et la moitié des contingents fournis par les alliés ; et il donna à Minucius l’autre moitié des alliés, avec la deuxième et la troisième légion[16]. Et, comme Minucius prenait de grands airs, et exprimait la joie qu’il ressentait en voyant la dignité de la magistrature la plus élevée, la première de l’État, diminuée et abaissée pour l’amour de lui : « Si tu es sage, lui dit Fabius, ce n’est point contre moi, mais contre Annibal qu’il te faut croire en lutte. Si tu t’opiniâtres à voir dans ton collègue un rival, ton but doit être de montrer que celui qui triomphe, et qu’on a comblé de tant d’honneur, n’a pas moins à cœur la sûreté et le salut de son pays que celui qui a succombé, et que ses concitoyens traitent avec tant d’ignominie. »

Minucius ne regarda cet avis que comme l’expression ironique d’un ressentiment de vieillard : il prit donc son corps d’armée, et il s’en alla camper seul, en un camp séparé[17]. Annibal n’ignorait rien de ce qui se passait, et était aux aguets pour en profiter. Il y avait, entre lui et Minucius, une colline dont il était facile de s’emparer, et qui pouvait être, pour celui qui l’occuperait, une position forte et offrant tous les avantages. À l’entour s’étendait une plaine, qui, de loin, paraissait découverte et unie, mais qui était coupée par plusieurs grands ravins et des creux assez profonds. Il eût été aisé à Annibal de s’en saisir secrètement ; mais il préféra la laisser comme un appât, pour attirer Minucius à un combat. Lors donc qu’il le vit séparé de Fabius, il dispersa, pendant la nuit, des troupes dans ces creux et dans ces ravins ; et, au point du jour, il envoya, à découvert, un faible détachement vers la colline, afin d’exciter l’ennemi à lui disputer cette position ; ce qui arriva. Minucius détacha d’abord son infanterie légère, puis sa cavalerie ; enfin, quand il vit Annibal s’avancer pour soutenir les siens, qui étaient maîtres de la colline, il descendit dans la plaine, avec toutes ses forces en ordre de bataille, pour appuyer ceux qui attaquaient la position ; et l’engagement devint général. Les Romains combattirent avec vigueur ; et les succès se balancèrent, jusqu’au moment où Annibal, voyant que son ennemi avait pleinement donné dans le piège, et que ses derrières étaient tout à fait à découvert et sans défense contre les troupes qu’il avait placées en embuscade, fit le signal convenu. Aussitôt toutes se levèrent à la fois : elles fondent sur les Romains de tous côtés, avec de grands cris ; elles taillent en pièces les dernières lignes, et jettent dans l’armée romaine un désordre et une confusion impossibles à décrire. Ce fut un rude coup pour la téméraire confiance de Minucius. Consterné, il regardait tour à tour avec embarras chacun des officiers ; mais pas un n’osait tenir ferme : ils ne pensaient plus qu’à fuir ; et la fuite n’était pas un moyen de salut, car déjà les Numides[18], profitant de leur avantage, étendaient leurs escadrons en cercle autour de la plaine, et massacraient tous ceux qu’ils trouvaient dispersés.

Telle était la situation fâcheuse des Romains. Mais leur danger n’avait pas échappé à Fabius, qui, dans la prévoyance sans doute de ce qui allait arriver, tenait ses troupes sous les armes et en ordre de bataille. Loin de se contenter des rapports qu’on lui faisait, il s’était placé lui-même en observation, sur un tertre en avant de ses retranchements, pour suivre tous les événements du combat. Lors donc qu’il vit l’armée de Minucius enveloppée, culbutée, écrasée, jetant des cris d’épouvante, et commençant à tourner le dos, il se frappa la cuisse[19], et il poussa un profond soupir. « Par Hercule, dit-il à ceux qui étaient près de lui, comme Minucius s’est perdu plus tôt que je ne pensais, mais bien plus tard qu’il ne voulait ! » Et, donnant l’ordre aux enseignes de se porter en avant au pas accéléré, et à toute l’armée de se mettre en marche, il s’écria : « Soldats, rappelez-vous Marcus Minucius, et hâtez-vous ! C’est un homme distingué, et qui aime bien sa patrie. Si, dans son empressement à chasser les ennemis, il a fait une faute, nous l’en reprendrons plus tard. » Dès qu’il parut, les Numides qui voltigeaient dans la plaine se mirent en désordre, et se dispersèrent. Puis il poussa jusqu’à ceux qui étaient engagés sur les derrières de l’armée de Minucius, et il tua tout ce qu’il put atteindre : les autres, pour n’être pas coupés et enfermés, comme l’avaient été les Romains, se hâtèrent de prendre la fuite. Annibal, voyant ce revirement de fortune, et voyant Fabius, qui, avec une vigueur au-dessus de son âge, se faisait jour à travers les combattants, et se précipitait vers la colline, pour dégager Minucius, fit cesser le combat et sonner le signal de la retraite. Les Carthaginois rentrèrent dans leur camp ; et les Romains ne furent pas fâchés non plus de se retirer dans le leur. On rapporte qu’Annibal, en s’en allant, dit à ses amis, par plaisanterie, au sujet de Fabius : « Ne vous avais-je pas prédit bien des fois que ce gros nuage, qui se tenait toujours sur la cime des montagnes, finirait par crever quelque jour, avec une pluie d’orage ? »

Fabius, après le combat, fit recueillir les dépouilles des ennemis qu’on avait tués ; et il se retira sans laisser échapper, contre son collègue, aucune parole d’arrogance ni de blâme. Quant à Minucius, il assembla aussitôt ses troupes, et il leur adressa ces mots : « Camarades ! ne jamais faillir, dans le maniement des grandes charges, est au-dessus de l’homme ; mais il est d’un homme de cœur et de sens de tirer de ses fautes des leçons pour l’avenir. Si j’ai à me plaindre aujourd’hui de la Fortune, j’ai bien plus à m’en louer encore ; car ce qu’un bien long temps n’avait pu me faire comprendre, une heure a suffi pour me l’enseigner : c’est que je ne suis pas capable de commander aux autres ; c’est que j’ai besoin d’un chef, et que je ne dois pas ambitionner la supériorité sur ceux auxquels il m’est plus honorable d’être soumis. Vous n’avez plus d’autre chef que le dictateur. Venez, avec moi, lui témoigner notre commune reconnaissance. Je vous conduirai moi-même ; car je vais me remettre entre ses mains, docile à sa voix, et dévoué désormais à tout ce qu’il me commandera. »

En achevant ce discours, il ordonna qu’on prît les aigles, et qu’on le suivît ; et il conduisit ses troupes au camp de Fabius. Dès qu’il y fut entré, il se dirigea droit à la tente du général, au grand étonnement de l’armée, qui ignorait son dessein ; puis, Fabius étant sorti à sa rencontre, il fit déposer devant lui les étendards, et il l’appela à haute voix du nom de père : en même temps, ses soldats appelaient les soldats de Fabius leurs patrons, nom que les affranchis donnent à ceux qui leur ont rendu la liberté. Ensuite, tous ayant fait silence : « Dictateur, dit Minucius, tu as aujourd’hui remporté deux victoires, l’une sur les ennemis, par ton courage militaire, et l’autre sur ton collègue, par ta prudence et par ta bonté. La première nous a sauvés ; la seconde nous a instruits : honteusement vaincus par Annibal, nous avons été, par toi, vaincus pour notre honneur et pour notre salut. Aussi t’appelé-je mon père, parce qu’il n’est point de plus beau nom ; car celui qui m’a donné le jour a des droits moins grands à ma reconnaissance : je ne lui dois que ma vie ; tandis que je te dois, à toi, ma vie et celle de tous ces Romains. » Il dit ; et, tendant les bras à Fabius, il le pressa sur sa poitrine. Il fallait voir, en même temps, les soldats des deux armées en faire autant, se présenter la main, s’embrasser les uns les autres. Le camp était rempli d’allégresse et de larmes de joie.

Fabius ayant ensuite déposé la dictature, on élut de nouveau des consuls. Les premiers qui furent nommés[20] suivirent le même système de guerre : évitant de combattre Annibal en bataille rangée ; secourant les alliés et empêchant les défections. Mais Térentius Varron, homme de basse naissance[21], qui s’était acquis une certaine célébrité par ses flatteries envers la multitude et par l’intempérance de son langage, fut élevé au consulat ; et personne ne douta qu’il n’exposât bientôt, par son inexpérience et sa témérité, toutes les forces de la république aux chances d’une bataille ; car il ne cessait de crier, dans les assemblées du peuple, que cette guerre ne finirait point, tant que Rome aurait des Fabius pour généraux. « Moi, disait-il, je ne demande qu’un jour, pour voir Annibal et le vaincre. » Et il appuyait ses forfanteries par des enrôlements et des levées extraordinaires, et telles que jamais Rome, dans aucune guerre, n’en avait fait d’aussi considérables : l’armée réunie par le consul montait à quatre-vingt-huit mille hommes. Aussi, grandes furent les craintes de Fabius, et de tout ce qu’il y avait de gens sensés dans Rome, qui voyaient la république sans ressources, si elle venait à perdre une jeunesse aussi nombreuse. Fabius prit donc à part le collègue de Térentius, nommé Paul Émile, capitaine fort expérimenté, mais impopulaire, et qui redoutait la multitude, depuis qu’on l’avait condamné à une amende[22] : il essaya de lui rendre confiance, et il l’engagea à s’opposer à la folie de Térentius, en lui disant que ce n’était pas moins contre lui que contre Annibal, qu’il aurait à défendre sa patrie ; car tous les deux seraient également impatients de livrer bataille, l’un, parce qu’il ne comprenait pas en quoi consistait réellement sa force, et l’autre, parce qu’il connaissait ce qui faisait réellement sa faiblesse. « Paul Émile, dit-il encore, tu dois croire à ma parole plus qu’à celle de Térentius, quand je t’assure, pour ce qui est d’Annibal, que, si on ne lui livre point de combat de toute cette année, force lui sera bien d’évacuer l’Italie en fuyard, ou d’y périr, s’il s’obstine à y demeurer. En effet, quoiqu’il paraisse vainqueur et maître de la campagne, pas un de ses ennemis n’a passé dans son camp ; et il ne lui reste pas le tiers de l’armée qu’il avait amenée de son pays. » Paul Émile répondit : « Fabius, il vaut mieux, pour moi personnellement, tomber sous les lances de l’ennemi, que sous la sentence de mes concitoyens une deuxième fois. Mais, puisque telle est la situation des affaires publiques, j’essaierai de paraître bon général à toi seul, plutôt qu’à tous ceux qui voudront me contraindre à suivre une conduite opposée. » C’est dans ces sentiments bien arrêtés que Paul Émile partit de Rome.

Mais Térentius le força de consentir à ce qu’ils commandassent toute l’armée un jour l’un un jour l’autre[23] ; et il s’en alla camper tout près d’Annibal, sur les bords de l’Aufide, aux environs de Cannes[24]. Dès l’aurore, il fit déployer le signal de la bataille : c’était une cotte d’armes de pourpre, étendue au-dessus de la tente du général. Sa hardiesse et le nombre de ses troupes effrayèrent d’abord les Carthaginois, moins nombreux que les Romains de plus de moitié. Cependant Annibal donna ordre à ses soldats de prendre les armes ; et, montant à cheval, il alla, avec quelques hommes, se poster sur un petit tertre, d’où il observa les ennemis, qui déjà formaient leurs rangs. Un de ceux qui l’accompagnaient, nommé Giscon, personnage d’une naissance égale à la sienne, témoignait l’étonnement que lui causait le nombre des ennemis ; mais Annibal lui dit, en fronçant le sourcil : « Il y a pourtant une chose encore plus étonnante, Giscon, et que tu ne remarques pas. — Laquelle ? dit l’autre. — C’est, reprit Annibal, que, dans tout ce monde, il n’y ait pas un homme qui s’appelle Giscon. » Surpris d’une plaisanterie à laquelle ils étaient loin de s’attendre, tous se mirent à rire ; et, en descendant de la colline, ils la rapportèrent à ceux qu’ils rencontraient successivement : de sorte que le rire gagna de proche en proche, et qu’Annibal même ne put s’empêcher de rire aussi. Cela suffit pour rendre la confiance aux Carthaginois, persuadés qu’il fallait que leur général eût un bien grand et bien profond mépris des ennemis, pour ainsi rire et plaisanter à la vue du péril.

Annibal usa, dans cette journée, de deux stratagèmes : l’un consistait dans sa position, l’autre dans son ordre de bataille. Il plaça ses troupes de manière qu’elles eussent à dos un vent qui soufflait comme une trombe[25], par rafales brûlantes, enlevant, de ces plaines vastes et poudreuses, un sable fort épais : le sable passait par-dessus les lignes des Carthaginois, et il venait aveugler les Romains, qui marchaient en désordre, forcés qu’ils étaient de détourner la tête. Il rangea, aux deux extrémités de son armée, ce qu’il avait de plus robustes et de plus vaillants soldats, et au centre les moins aguerris : le centre était disposé en forme de coin, dont la pointe s’avançait de beaucoup en avant du reste de la ligne. Les plus braves des deux ailes devaient observer le moment où les Romains enfonceraient le front de bataille et pénétreraient, à la suite des fuyards, jusqu’au milieu des lignes : alors ils obliqueraient rapidement de chaque côté, pour former le cercle derrière eux, et pour les prendre ainsi en flanc et à revers. C’est sans doute cette manœuvre qui rendit plus sanglante encore la défaite des Romains. En effet, lorsque le centre eut cédé, et que les Romains, en poussant l’ennemi, eurent plongé dans ses rangs, le corps de bataille changea d’aspect, et prit la forme d’un croissant : alors les commandants des deux ailes exécutèrent leur conversion à droite et à gauche ; ils fondirent sur les ennemis, découverts de tous côtés ; ils enveloppèrent, ils massacrèrent, tout ce qui ne put échapper par la fuite.

On rapporte aussi que la cavalerie romaine fut victime d’une erreur qu’il était humainement impossible de prévenir. Le cheval de Paul Émile, à ce qu’il paraît, avait été blessé ; il renversa son maître ; et ceux qui se trouvaient près de lui descendirent de cheval, pour secourir le consul et le relever. À cette vue, les autres cavaliers, qui crurent qu’on le faisait par ordre, et que l’ordre était général, s’élancent tous à terre, et ils combattent à pied. « Je les aime mieux ainsi, dit Annibal à cet instant, que si on me les livrait pieds et poings liés. » Au reste, on trouve ces particularités dans les livres de ceux qui ont écrit l’histoire en détail[26]. L’un des deux consuls, Varron, se sauva à cheval, avec peu des siens, dans la ville de Vénuse[27]. Quant à Paul Émile, perdu au milieu du trouble et de la confusion de cette déroute, le corps couvert de traits enfoncés dans ses blessures, l’âme abattue par la vue d’un si grand désastre, il restait assis sur une pierre, attendant qu’un ennemi le vînt égorger. Le sang qui souillait sa tête et son visage empêchait la foule des fuyards de le reconnaître ; et ses amis, les gens même de sa maison, passèrent devant lui sans le savoir, et sans s’arrêter. Le seul Cornélius Lentulus, jeune patricien, l’aperçut et le reconnut : il descendit de son cheval, qu’il lui amena, en l’engageant à monter, et à se conserver à ses concitoyens, qui avaient besoin, alors plus que jamais, d’un bon consul. Mais Paul Émile repoussa cette offre. Le jeune homme pria, pleura ; mais ce fut en vain : il l’obligea à remonter à cheval, et lui dit en se levant, et en lui tendant la main : « Va, Lentulus, trouver de ma part Fabius Maximus, et sois-lui témoin que Paul Émile a suivi ses conseils jusqu’à la fin ; qu’il a été fidèle à la parole qu’il lui avait donnée, mais qu’il a été vaincu, d’abord par Varron, et ensuite par Annibal. » Aussitôt qu’il eut donné cette commission à Lentulus, il le congédia ; et, se jetant au milieu de la foule qu’on massacrait, il s’y fit tuer[28].

Les Romains perdirent, dit-on, dans la bataille, cinquante mille morts et quatre mille prisonniers. Après le combat, l’ennemi prit encore, dans les deux camps, au moins dix mille hommes.

Après une telle victoire, disaient les amis d’Annibal, il fallait profiter de la fortune, et poursuivre les fuyards, pour entrer avec eux dans Rome : dans cinq jours, selon eux, Annibal souperait au Capitole. Il rejeta leurs conseils ; et il n’est pas facile d’expliquer les motifs qui l’arrêtèrent, à moins d’attribuer à quelque génie, à un dieu qui se mit au-devant de lui, ses lenteurs et son irrésolution timide. Aussi le Carthaginois Barca[29] lui dit-il avec colère : « Tu sais vaincre, Annibal ; mais tu ne sais pas profiter de la victoire[30]. »

Cependant cette victoire apporta un grand changement dans ses affaires. Jusqu’alors, il n’avait pas une ville, pas un magasin, pas un port, dans toute l’Italie ; il ne procurait à ses troupes les choses nécessaires qu’à la pointe de l’épée, par des pillages continuels, et en quantité à peine suffisante ; il n’avait pas un seul point sur lequel il put appuyer ses opérations militaires, et il ne faisait qu’errer çà et là, comme en camp volant, et semblable au chef d’une nombreuse troupe de bandits. Après cette journée, au contraire, il vit presque toute l’Italie se soumettre. Les peuples les plus considérables se rangèrent presque tous volontairement sous son autorité ; et Capoue, la ville la plus grande et la plus importante après Rome, se rendit, et le reçut dans ses murs.

Les grands revers font connaître les vrais amis, a dit Euripide[31]. Ils font aussi connaître les bons généraux. Ce qu’avant cette journée on avait appelé, dans Fabius, lâcheté et insensibilité, parut, aussitôt après la bataille, non pas même l’effet d’une raison humaine, mais une inspiration surnaturelle et divine, qui lui avait fait prévoir de si loin les malheurs dont on était frappé, et auxquels pouvaient à peine croire ceux-là même qui les éprouvaient. Aussi Rome n’hésita-t-elle pas à mettre en lui toutes ses espérances, et à chercher son refuge dans la sagesse de cet homme, comme dans un temple et auprès d’un autel ; et, si elle se roidit contre le malheur, et si la population ne se dispersa point comme à l’époque de l’invasion des Gaulois, on le dut, avant tout et surtout, à l’extrême prudence de Fabius. Lui, qu’on avait vu si plein d’alarmes, et se refusant à toute bonne espérance alors que l’État ne paraissait nullement en danger, on le voyait, quand tous s’abandonnaient à des regrets sans fin, à un trouble qui empêchait de rien faire, marcher seul par la ville, d’un pas tranquille et d’un air d’assurance, adressant la parole à tous avec douceur, calmant les lamentations des femmes, et dissipant les attroupements qui se formaient sur les places, pour y déplorer en commun les malheurs publics. Il détermina le sénat à s’assembler, et il rendit le courage à tous ceux qui étaient revêtus de quelque pouvoir. Il était comme leur âme et leur force unique ; et eux tous avaient les yeux fixés sur lui seul.

Il mit des gardes aux portes de la ville, pour empêcher la multitude de s’échapper et d’abandonner les murailles ; il détermina le lieu et le temps où l’on pourrait se livrer au deuil ; et il ordonna que ceux qui voudraient pleurer les morts le fissent dans leurs maisons, et seulement pendant trente jours : passé ce temps, tout deuil était interdit, et la ville devait être pure de tout aspect lugubre. Comme la fête de Cérès tombait dans ces jours-là[32], il crut qu’il valait mieux en omettre tout à fait les cérémonies et la procession, que de faire trop connaître, par le petit nombre et par l’abattement des assistants, la grandeur des pertes qu’on avait faites. Les dieux, suivant lui, aimaient qu’on les honorât dans la joie. Cependant il exécuta tout ce que les devins ordonnèrent pour apaiser les dieux, et pour conjurer les présages sinistres. Fabius Pictor[33] son parent, fut envoyé consulter l’oracle de Delphes ; deux Vestales s’étaient laissé séduire : l’une d’elles fut enterrée vive, selon la coutume ; l’autre se donna la mort.

Ce qu’il y eut peut-être de plus admirable, c’est la grandeur d’âme et la clémence que déploya Rome, lorsque le consul Varron revint fugitif, lui l’auteur de la défaite la plus honteuse et la plus sanglante, humilié et abattu comme il devait l’être. Le sénat et le peuple tout entier allèrent au-devant de lui jusqu’aux portes de la ville, et le reçurent avec honneur ; et, lorsqu’on eut fait silence, tous les personnages en charge et les principaux sénateurs, et parmi eux Fabius, le félicitèrent de n’avoir point désespéré du salut de l’État, après un tel désastre, et d’être revenu se mettre à la tête des affaires, prendre en main l’exécution des lois et le gouvernement des citoyens, qu’il n’avait pas crus perdus sans ressource.

Quand on apprit qu’Annibal, après sa victoire, s’était tourné vers les autres parties de l’Italie, on reprit confiance, et on envoya contre lui des généraux et des armées. Les plus distingués de ces généraux étaient Fabius Maximus et Claudius Marcellus, qui acquirent une réputation presque égale, par une manière d’agir presque opposée. Marcellus, comme il a été dit dans sa Vie[34], était un guerrier brillant, plein d’activité et d’ardeur, homme d’exécution, batailleur, et en tout semblable à ces héros qu’Homère appelle les fiers amants de la guerre. Entreprenant, méprisant le danger, charmé de rivaliser d’audace avec un capitaine aussi aventureux qu’Annibal, il saisissait toutes les occasions de le combattre ; tandis que Fabius demeurait toujours fidèle à son premier plan, espérant, si personne ne combattait ni même ne harcelait Annibal, qu’Annibal se minerait, se consumerait lui-même durant la guerre, et que son armée, épuisée par des fatigues excessives et continues, perdrait bientôt toute sa force, comme un athlète qui s’épuise par des luttes incessantes. C’est pour cela que les Romains, suivant Posidonius[35], appelèrent celui-là l’Épée, et celui-ci le Bouclier de Rome. En effet, ils durent leur salut à la constance inébranlable de Fabius et à son habitude de ne rien hasarder, jointes aux qualités de Marcellus.

Annibal rencontrait celui-ci partout, comme un torrent impétueux ; et il sentait ses forces ébranlées et froissées, par tant de chocs violents. L’autre, au contraire, était comme une rivière qui coulait doucement, sans bruit, sous ses pas, attaquant sans cesse le terrain sur lequel il marchait, le minant et l’usant peu à peu. Enfin il se vit poussé à bout, fatigué qu’il était d’avoir à combattre sans cesse Marcellus ; en même temps qu’il craignait Fabius, obstiné à ne jamais combattre. Presque toujours ils lui furent opposés, soit comme préteurs, soit comme proconsuls, soit comme consul ; car tous deux eurent cinq fois le consulat. Marcellus périt dans une embuscade que lui dressa Annibal, lorsqu’il était consul pour la cinquième fois ; mais vainement Annibal employa contre Fabius toutes les ruses, tous les expédients : une fois seulement il faillit le surprendre et le faire tomber dans un piège.

Il contrefit et dépêcha à Fabius une lettre, par laquelle les plus considérables personnages de Métaponte[36] s’engageaient à lui livrer leur ville, s’il voulait s’en approcher, ajoutant que les auteurs de la proposition n’attendaient, pour l’exécuter, que le moment où ils le verraient au pied de leurs murailles. Sur la foi de cette lettre, Fabius allait se mettre en marche, la nuit suivante, avec une partie de ses troupes ; mais, les auspices n’ayant pas été favorables, il abandonna sa résolution ; et, bientôt après, il apprit que la lettre était fausse, et que c’était une ruse d’Annibal, qui l’avait attendu, posté en embuscade auprès de la ville. Sans doute il dut son salut à la bienveillance des dieux.

Pour empêcher les défections des villes, et pour arrêter les mouvements des alliés, Fabius aima toujours mieux employer les moyens doux et modérés, que d’aller au fond de tous les soupçons, et d’user de rigueur contre ceux qu’il eût pu soupçonner. On rapporte, à ce sujet, qu’un soldat marse, distingué entre les alliés par sa bravoure et sa naissance, ayant parlé à quelques-uns de ses compagnons d’armes de passer à l’ennemi, Fabius en fut informé. Il le fit venir ; et, sans lui adresser aucun reproche : « On a eu tort, dit-il, je l’avoue, de te négliger. Je m’en prends aux officiers, qui distribuent les récompenses par faveur, et non pas suivant le mérite. Désormais, c’est à toi-même que je m’en prendrai, si tu as quelque chose à demander, et que tu ne t’adresses pas directement à moi. » En disant ces mots, il lui donna un cheval de bataille, et les autres récompenses auxquelles ses belles actions lui donnaient droit ; et, depuis ce temps-là, il n’eut pas de soldat plus fidèle et plus dévoué. Il trouvait fort étrange que les écuyers et les chasseurs, pour dresser des animaux indociles, fougueux et irritables, employassent les soins attentifs, l’habitude, la nourriture, plutôt que le fouet et le collier de force ; tandis que ceux qui veulent gouverner les hommes ne considèrent pas comme le plus puissant moyen de réussite la bonne grâce et la douceur, et les traitent même avec plus de dureté et de violence que n’en montrent les jardiniers pour les sauvageons, qu’ils façonnent et apprivoisent, et dont ils font des oliviers, des poiriers et des figuiers produisant de bons fruits.

Les centurions lui rapportèrent qu’un autre soldat, Lucanien de naissance, quittait souvent son poste, et s’en allait rôder hors du camp. Il leur demanda quel homme c’était d’ailleurs ; et tous s’accordèrent à dire qu’il n’y avait pas de meilleur soldat, et ils citèrent de lui plusieurs traits d’une bravoure éclatante. Fabius chercha quels pouvaient être les motifs de cette conduite irrégulière. Il découvrit donc que le soldat était amoureux d’une jeune femme ; et que c’était pour l’aller voir, qu’il sortait du camp, et qu’il s’exposait chaque fois aux dangers d’une fort longue course. Alors, à l’insu du soldat, il envoya quelques hommes se saisir de sa maîtresse ; puis il la cacha dans sa tente, fit venir le Lucanien, le prit en particulier, et lui dit : « Je sais que, contrairement à l’antique discipline et aux lois romaines, tu as plusieurs fois passé la nuit hors du camp ; je sais aussi que tu es d’ailleurs un bon soldat : je te pardonne donc tes fautes en considération de les excellents services ; mais je te placerai, pour l’avenir, sous la garde d’une personne qui me répondra de toi. » Et, tandis que le soldat demeurait surpris, il fit avancer la femme, et la lui remit entre les mains, ajoutant : « Voilà qui me sera caution que tu resteras avec nous dans le camp. Ta conduite, désormais, montrera si ce n’était pas pour quelque autre motif coupable, que tu te glissais hors des retranchements, sous prétexte de l’amour qui t’attirait près d’elle. » Tel est du moins le récit qu’on a fait à ce sujet.

Annibal s’était emparé de Tarente par trahison ; et la ville fut reprise de la façon suivante. Il y avait, dans l’armée de Fabius, un jeune Tarentin, qui avait à Tarente une sœur dont il était tendrement chéri ; et cette femme était aimée d’un Bruttien, l’un des officiers de la garnison qu’Annibal avait mise dans la place. Cette circonstance fît concevoir au Tarentin une espérance qu’il communiqua à Fabius. Sur l’assentiment de Fabius, il passa dans la ville, où il se fit recevoir en disant qu’il avait déserté pour retourner auprès de sa sœur. Pendant les premiers jours, le Bruttien resta chez lui, sa maîtresse ne le recevant point, parce qu’elle ne croyait pas son frère instruit de leurs relations. Mais à la fin, son frère lui dit : « Beaucoup me disaient là-bas que tu étais la maîtresse d’un des chefs et des principaux de la garnison. Quel homme est-ce donc ? Si, comme on l’assure, c’est un brave, un homme distingué, qu’importe sa naissance[37] ? la guerre confond tout. Il n’y a aucune honte à céder à la nécessité ; et, dans un temps où la justice est sans force, c’est même un bonheur de se rendre doux celui qui pourrait user de violence. » La jeune femme, l’entendant parler ainsi, envoya demander le Bruttien, et elle lui fit connaître son frère. Celui-ci, en secondant la passion du barbare, et en paraissant lui rendre sa sœur plus facile et plus complaisante qu’elle n’avait encore été, acquit sa confiance ; et il ne lui fut pas difficile de gagner au parti contraire, par l’appât des récompenses qu’il lui promettait de la part de Fabius, un homme qu’aveuglait la passion, et qui ne faisait la guerre que pour de l’argent.

C’est ainsi que la plupart des écrivains rapportent le fait. Plusieurs prétendent, toutefois, que la femme qui gagna le Bruttien n’était pas de Tarente, mais du Bruttium, et qu’elle était la concubine de Fabius. Ayant appris que le chef de la garnison bruttienne était un homme de son pays et de sa connaissance, elle se serait entendue avec Fabius ; puis elle aurait eu, avec le Bruttien, une entrevue au pied des remparts, et elle serait parvenue à le gagner.

Pendant que le complot se préparait, Fabius, qui cherchait un moyen d’éloigner Annibal de ce point, envoya ordre à la garnison de Rhégium de ravager le territoire des Bruttiens, et d’aller investir et prendre de force la place de Caulonia[38]. Or, cette garnison se composait de huit mille hommes, presque tous déserteurs, détestables soldats, qui avaient été notés d’infamie, et que Marcellus[39] avait transportés de Sicile à Rhégium. Ainsi la république, en les perdant, ne pouvait guère en éprouver de mal ni de regret. Il espérait, en les exposant comme un appât au-devant d’Annibal, écarter Annibal de Tarente ; ce qui arriva. Annibal s’élança aussitôt, pour les atteindre, avec toute son armée ; et Fabius investit la place. Le sixième jour du siège, le jeune homme étant convenu de tout avec le Bruttien par l’entremise de sa sœur, alla trouver le consul, après avoir bien observé l’endroit du rempart confié à la garde du Bruttien, point que le Bruttien s’était engagé à livrer, et par où il devait laisser entrer les assiégeants. Cependant Fabius, qui ne mettait pas dans la seule trahison toute l’espérance du succès, se porta là de sa personne ; et, tandis que toute son armée se déployait autour de la place, et qu’elle donnait l’assaut, par terre et par mer, avec grand bruit et tumulte, il se tint tranquille, jusqu’au moment où le Bruttien, voyant la plupart des assiégés courir vers les points menacés, et occupés à repousser les assaillants de leurs murailles, fit signe qu’il était temps d’agir : aussitôt Fabius escalada la ville, et s’en empara. Il paraît cependant qu’il se laissa aller, en cette occasion, à un sentiment d’amour-propre mal placé ; car il donna ordre d’égorger tout d’abord les Bruttiens, pour qu’on ne sût point qu’il avait pris la place par trahison. Mais son calcul se trouva faux ; et il n’y gagna que de se faire accuser de mauvaise foi et de cruauté.

On tua aussi un grand nombre de Tarentins. Les autres habitants furent vendus, au nombre de trente mile, et la ville fut livrée au pillage ; et on porta dans le trésor public trois mille talents[40]. Tandis qu’on enlevait et qu’on emportait tout le butin, le greffier demanda à Fabius ses ordres au sujet des divinités, comme il nommait leurs images et leurs statues. « Laissons aux Tarentins leurs dieux irrités, » répondit Fabius. Cependant il fit transporter, de Tarente à Rome, la statue colossale d’Hercule, qu’il plaça dans le Capitole, et auprès de laquelle il éleva, en son propre honneur, une statue équestre de bronze. Il montra, en fait d’objets d’art, beaucoup moins de goût que Marcellus ; ou plutôt il fit ressortir et rendit plus admirables la douceur et l’humanité délicate, que Marcellus fit paraître dans une occasion analogue, ainsi que nous l’avons écrit dans sa Vie.

Annibal accourut, pour faire lever le siège ; et il ne se trouva en retard, dit-on, que de quarante stades[41]. En apprenant la fâcheuse nouvelle, il dit tout haut : « Les Romains ont donc aussi leur Annibal ; car nous avons perdu Tarente comme nous l’avions prise ! » Puis, quand il fut seul avec ses amis, il se décida à leur faire, pour la première fois, un aveu : c’est que, depuis longtemps, il avait reconnu la difficulté, et qu’il reconnaissait aujourd’hui l’impossibilité, de conquérir l’Italie avec les moyens dont il disposait[42].

Fabius avait déjà obtenu le triomphe[43] : il l’obtint alors pour la seconde fois ; et ce second triomphe fut encore plus brillant que le premier. Comme un bon athlète qui succède à un autre contre un adversaire victorieux, il avait plus facilement terrassé Annibal, dont les attaques et les étreintes avaient perdu de leur vigueur, parce que le luxe et la richesse avaient amolli son armée, et qu’elle était comme énervée et usée par des luttes continuelles et sans relâche. Il y avait un Romain, nommé Marcus Livius, qui commandait dans Tarente, lorsque Annibal enleva la place. Il s’était jeté dans la citadelle ; et, n’ayant pu en être chassé, il l’avait gardée jusqu’à ce que la ville retombât au pouvoir des Romains. Il voyait avec chagrin les honneurs dont on comblait Fabius ; et un jour, dans le sénat, il ne put contenir sa jalousie et son amour-propre blessé, et il dit que ce n’était pas à Fabius, mais à lui, qu’on devait la reprise de Tarente. « Rien de plus vrai, dit en riant Fabius ; car, si tu ne l’avais pas laissé prendre, je ne l’aurais pas reprise. »

Rome se plut à environner Fabius d’honneurs ; et, en outre, son fils fut nommé consul. Pendant qu’il était en charge, un jour qu’il dépêchait quelques affaires concernant la guerre, le père, soit à cause de sa vieillesse et de ses infirmités, soit pour éprouver son fils, monta à cheval, et s’avança ainsi à travers la foule qui se pressait autour du tribunal. Le jeune homme, l’apercevant de loin, ne le laissa pas approcher, et lui envoya un licteur, pour lui ordonner de descendre de cheval, et de venir à pied, si c’était au magistrat qu’il avait affaire. Cet ordre déplut à tous les assistants ; et tous en silence tournèrent les yeux vers Fabius, outragé, pensaient-ils, dans sa gloire. Mais lui, s’élançant aussitôt de cheval, se précipita vivement du côté de son fils ; et, se jetant à son cou, et le serrant dans ses bras : « Bien, mon fils ! s’écria-t-il ; c’est bien pensé, bien agi ! tu comprends à quels hommes tu commandes, et de quelle majesté tu es revêtu. C’est ainsi que nos ancêtres et nous, nous avons agrandi la puissance de Rome : oui, c’est en mettant au-dessus de nos parents et de nos enfants l’honneur de la patrie. »

En effet, on rapporte que le bisaïeul de Fabius[44], qui était le personnage le plus illustre et le plus puissant de Rome, et qui avait été cinq fois consul, chargé de guerres fort importantes, et honoré plusieurs fois du triomphe, servit comme lieutenant, sous son fils devenu consul[45], et que, quand celui-ci rentra dans Rome sur le char triomphal, il le suivit à cheval dans la foule, fier d’avoir sur son fils les droits de l’autorité paternelle, d’être le plus grand des citoyens de Rome, comme on lui en donnait le titre, et de se montrer cependant soumis aux lois et au pouvoir. Et ce n’étaient point là les seules qualités qui faisaient admirer notre Fabius. Il arriva que son fils mourut : il supporta ce malheur avec modération, en homme sage et en bon père. Il est d’usage qu’aux funérailles des personnes de distinction, les parents du mort prononcent son éloge funèbre : il prononça lui-même, à la tribune publique, l’éloge de son fils ; depuis, il écrivit ce discours, et il le publia.

Cornélius Scipion[46] fut envoyé en Espagne, et il y remporta sur les Carthaginois plusieurs victoires. Il les força d’évacuer le pays, conquérant ainsi à Rome des peuplades nombreuses, de grandes villes, de brillants et puissants moyens d’action : aussi, à son retour, effaça-t-il tout le monde, par sa gloire et sa popularité. Créé consul, et sentant que le peuple exigeait et attendait de lui quelque chose de grand ; regardant d’ailleurs comme une guerre de routine, et digne seulement d’un vieillard, de se borner à combattre Annibal dans l’Italie, il ne pensa qu’à remplir Carthage et l’Afrique d’armes et de soldats, à dévaster la contrée, et à transporter d’Italie là-bas le théâtre de la guerre. Il mit une ardeur extrême à faire partager ce sentiment au peuple. Alors Fabius ne vit plus que sujets de crainte. Fabius représentait aux citoyens que, si on se laissait emporter aux illusions d’un jeune homme sans expérience, on allait se jeter dans un danger immense, et se perdre sans ressource ; et il n’épargna ni les paroles, ni les actes qui lui parurent propres à détourner les Romains d’un pareil projet. Il parvint à persuader le sénat ; mais le peuple le crut jaloux des succès de Scipion. Fabius craignait, pensait-on, si le jeune général faisait quelque action d’importance et d’éclat, et qu’il terminât entièrement la guerre, ou qu’il la chassât hors de l’Italie, de paraître, lui, n’avoir agi qu’avec mollesse, et n’avoir rien fait, puisque, investi du commandement pendant un si long temps, il n’avait pas su réduire complètement l’ennemi.

Il est vraisemblable que Fabius ne fut d’abord guidé, dans son opposition, que par sa prudence et son dévouement au salut de l’État, et par la crainte de grands périls. S’il y persista avec opiniâtreté, et s’il se laissa même emporter trop loin, ce fut désormais par un sentiment de rivalité jalouse, qui le poussait à empêcher l’agrandissement du crédit de Scipion ; car il engagea Crassus, collègue de Scipion dans le consulat, à ne pas abandonner ses droits au commandement, à ne pas céder aux prétentions de Scipion, et, s’il le trouvait à propos, à passer lui-même en Afrique. Il s’opposa à ce qu’on votât des fonds pour cette guerre ; et Scipion, forcé de s’en procurer par lui-même, s’en alla courir l’Étrurie, sollicitant ses amis : il trouva des ressources dans les villes de cette contrée, qui lui étaient unies par des liens particuliers, et qui voulurent contribuer à son entreprise. Pour Crassus, ennemi de la dispute, et doux de caractère, il resta chez lui, retenu d’ailleurs par une loi religieuse ; car il était grand pontife[47].

Fabius prit alors une autre voie d’opposition. Il mit obstacle aux enrôlements volontaires des jeunes gens qui s’engageaient à servir sous les ordres de Scipion ; et il les empêchait de partir, en s’écriant, dans le sénat et dans les assemblées du peuple, que, non content de se sauver d’Annibal, Scipion ne voulait pas le fuir tout seul, mais qu’il allait emporter au delà des mers toutes les forces militaires en Italie ; qu’il séduisait les jeunes gens par de belles espérances, et qu’il les entraînait à abandonner leurs parents, leurs femmes, leur patrie, tandis qu’un ennemi victorieux, et jusqu’alors invaincu, campait aux portes de Rome. Ces discours inspirèrent des craintes aux Romains ; et l’on décréta que Scipion ne pourrait emmener que les troupes qui se trouvaient en Sicile, avec trois cents hommes de ceux qui avaient servi sous lui en Espagne, et dont il avait pu éprouver la fidélité. Au reste, toute cette politique était conforme au caractère de Fabius.

Mais, quand Scipion fut passé en Afrique, et que bientôt Rome fut remplie du récit de ses actions étonnantes, de ses exploits éclatants et vraiment extraordinaires et inouïs ; quand d’innombrables dépouilles vinrent témoigner de la véracité des courriers qui annonçaient la captivité d’un roi numide[48], l’incendie de deux camps en une même heure[49], et la destruction d’une grande quantité d’hommes, d’armes et de chevaux, dévorés par ce double incendie ; quand on apprit que les Carthaginois avaient envoyé des messages à Annibal, pour le conjurer d’abandonner des espérances qui ne pouvaient désormais se réaliser, afin de venir au secours de sa patrie ; quand partout, dans Rome, on ne parlait plus que de Scipion et de ses succès : en ces circonstances là même, Fabius exprima l’avis qu’il fallait envoyer un successeur à Scipion ; et il n’en donna d’autre motif sinon la maxime ancienne, qu’on ne doit pas confier de si grands intérêts à la fortune d’un seul homme, parce qu’il est difficile qu’un même homme soit toujours heureux.

Cette proposition choqua tout le monde ; et l’on regarda désormais Fabius comme un homme fâcheux et envieux, ou que la vieillesse rendait timide et incapable de concevoir aucune bonne espérance, et qui craignait Annibal au delà de toute mesure. Même après qu’Annibal eut évacué l’Italie avec son armée, et qu’il se fut mis en mer, Fabius ne put encore laisser ses concitoyens jouir d’une satisfaction pure. Il troubla leur confiance, en répétant qu’alors surtout la république se trouvait sur une pente fatale ; qu’elle courait un extrême danger ; que les coups d’Annibal tomberaient sur eux bien plus pesants et plus terribles, devant Carthage même ; que Scipion allait avoir affaire à une armée fumante encore du sang de tant de magistrats suprêmes, de dictateurs, de consuls. Ces discours répandirent dans toute la ville un tumulte extrême ; et, bien que la guerre eût été transportée d’Italie en Afrique, il semblait que la terreur se fut rapprochée de Rome.

Bientôt cependant Scipion vainquit et brisa Annibal même en bataille rangée[50] ; il terrassa et foula aux pieds l’orgueil de Carthage abattue ; il fit éprouver à ses concitoyens une joie qui dépassait toutes leurs espérances ; et l’on peut dire, avec vérité, qu’il releva l’empire

Ébranlé par les coups pressés de la tempête.


Mais Fabius Maximus ne vécut pas assez longtemps pour voir la fin de la guerre, apprendre la défaite d’Annibal, et être témoin du grand et solide bonheur de sa patrie : il mourut de maladie, vers le temps où l’Italie fut évacuée par Annibal[51]. Épaminondas avait été enterré aux dépens du trésor public de Thèbes, à cause de la pauvreté dans laquelle il mourut ; car, après sa mort, on ne trouva dans sa maison qu’une petite broche de fer[52]. Fabius ne fut pas enterré aux frais du trésor ; mais tous les Romains contribuèrent à ses obsèques, chacun pour la plus petite de leurs monnaies[53] : non point qu’il fût mort pauvre, et pour couvrir les frais de ses funérailles ; mais le peuple voulut célébrer ses funérailles, comme celles d’un père. Ainsi les honneurs et la gloire dont sa mort fut environnée répondirent à l’éclat de sa vie.



  1. Toutes les anciennes familles de Rome faisaient remonter leur origine à quelque dieu ou à quelque héros des temps fabuleux.
  2. Cicéron cite cette oraison funèbre comme un chef-d’œuvre d’éloquence.
  3. Les Ligures habitaient ce qui est maintenant le pays de Gênes, et ils s’étendaient du Var à la Macra.
  4. Une quinzaine d’années au moins après le premier consulat de Fabius.
  5. En l’an 218 avant J.-C.
  6. Six ans auparavant, dans son premier consulat.
  7. Suivant Tite-Live, il n’y eut que six mille prisonniers, outre les quinze mille morts.
  8. C’est seulement hors de Rome, que Fabius déploya cet appareil, et qu’il réduisit le consul Servilius à faire hommage à la dictature.
  9. C’est ce qu’on appelait à Rome un printemps sacré, ver sacrum.
  10. C’est-à-dire, en monnaie française, 77,732 francs 50 centimes.
  11. Le vieux poète Ennius caractérise admirablement Fabius, dans ces deux vers, dont un a été à peu près transcrit par Virgile :

    Unus homo nobis cunctando restituit rem.
    Non ponebat enim rumores ante salutem.

  12. Ville du Latium.
  13. Ce qui revient à 232 francs 50 centimes. Tite-Live dit deux livres et demie d’argent par homme : la livre d’argent romaine de douze onces équivalait à peu près à 100 drachmes ou 93 francs, ce qui fait croire que cet argent était à un titre un peu plus élevé que le nôtre.
  14. Tite-Live dit que la perte avait été presque égale des deux côtés,
  15. Le discours attribué à Metilius est dans Tite-Live.
  16. Suivant Tite-Live, au contraire, il donna à Minucius la première et la quatrième, et garda pour lui les deux autres.
  17. Polybe dit que son camp n’était qu’à quinze cents pas de celui d’Annibal.
  18. C’était la cavalerie d’Annibal.
  19. Geste de douleur ou d’étonnement, commun chez les anciens.
  20. C. Servilius et Atilius Régulus étaient déjà nommés, quand Fabius se démit ; mais ils n’entrèrent réellement en charge qu’après sa démission.
  21. Il était fils d’un boucher, mais déjà riche avant de songer à s’élever aux honneurs.
  22. C’était après une campagne en Illyrie, et au sujet du partage du butin.
  23. Il faut dire que Térentius Varron était dans son droit, en réclamant le commandement un jour sur deux.
  24. Dans la Campanie. Avant la bataille de Cannes, il y avait eu une première action, où Paul Émile avait battu un parti de Carthaginois.
  25. Tite-Live le nomme vulturne : c’était un vent du sud-ouest.
  26. Plutarque renvoie ici particulièrement à Polybe et à Tite-Live, qui sont la source où lui-même a puisé.
  27. En Appulie, sur la frontière de la Lucanie.
  28. Le vainqueur de Persée était fils de ce Paul Émile.
  29. D’autres le nomment Maharbal : c’était peut-être son surnom.
  30. Il est probable qu’Annibal eût marché sur Rome, s’il avait cru possible de s’en emparer ; et quelques-uns estiment que sa conduite ne fut que sage et prudente.
  31. Dans la tragédie d’Hécube, vers 1226,1227.
  32. Elle se célébrait le 12 avril. On renonça à la célébrer parce que tout le monde était en deuil, l’usage étant que ceux qui pleuraient des morts s’abstinssent d’y paraître.
  33. Celui qui écrivit le premier livre d’histoire proprement dite en latin.
  34. Cette Vie est la seizième de la collection telle qu’elle existe aujourd’hui.
  35. Philosophe et historien grec, qui fut le maître de Pompée et de Cicéron.
  36. Ville située sur la côte orientale de la Lucanie.
  37. Les Bruttiens, bien qu’habitant l’Italie, étaient considérés comme des barbares. Leur pays répond à la Calabre d’aujourd’hui.
  38. Rhégium était sur le détroit de Sicile, et Caulonia ou Caulon était une ville du Bruttium.
  39. Non pas Marcellus, mais son collègue Lévinus.
  40. Plus de seize millions de francs.
  41. A peu près huit kilomètres, ou deux lieues.
  42. Ce mot explique, ce semble, pourquoi Annibal, après la bataille de Cannes, n’avait pas marché sur Rome.
  43. Apres la défaite des Ligures.
  44. Quintus Fabius Rullus.
  45. Quintus Fabius Gurgès.
  46. Le premier Africain.
  47. La loi interdisait au grand pontife de sortir de l’Italie.
  48. Le roi Scyphax.
  49. Le camp de Scyphax et celui d’Asdrubal.
  50. À Zama, en l’an 201 avant J.-C.
  51. On ne sait pas quel âge il avait à sa mort ; mais il devait être au moins nonagénaire, s’il est vrai, comme quelques-uns l’ont rapporté, qu’il ait été pendant soixante-deux ans membre du collège des augures.
  52. Nom d’une petite monnaie dont on ignore la valeur ; mais le mot ὀβέλισκος est comme un diminutif d’ὄβολος, obole.
  53. Probablement pour un quadrans, ou un quart d’as.