Vingt ans de cinéma au Canada français/02h

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Ministère des affaires culturelles du Québec (p. 55-58).

LES TECHNICIENS


Comme nous le faisions remarquer au début de ce texte, le cinéma du Canada français a été fait par des techniciens : des caméramen, des monteurs, des ingénieurs du son ; ces hommes ont été associés de près à toutes les expériences de nos réalisateurs.

Le cinéma d’ici serait-il le même — aurait-il été simplement possible ? — sans le talent exceptionnel des caméramen qui l’ont fait ? Comment aurait-on réussi nos expériences de cinéma direct sans les ingénieurs du son qui étaient aussi des casse-cou de premier ordre ? Et cette réalité que l’on a voulu tant de fois traquer, aurait-on réussi à lui redonner forme, à lui rendre sa vérité, sans les monteurs qui secondaient le réalisateur dans sa recherche ? Autant de questions qui suggèrent autant de noms, noms souvent méconnus et qui, pourtant, sont la raison d’être de bien des films.



Jean-Claude Labrecque


On a déjà dit le talent de Michel Brault, sa virtuosité et sa simplicité audacieuse. Il faut nommer ensuite Jean-Claude Labrecque, technicien brillant et sensible, dont le travail a été associé aux expériences les plus riches de ces dernières années : Le Chat dans le sac, La Vie heureuse de Léopold Z., Un jeu si simple, Solange dans nos campagnes, Les Petits Arpents, Un air de famille, Mémoire en fête. En 1965 Labrecque a réalisé et photographié 60 cycles, un essai en couleurs sur le tour cycliste du Saint-Laurent ; c’est un film de caméraman encore une fois, dira-t-on, mais sa rigueur de construction et son équilibre plastique témoignent assurément des qualités créatrices d’un artiste très personnel.



Georges Dufaux (à la caméra), caméraman de La fleur de l’âge.


Georges Dufaux, en dix ans de travail à l’Office national du film, a collaboré à quelque cinquante films : Les Petites Sœurs, Les Brûlés, Alexis Ladouceur, métis’', Parallèles et grand soleil, Borduas, La France revisitée, La Fleur de l’âge. Georges

Dufaux est le professionnel par excellence, mais un professionnel qui met de l’art dans tout ce qu’il fait : la lumière qui caresse les adolescentes de La Fleur de l’âge, les beaux matins de La France sur un caillou, la richesse tactile de Parallèles et grand soleil et même (c’est malheureusement tout) les savants éclairages du Festin des morts.

Il faut aussi rappeler le travail de Bernard Gosselin, plasticien subtil (Bûcherons de la Manouane, Parallèles et grand soleil), Michel Régnier, paysagiste rigoureux (Le Révolutionnaire), Guy Borremans, inégal mais souvent très grand (Jour après jour, La femme image, Percé on the Rocks, La France revisitée) ; et aussi Gilles Gascon, Jean Roy, François Séguillon, Guy-Laval Fortier.

Chez les monteurs, il faut faire une place à part à Gilles Groulx dont le travail de monteur, sur ses propres films ou sur d’autres, participe très étroitement de sa démarche créatrice totale. Le montage du Vieil Âge et de La France sur un caillou fait partie intime de l’œuvre de Groulx : plus que son talent, c’est sa pensée même qui s’y transcrit. Il faut aussi accorder une attention spéciale au travail de Werner Nold : étroit collaborateur de Brault (Pour la suite du monde, Le Temps perdu, La Fleur de l’âge), Carle (Patinoire, Solange dans nos campagnes, La Vie heureuse de Léopold Z.) et Jutra (À tout prendre, Technologie scolaire), c’est un technicien de premier ordre dont le travail minutieux est toujours au service du film. Il faut aussi nommer Éric de Bayser, Jean-Claude Pilon, Jacques Gagné, Marc Hébert, Yves Leduc, Marc Beaudet.

Enfin, faisons une place toute spéciale à Marcel Carrière, ingénieur du son au talent unique qui a suivi Brault et Perrault à l’Île-aux-Coudres (Pour la suite du monde), Groulx à travers Montréal (Le Chat dans le sac) et Kœnig et Kroitor autour du monde (Stravinsky). Marcel Carrière est le type même du technicien moderne : souple et intelligent, son travail a été déterminant dans l’évolution du cinéma du Canada français.

Tous ces hommes, et d’autres que nous oublions sans doute, ont façonné notre cinéma. Leur talent a forcé leurs outils à se plier aux exigences d’un pays neuf et d’une réalité difficile à approcher : c’est leur talent qui a rendu cette réalité cinématographiquement vivante.