Vingt ans de cinéma au Canada français/03

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Ministère des affaires culturelles du Québec (p. 59-62).

L’animation


L’animation, plus qu’aucune autre « spécialité », a toujours été le patrimoine presqu’exclusif de l’Office national du film. Étant donné l’outillage technique nécessaire à la production professionnelle de films animés, on comprend que ce soit le riche organisme d’état qui ait surtout encouragé les cinéastes d’animation canadiens.

L’O. N. F. possède un « service d’animation » depuis 1941. Ce service, qui fut d’abord sous la direction de Norman McLaren, a toujours fait partie de la section anglaise de l’Office et les cinéastes de langue française qui y ont travaillé sont peu nombreux.

Dès le débuts on y trouve pourtant Jean-Paul Ladouceur qui, durant son séjour de dix ans à l’O. N. F. mit la main a toutes les pâtes (cartes animées, bandes publicitaires, séquences animées pour documentaires pédagogiques) pour finir comédien dans le Neighbours de McLaren. Jean-Paul Ladouceur a travaillé à la série des chants populaires du Canada (Envoyons d’l’avant), mais a surtout réalisé des films de marionnettes : Chantons Noël (1948), Sur le pont d’Avignon (1952). À la même époque René Jodoin travailla à la série Let’s All Sing Together ; c’est lui qui réalisa Alouette (1944) et Square Dance (1944). Également collaborateur de McLaren à ses débuts (co-réalisateur de Alouette) René Jodoin quitta l’Office en 1947 pour y revenir en 1958. Depuis lors il a réalisé des films didactiques, dont les excellents Comment fonctionne le moteur à jet (1960) et Ronde carrée (1962).

Actuellement, aux côtés de Grant Munro, Kaj Pindall, Gerald Potterton, et Norman McLaren, quatre animateurs canadiens-français travaillent à l’Office national du film. Yvon Malette termine son premier film, The Growth of a City ; Pierre Moretti également (Les Enfants du Canada). Bernard Longpré, plus ancien dans la maison, s’est surtout spécialisé dans les films techniques : il faut retenir Four-Line Conics (1962), réalisé en collaboration avec le mathématicien britannique Trevor Fletcher, et Test 0558 (1965), réalisé avec une calculatrice électronique. Quant à Pierre Hébert, bien qu’âgé de vingt-deux ans seulement et nouveau à l’O. N. F., il a déjà cinq courts métrages et deux publicitaires derrière lui.



Ronde carrée


Peintre, anthropologue et grand admirateur de Norman McLaren, Pierre Hébert a réalisé la plupart de ses films par le biais de la technique du « grattage » de la pellicule. Dès ses premiers essais amateurs (Histoire en gris et Histoire d’une bibite) on peut sentir chez lui, et ce malgré les rudiments de sa technique, un sens très sûr du rythme et une notion fort juste du vingt-quatrième de seconde. Histoire d’une bibite révèle d’autre part un humour assez féroce dont Hébert ne se départira pas totalement malgré la forme abstraite de ses films suivants. Opus I est un poème plastique qui utilise le phénomène de la persistance rétinienne pour créer devant le spectateur une sorte de peinture en mouvement qui s’apparente aux recherches des peintres Op ; Opus I est une œuvre rigoureuse qui respire d’un véritable souffle humain et dont la puissance de fascination témoigne bien du degré de maturité que Pierre Hébert a déjà atteint. Ces qualités s’accomplissent avec une perfection nouvelle dans Hop Op (réalisé à l’O. N. F. — les films précédents ayant été réalisés en 16mm et avec des moyens de fortune), expérience plastique qui réaffirme le talent de l’animateur. Hébert a également réalisé à l’O. N. F., pour le compte du ministère des Postes, une bande publicitaire de 20 secondes conseillant de poster tôt pour Noël ; ceux qui, l’automne dernier, ont pu la voir sur leur écran de télévision se souviennent sûrement de cette horloge obsédante qui sonnait l’heure de la poste. Pierre Hébert a enfin collaboré au Révolutionnaire de Jean-Pierre Lefebvre ; la séquence historique qu’il y a réalisée en combinant gravure sur pellicule et prises de vues réelles et l’un des meilleurs moments du film.

En dehors de l’Office national du film les expériences en animation ont été assez rares. Il faut citer pour référence le long métrage des frères Réal et Marcel Racicot Le Village enchante (1955). Fruit de dix années de travail, cette expérience unique dans le cinéma canadien ne semble pourtant pas avoir été concluante, du moins si l’on en croit le critique Jacques Lamoureux qui écrivait à l’époque : «… il n’y a pas de scénario… ; il n’y a pas de ligne dramatique définie… ; … c’est un sous-produit de Disney… »[1]

Plus tard le cinéaste Jean Letarte prendra la relève avec quelques essais, mais abandonnera bientôt la partie pour se consacrer à la télévision. Dans les années ’60, Cioni Carpi, peintre et mime italien de Montréal, réalisa Point et contrepoint, essai dessiné directement sur la pellicule qui n’est pas sans évoquer McLaren, The Maya Bird, plus décoratif que plastique, et Le Chat ici et là, d’une fantaisie assez réussie. Carpi est maintenant rentré dans son Italie natale.

Il faut enfin mentionner le travail souvent intéressant des dessinateurs des services graphiques de Radio-Canada : René Derouin, Graeme Ross, Frederick Back, André Théroux, Hubert Tison. Génériques, bandes-annonces et parfois courts métrages, le travail de ce groupe d’artistes n’est pas négligeable ; on y trouve fréquemment des qualités d’invention et un sens plastique qui pourrait faire de la plupart d’entre eux de véritables cinéastes d’animation.

  1. Dans Images, vol. I, n°3, page 55.