Visions gaspésiennes/18

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Imprimerie du Devoir (p. 27-28).


LA JEUNE TRICOTEUSE


Les lourds parfums des champs s’abattaient, adoucis,
Les laboureurs laissaient la côte raboteuse,
Quand j’aperçus, au loin, par un soir indécis,
La jeune tricoteuse !

De longs cheveux dorés, frisés abondamment,
Encadraient sans façon sa tempe vigoureuse.
Ah ! qu’elle avait alors un visage charmant
La jeune tricoteuse !

Je voyais le fuseau danser entre ses doigts
Et le rire animer sa lèvre duveteuse…
Je voudrais, dans mes vers, la rechanter cent fois
La jeune tricoteuse !


Sans doute elle faisait quelque nouveau gilet
Pour l’aïeule tremblante, aimable et souffreteuse
Qui, bien tard dans la nuit redit son chapelet,
La jeune tricoteuse !

Et son front était plein de grâce et de douceur
Car son âme n’était ni vile ni menteuse.
Oh ! comme il m’aurait plu de l’appeler ma sœur
La jeune tricoteuse !

D’avoir pu l’admirer merci vingt fois, mon Dieu !
C’est un rayon baignant mon âme vaniteuse.
J’emporte son image en ma mémoire. Adieu
La jeune tricoteuse !